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Standard: les doutes et les interrogations du président

Thomas Bricmont

Pourquoi le Standard a-t-il autant galéré ces deux dernières années ? Et quelles sont les leçons à tirer d’un passé encore récent ? Analyse d’un peu plus de deux saisons sous le règne de Bruno Venanzi.

Un exploit personnel de Paul-José Mpoku suivi d’une énième parade savonnette de Davino Verhulst ont-ils sauvé la tête de Ricardo Sa Pinto ? Difficile d’y répondre avec certitude même si les derniers échos laissent à penser le contraire. Certes, la situation du coach portugais était de plus en plus intenable mais sa mise à pied aurait, à nouveau, mis en lumière le manque de clairvoyance de la direction. Car depuis le 24 juin 2015, date de la reprise du club par Bruno Venanzi, les déceptions sont bien plus nombreuses que les satisfactions. Cette Coupe de Belgique remportée face au Bruges de Michel Preud’homme ne masque plus la forêt de problèmes.

Dans un milieu de vieux requins, le fondateur de Lampiris reste encore et toujours un novice. Il est d’ailleurs le premier à reconnaître qu’il est compliqué de se familiariser avec les codes d’un milieu où il faut pactiser avec des margoulins de bas-étage. Ses premiers soutiens, que ce soit Olivier Renard (directeur sportif), Alexandre Grosjean (Chief Operating Officer) ou Pierre Locht (directeur juridique) ne comptent, eux aussi, que peu d’heures de vol dans leur fonction actuelle.

Ricardo Sa Pinto exulte : il a peut-être sauvé sa tête contre Lokeren.
Ricardo Sa Pinto exulte : il a peut-être sauvé sa tête contre Lokeren.© BELGA

Le public de Sclessin a d’ailleurs longtemps fait preuve d’indulgence, fait rare dans le football, avec le successeur de Roland Duchâtelet. Mais désormais, l’accalmie n’est plus de mise. En tribune, cela gronde de plus en plus fort, même si le soutien vocal reste remarquable malgré les fréquentes gifles d’envergure des derniers mois.

Lucien D’Onofrio, qui restait sur deux titres et une Coupe remportés lors de ses quatre dernières saisons à la tête du Standard, avait prédit la chute du club de Sclessin un lustre après son départ en juillet 2011. Un peu plus de six ans plus tard, le Standard est toujours debout mais il a fortement changé. A l’Académie, la Une du journal Le Soir « Liège, nouvelle capitale du football belge », toujours affichée avec fierté, qui avait suivi le deuxième titre de 2009, semble désormais totalement obsolète.

Le Standard ne fait plus peur alors que Sclessin n’est plus, depuis bien trop longtemps, cette no go zone d’où les visiteurs espéraient repartir sans trop de casse. Alors quelles erreurs l’actuelle direction a-t-elle commises ? Quels sont les nombreux dysfonctionnements des deux dernières années ? Et doit-on croire dans le futur du Standard de Venanzi ? Tentative de réponse.

Venanzi, président-supporter

Dans une interview accordée à la Libre Belgique en juillet dernier, deux ans après sa prise de pouvoir, Bruno Venanzi parlait « d’un bilan sportif mitigé ». Une déclaration que l’on peut juger surprenante après deux saisons de suite en play-offs 2. On est toutefois très loin des sorties malheureuses de ses débuts où le néo-patron du Standard avait clashé Roland Duchâtelet dans Trends-Tendances ou pire encore, avait dévoilé chez Stéphane Pauwels la rumeur (infondée) d’un joueur qui aurait payé son coach pour être dans le onze de base. Depuis ces deux couacs médiatiques, les sorties sont bien plus ciblées, alors que son compte Twitter est à l’arrêt depuis le 22 novembre 2016.

Les sourires et l’enthousiasme de la conférence de presse qui l’officialisait comme le nouveau boss du Standard ont depuis laissé place à davantage de frustration. L’image d’Epinal n’a duré qu’un temps, une rapide lanterne rouge après une défaite à domicile face à Westerlo, en octobre 2015, avait réussi à flinguer l’optimisme un peu béat des premières semaines.

