Jacques Sys

Super League, super bide

Jacques Sys Jacques Sys, rédacteur en chef de Sport/Foot Magazine.

Découvrez l’édito de notre rédacteur en chef Jacques Sys.

Les supporters constituent le patrimoine d’un club. Ils sont passionnés à l’extrême et prêts à accepter pas mal de dérives. Des patrons de fédérations soupçonnés de corruption? Une Coupe du monde au Qatar attribuée de façon très étonnante? Des matches influencés par la mafia des paris? Le hooliganisme? D’autres situations scabreuses? Tout ça passe après un certain temps. Parce que le football est indestructible.

Mais il y a quand même des limites. L’idée perverse d’une Super League européenne, avec douze grands clubs en cercle fermé, a provoqué une montée aux barricades. Le projet a été abandonné à cause de l’élan de protestations qui s’est emparé de toute l’Europe. Mais pour combien de temps? Les grands d’Europe n’ont pas abandonné l’idée de se répartir des milliards d’euros. Ils continuent à rechercher des moyens d’accentuer encore la commercialisation du football. Ils reprochent aux adversaires de leurs plans de vivre dans le passé. Ils vont maintenant essayer de mieux emballer et mieux vendre leur modèle. Histoire de faire encore plus d’argent. Le processus est en marche et ne s’arrêtera plus. Les clubs font ce qu’ils ont décidé de faire, sans tenir compte de leur public. L’idée d’une compétition élitiste dans une formule fermée est trop séduisante. Aujourd’hui, on fête comme une victoire du vieux monde du foot sur le capitalisme la disparition de cette Super League avant même son lancement, mais il est prématuré de se réjouir.

La pandémie a amené une nouvelle façon de voir les choses.

L’UEFA s’est montrée menaçante quand elle a réagi à la création possible de la Super League. Une réaction qui a aidé à enterrer très vite le projet. Mais cette UEFA doit-elle fanfaronner et, comme la FIFA par la voix de son président GianniInfantino, se profiler comme une organisation qui protège les valeurs du football? C’est elle qui prépare une grande refonte de la Ligue des Champions et de ses revenus, avec une formule qui donnera lieu à une centaine de matches supplémentaires.

Le corps médical met en garde depuis des années par rapport à une surcharge physique pour les footballeurs. Cette accumulation de matches provoque de plus en plus de blessures. Mais personne ne s’en préoccupe. Cela amènera des tournantes plus marquées et une possible dévaluation des championnats nationaux. Les concepteurs de la Super League le savent: on jouera les gros matches avec l’équipe la plus forte et on abordera les autres rendez-vous avec une équipe B.

Le football ne parviendra pas à échapper à l’emprise des enjeux financiers, même si la pandémie a mené à une nouvelle façon de voir les choses. Avec davantage de réalisme et moins de folie des grandeurs, avec des fondations plus solides qui ne reposent plus sur des sables mouvants. Mais c’est une illusion de croire en cette évolution. Ce n’est pas un hasard si la force motrice derrière le projet de Super League est FlorentinoPérez, le président du Real Madrid. Son club est confronté à une dette colossale. Dans ce cas-là, on n’essaie pas de mettre le focus sur sa propre politique. On préfère chercher des moyens pour maintenir en vie un modèle artificiel.

Un club de foot reste une entreprise économique. Les clubs derrière le projet de Super League sont aux mains d’investisseurs. Après l’annonce de la création d’une Super League, ces investisseurs ont vu, dans un premier temps, grimper la valeur des actions des clubs concernés qui sont cotés en bourse. Et tout l’enjeu est là. Pour eux, les supporters sont des consommateurs. Il y aura d’autres tentatives dans le futur, c’est certain. Il reste à espérer que le front de la contestation restera uni et que le football saura conserver son âme avant d’être complètement enfermé dans des filets commerciaux.

Super League, super bide
© GETTY IMAGES

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