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Seraing en D1: comment ils ont écrit l’histoire

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

La belle histoire de Seraing prend racines à Metz (forcément), à Rome, à Dakar et à Leicester. Entre autres.

Des hommes qui sautent, des hommes qui se lâchent, des hommes qui se congratulent. Ça se passe dans une tribune de Beveren, quand Alexandre Boucaut siffle trois fois, sur le coup de 23 heures. Seraing a roulé sur son adversaire et retrouve la D1, 25 ans après l’avoir quittée. Parmi ces hommes, Mario Franchi. Le président de Seraing. Il a du mal à cacher son émotion quand il descend les marches pour aller s’appuyer sur la rambarde, au plus près possible de la pelouse, d’où il fait des grands gestes à son staff et à ses joueurs.

Mes joueurs viennent d’écrire l’histoire de Seraing, comme les Brésiliens. » Emilio Ferrera

On le harponne pour une première réaction à chaud. Une réaction sur la réussite totale du partenariat avec Metz, grand frère et pourvoyeur de joueurs pour le FC Seraing depuis des années. Il y avait quatre Messins au coup d’envoi de ce barrage retour, deux autres sont montés en cours de match. « Je viens d’avoir le président de Metz au téléphone, il a suivi le match à la télé. Et Philippe Gaillot est ici. » C’est le responsable de la politique sportive du club lorrain. Pour chaque match des Liégeois depuis le début de la saison, il y a des gens de Metz qui font le déplacement.

Quid, demain, de la collaboration? Va-t-elle encore s’intensifier, vu la montée en D1A? Quid des meilleurs Messins de cette saison? « Depuis le début, la collaboration est très efficace. Metz nous a toujours prêté des joueurs, sauf à la période pendant laquelle on a été interdits de transferts. Ça va encore évoluer, être plus poussé. Certains joueurs prêtés cette saison devraient rester. Même Georges Mikautadze, Sami Lahssaini et Ablie Jallow pourraient prolonger chez nous. Je n’ai vraiment pas l’impression que tous ces joueurs aient envie de repartir en France maintenant. Ils se sont bien acclimatés, Seraing leur a permis de découvrir un vrai championnat professionnel. »

Antoine Bernier est taclé par un Waeslandien. À 23 ans, le joueur formé à Anderlecht va découvrir la D1A la saison prochaine.
Antoine Bernier est taclé par un Waeslandien. À 23 ans, le joueur formé à Anderlecht va découvrir la D1A la saison prochaine.© BELGAIMAGE

La construction du noyau pour la saison prochaine commence dès maintenant. « On avait tenu compte d’une montée, on a déjà des plans. La base est là, il nous faudra cinq bons joueurs en plus. Dont certains pourraient venir de Metz. »

Le GSM du patron sonne à nouveau. On entend: « Oui Lucien (…) Merci Lucien (…) Merci (…) Salut Lucien. » On devine que c’est Lucien D’Onofrio. Mario Franchi confirme: « Oui, il m’appelle pour me féliciter. Je le connais depuis qu’il a 18 ans. » Et si D’Ono (présent au Pairay lors du barrage aller) quittait l’Antwerp? Pourrait-il avoir un avenir à Seraing? « Non, on n’a jamais parlé de ça. »

EmilioFerrera se pointe pour l’analyse du match. Il est un des héros du soir dans le stade de ses premiers exploits d’entraîneur. Il choisit une métaphore anglaise! « On a eu trois objectifs au fur et à mesure des matches. D’abord, on voulait se sauver. Puis on a commencé à croire à la deuxième place et au barrage. Puis on s’est dit qu’on pouvait le gagner. C’est un peu comme la fameuse saison de Leicester. Ils avaient commencé le championnat en visant le maintien. Puis ils se sont mis à croire à une qualification pour la Ligue des Champions. Après ça, ils ont vu qu’ils pouvaient peut-être finir champions. Et ils l’ont fait. On a fait un peu le même parcours. Et ces joueurs viennent d’écrire une page d’histoire du club. Il y a eu la période avec les Brésiliens, on en parle encore régulièrement aujourd’hui. Mes joueurs viennent eux aussi d’écrire quelque chose pour longtemps. Qu’est-ce que j’en suis fier! »

Génération Foot, le troisième larron

Seraing qui monte en D1A. Metz (avec Dylan Bronn et Aaron Leya Iseka) qui fait un parcours très tranquille en Ligue 1, bien coincé en milieu de classement. Génération Foot qui joue la tête du championnat du Sénégal après une quinzaine de matches. Tout est lié. Ces trois clubs font partie de la même galaxie. Le FC Metz en est la tête de gondole. Seraing et Génération Foot, ses satellites. Pour les patrons français, on n’est pas loin de la saison en or, d’un petit strike.

