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Rencontre avec Junya Ito: « J’ai longtemps cru que je n’y arriverais pas « 

Junya Ito est l’un des rares survivants de l’équipe championne de Genk. De quoi lui donner des envies d’ailleurs. Mais d’abord, un nouveau titre?  » Calme, on n’a joué que la moitié des matches. « 

Les vacances seront hyper courtes! Cinq jours en tout et pour tout pour les joueurs de Genk, qui reprendront le championnat encore plus tôt que les autres, dès le 6 janvier à Eupen. Un rythme de sept rencontres en un mois, à une période où les joueurs rechargent habituellement les batteries, en famille puis en stage. Mais cette année, tout est complètement différent.

 » Ça va être un peu dingue « , confirme Junya Ito. Mais ne comptez pas sur lui pour se plaindre.  » Donne-moi deux matches chaque semaine, ça me convient. Je préfère jouer que m’entraîner « , dit-il. Avant de rigoler un bon coup. Comme il va le faire souvent pendant cette entrevue. À côté de ça, il réfléchit un moment avant de formuler chacune de ses réponses. De toute façon, il a le temps, car personne ne l’attend à la maison. Est-ce le cas au Japon? Il préfère éviter le sujet. Un conseil de ses sponsors et des personnes qui gèrent ses réseaux sociaux. Parce qu’il suffirait qu’on lui prête une petite copine pour que son nombre de followers dégringole. On n’en saura donc pas plus. De toute façon, il n’aurait pas le temps de rentrer au pays, Covid oblige.  » Le club n’accepte quand même pas que ses étrangers rentrent chez eux.  » Ito est retourné en mars dernier, est revenu en été et il devra probablement attendre mars 2021 pour revoir ses terres, à l’occasion des débuts de la sélection japonaise en éliminatoires de la Coupe du monde.

J’ai dû attendre d’être à l’université pour être repéré par des scouts. »

Junya Ito

Obligé de quitter le Japon

Pour lui, tout a commencé à Yokosuka, au centre du pays, il y a une vingtaine d’années. Sa mère bossait dans un supermarché. À un rythme typiquement japonais, style dispo 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Son père était fonctionnaire. Des sportifs. La maman pratique toujours le softball, une sorte de baseball, tandis que le paternel jouait au foot.

Le sprinteur de Genk n’a pas beaucoup de souvenirs du Mondial qui s’est déroulé dans son pays, en 2002: il n’avait que neuf ans. Le héros de son enfance? David Beckham. Il a commencé le foot à l’école primaire, avant de poursuivre en secondaire. Mais sans aucune chance d’être repéré par l’un ou l’autre recruteur, tellement son équipe était faible et n’attirait pas les scouts. Une fois à l’université, il consacrait la moitié de son temps au sport. Il a choisi la branche sciences humaines, avec certains cours dirigés vers le sport.

Il dit tenir sa vitesse de son père.  » On s’entraînait à la course à l’école secondaire, c’est devenu un atout. J’ai eu mon père comme entraîneur, il était assez dur. Mais ça a changé, il est entre-temps devenu mon plus grand fan.  » Il a fallu qu’il arrive à l’université pour que son talent soit enfin repéré, alors qu’il affichait déjà 21 ans. Et il a alors fait ses débuts dans le foot pro.  » Des scouts m’ont vu quand j’étais à l’unif’. C’est ainsi que je me suis retrouvé chez les pros et en équipe nationale. Ça faisait longtemps que je rêvais de devenir footballeur. Mais j’ai longtemps cru que je n’y arriverais jamais.  »

Cinq ans plus tard, il a dû faire un nouveau choix. On était en fin d’année 2018. Il figurait déjà dans le noyau de l’équipe nationale, et son club, Kashiwa Reysol, basculait en D2.  » J’avais déjà reçu plusieurs offres de l’étranger, mais le timing n’était jamais bon. Genk s’est présenté au bon moment. Un footballeur japonais n’est pas obligé de s’expatrier, on peut aussi s’épanouir en J-League, mais je voyais que presque tous les internationaux étaient ailleurs. Ça a joué dans ma réflexion. J’ai pensé que si je ne partais pas, je ne serais pas titulaire en sélection. Ça m’a poussé à venir en Belgique.  »

Faux positif?

Il n’a pas fallu bien longtemps à Ito pour exploser chez nous. Il a réussi son intégration à la vitesse grand V. On a directement admiré ses armes: sa vitesse et son art de surprendre les défenses. Il s’est révélé être un pion important dans la course au titre.  » Je suis incapable de dire pourquoi ça a si bien marché, si vite. J’ai trouvé l’adaptation facile, aussi parce qu’on m’a permis de continuer à jouer mon jeu. Je jouais toujours comme je le faisais au Japon. Je recevais plein de ballons de Leandro Trossard et Ruslan Malinovskyi. Et Philippe Clement me demandait les mêmes choses que mon entraîneur en J-League: dribbler, exploiter ma vitesse, puis passer à un coéquipier.  »

Junya Ito:
Junya Ito: « Si on arrive à continuer sur la même lancée, on peut aller loin. »© BELGAIMAGE

Le Racing a engagé quelqu’un pour l’accompagner, ce qui a également facilité les choses. Il avait une personne de référence en continu, notamment pour la traduction. Entre-temps, cette personne est moins présente, pour être là uniquement les jours de match. Le reste du temps, il tire son plan en utilisant un anglais basique.  » Je ne suis pas capable de tenir de vraies conversations, mais j’arrive à me faire comprendre. Je me dis parfois que je devrais étudier pour être meilleur en anglais, j’essaie, mais quand je m’y mets, je m’endors. Et le repos, c’est important pour un joueur, non? …  »

