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Rép. Tchèque-Belgique: la bousculade de Prague (ANALYSE)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur le partage des Diables rouges sur la pelouse des Tchèques (1-1).

Comme pour mieux raconter l’histoire d’une équipe qui cherche désespérément quelqu’un capable de l’assumer, le 10 change encore d’épaules pour le déplacement des Diables à Prague. Accueilli par une averse sur la pelouse tchèque, Romelu Lukaku endosse sur les épaules le numéro du patron quand il s’apprête à entamer son 57e match depuis le 13 juin dernier, date de la reprise d’un Calcio qui profitait d’un premier temps mort offert par la pandémie. Un calendrier sans fin, trois matches en moins d’une semaine en plein sprint final de la saison des clubs, et un voyage en vase clos sans certains joueurs dans l’un des pays les plus touchés par le virus. Tout cela perturbe-t-il les hommes de Roberto Martinez, qui accueillent dans le onze de base Jason Denayer, Timothy Castagne et Nacer Chadli? Certains choix semblent en tout cas plus dictés par l’approche de l’EURO que par la perspective d’un Mondial encore trop impalpable.

Certains hommes changent, mais le plan reste identique. Celui de l’adversaire, par contre, n’a plus grand-chose à voir avec le donjon gallois. Les hôtes du soir sont emmenés par Tomas Soucek, nouvelle star de la sélection et surtout ancien d’un Slavia qui sert de colonne vertébrale à son sélectionneur Jaroslav Silhavy. Quart de finaliste d’Europa League, un an après avoir tenu la dragée haute à l’Inter, à Dortmund et au Barça en Ligue des Champions, le club de la capitale se distingue par l’un des footballs les plus musclés d’Europe (8,6 actions défensives par minute de possession adverse, plus que le Leeds électrique de Marcelo Bielsa). Le coup d’envoi, directement catapulté vers la défense belge et accompagné d’un sprint collectif vers l’impact, plante rapidement un décor calqué sur les mises en scène de son porte-drapeau.

Pas prête de lâcher le ballon pour autant, la Belgique se rue rapidement vers les pieds fébriles de Tomas Vaclik (45% de passes réussies) dans un système que la position reculée de Kevin De Bruyne fait de plus en plus ressembler à un 3-5-2. Dries Mertens enfile donc un costume de médecin-gymnaste, et fait le grand écart entre Lukaku et Chadli pour soigner la solitude du premier et les cuisses en chantier du second. Une remise vers Big Rom’ qui tire hors-cadre pour commencer, une déviation puis une association avec Nacer qui manque de piéger Vaclik dans la foulée: Driesje est déjà sur le dancefloor alors que le DJ s’installe à peine aux platines.

LES LUTTEURS ET LES JOUEURS

Ce sont pourtant les Tchèques qui se chargent de la première chorégraphie. Une perte de balle de Castagne juste avant le quart d’heure permet de lire dans les cartes locales: récupérer haut, puis temporiser en multipliant les passes sur le côté jusqu’à ce que les corps en fassent de même dans la surface. Et finalement, centrer, et faire parler les centimètres d’un onze bâti pour dominer la fosse d’un concert de metal. Le premier mouvement offre à Jakub Jankto un tir repoussé par Thibaut Courtois, avant que l’ex-Brugeois Michael Krmencik ne fasse trembler le poteau au bout d’un long ballon mal géré par Jan Vertonghen et Jason Denayer.

En face, la Belgique presse beaucoup, mais joue peu. Les nombreux ballons offerts par Vaclik au bout d’une course intense atterrissent dans les pieds de Diables trop éparpillés pour s’associer, et pas assez connectés par un De Bruyne naufragé entre les lignes locales. C’est donc un centre de Mertens transformé en balle qui traîne qui permet à Leander Dendoncker, à l’aise dans cette première demi-heure de lutteurs, d’envoyer une praline dégustée par la main droite du portier. Dans la foulée, un débordement côté droit de Romelu Lukaku, seul spécialiste national de la chevauchée solitaire en l’absence de Yannick Carrasco finit par un caviar vers KDB. Le front de King Kev décline l’offrande.

