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Sport/Foot paye sa tournée pour la réouverture des cafés: « Ceulemans vidait sa chope en deux gorgées »

Après des mois de privation imposés par la crise du coronavirus, on peut à nouveau fréquenter les cafés qui jouxtent les stades avant de pénétrer dans ceux-ci. Sport/Foot Magazine est allé boire une bière dans trois d’entre eux. Pour des raisons professionnelles, bien sûr.

« Jos Daerden chantait André Hazes »

Café Change, en face du stade du Beerschot

TomDeMeirleir (cinquante ans) est un enfant du Kiel. Il a passé son adolescence au croisement de l’Abdijstraat et de la Wittestraat, au café Special, tenu par ses parents. Un vrai café populaire à un jet de pierre du stade olympique. Toutes les deux semaines, la meute mauve envahissait le Special. « À l’époque, on vendait encore des tickets d’entrée pour le match au café. Lors des derbies, même les supporters de l’Antwerp venaient en acheter chez nous. »

Quand Anderlecht joue à domicile le dimanche, je prends l’avion le vendredi à Tenerife, j’ouvre et je rentre le mardi. »

Michou Dehenain

L’ex-attaquant de Feyenoord Nico Jansen était un client fidèle du Special. « En 1994, il a acheté l’affaire en face du stade du Beerschot », raconte De Meirleir. « Avant, c’était De Goal, un café célèbre où le noyau dur se réunissait. Il arrivait qu’un cocktail molotov s’écrase sur la façade. Nico voulait en faire autre chose. Il l’a aménagé et l’a appelé Change. Il a installé un beau bar rond et deux vérandas. C’était plutôt une taverne. Nico voulait aussi qu’on y respire le sport. C’est au Change que j’ai effectué mes débuts comme DJ. Un an plus tard, je tenais le café avec Nico. Lorsqu’il a ouvert une affaire à Saint-Amand, j’ai repris le Change. C’était encore l’époque de l’ancien Beerschot, avec Paul Nagels ( ex-président, ndlr), Paul Francken et Krzysztof Stefanski ( ex-joueurs du Beerschot, ndlr). Ici, il y a toujours eu beaucoup de joueurs, d’entraîneurs et de dirigeants. C’était logique car le Change se trouve juste en face de la seule entrée et sortie du stade, et je suis ici chaque jour. Au début, on fait signe, puis on discute et ils finissent par entrer. Franky Van der Elst, Willy Wellens, Harm van Veldhoven, Adrie Koster,… Tous venaient ici régulièrement. Jos Daerden a même chanté des chansons d’ André Hazes. Il connaît  » In een discotheek » par coeur. »

Le Change est aussi connu pour la poupée habillée en mauve qui se trouve dans les toilettes. Une idée de Nico Jansen. « Vous avez entendu parler des statues dont on frotte la tête en faisant un voeu? », demande De Meirleir. « Eh bien, de nombreux supporters ont fait ça ici avec cette poupée (Il rit). Sauf qu’ils lui frottaient les seins, en se disant que ça pouvait porter chance au Beerschot. Avant, il y avait même deux poupées, mais Paul Nagels en voulait une. Il m’a tellement agacé avec ça que j’ai fini par la lui vendre. »

Michou Dehenain, exploitante de La Coupe à Anderlecht.
Michou Dehenain, exploitante de La Coupe à Anderlecht. « Le vendredi, c’était jour de poisson et Morten Olsen n’aimait pas ça. Alors, il venait manger un steak-champignons chez moi. »© KOEN BAUTERS

Reste à espérer que la poupée ait consolé Nagels lorsqu’en 1999, le Beerschot a fait faillite sous sa direction. Mais l’âme mauve est ressuscitée et de nouveaux moments légendaires ont suivi: Marc Degryse a terminé sa carrière au Kiel, le Germinal Beerschot a remporté la Coupe, le match à Marseille, François Sterchele qui portait la main à son oreille après chaque but et a fini par porter le maillot frappé du Taureau d’Or. Tous ces moments ont aidé De Meirleir a faire le plein au Change.

En 2013, cependant, tout s’est à nouveau écroulé à cause de Patrick Vanoppen. De Meirleir a de nouveau serré les fesses. « Ici, le foot représente 60 à 70% des recettes. La faillite du club m’inquiétait donc. »

Finalement, avec l’aide du KFCO Wilrijk, un club de première provinciale, le club a de nouveau gravi les échelons. Aujourd’hui, il a retrouvé sa place parmi l’élite, comme au bon vieux temps. Mais le secteur de l’horeca a beaucoup changé. Avant, les jours de match, il y avait une marée de gens devant le Change et il était difficile de se frayer un passage. Aujourd’hui, après les matches, on ne voit plus les joueurs faire les fous au comptoir de Tom. « Tout le monde a un smartphone équipé d’une caméra et ces gars-là n’aiment pas ça. Ils préfèrent se fondre dans l’anonymat, en dehors de la ville. »

