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Roland Duchâtelet se confie à coeur ouvert: « Venanzi convient mieux au Standard que moi »

Roland Duchâtelet a débarqué dans le football il y a quinze ans. Une mauvaise décision, déclare-t-il dans un entretien à coeur ouvert. Il parle notamment des nouveaux stades, du match-fixing et de l’Opération Mains Propres.

Faire une interview au Stayen est agréable. On se parque sous le complexe, on réfléchit aux achats qu’on peut y faire après et on emprunte l’ascenseur qui mène à la Brasserie Stayen, où les Trudonnaires savourent un café, un apéritif ou un plat du jour. Pendant l’entretien, on voit les joueurs du STVV traverser le terrain A. Tout est regroupé sous un toit. On peut aussi loger au Stayen, même si la longueur de l’entretien ne le justifie pas.

Roland Duchâtelet répond clairement et ouvertement à chaque question.

Quelle question regrettez-vous qu’on ne vous ait jamais posée ?

ROLAND DUCHÂTELET : Les supporters ne peuvent pas comprendre que le propriétaire de leur club n’y consacre pas au moins 100% de son temps. Je n’ai jamais consacré beaucoup de temps au football, faute d’en avoir. La plupart des propriétaires ont d’autres activités économiques et délèguent la gestion du club à leur management. Ça peut entraîner des problèmes, comme le révèlent les bilans financiers des clubs de D1A. Souvent, il y a un profond malentendu entre ce que pensent les supporters et ce que font les présidents.

Au Standard et à Charlton, ma communication a parfois été désastreuse.  » Roland Duchâtelet

Vous voulez dire que votre communication n’a pas été bonne ?

DUCHÂTELET : Absolument. Ma communication en football a parfois été catastrophique. Dans le cas du Standard comme de Charlton. La communication est un énorme défi. Bruno Venanzi, qui a travaillé un an avec moi avant de reprendre le Standard, était nettement mieux préparé que moi. Il fait un travail fantastique. Il convient mieux à ce club passionné que moi.

Notez que je n’ai pas eu de problème au Standard la première année. Ils sont survenus à la fin de la deuxième saison, à cause d’une communication malheureuse. Bref, le football est un business qui ne me convient pas. J’ai commis une erreur en m’en mêlant.

Pourquoi l’avoir fait ?

DUCHÂTELET : Par hasard. J’ai d’abord sponsorisé le STVV trois ans. Ça avait un sens car ça accroît votre renommée nettement plus que n’importe quelle campagne publicitaire. Puis, on m’a demandé de prendre le contrôle du club. J’ai refusé. On a insisté et j’ai posé cinq conditions que je pensais si strictes qu’elles ne seraient jamais acceptées. L’une d’elles était que l’ancienne direction ne récupérerait pas l’argent investi dans le club, sauf sous forme d’échanges. Une autre était qu’elle n’aurait plus rien à dire. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle accepte.

Vous auriez pu faire marche arrière.

DUCHÂTELET : J’estimais ne pas le pouvoir, compte tenu de la situation. Je n’ai pas investi beaucoup de temps mais ça m’a quand même occupé plus que prévu.

 » Aucun autre stade belge n’offre autant de confort que le Stayen  »

Le résultat en vaut la peine : le stade est devenu un des plus modernes de Belgique.

DUCHÂTELET : Il a coûté cher mais conserver les anciennes tribunes n’aurait pas été un indice de bonne gestion. ( Fier) Le club a le plus haut pourcentage de spectatrices en Belgique.

Parce qu’on sait que vous dansez après les matches ?

DUCHÂTELET ( sourire) : Parce qu’il fait chaud partout en hiver, qu’il y a suffisamment de toilettes et que tout est propre et coquet. La première fois que j’ai visité le stade, son manque de confort m’a frappé. Il y avait des tentes et des aubettes à la place des deux grandes tribunes. Aucun autre club belge n’offre pareil confort, même si Gand a fait de son mieux pour nous imiter.

