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Rencontre avec Condom et San José: « C’est difficile de faire venir un joueur à Eupen »

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

De retour dans les Cantons de l’Est, l’ancien coach des Pandas Jordi Condom est désormais associé à son compatriote Beñat San José. Ensemble, les deux Espagnols esquissent l’avenir sportif d’un club contraint de se réinventer.

Les trombes d’eau déversées par les nuages menaçants, installés depuis de longues minutes au-dessus du ciel d’Eupen, ne semblent plus les surprendre. Même cette sensation de passer sous une cascade sans porter la tenue adéquate n’altère pas la bonne humeur du duo, qui profite ensuite d’un rayon de soleil pour prendre la pose sur la pelouse du Kehrweg. Habitués au climat parfois surprenant de la plus petite ville de l’élite, les Espagnols affichent les rires complices de ceux qui ont appris à se connaître.

Leur première rencontre n’a pourtant eu lieu que neuf mois plus tôt, quand le stage de l’Alliance au Qatar a permis à Beñat San José de faire la connaissance de Jordi Condom, l’homme qui avait ramené Eupen en D1 et officiait alors à Al-Arabi. La première conversation a accouché d’une belle collaboration, puisque Condom est revenu dans les Cantons de l’Est pour enfiler le costume de directeur technique, et construire en compagnie de son compatriote la KAS du futur, désormais orpheline des académies Aspire Football Dreams et du grand projet de post-formation qui en découlait. Récit de six mois de collaboration sportive, en passant par les méandres de la découverte du championnat belge ou l’amour du football de toque.

Comme presque chaque saison, Eupen a souffert pour obtenir son maintien. Quels sont les points d’amélioration que vous avez identifiés pour vivre une saison plus tranquille ?

BEÑAT SAN JOSÉ : On a beaucoup souffert au début de la saison, parce que beaucoup de nos joueurs ont dû s’adapter au football belge, et moi j’ai dû le faire aussi, en tant qu’entraîneur. Mais l’équipe a bien grandi, et on a terminé de manière positive. Si on avait joué la dernière journée et pris les trois points, on aurait battu le record de points du club en D1. Maintenant, c’est clair qu’il y avait des améliorations qu’il était nécessaire d’apporter à l’équipe. Les ailiers, d’abord. C’est un profil qui nous manquait la saison passée. Jordi était d’accord avec moi. On aime tous les deux le football qui se joue avec des ailiers.

Et c’est une position très importante dans le championnat belge. Les ailiers y font souvent la différence.

SAN JOSÉ : Exactement. C’est pour ça qu’on a dans l’idée de jouer avec plus de profils offensifs dans l’équipe, pour donner de l’amplitude et de la profondeur à notre jeu. L’année passée, on manquait de cette capacité à arriver jusqu’à la ligne de fond.

 » Il a fallu attirer les deux ou trois premiers, pour que les autres arrivent plus facilement  »

Comment est-ce qu’on procède, dans ce cas-là ? L’entraîneur établit des profils et le directeur sportif donne des noms ?

JORDI CONDOM : J’étais très en phase avec la philosophie de jeu que voulait installer Beñat, et puis nous avons commencé à réfléchir par position, en se demandant ce qu’on cherchait chez les joueurs à tel endroit du terrain, en fonction du jeu qu’on voulait mettre en place. Ensuite, on a fait une liste de noms. En les numérotant d’un à quatre, en fonction de notre intérêt.

Et vous êtes souvent arrivés à attirer le numéro un ?

CONDOM : Nous avons pas mal de ces joueurs dans notre noyau aujourd’hui, oui. Mais à côté de ça, il y a aussi pas mal de joueurs que nous n’avons pas pu engager. Parce que je vais être honnête avec vous : pour Eupen, c’est parfois difficile de transférer un joueur.

Un petit club, peu de monde dans les tribunes, une ville éloignée de tout… Tout ça, ça vous a compliqué la tâche pour attirer les joueurs ?

EN CHOEUR : Oui !

