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Uche Agbo, le lutteur de Kano

Le Standard cherche des guerriers prêts à laisser pisser leur ADN sur la pelouse. Il se pourrait que les Rouches aient trouvé leur bonheur en la personne d’Uche Agbo. Entre les foots pieds nus, la malaria et la boucherie artisanale, retour sur les milles vies du Nigérian de 21 ans. Un combat perpétuel plutôt qu’une lutte finale.

Erreur sur la personne. Neymar Jr tente une percée, Dimitri Foulquier bloque l’idée par une caresse au visage du Brésilien et Uche Agbo reçoit une carte jaune. Le 2 avril dernier, l’arbitre de la rencontre confond le latéral de Grenade avec son milieu défensif. À huit minutes du terme, Agbo manque son contrôle et empêche Jordi Albade filer avec le cuir. Une faute tactique des plus classiques qui vaut une seconde biscotte au Nigérian. Il laisse les siens à dix et le Barça en profite pour les terminer par deux nouvelles banderilles. Score final : 1-4.

Le 29 du même mois, Graná valide définitivement son aller simple pour l’étage inférieur. Uche Agbo surnage dans une saison collective catastrophique. S’il est quatre fois suspendu, seuls Memo Ochoa et le Belgo-Brésilien Andreas Pereira sont plus utilisés par les trois coaches qui se succèdent sur le banc filipino. « C’est quelqu’un sur qui on peut compter », assure Foulquier, au club depuis 2013. « Tous les entraîneurs veulent des joueurs comme ça. Il est toujours présent au combat, pour son équipe. Avec lui, tu peux partir à la guerre. »

Il tacle, gratte et donne. Il se bat comme un soldat sûr. Uche Henry Agbo, de son nom complet, ne compte pas ses efforts sur le dernier exercice. Au rapport : 77 tacles gagnés sur ses 31 matches de Liga pour un pourcentage de réussite à 66 %. Parmi les U21 du Big 5, c’est le quatrième meilleur total, derrière la recrue du Real Dani Ceballos ou le prodige de Leverkusen Benjamin Hendrichs, qui détient aussi le ratio le plus élevé, juste devant Agbo. Autant dire que, sur le plan individuel, le natif de Kano réussit sa première vraie saison en Europe.

« Il va au duel, il met de l’impact, il impose un gros niveau physique », poursuit Foulquier. « Mais paradoxalement, il est aussi très calme et très mature dans son jeu. » Paco Jémez, le T1 qui démarre à Grenade, le voit comme son premier relanceur et le fait évoluer en défense centrale. Foulquier n’a pas peur des comparaisons. « Il ressort très bien le ballon. Mais il prend aussi des risques. En défense centrale, son style de jeu peut amener quelques erreurs. C’est normal. On reproche aussi la même chose à un joueur comme Marco Verratti. »

Lucas Alcaraz suit d’octobre à avril et le replace au coeur de son onze de base. Tony Adams, légende d’Arsenal qui ne parvient pas à sauver les Andalous, ne le bouge pas d’un iota. Agbo s’empare du numéro 5, son chiffre fétiche, pourtant l’apanage d’un fidèle du club, Diego Mainz. « L’an dernier, c’était horrible. Franchement, on en a chié. C’était peut-être pas plus mal qu’on descende. Agbo était un joueur important, mais c’était vraiment parce qu’il n’y avait pas autre chose. C’était un pilier sans être un pilier », tempère Adrien Rodriguez, fondateur de la Peña GCF Francia, soutien français de l’équipe depuis 2015.

L’Aigle et le Renard

Uche Agbo avec Grenade face à Neymar.
Uche Agbo avec Grenade face à Neymar.
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Quoi qu’il en soit, Watford cherche à le rapatrier à la maison mère. Historiquement, la famille Pozzo détient ces deux écuries, anglaise et espagnole, mais aussi l’Udinese en Italie. Elle laisse Grenade sous pavillon chinois en 2016 mais prête quand même son aboyeur nigérian, censé renforcer les Hornets à l’aube de leur nouvelle campagne en Premier League.

Sur fond de Brexit, Agbo ne remplit toutefois pas les conditions pour obtenir un permis de travail à Vicarage Road. Le Standard en profite. Olivier Renard joue de ses bonnes relations avec le clan Pozzo et attaque fin juin. Levante, Alavés et Getafe se montrent également intéressés mais tardent à passer à l’offensive. En janvier, Genk et le Lokomotiv Moscou tentent déjà une approche, en vain.