La Belgique combine surtout sur sa gauche, sans doute parce que Nacer Chadli y semble rapidement incapable de courir. C’est encore de là que vient un centre trop long pour Castagne, auquel succède une série de ballons tchèques qui arrosent la défense nationale par les airs, puis le retour aux vestiaires.

LA SOLITUDE DE KEVIN

La remontée sur la pelouse a des airs de déjà-vu. Si les Gallois s’étaient inspirés des Anglais pour fermer les portes qui mènent à Lukaku, les Tchèques puisent chez les Three Lions la brèche décelée à la droite du milieu de terrain belge qui avait écartelé Axel Witsel en seconde période à Louvain. Puisque Kevin De Bruyne décide de ne défendre que quand le ballon est devant lui, la bande à Soucek l’efface avec son jeu long, puis s’invite en nombre devant Castagne. Il ne faut que cinq minutes pour exploiter la faille, quand Youri Tielemans abandonne l’axe pour colmater son couloir, suivi par un appel bourré d’intelligence de Soucek qui éloigne Dendoncker du coeur du camp belge, comme une preuve que la pelouse de Prague est trop large pour deux. Lukas Provod reçoit seul devant la surface, et Denayer pense plus à défendre son but qu’à attaquer le ballon. La frappe fuse dans le coin et met les Tchèques aux commandes.

Revitaminée par les montées au jeu dynamiques d’un Thomas Foket audacieux et d’un Leandro Trossard plus virevoltant que précieux, la Belgique chasse l’égalisation. De Bruyne bafouille son jeu au bout d’une diagonale spectaculaire de Tielemans, puis profite d’une sortie de balle de Vertonghen pour lever les yeux depuis le rond central, et envoyer Lukaku en duel face à la défense tchèque. Trois crochets suffisent à mettre le garde du corps KO, et à accoucher d’une 52e action décisive en neuf mois.

En trouvant enfin un créateur entre les lignes, après avoir désespérément cherché l’espace directement derrière elles, les Diables se remettent à l’endroit. Un décalage de Lukaku pour Foket, qui dépose une parabole dans la course de KDB, finit même son aventure sur le poteau.

PLIER SANS ROMPRE

Parce que les pieds ne prennent jamais le dessus sur les jambes, la fin de rencontre se joue sur l’échiquier rouge. Un contrôle raté de Provod oublie de sanctionner une relance dramatique de Vertonghen, incarnation de vingt minutes finales bouclées par Denayer avec 36% de passes ratées. Le trio défensif se noie à la relance, Dendoncker plonge sans oxygène, et Tielemans n’a qu’un dribble à offrir pour faire respirer une Belgique qui boit la tasse dans l’indifférence de son maître-nageur citizen. Plus que de ceux qui donnent les passes, le problème des sorties de défense vient de ceux qui les reçoivent, et doivent servir de bouée une fois que le jeu émerge. Pour conserver la possession sous pression, la Belgique ne sait pas vivre sans Eden Hazard, surtout quand le cascadeur Carrasco n’est pas là pour jouer les doublures.

S’il y a encore une frappe du gauche signée De Bruyne et un contre mal négocié par le numéro 7 diabolique, le sprint final est très axé couleur locale. Une frappe au bout d’un corner repoussé fait trembler la barre d’un Courtois impuissant, qui place ensuite une dernière fois les gants sur la route de ses filets, puis voit Toby Alderweireld les préserver d’une tête imparable de Soucek.

La Belgique arrache un point du champ de bataille. Au coup de sifflet final, Krmencik est le seul titulaire à facturer plus de 90% de passes réussies, dans un match bouclé à 39 duels aériens disputés, surtout dus aux 19% de passes longues tchèques. Face aux écrans, la frayeur d’une longue averse de printemps vécue en solitaire douche déjà les rêves d’été fraternel et ensoleillé. Craintes justifiées ou doutes prématurés? La réponse commencera à s’écrire en juin. D’ici là, il reste à se rappeler que personne n’a jamais coté une feuille de brouillon.

Par Guillaume Gautier

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