CONDOM : Il a fallu attirer les deux ou trois premiers, pour que les autres arrivent plus facilement. Pour les premiers, on a dû beaucoup insister. Heureusement, on est des gens très têtus (il rit). On a passé de très longues heures à parler avec les joueurs. D’abord moi, puis Beñat, qui expliquait à chaque joueur l’idée de jeu que nous avions.

SAN JOSÉ : L’important, c’était de multiplier les conversations, pour augmenter la foi des joueurs en notre projet. Il fallait leur montrer que le club évoluait.

CONDOM : Le Qatar est toujours derrière Eupen, et les installations du club se sont fortement améliorées au fil des ans. Mais ça, il faut en convaincre les joueurs qui constituent notre marché. Ce qu’on vise, ce sont des gars qui ont déjà dépassé le prime-time de leur carrière, ou des jeunes qui manquent de temps de jeu dans un plus grand club. Et puis, il y a des joueurs comme Stef Peeters. Imagine comme ça a été long de convaincre un tel joueur.

Ça rigole en espagnol au Kehrweg !
Ça rigole en espagnol au Kehrweg !© belgaimage-VIRGINIE Lefour

 » La sécurité absolue n’existe pas  »

Mais c’était peut-être le profil belge le plus semblable à ce qu’apportait Luis Garcia, qui a beaucoup manqué à Eupen l’an dernier.

SAN JOSÉ : C’est un joueur que j’ai beaucoup aimé, dès la première fois que je l’ai vu. Je me souviens qu’à ce moment-là, il jouait plutôt comme numéro 6, et je le voyais plutôt comme un 8 ou un 10 créatif, qui prend le contrôle du jeu, du tempo du match.

Et il connaissait le championnat belge. C’était un critère important, dans votre recrutement ?

CONDOM : Quand j’étais coach, il y avait très peu de joueurs belges à Eupen. On devait toujours en avoir six sur la feuille de match pour respecter les règles, mais ce n’étaient pas des joueurs-clés pour l’équipe. Cette fois, on a commencé à en parler avec Beñat à partir du mois d’avril. C’était important de savoir quels joueurs du championnat belge pourraient nous apporter un plus. On a mis des noms sur la table, on les a étudiés dans les moindres détails pour voir s’ils pourraient nous convenir.

À quel moment se sent-on sûr qu’un profil conviendra ?

CONDOM : La sécurité absolue n’existe pas, mais avec les plateformes de scouting qui existent aujourd’hui, on peut visualiser tout ce qu’on veut. Ensuite, il faut aussi savoir quel genre d’être humain est le joueur. Dans le monde globalisé actuel, on tombe toujours facilement sur un joueur qui a partagé un vestiaire avec lui, un coach qui l’a entraîné, etc. Et puis, avant la signature du contrat, c’est important que Beñat ait un entretien personnel avec le joueur.

SAN JOSÉ : Le grand mérite qu’a eu Jordi, c’est que le club n’est pas du tout structuré en termes de scouting. Normalement, les clubs de D1 ont une structure de scouts qui existe depuis des années. Vu le lien avec les jeunes d’Aspire et les Qataris, c’était normal que le club n’ait pas besoin d’une meilleure structure, mais cette année, le changement de projet a impliqué de créer une forme de recrutement la plus efficace possible en un temps record. Ce n’est pas comme si on avait pu compter sur des recruteurs qui avaient vu cinq matches de chaque joueur qu’on suivait.

Il y a un nombre de matches à voir pour être convaincu qu’un joueur est le bon ?

CONDOM : Le plus difficile à convaincre, c’était Beñat. Je lui disais : Beñat, on va sur ce joueur-là. Et il me répondait : Jordi, je vais regarder trois matches de plus. S’il a joué à un autre poste avec sa sélection, il fallait le voir à ce poste-là aussi. Le filtre, nous l’avons fait nous-mêmes. On a aussi pu compter sur notre staff, qui nous a énormément aidés. C’est un travail qui a commencé au mois d’avril.