Les fans du Beerschot frottaient les seins de la poupée en espérant que l’équipe gagne. »

Tom De Meirleir

Pourtant, c’est toujours avec le sourire que De Meirleir ouvre chaque jour la porte du Change. « Je discute un peu avec les gens, un président, un maçon et un directeur de banque, c’est aussi amusant. Je les gâte, je raconte une petite blague, mais, surtout, je retiens leur nom. Les gens aiment bien qu’on les appelle par leur nom. Heureusement, j’ai encore une bonne mémoire et je suis encore jeune, je viens d’avoir cinquante ans. Je suis donc encore ici pour un bout de temps. Et si le club déménage, je déménage aussi. Les entraîneurs, les joueurs et les dirigeants passent, mais les supporters restent. Moi aussi. »

Tom De Meirleir, exploitant du Change (Beerschot):
Tom De Meirleir, exploitant du Change (Beerschot): « Avant, il y avait deux poupées dans le café, mais l’ancien président Paul Nagels en voulait absolument une. »© KOEN BAUTERS

« Comme chez Stavros à Rhodes »

Café Dug-Out, en face du stade d’Alost

Dans la Bredestraat d’Alost, en face du stade Pierre Cornelis, la façade du Dug-Out se remarque à son Zwawi. Le Zwawi, c’est la mascotte de l’Eendracht, en forme d’oignon. C’est la contraction des couleurs du club, zwart en wit. Dans le café, divers attributs témoignent du fait qu’on n’est pas loin du stade. On retrouve ainsi une photo du jardinier, Vital Troch, ainsi qu’un Zwawi en bronze. Mais le plus remarquable, c’est la mosaïque de plus de cinquante écharpes qui décorent l’établissement. Le concept a été lancé par l’exploitant précédent, Luc Simal (66 ans). « J’ai eu cette idée à Rhodes, dans les années 90 », raconte-t-il. « Ma femme et moi avons découvert un café dont le patron s’appelait Stavros. Ce nom nous disait quelque chose, car c’était celui d’un personnage de l’émission télévisée  » Lili en Marleen« . On s’est dit qu’on devait entrer. À l’intérieur, il y avait des écharpes de football. J’en ai ramené quelques-unes de Grèce, dont celle du Panathinaïkos. Les clients ont vu ça et ont commencé à en ramener d’un peu partout. Ils me les offraient en échange d’une ou deux bières. Après quelques années, le café était rempli d’écharpes. Je n’affichais pas les écharpes de clubs belges. Quand on est situé en face d’un stade, il est possible que des supporters de ces clubs entrent. Si on affiche l’écharpe d’un club et pas d’un autre, ça crée des discussions. Je voulais aussi laisser de la place pour les fanions et les serviettes de bain de grand clubs comme le Real Madrid, l’AC Milan, l’Inter, Arsenal, Manchester United… C’est ainsi que j’ai commencé à décorer le plafond. Avant, il y avait aussi un fanion du pays de Galles, mais des supporters de La Louvière l’ont emporté. Il faut dire qu’il était vert et blanc, comme leurs couleurs. Mais dans l’ensemble, en vingt ans, peu de choses ont disparu. C’est ma femme qui a eu l’idée de reprendre le café. Les premières années ont été difficiles, mais après, l’affaire s’est mise à tourner. Grâce à elle. Elle ne sait pas se taire. On s’est fait une clientèle qui venait en semaine aussi. Heureusement car, rien qu’avec les gens du foot, on ne s’en serait pas sortis. Le football, c’était un plus, surtout dans les années de gloire du club: les matches face au Levski Sofia et à l’AS Roma ( 1995, ndlr), les années de Jan Ceulemans entraîneur. Il venait régulièrement prendre un pot et il buvait toujours sa chope en deux gorgées. À l’époque, les joueurs venaient régulièrement aussi, surtout après les matches en déplacement. S’ils avaient gagné, je leur offrais une pinte. Pas s’ils avaient perdu. Du coup, il n’y en avait qu’un ou deux qui venaient »

Aujourd’hui, Simal et sa femme sont pensionnés et ils ne s’intéressent plus à l’Eendracht Alost, qui a chuté en D2 amateurs. « Je suis déçu de la façon dont les choses se sont passées. J’en ai trop vu, trop entendu. Je pourrais écrire assez de livres pour remplir une bibliothèque. » La vie des cafés autour du stade n’est plus ce qu’elle était non plus. Des quatre établissements de la Bredestraat, il ne reste plus que le Dug-Out. Stefaan De Decker (36 ans) l’a racheté à Simal il y a quatre ans, écharpes comprises. De temps en temps, il en ajoute une. « Parmi ma clientèle, il y a Altin, un Italien venu habiter à Alost il y a quatre ans. Il m’a demandé si je pouvais accrocher une écharpe de son club, la Sampdoria. Je l’ai mise tout près de la place où il s’assied habituellement. »