Junya Ito est un vrai casanier.  » Je connais à peine la ville de Genk. Je vais à l’entraînement, puis je rentre chez moi. C’est ça, ma vie. Avant le Covid, il m’arrivait d’aller voir des amis à Bruges, à Gand, à Anvers. Mais pas dans des endroits touristiques. Je ne cherche pas l’agitation des grandes villes. Je préfère le calme.  »

Il fréquentait d’autres Japonais du championnat, comme Koji Miyoshi de l’Antwerp et Tatsuya Ito de Saint-Trond. Mais plus maintenant puisqu’ils ne font pas partie de sa bulle.  » On est toujours en contact, mais on ne se voit plus en vrai. Je trouverais terrible de contaminer d’autres personnes. Tout comme je trouve terrible que notre match contre Eupen ait été décalé à cause du virus. Il faut s’y faire. Je ne peux plus aller au restaurant, alors on a trouvé une solution avec un chef qui nous prépare des plats.  »

Il est tellement prudent qu’il trouve bizarre d’avoir subi un test positif.  » Je n’avais aucun symptôme. Je ne toussais pas, j’avais encore l’odorat et le goût.  » À ce moment-là, il s’entraînait seul, quand les autres joueurs n’étaient plus au club. Un deuxième test s’est révélé négatif. Peut-être Ito n’était-il en fait qu’un faux positif? C’est aussi arrivé à des joueurs de Bruges au même moment…

Samatta ou Onuachu?

Après le titre, Ito a vu l’équipe se désintégrer.  » Presque tous les joueurs les plus importants sont partis et ça a été dur pour moi.  » La direction a transformé son prêt en transfert définitif, jusqu’en 2023. Lui-même était partant pour cette solution.  » Il n’y avait pas si longtemps que j’étais arrivé, j’estimais que c’était trop tôt pour déjà m’en aller.  »

Aujourd’hui, pour sa troisième saison dans le Limbourg, la deuxième complète, Genk fait de nouveau penser à une équipe qui peut arracher le titre. C’est très fort sur le plan physique et le club possède des joueurs offensifs qui font la différence.  » Ça se passe de mieux en mieux avec Theo Bongonda et Paul Onuachu. On s’amuse à nouveau sur le terrain.  »

Les gens ont l’impression que tout va bien et on marque beaucoup de buts, mais on n’a encore joué que la moitié des matches.

Junya Ito

Cette équipe est-elle aussi forte que celle d’il y a deux ans?  » C’est une question difficile. Il y a deux ans, on avait le sentiment d’être imbattables. L’équipe était très bien équilibrée et les résultats suivaient. Aujourd’hui, c’est bon, mais j’ai l’impression que ça pourrait être encore meilleur. On a déjà utilisé plusieurs systèmes et on se rapproche progressivement du niveau qu’on avait l’année du titre. La défense est solide, on encaisse peu. Avec notre ligne à cinq, on est beaucoup plus dangereux en contre-attaque, et les trois joueurs qui sont devant ont davantage d’espaces, de liberté.  »

On a parfois l’impression que Paul Onuachu marque encore plus facilement qu’ Aly Samatta.  » Là, je serais moins catégorique. Ce sont deux joueurs différents. Samatta cherchait plus les espaces et il en créait pour d’autres joueurs. Onuachu est surtout un finisseur.  »

La tristesse des stades vides

Avec Bongonda, sa collaboration se passe très bien. Le Japonais commence systématiquement les matches sur le flanc droit, et Bongonda à gauche, mais il ne leur faut pas longtemps pour permuter.  » C’est une question de feeling, ça se fait naturellement. On doit toujours appliquer certaines consignes, mais on a quand même pas mal de liberté. J’ai toujours été habitué à jouer à droite, mais Bongonda est bon aussi de ce côté-là, donc on alterne à certains moments. Notre système de jeu nous permet de le faire. Dans un 4-4-2, je préfère rester à droite, mais quand on joue en 5-2-2-1, peu m’importe. Je peux alors jouer comme numéro 10 ou du côté gauche. Dans ce système-là, je ne suis pas un vrai ailier.  »

Les supporters de Genk sont hyper enthousiastes depuis l’arrivée de John van den Brom. Ito nuance quand même l’euphorie.  » Les gens ont l’impression que tout va bien et on marque beaucoup de buts, mais on n’a encore joué que la moitié des matches. Maintenant, si on arrive à continuer sur la même lancée, on peut aller loin. On verra si notre production offensive peut être un argument déterminant.  »

Et à propos de buts, il tient à faire cette mise au point.  » On nous reproche de fêter nos buts, mais pour moi, il n’y a aucun problème. On nous teste deux fois par semaine. C’est déjà tellement difficile de jouer dans les conditions actuelles. Sans public, ce n’est pas drôle. Alors, si on nous empêche de féliciter le coéquipier qui a marqué, ça ne ressemblera plus à rien. Ce serait si triste.  »

Au niveau du calendrier en tout cas, l’année 2021 promet de ne pas être triste. Ça va commencer dès janvier, avec une grosse accumulation de rencontres.  » Normalement, je devrai souvent retourner en Asie parce que beaucoup de matches de 2020 ont été reportés. Ça sera difficile et épuisant. Mais je préfère jouer.  » Et le but est clairement de se mettre encore plus en valeur. Pour viser encore plus haut.  » Je ne dis pas que je voudrais aller dans tel ou tel championnat, mais j’ai l’ambition de jouer à un plus haut niveau. L’année 2021 peut être importante dans cette optique. On verra.  »

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