SAN JOSÉ : Tout le monde a collaboré, même l’entraîneur des gardiens. Pour moi, ce sont eux qui sont le mieux placés pour évaluer un défenseur central. À ce poste, on est le protecteur le plus proche du gardien, donc ce dernier a forcément un avis. Après, combien de matches il faut voir… Ça peut être quatre, cinq ou dix. L’important, c’était de les voir dans les positions où on les imaginait, et dans des scénarios différents. Un point qui m’intéresse particulièrement, par exemple, c’est de voir comment ils se sont comportés quand ils étaient remplaçants, ou quand ils ont été remplacés. Quelle est leur réaction quand ils quittent le terrain ? Avec quelle attitude montent-ils au jeu ? Ce n’est pas seulement un scouting technique ou tactique, mais aussi une évaluation émotionnelle du joueur sur le terrain.

Jordi Condom et Beñat San José partagent une même vision du jeu:
Jordi Condom et Beñat San José partagent une même vision du jeu:  » On aime le football qui se joue avec des ailiers. « © belgaimage-VIRGINIE Lefour

 » Le championnat belge est compliqué  »

Sans oublier sa compatibilité avec le football belge.

CONDOM : Le championnat belge, par rapport à l’espagnol que l’on connaît très bien, est très différent. On a parfois cru que des joueurs de Liga pourraient avoir un bon rendement ici, mais ils n’ont pas réussi à s’adapter. C’est un championnat compliqué. Il y a beaucoup de vitesse, des joueurs très puissants, et le jeu se joue énormément sur les transitions.

Ces moments de transitions, ce sont les plus difficiles à entraîner ? Il faut apprendre à tourner le bouton mental entre la défense et l’attaque, le plus vite possible ?

SAN JOSÉ : Le plus difficile, ce n’est pas vraiment ce moment-là. C’est surtout le fait de voyager ensemble, avec le ballon, quand on attaque, pour que les distances entre les joueurs ne dépassent pas les dix mètres. Si le Barça de Guardiola avait tant d’impact sur les transitions, c’est parce qu’ils étaient compacts quand ils avaient la balle. Si tu parviens à soumettre l’adversaire avec ta possession, c’est parce que tes lignes de passes sont bien reliées et variées. Et par la suite, elles deviennent les lignes de pression. Pour moi, plus que le travail du pressing à la perte, le plus important est de parvenir à être une équipe unie avec le ballon. Il n’y a pas vraiment de structure tactique dans le pressing en transition. C’est celui qui perd la balle qui presse, puis son coéquipier le plus proche. C’est surtout une question mentale.

Souligner l’importance du ballon dans votre projet de jeu, ça a été un atout pour le recrutement ?

SAN JOSÉ : Je pense que si on n’avait pas insisté sur un tel projet de jeu, des joueurs comme Stef Peeters ou Adriano ne seraient pas ici. Pour moi, ça a été un facteur-clé pour faire venir de tels joueurs à Eupen.

CONDOM : Quand Beñat faisait ses entretiens avec les joueurs en vidéo-conférence, il était devant son tableau, et expliquait au joueur qu’il voulait le faire jouer à tel endroit, pour jouer de telle manière. À chaque joueur, on expliquait qu’on allait faire quelque chose de différent des habitudes d’Eupen. Faire une bonne équipe. Donc ils nous demandaient quels joueurs on allait faire venir.

Et là, ils devaient vous croire sur parole…

CONDOM : Oui, on ne pouvait pas leur dire. On était déjà en train de parler avec Adriano, avec Victor Vázquez (qui a entre-temps quitté le club pour raisons privées, ndlr), mais aussi d’autres qu’on aurait voulu et qui ont finalement dit non. On leur promettait des joueurs de qualité, mais eux voulaient des noms. Au bout du compte, après six mois de travail, des joueurs qui nous avaient dit non et se sont retrouvés dans une situation difficile nous ont recontactés, en nous demandant finalement s’il était encore possible de venir. Je pense que ça, c’est un bon résumé de cette demi-année de travail.

Beñat San José:
Beñat San José:  » Je pense que si on n’avait pas insisté sur un tel projet de jeu, des joueurs comme Stef Peeters ou Adriano ne seraient pas ici. « © belgaimage-VIRGINIE Lefour

 » Le climat a une influence claire sur le jeu  »

Vous avez tous les deux travaillé dans des pays aux cultures très différentes. Est-ce que le conditionnement géographique existe dans le football ?