Le site vit constamment, avec ses parkings, ses commerces, ses bureaux, ses appartements.

DUCHÂTELET : Nous ne pouvions nous permettre de n’investir que dans le football. Nous avons dû être créatifs pour ériger un complexe multifonctionnel. Si le parking de mille places ne servait qu’une fois tous les quinze jours, il serait très coûteux. En semaine, les salles nécessaires au football sont reconverties à d’autres fins. Le seul problème, c’est que presque tous nos concurrents sont subsidiés. Les autorités se servent de mon argent pour aider mes concurrents.

La ville et les commerçants locaux ne se sont-ils pas opposés à ce projet ?

DUCHÂTELET : Non car le Stayen apporte une plus-value incroyable à la ville. Il fait partie des choses à voir. C’est aussi le seul stade de football au monde qui abrite un club de pétanque. Il y a neuf couloirs, fermés le jour des matches, de sorte que les spectateurs ne se rendent pas compte qu’ils marchent sur un terrain de pétanque.

Les visiteurs s’étonnent, en semaine, qu’une loge soit aménagée en chambre d’hôtel alors que la suivante sert de salle de réunion. Nos loges sont utilisées tous les jours. Notre hôtel a fortement fait augmenter le nombre de visiteurs étrangers à Saint-Trond. Avant, la ville ne comptait qu’un hôtel de 28 chambres et quelques B&B. Maintenant, des Allemands qui se rendent à Bruxelles et à Bruges passent la nuit ici.

Le stade est vivant parce qu’il est proche du centre et non situé dans un lointain complexe industriel. La plupart des spectateurs se rendent à pied aux matches. Malines est le seul à avoir adopté notre vision. Il voulait déménager en bordure de la ville mais je le lui ai déconseillé si les supporters peuvent venir à pied, ça évite les files et c’est meilleur pour le climat. Un stade de football a sa place en ville, comme c’est toujours le cas en Angleterre.

 » Le chapitre du foot est terminé pour moi  »

Dans combien de clubs êtes-vous toujours actif ?

DUCHÂTELET : À Charlton, à Alcorcon, un club espagnol de D2, et à Carl Zeiss Iéna, en deuxième Bundesliga. J’essaie de les vendre tous les trois. J’ai clos le chapitre du football.

Quand avez-vous décidé de quitter le football ? Quand les supporters du Standard ont envahi votre bureau ?

DUCHÂTELET : Non. A l’issue des PO1 2014. Nous aurions dû être champions mais ne l’avons pas été à cause de match-fixing. J’en reste convaincu. Ce n’était pas dans le chef de mes joueurs mais il s’est passé des choses bizarres dans l’arbitrage et au sein d’autres équipes. Je l’ai immédiatement signalé à la cellule compétente. Ses membres ont pu visionner les images mais cinq ans plus tard, ça n’a toujours conduit à aucune suite concrète.

Pourquoi, selon vous ?

DUCHÂTELET : Je crains que ça ne soit toujours pas assez une priorité pour la justice. On sous-estime les dégâts. Le football a une fonction de modèle. Permettre de telles choses, c’est donner le mauvais exemple aux jeunes.

Peut-être le récent scandale va-t-il faire bouger les choses. À moins que vous n’y croyez plus ?

DUCHÂTELET : L’Opération Mains Propres est de la même eau. Peu de gens voudront s’exprimer. Il est plus facile de se taire.

Sans preuves, il vaut mieux se taire ?

DUCHÂTELET : Ça peut expliquer la retenue de certains mais d’autres ont des preuves solides et se taisent. Le fait est que ça va beaucoup trop lentement. Les lois et règlements n’aident pas les juges. Ceux qui veulent échapper à la justice ont suffisamment d’issues alors que les juges n’ont pas assez de possibilités de punir les gens. Nous avons la chance d’avoir une justice très intègre en Belgique. Je peux vous assurer que ce n’est pas le cas dans beaucoup de pays. Mais nos juges sont confrontés à une législation extrêmement complexe. Surtout en football, avec tant d’acteurs différents.