Mais Bruno Venanzi n’est pas devenu président du Standard sur un coup de tête. La reprise avait été réfléchie et préparée. Il en avait d’ailleurs fait part à quelques leaders des tribunes : « Ils m’ont assuré de leur confidentialité et ils l’ont gardée jusqu’au bout. »

Cette reprise avait également été encouragée par son (ex-)ami, Christophe Henrotay, qui avait évidemment de la suite dans les idées. « On se voyait régulièrement, on partait en vacances ensemble. C’est d’ailleurs en vacances, à l’Île Maurice, qu’il m’a dit : je vais racheter le club. Je lui ai alors conseillé, dans un premier temps, d’intégrer le Standard, d’analyser les choses, de voir où il mettait les pieds. En devenant vice-président, il a pu, par après, trouver un accord avec Roland Duchâtelet, ce qui lui avait été refusé jusque-là. »

Daniel Van Buyten
Daniel Van Buyten © BELGAIMAGE

L’agent de Thibaut Courtois allait très vite installer son poulain de toujours, Daniel Van Buyten, comme conseiller du président. Dans un premier temps, Venanzi est sous le charme de l’ex-défenseur du Bayern Munich dont l’entregent (et celui d’Henrotay) lui ouvre de nombreuses portes. Venanzi se rend au Bayern, à la Juventus, à l’Olympiacos, à Tottenham, à Chelsea, à Benfica, à l’Atlético Madrid, au PSG, à Lyon, à Saint-Etienne, à Monaco et se retrouve même dans la loge de Jorge Mendes lors d’un match de Ligue des Champions du Real Madrid.

A Chelsea, où il se rend avec Big Dan, c’est José Mourinho en personne qui vient les saluer avant de se retrouver attablés avec Willian, Ivanovic, ou Diego Costa. Ce passionné de foot international vit une sorte de rêve éveillé. En très peu de temps, il côtoie les plus hautes sphères du foot européen. Mais tout ça a un prix. Le conseiller « Big Dan » devient administrateur du club début octobre 2015 et perçoit un salaire délirant de près de 500.000 euros. Henrotay fait quant à lui marcher son réseau (Dossevi, Yatabaré ou Laifis arrivent en droite ligne de l’Olympiacos où officie son ami, le directeur général Ioannis Vrentzos) et tire les ficelles en coulisses.

Le directeur général de l’époque, Bob Claes, jugé quelque peu psychorigide, se heurte rapidement au duo Van Buyten-Henrotay : il prévient son président de leurs agissements mais est congédié une saison plus tard. Le directeur sportif, Axel Lawarée, dont l’action est plus que limitée, fait long feu également. « Bruno (Venanzi) est un homme qui fuit les conflits », nous expliquera par après Lawarée.

La prise en main

Longtemps, Venanzi est aveuglé par les « conseils » de Van Buyten et accepte, par exemple, les caprices des « vedettes françaises ». La femme de Trebel reçoit notamment un boulot chez Lampiris, alors que Matthieu Dossevi touche une prime de victoire en Coupe de 80.000 euros (celle des autres joueurs était de 8.000).

Lors de sa première année de présidence, Venanzi est occupé par la vente de Lampiris, il reconnaît laisser un peu faire les choses. Lors de sa deuxième saison à la tête du club, après le licenciement de Bob Claes, Venanzi est nommé président exécutif. Son implication est totale, et il tente déjà de ramener plusieurs figures historiques du club. Des premiers contacts sont entrepris avec Mpoku et Pocognoli, il se renseigne aussi pour Dieumerci Mbokani mais son salaire est trop important, et est même assez proche de faire revenir William Vainqueur, qui signera finalement à Marseille.

L'affaire Belfodil a pourri le dernier hiver liégeois.
L’affaire Belfodil a pourri le dernier hiver liégeois.© BELGA

Il finit par se ranger du côté de Renard et Van Buyten qui veulent se débarrasser de Yannick Ferrera alors qu’il est son dernier soutien. Il reconnaîtra d’ailleurs avoir commis une erreur en se rangeant de leur côté. La suite, on la connaît : le Standard va connaître un hiver particulièrement mouvementé avec le départ de Trebel vers Anderlecht, l’affaire Belfodil et l’imbroglio autour de son transfert vers Everton qui plombera le stage et polluera toute la deuxième partie de saison. Daniel Van Buyten est, lui, licencié début février après une sortie médiatique en forme de clash. Aujourd’hui encore, on se demande du côté de Sclessin comment l’ex-international a pu rester aussi longtemps en place tant son apport fut inexistant. Henrotay va finalement se tirer une balle dans le pied en encourageant la venue au Standard d’Olivier Renard, avec qui il discute lors d’un match à Bucarest.