JORDI CONDOM :C’est un débat, mais à mon sens, oui. À l’époque, dans les pays où le climat est meilleur, les enfants allaient beaucoup plus facilement jouer dans la rue. Et dans le secteur offensif, les joueurs qui font la différence sont souvent moins structurés. C’est un peu de l’anarchie, quelque chose qui vient de la rue. Si on regarde en Belgique, les joueurs qui font la différence offensivement viennent souvent d’autres pays, d’Afrique par exemple. Après, avec l’évolution des dernières années, l’expansion des terrains synthétiques, des centres de formation, tout s’uniformise de plus en plus. Mais quand tu jouais dans la rue, c’était contre un enfant plus grand que toi, un plus fort… Et là, tu dois t’imposer grâce à ton astuce, alors que dans une académie, on apprendra la même chose à tout le monde. Le talent offensif, on dit souvent que c’est inné, mais c’est souvent le résultat de nombreuses heures passées à s’acclimater au jeu de façon différente.

BEÑAT SAN JOSÉ :Il y a des pays qui produisent des joueurs  » de série « , qui sont plus disciplinés, mais n’ont pas autant d’autonomie dans la prise de décision pour résoudre une situation. D’autres pays sont plus anarchiques culturellement, et offrent donc des joueurs moins affûtés tactiquement, avec des entraînements moins structurés.

Et puis, le climat a une influence claire. Dans un pays où il pleut énormément et où le terrain n’est pas bien entretenu, ce sera difficile de pratiquer un style de jeu qui insiste sur le toque au sol. L’altitude et l’humidité peuvent aussi marquer le football. Dans des pays très chauds, le football sera moins vertical, beaucoup plus posé, avec plus d’importance de la technique et de la passe.

Les succès de Guardiola ont amené le jeu à l’espagnole à franchir les frontières ?

SAN JOSÉ :Sans aucun doute. Quand une idée de jeu se distingue énormément, émerveille les gens et gagne, cela transforme le football. Il faut les victoires au bout du chemin pour que ça se généralise. Ça a été le cas quand Herbert Chapman a disposé son Arsenal en W-M, dans les années 20, puis quand Arrigo Sacchi est arrivé avec son 4-4-2 en zone. Tout le monde a fini par les imiter. L’une des forces de Guardiola, c’est qu’après son passage au Barça, il a très bien choisi les équipes qui l’assuraient de gagner tout en installant son style. Et quand tu gagnes avec ce style, c’est très contagieux.

CONDOM : Quand tu as une idée qui fonctionne, dès le match suivant, tu sais que les autres seront prêts à l’imiter ou à l’affronter. C’est propre aux êtres humains, on est toujours dans l’adaptation. Et c’est ce qui permet que le football évolue, pour devenir toujours meilleur.

« Le football Belge est plus créatif cette saison  »

Par rapport à la saison dernière, est-ce que le championnat belge a évolué ?

BEÑAT SAN JOSÉ : J’ai l’impression que dans ce que proposent beaucoup d’équipes, il y a plus de créativité. Peut-être que je me trompe, que je dis une bêtise, mais je pense que la période de pandémie a joué un rôle. Nous, les entraîneurs, on a eu beaucoup de temps pour réfléchir et normalement, quand l’entraîneur a un temps de réflexion, il va presque toujours vers des options plus créatives et offensives. On verra si ça se poursuit, mais pour le moment, le football belge me semble plus créatif, avec des idées un peu plus offensives.

JORDI CONDOM : Quand je suis arrivé en D2 ici, on rencontrait toujours des équipes qui attendaient dans leur camp, des équipes de transition qui n’accordaient pas d’importance à la création. C’est une idée qui reste dominante, mais au fil des ans, on a vu des équipes comme Gand ou Genk qui jouaient très bien au football depuis l’arrière. Le championnat belge reste basé sur la puissance, la transition, mais il y a plus d’entraîneurs préparés à des idées de jeu différentes. Le jeu est beaucoup plus précis à l’heure de traiter le ballon, c’est

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