« Le Standard a tout fait pour l’avoir. On a vraiment senti qu’Uche pouvait devenir important pour le club », commente son agent Miguel Alfaro, soucieux d’offrir stabilité et Mondial russe à son poulain (voir cadre). Il s’entend sur un contrat de quatre printemps avec la direction rouche, qui aligne 2,5 millions (avec bonus et pourcentage à la revente).

« C’est un milieu complet. Il peut jouer dans une position défensive, comme N’Golo Kanté, ou plus offensive, comme Paul Pogba. Il va sans aucun doute être l’un des fers de lance du Standard », ajoute Andrew Randa, journaliste et bloggeur dithyrambique au Nigeria.

À Liège, Uche Agbo met déjà d’accord pas mal de ses contemporains. Ses coéquipiers apprécient son flegme, sa faculté à alterner jeu court et jeu long, quandRicardo Sa Pinto se toise d’une bonne paire de sentinelles avec Bope Bokadi. Randa : « Il y a de plus en plus de Nigérians qui viennent en Europe. Il est encore très jeune. Mis à part ses nombreux cartons, c’est un très bon joueur. Il aime prendre la balle à son adversaire et lancer de nouvelles offensives. Il fait partie de ces joueurs dont on se dit qu’il fera le renouveau des Super Eagles. »

Appelé pour la première fois en novembre par son sélectionneur Gernot Rohr, il opère son baptême de l’air au début de l’été, contre le Togo (3-0) et la Corse (1-1). « Je l’ai fait évoluer défenseur central et même latéral droit en match d’entraînement. Contre le Togo, il a fini arrière gauche. Il est polyvalent, il respecte les consignes, il fait ce qu’on lui demande », se satisfait Rohr. Pour Agbo, l’équipe nationale passe avant toute chose.

Le lutteur pieds nus

Uche Agbo et Guillermo Ochoa.
Uche Agbo et Guillermo Ochoa.© BELGA

Aussi parce qu’il lui doit beaucoup. Médian comme deux autres de ses frères, il voit le jour à Kano, au Nord, deuxième ville du pays avec plus de 3,6 millions d’habitants et cible récurrente de Boko Haram. Là, Uche fait la connaissance du foot. Pieds nus. Son histoire inspire son club de Grenade, qui crée une fondation et réalise un court-métrage à but caritatif : Botas de Oro para África (des Souliers d’Or pour l’Afrique en VF).

Il apparaît brièvement entre des Kenyans, qui portent au mieux des sandales, et des missionnaires de l’église chrétienne. Comme tout gosse du coin, il veut devenir pro mais ses parents privilégient ses études. Jusqu’à ce qu’il se fasse repérer pour représenter l’Etat de Kano lors d’un tournoi scolaire. « On a reçu des maillots et des chaussures », rembobine-t-il.

« Dans notre équipe, huit ou dix joueurs n’avaient pas l’habitude d’en mettre. C’était difficile de s’adapter. On a joué trois matches, on les a tous perdus… » L’aventure n’est pas vaine. Un agent l’emmène un peu plus au Sud, à Enyimba, entité la plus titrée en Nigerian Premier League.

La vitrine lui permet de rejoindre la sélection U20 pour le Tournoi de Toulon et la Coupe du Monde en Turquie, en 2013, à tout juste 17 ans. Le « paradis », ou presque. Au sud de l’Hexagone, il croise le chemin des Diablotins. Ironie du sort, Paul-José Mpoku ouvre la marque sur pénalty. Les Flying Eagles égalisent (1-1), les deux équipes ne se qualifient pas, mais Agbo dispute deux joutes prometteuses. Problème, chez les Turcs, il ne participe qu’à 17 petites minutes de jeu.

« J’étais déprimé. Je pensais vraiment que je n’allais jamais réussir à me faire remarquer et venir un jour en Europe », confesse-t-il dans une autre réalisation de Grenade, sobrement intitulée El luchador descalzo (le lutteur pieds nus). Mais, à Toulon, un scout venu d’Udine apprécie sa maturité précoce et note son nom dans ses petits papiers. En novembre, Uche Agbo rallie le nord de la Botte et touche au but.

Issu d’une famille chrétienne, Uche croit en Dieu. Enfin en Europe, il éprouve d’abord du mal à accepter sa pénitence et à manger son pain noir. Pièce parmi d’autres du carrousel Pozzo, il est prêté dès mars 2014 en Andalousie pour évoluer avec la Juvenil, question d’adaptation. Sauf que l’été suivant, suite à un retour en Afrique, il contracte la malaria et doit être hospitalisé.

