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Rétro – Gordan Vidovic: de la guerre en Bosnie à l’équipe nationale

Constant et fidèle avec l’Excelsior Mouscron pendant près de dix ans, Gordan Vidovic a connu moins de stabilité une fois sa retraite officialisée. Par ailleurs, il a aussi cultivé un bagou insoupçonné.

Gordan Vidovic, c’est avant tout une gueule. Sa vignette Panini du Mondial 98 en est une bonne illustration. Bouche murée, yeux noirs, le défenseur d’origine bosnienne avait de quoi glacer ses adversaires.  » Et je n’hésitais pas à le faire « , assure-t-il, plus de vingt ans après l’incroyable saison mouscronnoise qui l’a révélé au public belge.

 » Même verbalement. Quand Jan Koller, dont le tchèque est proche du bosnien, me lançait une provocation, je lui en renvoyais dix. Et des moches ! L’intimidation était très importante.  »

Originaire de Sarajevo, Gordan Vidovic a 23 ans quand éclate la guerre en Bosnie. Il décide alors de quitter son pays avec pour seul bagage son sac de foot. Il traverse une bonne partie de la Bosnie en bus.  » Je n’avais qu’un seul objectif : survivre. Je ressentais très fort la pression générale : j’ai croisé des dizaines de militaires sans savoir s’ils n’étaient pas capables de me tuer sans sommation.  »

Aidé par quelques amis, Gordan transite par la Bulgarie puis rejoint la Suisse. Atteindre l’Europe occidentale fait partie de son plan pour se sauver, ainsi que sa famille.  » Même si je n’avais qu’une paire de chaussures pour la ville et le terrain, j’espérais trouver rapidement un club. Mais sans papier ni argent, tu n’es personne, tu n’es rien.  »

Le Bosnien profite alors de la solidarité de sa communauté pour tenir le coup pendant huit mois avant son déménagement vers la Belgique. Arrivé chez nous en 1992, Gordan attendra cinq ans pour obtenir la nationalité belge. Son dossier prend notamment du retard suite à un problème administratif qui le fait disparaître de la circulation.

Scifo, Peruvovic et Wenger

 » Pourtant, à ce moment-là, je jouais à Tirlemont et mon nom apparaissait toutes les semaines dans le journal « , rigole le grand bonhomme aux cheveux désormais coiffés en queue de cheval. Tous les six mois, il doit se présenter à l’office des étrangers alors qu’il gagne de l’argent et qu’il paie ses taxes.

 » Une fois, j’ai été emmené là-bas en Mercedes par un chauffeur… Les 1000 réfugiés présents pensaient que j’étais un Ministre alors que j’étais un des leurs. C’était très spécial.  » Son dossier de naturalisation prend un sérieux coup d’accélérateur en 1997 quand Vidovic est pressenti pour intégrer l’équipe nationale. En dix jours, tout est réglé.  » Quand on a besoin de toi, tout est possible.  »

Entre 1997 et 1999, Gordan est appelé à 17 reprises en équipe nationale. Il dispute même deux matchs au Mondial 98.  » Une vraie belle expérience « , assure le solide défenseur.  » J’ai eu quelques soucis avec Enzo Scifo (ce dernier lui reprochait de ne pas parler français, Vido en faisait de même pour le néerlandais, ndlr), mais c’est un bon gars, j’ai beaucoup de respect pour lui. Comme pour Philippe Albert. Je me souviens qu’il a dû s’asseoir sur le banc quand je jouais alors qu’il venait de Newcastle. J’étais gêné…  »

Ce passage au centre de la défense des Diables Rouges, le Belgo-Bosnien le doit à Luka Peruzovic. En 1997, alors que Gordan sort d’une première saison pleine en tant qu’attaquant de D1 avec Mouscron, Georges Leekens est embêté. À l’avant, il possède les deux joyaux que sont les frères Mpenza. A-t-il encore besoin d’un gars pratiquement trentenaire ?  » Peruzovic a confié à Leekens qu’en Yougoslavie, je jouais défenseur. J’avais beau avoir marqué 56 buts en 60 matchs de D2, j’y suis retourné.  »

Vido forme alors avec Damir Lesjak une des paires défensives les plus invincibles de tout le Royaume. Au tournant du XXIe siècle, le Diable Rouge attire même le regard des scouts d’Aston Villa, mais son transfert outre-Manche échoue pour une question d’argent. Plus tard, il est visionné par Arsène Wenger en personne.

 » La guerre m’a fait perdre beaucoup de temps sportivement. Si j’étais arrivé en Belgique plus tôt et avec des papiers, j’aurais directement pu rejoindre un gros club avant de rallier l’Angleterre. Mais il m’a fallu du temps pour recouvrer mes capacités. Peu de joueurs sont capables de faire ça.  » Pour Vidovic, le clap de fin retentit en septembre 2003 à cause d’une blessure tenace au genou.

Reconversion délicate

Le grand ténébreux tente alors de se lancer dans une carrière d’agent.  » J’ai proposé Edin Dzeko à Mouscron. Il avait 16 ans. Mais les dirigeants n’ont pas voulu payer 50.000 euros pour lui. Dzeko est donc parti à Teplice (République tchèque). Pourtant, je suis sûr qu’il aurait connu une tout autre évolution s’il avait rallié la Belgique.  » Dégoûté par le milieu, Vido envisage une reconversion dans l’immobilier. Sans succès. Vient ensuite l’ouverture d’un bar en Bosnie. Certains journaux belges évoquent un night club.

 » Ce n’était pas un bar à strip-tease ou un bordel, je n’ai même jamais été dans ce genre d’endroit « , rétorque l’intéressé.  » Ce qui a troublé, c’est l’atmosphère un peu spéciale, noire, en sous-sol. Et l’ouverture toute la nuit.  » L’expérience est néanmoins de courte durée : des problèmes administratifs forcent la fermeture de l’établissement. Désormais, Gordan fait un peu de scouting pour son pote Milan Broceta.

 » Je regarde des matchs le plus clair de mon temps. J’ai beaucoup de chaînes donc je n’arrête pas, de la Champions League à la D3 d’un petit pays banal.  »

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Gordan Vidovic

Date et lieu de naissance 23 juin 1968 Sarajevo

Carrière de joueur 1987-1992 Zeljeznicar Sarajevo

1992 FC Saint-Gall

1992-1993 KVK Tirlemont

1993-1995 R Cappellen FC

1995-2003 Excelsior Mouscron

1997-1999 : 16 fois Diable Rouge

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