« La maman d’Anderlecht »

Café La Coupe, en face du stade d’Anderlecht

MichouDehenain vient de fêter son 75e anniversaire. À Tenerife, où elle habite actuellement avec sa maman. « La vie y est belle ». Pourtant, son coeur mauve saigne. « Je préférerais être chaque jour à 9 heures derrière le comptoir de La Coupe. » Elle fait référence au café en face du stade, qu’elle a repris en 1983. « Mais autour du stade, c’est mort, il n’y a plus de clientèle belge et les étrangers ont leurs propres cafés. À la salle Simonet, où j’entraînais des équipes de mini-foot, il n’y a plus d’équipe belge non plus. Donc, depuis dix ans, je n’ouvre plus que les jours de match d’Anderlecht. S’il joue le dimanche, je prends l’avion le vendredi et je reviens à Tenerife le mardi. Ça me fait mal et c’est dur financièrement. La crise du Covid n’a pas arrangé les choses. En plus, on parle toujours d’un déménagement du club. » (Elle soupire)

Des supporters de La Louvière ont emporté mon fanion du pays de Galles. »

Luc Simal

Tout avait pourtant bien commencé à l’Avenue Théo Verbeeck, il y a 38 ans. Après une séparation difficile, Michou voyait son rêve d’enfant se réaliser. « Je suis fan d’Anderlecht depuis que j’ai deux ans. La famille avait le virus depuis longtemps, tant du côté paternel que du côté maternel. J’ai failli faire un procès à ma mère, parce que je suis la seule de la famille à ne pas être née à Anderlecht. Elle était sur le marché à Saint-Gilles, rue Jourdan, quand elle a eu ses premières contractions. L’ambulance l’a donc emmenée à Ixelles. Mais ce n’est pas pour ça que j’aime moins le club. Et j’ai transmis cet amour à ma fille. »

Contrairement au Caporal Épinglé, le restaurant qu’elle exploitait à Uccle avec son ex-mari, La Coupe est un café populaire. Michou l’a transformé en mini-musée du Sporting. Elle a ainsi installé un tapis original des loges et des business-seats. Au mur, on trouve aussi des écharpes et de nombreuses photos. « Il y en a une de chacune des 34 équipes championnes, y compris celle de la saison de ma naissance, 1946/47. » Michou montre fièrement le fanion de 1976, lorsque Anderlecht fut le premier club belge à remporter une Coupe d’Europe, la Coupe des Vainqueurs de Coupe, au Heysel, face à West Ham. Ce jour-là, elle est revenue à Anderlecht sur le capot de la voiture que son père conduisait en klaxonnant.

Stefaan De Decker, exploitant du Dug-Out à Alost, poursuit la tradition.
Stefaan De Decker, exploitant du Dug-Out à Alost, poursuit la tradition. « Un de mes bons clients, un Italien, m’a demandé d’accrocher une écharpe de la Sampdoria. »© KOEN BAUTERS

Dans les années 80, les joueurs d’Anderlecht venaient régulièrement à La Coupe. « C’était l’époque des Danois », dit Michou. « Les joueurs devaient manger au club, mais le vendredi, c’était jour du poisson et Morten Olsen n’aimait pas ça. Alors, il venait manger un steak-champignons chez moi. » Son expérience en cuisine au Caporal Épinglé a bien servi Michou et les joueurs d’Anderlecht. « Je m’entendais bien aussi avec Monsieur Verschueren ( Michel, manager d’Anderlecht de 1980 à 2003, ndlr). Lorsqu’il me présentait à des gens, il disait toujours: Voici la maman d’Anderlecht. Et dans les années 90, Pär Zetterberg venait régulièrement manger un spaghetti. Bertrand Crasson et Luis Oliveira étaient souvent là aussi. »

Le dernier à être venu après chaque match, c’est Guillaume Gillet. « Il y a quelques années, j’ai rencontré Alexis Saelemaekers dans un restaurant et je lui ai demandé de passer après un match », raconte Michou. « Je lui ai dit que ça ferait plaisir aux supporters, même s’il ne restait que dix minutes. Alexis m’a écoutée, mais il est déjà parti. Les gamins des équipes de mini-foot que j’ai connus quand ils avaient 18 ans viennent encore les jours de match. Ça fait plaisir. Aujourd’hui, ils ont trente ans de plus, ils sont mariés, pères, séparés, remariés… Moi, après ma séparation, je n’ai plus trouvé personne avec qui ça fonctionnait. Alors, je suis mariée à Anderlecht. »

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