La collaboration entre Seraing et Metz est à l’opposé des deux partenariats qu’on a connus entre Mouscron et Lille, par exemple. Les deux fois, on se doutait que ce n’était pas fait pour durer. Et ça n’a pas duré. C’était du court terme pur et dur, une simple question d’opportunité très temporaire. Dans le cas de Seraing et Metz, on est dans le long terme. L’union a été scellée en 2013. But avoué des dirigeants lorrains: aguerrir des jeunes joueurs à un bon niveau chez nous pour les intégrer ensuite dans leur noyau pro ou les monnayer sur le marché des transferts. Il y a eu deux grosses réussites: Thomas Didillon hier, Georges Mikautadze aujourd’hui – 22 buts et deux assists en 24 matches cette saison. Cet attaquant, meilleur buteur de D1B, n’avait aucun vécu de haut niveau quand il est arrivé lors de l’été 2020. Juste quelques minutes en Ligue 1. On parle surtout de lui quand on évoque les huit joueurs prêtés par Metz « mais ils ont tous quelque chose », insiste Emilio Ferrera.

Ababacar, AblieJallow, AmadouNdiaye: trois joueurs parqués par Metz à Seraing pour cette saison. Ils ont un autre point commun: ils ont grandi sur les terrains de Génération Foot. Chaque saison, le club français va faire son marché là-bas. Deux joueurs en 2017-2018, deux autres en 2018-2019, un seul en 2019-2020 et à nouveau deux l’été dernier: Pape Sarr et Lamine Gueye. Deux gars proches de 50% de temps de jeu cette saison en Ligue 1.

Mario Franchi:
Mario Franchi: « Georges Mikautadze pourrait prolonger chez nous. »© FC SERAING

Génération Foot est un club très jeune, fondé en 2000. Le partenariat avec Metz a débuté en 2003. Au départ, le club français se contentait de fournir des équipements et une aide financière pour l’académie. En échange, il avait la priorité sur les talents de Génération Foot. Entre-temps, le club lorrain a participé au financement d’un nouveau centre de formation, près de Dakar. Et les résultats de l’équipe première sont à la hauteur: Génération Foot s’est déjà adjugé deux éditions du championnat du Sénégal et une Coupe. Le club a aussi formé Papiss Cissé, qui est ensuite passé par Metz, Fribourg, Newcastle (qui a déboursé douze millions pour son transfert), pour être aujourd’hui à Fenerbahçe. Et mieux encore: Sadio Mané. Après Metz, il s’est retrouvé à Salzbourg, à Southampton (23 millions de montant de transfert) puis à Liverpool (41 millions). Bref, c’est un club où on sait de quoi on parle. Et qui fait indirectement profiter Seraing de son savoir-faire.

Un président coiffeur puis camionneur

Frisaye Transports. Un poids lourd de l’économie liégeoise. Une entreprise qui a commencé avec trois camions et deux frères, Mario et Aldo Franchi. Aujourd’hui, son parc compte près de 200 camions, 300 remorques, 450 containers. On peut croiser ces véhicules sur nos routes, dans tout le Benelux, en France, en Italie, dans quelques pays de l’Est. Mario Franchi est donc, accessoirement, président de Seraing depuis bientôt huit ans. Ce Romain donne du boulot à un demi-millier de personnes, approche de la septantaine, mais reste hyperactif. Il s’est longuement confié dans Le Soir, il y a quelques jours. Il y revient sur ses débuts d’homme d’affaires. « Après avoir émigré d’Italie, mon père a déniché son premier travail dans cette entreprise. Puis mon frère y a aussi commencé sa carrière comme apprenti mécanicien. En 1976, le patron voulait remettre son affaire. Mon frère n’était pas très fan du côté administratif et je lui ai dit: Tu m’apprends à conduire les camions, j’arrête la coiffure et on va reprendre la société. »