Plus d’excuse

« Quand il y a de l’instabilité partout, ça a inévitablement une incidence sur le sportif », reconnaît d’ailleurs, Jean-François de Sart, ancien directeur sportif du club. « Si les choses ne sont pas claires, rien n’est clair pour personne ! Les joueurs, le staff sportif, les agents, les supporters, tout le monde se pose des questions. À partir du moment où tu fais cohabiter un conseiller du président et un directeur sportif, c’est condamné à exploser. Et ça a explosé. On le savait. C’était une conclusion logique. »

Aujourd’hui, Venanzi n’a plus d’excuse. Il ne peut plus se ranger derrière le lourd héritage laissé par Duchâtelet. La masse salariale a fortement diminué, la balance financière est positive. On dit l’Académie mieux structurée, le club n’a pas hésité à dépenser pas mal d’argent pour garder ses meilleurs jeunes au bercail. « Aujourd’hui, on voit vers où l’on va », clame Venanzi. Les supporters, eux, commencent à trouver le temps long. Très long.

« Il n’y a plus de guerre d’Egos »

Malgré des résultats sportifs décevants, le Standard ne semble pas avoir perdu de son attractivité. Partenaire depuis de nombreuses années des deux Sporting (Anderlecht et Charleroi) mais aussi de l’équipe nationale, l’entreprise de prêt-à-porter « Carlo et fils » s’est associée en septembre 2016 au club principautaire. « J’ai beau être un supporter de longue date des Mauves, je prends énormément de plaisir à me rendre à Sclessin. La structure commerciale est bien en place, et elle est dynamique. Et ça reste un club mythique quoi qu’on en dise », souligne Eric Simonofski, co-propriétaire de l’entreprise carolorégienne.

Alexandre Grosjean s'est vu affubler d'un nouveau titre cet été : COO (Chief Operating Officer).
Alexandre Grosjean s’est vu affubler d’un nouveau titre cet été : COO (Chief Operating Officer).© BELGA

Arrivé au club en tant que directeur commercial et de la communication, Alexandre Grosjean s’est vu affubler d’un nouveau titre cet été : COO (Chief Operating Officer). « Je ne m’implique pas dans la gestion sportive. Olivier (Renard) est le directeur sportif du club, c’est lui qui définit le cadre avec Bruno (Venanzi) en concertation avec le coach. Moi je m’occupe de toute la gestion opérationnelle et quotidienne du club. Je ne suis pas issu du monde du football, par contre j’ai plus de 20 ans de management derrière moi. Et je pense qu’un club de foot doit se gérer en grande partie comme une entreprise, et ce même si je suis parfaitement conscient que le facteur émotionnel a énormément d’importance.

Vous êtes notamment à la base de la venue de Benjamin Nicaise.

Benjamin est venu vers moi en me disant qu’il avait un projet à nous présenter. J’en ai parlé à Bruno et nous l’avons rencontré après avec Olivier. Notre but était de lui confier le rôle de Team Manager au sens large, celui de gestionnaire d’équipe qui doit encadrer un noyau. C’est un support supplémentaire que l’on offre au coach. Tout est très clair depuis le début, Benjamin me rapporte et ne déborde pas sur le sportif. Je ne voulais pas d’une nouvelle rivalité Van Buyten-Renard et c’est pourquoi les rôles ont été parfaitement établis.

En tant qu’anciens supporters, Bruno Venanzi et vous-même, vous n’en avez pas gardé les réflexes?

On s’interdit d’être supporters. Bruno a peut-être eu, au départ, des réactions de supporter mais il les a corrigées avec le temps.

L’arrivée cet été de Mpoku et de Pocognoli ressemble pourtant à une réaction de supporter.

On est évidemment conscients que ce sont des transferts qui vont de prime abord plaire aux supporters. On ne va d’ailleurs pas s’interdire de récupérer des anciens du Standard, et je crois qu’aujourd’hui, ils apportent quelque chose et pas uniquement sur le terrain. Je note aussi que l’état d’esprit a changé très fortement en l’espace de quelques mois et on le doit, entre autres, à ces deux joueurs.

Est-ce que Bruno Venanzi vous a semblé par moments démoralisé après ces deux saisons décevantes?

Ce n’est pas son genre. Il sait où il va et il sait que la refonte du Standard est un travail de longue haleine. Les valeurs de ce club que l’on remet en avant depuis deux ans : passion, fierté, ferveur, ça reste la toute grande force du Standard mais aussi sa plus grande faiblesse. Quand tout va bien, la passion c’est extraordinaire, mais c’est difficile à gérer quand ça va moins bien. Bruno en est parfaitement conscient. On reste le deuxième club belge en termes d’assistance et d’abonnés. C’est la preuve que le lien entre la base et le Standard reste bien présent. Et je crois qu’ils savent qu’on est à fond dans le projet. Mais on sait aussi que leur patience n’est pas éternelle. Il existe une sincérité dans le travail de la direction, une transparence mais aussi des maladresses. Mais je dois dire que si l’on sort du sportif, on a amélioré beaucoup de choses, notamment sur les réseaux sociaux. Il faut se rappeler que quand je suis arrivé il y a deux ans, le Standard n’avait même pas sa propre page Facebook ou Instagram. De nouveaux sponsors se sont greffés au club, en plus de nos sponsors historiques. Et on a désormais un équipementier comme New Balance, qui nous soutient, ce qui n’est quand même pas rien. Et j’en suis très fier. Reste que tu peux jouer avec la plus belle marque du monde, si tu ne gagnes pas tes matches, ça ne sert à rien.

Le Standard n’est pas à la recherche de nouveaux investisseurs ?

Non, pas à ma connaissance. En tout cas à aucun moment, Bruno ne nous l’a fait ressentir. La situation financière actuelle est saine et le club le doit à un gros travail que Bruno a entrepris depuis la reprise. Et au niveau de l’organisation et de la structure, c’est beaucoup plus simple que par le passé. Personne ne veut le job de personne. Il n’y a plus de conflit d’intérêts ou de guerre d’egos.

Ricardo Sa Pinto, le choix de l’émotion

Comme si la situation n’était pas assez délicate sportivement pour Ricardo Sa Pinto, Laurent Ciman est venu rajouter son grain de sel la semaine dernière. En expert de la com’ qu’il est devenu, le défenseur de Montréal a informé la presse que son « club de coeur » n’était pas prêt à lui tendre les bras, autrement dit à lui permettre de s’entrainer avec les pros à l’Académie pendant la trêve en MLS. La direction lui a simplement signifié qu’il était le bienvenu mais qu’il aurait dû parfois s’entrainer avec les U21. Axel Witsel s’était fait signifier la même chose suite à pareille demande, sans créer le moindre émoi derrière.

Ricardo Sá Pinto connaît un début de saison difficile au Standard.
Ricardo Sá Pinto connaît un début de saison difficile au Standard.© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Sa Pinto, lui, n’a jamais été mis au courant d’un éventuel passage de Ciman par l’Académie et est pourtant tenu (en partie) responsable du conflit. Ce qui n’aide pas à remonter une cote qui a fortement baissé auprès des supporters ces dernières semaines. Son arrivée avait pourtant suscité un certain enthousiasme. Cet ancien de la maison (qui n’est resté qu’une seule saison) devait ramener une nouvelle mentalité et cette fameuse dose de grinta.

En avril dernier, Bruno Venanzi, peu de temps avant de se séparer d’Aleksandar Jankovic, nous avait dit que son choix ne serait pas dicté par les supporters. « Je ferai ce choix en fonction de sa qualité de tacticien et sa capacité à insuffler la bonne mentalité au groupe. » On recherchait alors un meneur d’hommes et non « un prof d’unif », nous avait-on soufflé. Au final, après plusieurs refus, c’est une version un peu cheap de Sergio Conceição (qui n’a jamais imaginé revenir au Standard mais qui a plutôt utilisé son ancien club pour forcer son passage vers Porto) qui a débarqué après un entretien express dicté par l’urgence.

Et pourtant, de l’avis de tous, le début de la préparation avait été encourageant. Les entrainements étaient intenses et de haut niveau, jusqu’à ce stage au Touquet, débuté le 15 juillet. Le coach portugais a alors changé son fusil d’épaule, travaillant davantage l’aspect tactique mais sans résultats apparents, car il est difficile de pointer depuis le début de la saison un semblant de système. Le choix du coach était pourtant la priorité d’une direction qui s’est rendu compte assez rapidement qu’il lui serait compliqué d’attirer une valeur sûre. Et la direction sait pertinemment bien qu’il lui sera à nouveau compliqué de trouver un éventuel remplaçant de renom à Sa Pinto.

Bruno Venanzi espérait connaître un été plus reposant avec moins d’allées et venues et pourtant, on a une nouvelle fois assisté à un jeu de chaises musicales dans les dernières heures du mercato. Depuis juin 2015, plus de 120 transferts ( ! ) ont été enregistrés (dont de nombreux départs dus à l’héritage Duchâtelet). La stabilité n’a apparemment plus droit de cité ces dernières années du côté de Sclessin.

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