© BELGAIMAGE

Trudo Dejonghe : « Une crise peut être une bénédiction »

Trudo Dejonghe, économiste du sport, estime qu’on ne peut pas encore mesurer les dégâts économiques de la pandémie sur le football professionnel.

Pouvez-vous déjà chiffrer les dégâts économiques subis par le football belge ? On parle de cent millions.

Non, car nous ne connaissons pas encore une volée de clauses. Que vont faire les chaînes TV par rapport aux droits déjà versés ? Les réclamer ? Si on ne joue plus, ce sont quelques milliards qui vont disparaître du monde du football, au niveau international. C’est de l’argent qui n’atteindra pas notre marché. Idem avec les abonnés. Beaucoup de gens ont payé pour les play-offs. Sera-ce compensé ? Et si oui, comment ?

Pas de play-offs, est-ce chiffrable ?

C’est également très difficile, mais j’ai déjà effectué un calcul virtuel. Lors des dernières éditions, les PO1 ont accueilli en moyenne 550.000 visiteurs. À vingt euros le billet, on arrive déjà à onze millions. Rien qu’en billetterie. Imaginez que ces 550.000 dépensent en moyenne dix euros en boissons et nourriture, ça fait une perte supplémentaire de 5,5 millions. Évidemment, ce n’est pas net : le prix comprend le coût des produits et la TVA. Ajoutez le merchandising. Le Club est champion, mais personne ne va acheter un maillot ou une écharpe en ligne pour fêter le titre. À raison de vingt, 25 ou trente euros, c’est aussi un montant important qui s’évapore. C’est pareil pour les maillots vendus dans l’euphorie des cinq dernières journées. Si Malines avait été qualifié, vous rendez-vous compte de la fête que ça aurait été ?

Y aura-t-il des conséquences à plus long terme ?

En effet. Prenons les contrats de sponsoring. Je peux très bien imaginer que beaucoup de sponsors disent : nous avons été privés de cinq matches. Comment allez-vous compenser cette perte ? Autre question : peut-on la compenser si nous changeons de format de compétition la saison prochaine ? Dans la formule actuelle, les sponsors ont quarante matches, dont vingt à domicile. Si on passe à un championnat à 18 clubs, nous n’avons plus que 34 matches, dont 17 seulement à domicile. Sans play-offs, on perd cinq matches attractifs et on en a deux de plus contre des petits clubs. Je m’attends à ce que les clubs aient moins de rentrées commerciales la saison prochaine, mais aussi moins d’abonnements, car en fin de compte, tout tourne autour des play-offs. Les effets de la pandémie se feront sentir encore un long moment.

Une autre donnée est difficile à estimer : les conséquences de la correction que va subir le marché des transferts.

Ces dernières années, le marché mondial des transferts a atteint huit milliards d’euros. C’est une explosion. La compétition belge a bénéficié d’une partie des fonds, car elle parvient à exporter ses talents. Nous enrôlons et revendons avec bénéfice. Je m’attends à ce que ça ait aussi un impact la saison prochaine, mais que nous nous en remettrons les années suivantes.

Vous attendez-vous à une sélection naturelle?

C’est une donnée typique en sport : les grands acteurs vont survivre, mais ceux qui se situent juste en-dessous vont peut-être couler. En Belgique, je ne pense pas seulement à la D1A, mais aussi à la D1B et à tous les clubs amateurs. Pourvu qu’ils commencent enfin à penser de manière plus rationnelle. Je ne suis pas partisan d’un championnat professionnel à vingt, mais peut-être ne va-t-il bientôt rester que vingt clubs. Un très ancien économiste qualifie ce genre de crises de « destruction créatrice ». Une crise peut être une bénédiction. Elle sépare le bon grain de l’ivraie et de nouvelles choses créatives prennent la place vacante. Le virus va secouer les cocotiers. On verra ce qui en restera.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire