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Senna Miangue: « Il n’y avait pas grand monde pour me guider au Standard »

Titulaire d’un soir en Serie A à 19 ans avec l’Inter, mais sur une voie de garage pendant deux ans au Standard, Senna Miangue doit prouver à Eupen qu’il n’était pas juste un coup de coeur de Frank de Boer. Rencontre avec un émotif trop longtemps resté anonyme. Mais qui ne veut plus se cacher.

En quarantaine depuis trois semaines, Senna Miangue a perdu le goût, mais continue de s’enfiler des Tropicos. N’a pas touché un ballon, mais conservé sa vue sur le Kehrweg. Et a donc eu le temps de plancher sur ses retrouvailles à venir ce week-end avec le Standard. Au repos forcé depuis un déplacement à Mouscron qui remonte au 18 octobre, l’Anversois veut rebondir à Sclessin et réenclencher la bonne dynamique du début de saison. Celle qui lui avait enfin permis à 23 ans de s’épanouir dans ce qu’il a toujours pensé être son métier, mais qu’il connaissait en fait si peu. Peut-être bien parce qu’avant cette saison, Senna Miangue était plus intermittent que joueur de foot à plein temps.

Qui sait ce qu’il se serait passé si Frank de Boer n’avait pas été viré après deux mois à Milan?

Senna Miangue

Senna, ce week-end, tu vas retrouver le Standard. Un match qu’on imagine forcément particulier quand comme toi, on a vécu deux saisons compliquées à Liège…

SENNA MIANGUE:Ce sera un match comme un autre. Avant mon test positif au Covid, je restais sur une série de cinq matches disputés consécutivement. Cela peut paraître anecdotique, mais c’était une première pour moi. Donc j’essaie de me dire que le Standard, ce sera un match de plus, mais pas un match plus important qu’un autre forcément ( long silence). Bon, c’est un peu de la méthode Coué de dire ça. En fait, je me connais. Je sais que si je me dis que c’est une rencontre spéciale, ça va me mettre une trop grosse pression et je ne vais pas faire un bon match. C’est pour ça que ça fonctionne bien à Eupen depuis le début pour moi. Parce qu’ici, personne n’est là pour me mettre la pression. Pourtant, ce n’était pas gagné. Quand je suis arrivé, je me suis dit: « OK, je dois devenir titulaire, faire mes matches, faire ci, faire ça et dans un an, je dois être reparti dans un grand club. » Très vite, le coach ( Beñat San José, ndlr) m’a pris entre quatre yeux et il m’a dit: « Mais qu’est-ce que tu fais là, Senna? » Il a vu que j’étais en train de me mettre trop de pression et il m’a arrêté à temps. Il a insisté. Il m’a dit: « Senna, on sait que ça fait longtemps que tu n’as pas joué, on sait que ça a été difficile au Standard, mais fais-moi confiance. Ici ce n’est pas comme ça, fais ce que je te dis et ça ira. On va prendre le temps, mais je vais te faire retrouver le plaisir. » Et c’est exactement ce que j’avais besoin d’entendre. La preuve, c’est que je m’éclate depuis le début de saison, même s’il me reste encore beaucoup de choses à améliorer. Mais c’est normal. Quand j’ai joué mon premier match contre Gand, je n’avais plus joué nonante minutes depuis dix mois!

« J’ai peut-être un peu trop profité des retrouvailles »

Compte tenu de ça, tu penses que tu as perdu deux ans au Standard?

MIANGUE: Ce serait trop facile de remettre la faute sur les autres. La vérité, c’est que je revenais en Belgique après six ans en Italie et que j’ai peut-être un peu trop profité des retrouvailles. Et puis, j’ai sans doute cru que ce serait plus facile aussi. À un moment, j’ai eu le tort de penser que parce que j’avais joué trois matches en Serie A, ça allait être facile en Belgique. Dans ma tête, j’étais chez moi, près de ma mère, de mes amis, cela ne pouvait qu’aller bien. Du coup, je suis trop vite rentré dans ce que je pourrais appeler une zone de confort. Je ne m’en rendais même pas compte, mais ce qui devait me faire du bien humainement m’a joué des tours sportivement, après avoir passé toutes ces années dans ma bulle en Italie.

Senna Miangue:
Senna Miangue: « À un moment, j’ai eu le tort de penser que parce que j’avais joué trois matches en Serie A, ça allait être facile en Belgique. »© BELGAIMAGE-BRUNO FAHY

Le déclic que tu sembles avoir eu en début de saison à Eupen, tu n’aurais plus pu l’avoir au Standard?

MIANGUE:Deux jours avant ce fameux match contre Gand, le coach est venu me trouver pour me dire que même si je n’étais pas encore prêt physiquement et que je revenais tout juste de blessure, j’allais commencer titulaire le week-end. Dans ma tête, je me suis mis à réfléchir à mille choses, à imaginer mille scénarios de match, mais il m’a dit un truc important pour moi: « Senna, je ne m’attends pas à ce que tu fasses un super match. Juste un bon match. Joue comme tu sais faire, calme, doucement et ça va aller. » Les 48 heures suivantes ont été longues, mais en effet, grâce à lui, j’ai fait un bon match. Par la suite, on a analysé la rencontre ensemble. Tout ça m’aide beaucoup. Cette approche individuelle, je ne l’avais pas au Standard et ça m’a manqué. Ce n’est pas un reproche envers Michel Preud’homme, ce sont juste deux coaches différents avec deux manières de travailler différentes.

Pourtant, à l’époque, c’est une conversation que tu avais eue avec Michel Preud’homme qui t’avait convaincu de signer au Standard, non?

MIANGUE: Oui, avec Olivier Renard aussi. Le deal, c’était un prêt de deux ans. L’idée, c’était que je prenne une année pour m’acclimater, regarder, jouer un peu et une autre pour éclater. Mais dans les faits, et malgré ma décompression à mon arrivée en Belgique dont je parlais plus haut, je n’ai pas l’impression d’avoir toujours reçu ma chance à Liège. Et peut-être pas toujours été bien guidé non plus. C’est dommage, mais ce n’est ni la faute d’Olivier Renard, ni celle de Michel Preud’homme ou de Benja ( Nicaise, ndlr), voire de monsieur Grosjean. C’est d’abord la mienne de ne pas avoir eu directement la bonne approche. Mais moi, je suis comme ça, j’ai besoin d’exprimer mes sentiments et j’apprécie que les gens puissent venir chez moi pour se confier. Cet échange est important, il me permet d’être plus zen. Et je ne l’ai eu avec personne au Standard. À l’Inter, je l’avais eu avec De Boer, à Cagliari, je l’ai eu avec mon deuxième coach, à Eupen, je l’ai avec tout le staff, avec plusieurs coéquipiers aussi. Avant que le prêt ne se concrétise, j’avais d’ailleurs déjà beaucoup parlé avec Beñat sur Facetime. C’était important pour moi d’avoir ces garanties humaines là. Même si ce n’est jamais évident de se faire un avis sur les gens avant de travailler avec eux. Au Standard aussi, c’est vrai, j’avais eu cette conversation préalable à l’officialisation de mon prêt. On sait ce qu’il en est advenu.

Au Standard, parfois, c’est même moi qui allait demander au coach d’aller jouer avec les U21. Je préférais ça à la tribune. »

Senna Miangue

« À Liège, je n’ai jamais râlé, mais je n’ai pas tout compris non plus »

Le coup dur pour toi au Standard, ça a été l’arrivée de Nicolas Gavory à l’été 2019?

MIANGUE: Je n’ai rien contre Gavo. C’est un bon joueur, un bon garçon, je m’entendais bien avec lui, comme je m’entendais bien avec tous mes coéquipiers au Standard. Mais oui, c’est vrai que son arrivée a coïncidé avec une moins bonne période pour moi. En cela, je crois que le club a été surpris de ma réaction. Visiblement, ils s’attendaient à ce que je pète un plomb, mais je n’ai rien lâché. J’étais fâché, mais je n’ai jamais montré de signes extérieurs de frustration. J’aurais peut-être dû. Ou en tout cas aller parler avec le coach. Mais moi, j’ai continué de me défoncer à l’entraînement. Sans rien dire. Et quand on me demandait d’aller jouer avec la réserve, j’y allais. Parfois, c’est même moi qui allait demander au coach d’aller jouer avec les U21. Je préférais ça à la tribune. Le matin je m’entraînais au club, l’après-midi, trois fois par semaine, j’allais faire du renforcement musculaire avec un ami qui travaille avec Lieven ( Maesschalck, ndlr) chez Move to cure. Après, ce n’est pas parce que tu en fais plus que les autres que tu mérites de recevoir plus, ce n’est pas ça que je dis. C’est juste que j’aime bien travailler. Et que le Standard n’a jamais pu me reprocher de ne pas en faire assez. À part peut-être au tout début… Mais vu que je n’entrais plus dans les plans, je n’ai pas compris pourquoi on ne m’a pas laissé aller à Venlo en janvier dernier. À partir de là, c’est devenu compliqué. Je m’entraînais comme défenseur central, mais on me faisait rentrer comme milieu gauche ou arrière gauche. Je n’ai jamais râlé, mais je n’ai pas toujours tout compris non plus.

Senna Miangue apprécie l'approche individuelle dont il bénéficie à Eupen.
Senna Miangue apprécie l’approche individuelle dont il bénéficie à Eupen.© BELGAIMAGE-BRUNO FAHY

Ta première année à Liège, avant la signature de Gavory, tu la termines pourtant de manière encourageante.

MIANGUE: ( Il coupe) J’avais eu une longue conversation avec un ami proche avant de partir en stage à Marbella avec le groupe. Ça m’a remis les idées en place. À partir de là, j’étais bien physiquement, hyper concentré, je ne sortais plus trop. J’avais retrouvé la motivation. Du coup, en mars, quand je reçois enfin ma chance et que je joue un bon match contre Waasland, où on gagne 4-3 après avoir été menés 3-0, je pense que je vais être récompensé. Mais la semaine suivante, pour le premier match des play-offs, je suis de nouveau en tribune… Ça ne m’a pas empêché de me battre. Cet été-là, je n’ai pas pris de vacances et j’ai travaillé comme un fou pendant qu’ils étaient tous partis. Résultat, au début de la préparation, j’étais en avance sur tout le monde. Mais genre vraiment en avance. Je regardais les stats GPS et je mettais des écarts monstrueux à tout le monde. Je pensais que c’était annonciateur de grandes choses, mais après deux ou trois semaines, on m’a dit que le club allait acheter un nouveau back. C’était Gavo.

« J’aurais pu rebondir à l’étranger, mais je voulais rester en Belgique »

Pourquoi avoir voulu persévérer en Belgique alors que tu avais des touches à l’étranger cet été?

MIANGUE: J’aurais pu rebondir en Italie, aux Pays-Bas ou en Allemagne, mais dans ma tête, c’était important de rester en Belgique pour prouver ce que je valais. Je suis très attaché à mon pays. D’ailleurs, je crois qu’une de mes plus grandes déceptions jusqu’ici, c’est de ne pas avoir été repris pour l’EURO Espoirs en 2019. Du coup, faire mes preuves en Pro League, ça avait une saveur toute particulière pour moi. C’est peut-être le fait d’avoir grandi à l’étranger qui veut ça…

Venons-y. En octobre 2014, à 17 ans, tu t’entraînais avec le noyau A de l’Inter pour la première fois. Deux ans plus tard, en mai 2016, à tout juste 19 ans, tu t’asseyais sur le banc de l’Inter en championnat sous Roberto Mancini, et en août de la même année, Frank de Boer te lancera en match officiel en Serie A. Quand on a eu cette post-adolescence-là, se retrouver à Eupen à 22 ans après avoir côtoyé les stars intéristes, ce n’est pas trop dur?

MIANGUE: Ça a été dur, mais c’est une réalité que j’ai fini par accepter. Le fait d’être dans un groupe, ici à Eupen, avec vraiment un tas de bons mecs, ça m’aide beaucoup. Tout le monde connaît mon parcours et tout le monde le respecte. Tout le monde se doute que ça ne doit pas être évident pour moi, mais le groupe est vraiment super par rapport à ça. Qui sait ce qu’il se serait passé si Frank de Boer n’avait pas été viré après deux mois à Milan? Qui sait ce qu’il se serait passé si j’étais resté à Cagliari? Si j’avais débarqué directement avec la bonne mentalité au Standard ? Personne ne peut répondre à ces questions. Et personne ne sait où je serai dans six mois non plus…

Senna Miangue:
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« Zinho a eu la bonne attitude, moi pas »

Tu as longtemps eu la même trajectoire que Zinho Vanheusden. Tu as eu de ses nouvelles récemment après sa blessure?

SENNA MIANGUE: J’adore ce mec, c’est vraiment dommage ce qu’il s’est passé. Il est dans le club de son coeur, il s’éclate et là, il est de nouveau brisé en plein élan. La différence entre lui et moi, c’est que lui était extra motivé quand il est arrivé au Standard. Plus que moi, qui avait déjà joué en Serie A. Contrairement à lui, je pensais que j’étais déjà arrivé en revenant en Belgique. Lui avait encore tout à prouver, et ça a fait une sacrée différence.

Comme lui, tu as aussi connu une grave blessure à tes débuts en Italie. Comment c’était la vie à Milan pour un jeune ado?

MIANGUE: J’ai souffert d’une pubalgie pour ma première saison. J’avais seize ans et ça a été très dur à vivre. J’étais encore un gamin, mais j’avais tout plaqué pour le foot. Sauf que là, j’étais privé de ballon. Le matin, je partais l’école, mais je ne parlais pas italien et l’après-midi, de 15 à 18 heures, quand les autres allaient à l’entraînement, moi j’étais en rééducation. Exercices, thérapie et ainsi de suite pendant huit mois. Ça m’a tué. Tous les soirs, je rentrais dans la grande maison où je vivais. Avec des Roumains, des Français, des Portugais, des Espagnols, des Brésiliens. Du coup, j’appelais ma mère, presque en pleurs. Je lui disais que je voulais rentrer en Belgique, arrêter le foot. Évidemment, il y a toujours pire, mais quand tu as vécu ces moments-là étant plus jeune, tu es blindé, je crois. Je me suis aussi posé des questions pendant deux ans au Standard, mais grâce à cette expérience-là, j’ai gardé le moral. De toute façon, arrêter le foot, mais pour quoi faire? Je n’ai pas fini l’école, je ne sais faire que jouer au foot.

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