Il revient sur l’épisode pour Marca : « Ça n’a pas été facile, je me sentais mal et exclu quand j’étais enfermé. Le docteur me disait que j’allais guérir tout doucement, que ça nécessitait du temps… Mais j’avais du mal à le comprendre. Puis, je me suis dit que j’allais m’en sortir et que je devais être patient. »

Gratteur de ballons et boucher artisanal

Uche Agbo au duel avec le Malinois Rob Schoofs.
Uche Agbo au duel avec le Malinois Rob Schoofs.© BELGA

Alors Uche attend. Il prie, se bat, puise sa force dans sa foi et le soutien de ses coéquipiers. « Tout le monde chez nous et presque tous les joueurs africains ont eu la malaria », dédramatise Andrew Randa, presque hilare, avant de rappeler que Didier Drogba ou John Obi Mikel ont dû affronter le même diagnostic.

Peu importe, Uche lutte, encore. Question de principe. En février 2015, il glane ses premières poignées de secondes en Liga, dans une défaite à Levante (2-1). Il facture six apparitions sur l’exercice suivant. « Il était assez discret et plutôt timide. C’est parce qu’il ne parlait pas trop espagnol », explique le roc martiniquais Jean-Sylvain Babin, parti à Gijón en 2016 et qui doit piocher dans ses souvenirs pour se rappeler le personnage.

« Il jouait défenseur central alors que c’est un milieu défensif. Il faisait quelques erreurs de placement, mais c’est normal, il était jeune et ce n’était pas son poste de prédilection. Par contre, s’il pouvait s’améliorer tactiquement, il était vraiment à l’aise dans la relance. »

Positionné plus haut avec Alcaraz, il se fait surtout remarquer par son agressivité. Au point d’entrer dans le top 5 des plus fautifs et d’être le plus averti de l’élite ibérique (13 jaunes, 2 rouges).

« Il doit encore transformer cet excès d’agressivité en quelque chose de positif. Mais il est jeune donc je ne me fais pas de soucis, ça viendra avec le temps et l’expérience », plaide Rohr. « C’est déjà arrivé que des cadres de l’équipe veuillent en venir aux mains avec lui parce qu’il avait mis un tacle un peu trop appuyé », rigole Foulquier. « Mais ce sont des choses qui arrivent partout, dans tous les clubs. »

Quant au Narbonnais Adrien Rodriguez, il use naturellement de ses plus belles tournures rugbystiques pour évoquer le sujet. D’une légère pointe d’humour aussi : « C’est un gratteur de ballons qui court partout, mais c’est aussi un véritable boucher artisanal. Avec lui, ça coupait des chevilles, on était dans de la vraie boucherie chevaline. C’était moyen pour la Liga mais la Belgique devrait bien lui convenir. En tout cas, il va s’y filer sur le terrain et ça va sûrement faire plaisir aux supporters. »

De ce côté-là, il ne devrait pas y avoir erreur sur la personne.

« On veut tous être en Russie »

Gernot Rohr décroche son cellulaire. Puis, le sélectionneur allemand des Super Eagles doit s’absenter pour recevoir un colis. Un nouvel arrivage comme cette flopée de talents nigérians qui s’installent progressivement dans le Royaume. Agbo au Standard donc, mais aussi Akpala à Ostende, Kalu et Simon à Gand, Onyekurudésormais à Anderlecht ou encore Dennis à Bruges. Soit 15 au total.

« J’ai pas mal de joueurs en Belgique désormais. Ils ont l’air de faire du bon travail à l’entraînement, je les récupère en bonne forme. Uche a déjà quand même un peu voyagé, malgré son jeune âge. Ça explique cette maturité qu’il a, sur et en dehors du terrain. Ça doit aussi être dû à son éducation, son parcours. Quand la fin de saison approchait, on avait parlé ensemble de son futur. Je lui ai dit de rejoindre un club capable de le faire progresser. Mais je ne lui ai pas conseillé de rejoindre le Standard, c’était bien avant qu’il le fasse.

Ce qui m’a plu, c’est son jeu, sa polyvalence et son mental. Il est très calme sur le terrain, ce qui est plutôt étonnant pour un joueur africain. Avec moi, son comportement dans le groupe est positif. Il parle peu, mais quand il parle, il est écouté. C’est un bon professionnel. On veut construire une équipe nationale pour l’avenir et il fait partie de la génération qui monte. Il veut faire partie de la sélection pour le Mondial en Russie, c’est normal, on a tous cet objectif. On veut tous en être. Mais ça passe d’abord par des bonnes performances en club. »

Par Nicolas Taiana

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