Dans le même entretien, Mario Franchi raconte qu’il a joué au Standard jusqu’en Juniors UEFA, qu’il allait voir des matches à Sclessin et au Pairay. Le Standard et Seraing sont ses « deux clubs de coeur ». Et donc, il a écouté un autre grand industriel local quand Seraing a fait faillite et qu’il fallait trouver un repreneur: Bernard Serin, patron du groupe Cockerill et président du FC Metz. Ils ont repris le club ensemble, Serin détient la majorité des parts et la collaboration entre les deux entités a démarré là. à une époque où Seraing végétait en P1.

« Si Metz a repris Seraing, c’est avec l’objectif de le repositionner en D2, puis en D1 », tonne directement le nouvel actionnaire majoritaire. L’ascension a été rapide. Mais compliquée. Il a parfois fallu des tours de passe-passe pour arriver aussi haut. Il a fallu racheter le matricule de Boussu-Dour pour monter en D2, en 2014. Il a fallu des problèmes de licence ailleurs pour accéder à la D1B, l’année dernière. Entre-temps, il y a eu des soucis avec la FIFA, qui reprochait à Seraing d’avoir fait usage du système de tierce propriété (qui avait été déclaré illégal) et l’a interdit d’affiliations pendant trois périodes de transferts. « À un moment, je pense qu’il y a eu un acharnement sur notre club », dit Mario Franchi dans Le Soir.

Seraing en D1: comment ils ont écrit l'histoire

Seraing vs Standard, c’est déjà chaud

Et donc, il savoure d’avoir reçu, récemment et sans aucune objection, la licence pour la saison prochaine en D1B et D1A. Seraing était habitué à devoir ferrailler, à devoir passer par la CBAS et à devoir rétribuer une armée d’avocats pour obtenir le document. Au Pairay, on s’estime bien armé pour vivre la vie d’un club de l’élite. « Les infrastructures sont en ordre », nous dit le président. « Le complexe d’entraînement est en ordre. Il faut juste changer la pelouse du stade et prévoir l’installation d’un système de chauffage et l’arrosage. On devra aussi mettre l’éclairage aux normes. Pour tout ça, ça risque d’être un peu court pour la saison prochaine, mais c’est dans nos plans. » Point de vue financier, il n’y aura pas de folies. Seraing peut se permettre de doubler le budget de cette saison, pas plus. Ça ferait une enveloppe de cinq à six millions pour le fonctionnement en 2021-2022. La direction pense que les recettes en marketing et sponsoring peuvent être multipliées par trois en D1A.

Reste le problème du public. Seraing n’a jamais été un club qui remplissait son stade tous les quinze jours. Récemment, Marc Grosjean, adjoint d’Emilio Ferrera, nous confiait que c’était un souci. Il n’y a pas une large base populaire. Parce que le Standard bouffe tout à Liège. Et on va donc retrouver des derbies. Entre deux clubs pour qui c’est quand même une espèce de Je t’aime moi non plus. Mario Franchi a confié dans Le Soir qu’il n’avait pas apprécié le comportement des gens de Sclessin au moment des tests Covid falsifiés, quand les deux clubs se sont affrontés cette saison en Coupe de Belgique. « Je n’étais au courant de rien et c’est Bruno Venanzi qui me l’a appris avant le match. Par la suite, ni lui ni Alexandre Grosjean n’ont pris mes appels pendant quatre ou cinq jours. Ils m’avaient dit qu’ils ne porteraient pas plainte, mais ils ont fait un rapport. Où est la différence? J’ai une loge au Standard depuis quinze ans, alors vous comprenez bien que cette attitude me reste en travers de la gorge. Et je suis rancunier. Je savais que le milieu du foot était un monde à part, mais pas à ce point-là. Je ne me reconnais pas dans ce milieu où certaines personnes m’ont vraiment déçu. »

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