Roland Duchâtelet :
Roland Duchâtelet :  » Les différents acteurs du football sont trop proches les uns des autres. « © FILIP NAUDTS

 » Nos présidents de clubs ne pensent pas au long terme  »

En 2014, quand vous avez dénoncé ces faits, vous avez pu compter sur la compréhension des autres dirigeants ?

DUCHÂTELET : Non. Les présidents des clubs belges pensent au match suivant, pas au long terme. Quand j’ai débarqué dans le milieu, j’ai été surpris par la manière dont les décisions étaient prises en haut de l’échelle. Elles n’étaient pas professionnelles. Un exemple ? Le problème posé par notre gazon artificiel n’était pas à l’agenda. Aucune information n’a été communiquée mais on a quand même traité le sujet et le Conseil d’administration de la Ligue Pro a décidé à l’unanimité qu’un club pro doté d’une pelouse artificielle constituait un problème. J’ai téléphoné à Marc Coucke pour qu’il demande au moins des explications sur les avantages et les inconvénients de ces surfaces au professeur Stijn Rambour de Gand. Ce qui vient de se passer est typique du football : c’est de l’émotion, pas de la science.

Les présidents sont tous des hommes d’affaires à succès.

DUCHÂTELET : Des personnes qui devraient opérer des choix rationnels mais le font trop rarement. C’est pour ça que je suis passé du STVV au Standard : je pensais que j’aurais plus de poids dans le débat mais je n’y suis pas parvenu. J’ai récolté des petits succès, comme l’embauche d’un président indépendant et d’administrateurs indépendants à la Ligue Pro mais depuis, la mesure a été rayée.

Le problème n’est-il pas l’absence de séparation des pouvoirs ?

DUCHÂTELET : Tout à fait. L’UB et la Ligue Pro ne sont pas bien gérées. Les présidents et les représentants des clubs ne devraient pas y siéger, il faudrait que des personnes indépendantes prennent les décisions, comme ça se passe en Allemagne, en Angleterre et aux USA. Comment peut-on être à la fois président d’un important club de football et responsable de l’embauche des arbitres ? À qui Johan Verbist doit-il faire son rapport ? De facto à Bart Verhaeghe et à Mehdi Bayat. Je ne dis pas qu’ils en abusent mais rien que mentalement, il est difficile d’être neutre. Les arbitres ne savent que trop bien quels sont indirectement leurs patrons. Les différents acteurs du football belge sont trop emmêlés.

 » Je n’imaginais pas que le foot était un tel entre-soi  »

Vous affirmez avoir ignoré ou mal jugé certaines choses. Vous avez été naïf ou vous n’avez pas enquêté assez avant ?

DUCHÂTELET : J’ai été très naïf. Avant d’investir à l’étranger avec nos sociétés, nous étudions à fond la situation, le degré de corruption, le fonctionnement de la justice. Mais je n’imaginais pas que le football était un tel entre-soi.

Vous avez appris quelque chose grâce au football ?

DUCHÂTELET : Que l’émotion joue un grand rôle dans la société. En politique comme en football. On dit que les gens gagnent trop peu. C’est le cas et c’est un scandale car le monde est assez riche pour offrir à chacun une vie et un toit dignes de ce nom. Mais on ne résoudra pas le problème en faisant payer plus les riches. Il faut améliorer le fonctionnement des pouvoirs publics et par exemple ne pas acheter des avions de chasse de quatre milliards qui seront vite dépassés.

Le football vous a-t-il sali ?

DUCHÂTELET : Ça ne fait rien. Il faut composer avec les moins bonnes expériences, en tirer des leçons puis refermer la porte. J’ai pris conscience que l’émotion guide davantage les décisions que la raison.

Vos derniers clubs présentent-ils un équilibre budgétaire ? Un club de football peut-il faire des bénéfices ?

DUCHÂTELET : On peut équilibrer les comptes mais pas réaliser de véritable bénéfice.

Vous pensiez que c’était possible ?

DUCHÂTELET : À mon arrivée, on ne publiait pas encore les bilans annuels, il y avait encore plus de sociétés et d’argent noir. Je n’avais aucune idée mais je pensais qu’il était possible d’optimiser beaucoup de choses en mettant sur pied un réseau de clubs.

Aucun secteur économique n’a vu son chiffre augmenter aussi vite que le football. Malgré tout, on n’arrive pas à réaliser de bénéfice, sauf si on est manager ou footballeur. Les USA obtiennent des bénéfices car ils sont mieux structurés. Si la Ligue Pro et la fédération étaient mieux structurées, il serait moins désagréable de posséder un club.

À Saint-Trond, nous sommes parvenus à réaliser un petit bénéfice, ça n’a pas été trop mal au Standard mais même en Premier League, malgré des rentrées colossales, huit des vingt clubs sont en déficit.

 » L’affaire Ye n’a pas changé grand-chose  »

Le fait que tant de clubs belges soient en mains étrangères ne vous tracasse pas ?

DUCHÂTELET : Non. Quels clubs anglais de D1 et de D2 sont encore la propriété d’Anglais ? Je pense que nous avons d’autres sujets de tracas. Nous avons raté le train de la BeNe League. Il est plus facile de vendre la BeNE League que le championnat de Belgique. Quand je m’en occupais, il y avait un consensus côté belge et un large consensus côté néerlandais. L’Ajax a tout fait capoter. Il préférait rester champion des Pays-Bas tandis que le PSV et Feyenoord étaient séduits par l’idée.

Que se passera-t-il si l’Opération Mains Propres tourne en eau de boudin et que tout reste en l’état ?

DUCHÂTELET : Dans dix ans, il n’y aura plus de football belge d’un certain niveau. La Belgique sera comme la Bulgarie, de ce point de vue. À l’étranger, on ne saura pas qui est en tête ni qui va devenir champion. Ça n’intéressera personne à l’étranger car on saura comment ça fonctionne.

L’affaire Ye n’a pas changé grand-chose. Si on ne réagit pas sérieusement à ce qui vient de se passer, nous deviendrons un pays du football à la réputation douteuse. Ce sera le signal que tout est permis.

L’Espagne a connu un scandale il y a quelques années et en a profité pour tout réformer, avec le soutien de l’État. Même le Real et Barcelone ont plié. Avant, ils déterminaient eux-mêmes leur part des droits TV. Encore faut-il vouloir intervenir.

Roland Duchâtelet :
Roland Duchâtelet :  » Même en Premier League, malgré des revenus colossaux, huit clubs sur vingt sont en déficit. « © FILIP NAUDTS

Content des Japonais du STVV

Roland Duchâtelet assiste à presque tous les matches à domicile du STVV et se rend souvent au Standard aussi. Il est fier des prestations trudonnaires cette saison, bien que le stade soit souvent à moitié vide.  » C’est un phénomène global, auquel échappent seulement Malines et l’Antwerp. Il est dû au succès des formules proposées par les télévisions.  »

Il ne regrette pas d’avoir vendu le club aux Japonais.  » C’est le seul club européen en mains japonaises et trois joueurs sont internationaux. C’est presque un test international pour le Japon. Les propriétaires ont les moyens de faire progresser le club. J’ai tout fait analyser. Je ne les vois pas s’en aller d’un coup l’année prochaine.

Je les ai fait attendre six mois avec seulement 20% des parts car je ne les trouvais pas prêts mais je suis désormais optimiste. Le stade ne leur appartient pas. Ils paient un loyer assez bon marché et ne supportent pas les frais. « 

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