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Rencontre avec Arnaud Bodart: « Je reste un gars comme tout le monde »

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Arnaud Bodart ne semble jamais avoir les gants qui brûlent. La marque d’un homme qui sait aussi bien d’où il vient qu’où il va. Rencontre avec le gardien des portes de l’Enfer liégeois.

Auréolé de deux clean sheets consécutives, conquises face au Beerschot puis à Ostende, mais aussi d’un contrat qui le lie désormais à son club de toujours jusqu’en 2025, Arnaud Bodart passe à table avec un discours qui semble toujours prendre des gants. Les mots défilent à toute allure dans un phrasé plein de mesure, pour raconter la trajectoire d’un gardien qui ne semble jamais quitter son costume d’homme paisible malgré une vie passée dans un club connu pour ses tourments constants. Comme s’il avait appris que même les plus grosses tempêtes ne sont que passagères. Rencontre avec un dernier rempart aux antipodes du cliché des gardiens fous. Un méticuleux qui accepte de faire une exception dans sa concentration de chaque instant vers le futur pour jeter un oeil dans le rétroviseur.

On a la chance de jouer au foot, de bien gagner notre vie, mais avant d’être footballeur, on reste humain. »

Arnaud Bodart

Il y a deux ans, tu démarrais encore la préparation dans la peau d’une doublure. Aujourd’hui, tu approches des cent matches joués dans les buts du Standard. Tu sens que ton statut a changé?

ARNAUD BODART: Le principal changement, c’est que lors de ma première saison ici, il y avait encore dans le vestiaire des joueurs comme Poco ou Régi. Des leaders naturels, des gars d’expérience. Maintenant, le groupe a rajeuni. Un peu comme le football en général, d’ailleurs. Si on regarde la moyenne d’âge de chaque équipe, ça diminue un peu partout. Et à mes yeux, s’il y a une différence pour moi dans notre vestiaire, c’est plutôt à ce niveau-là.

Dans les patrons, il y avait aussi Jean-François Gillet, qui est maintenant devenu ton coach. C’est précieux de le conserver à tes côtés?

BODART: J’ai eu la chance d’avoir été troisième gardien derrière lui et Guillermo Ochoa. C’était le scénario parfait. On dit toujours qu’il ne faut pas brûler les étapes et celle-là était très précieuse avant d’atteindre le Graal, qui était le poste de titulaire. J’avais Jean-François qui avait fait une grosse carrière en Italie en jouant énormément de matches, et Memo qui a marqué les esprits grâce à ses prestations en Coupe du monde, dans des grands championnats…

Avec un style de jeu complètement différent du tien.

BODART:Memo, c’était vraiment un gardien de but pur. Un mec qui défend son goal. Sortir, ce n’était pas trop son truc, on va dire ( Il sourit). Mais il compensait par ses réflexes et son jeu sur sa ligne, qui étaient juste monstrueux. Pour ma part, je préfère aider l’équipe sur d’autres aspects, essayer d’être plus complet.

Tu dois donc vivre avec la frustration d’être jugé sur tes arrêts, alors qu’une partie de ton travail consiste quand même à éviter de devoir en faire…

BODART: Bien sûr. Il y a plein de choses qui permettent d’éviter de devoir faire un arrêt. Si je coupe une passe plus haut sur le terrain, par exemple, je me prive indirectement d’un face-à-face. Et c’est sûr que quand on lit les journaux, on voit que ce sont les arrêts qu’on fait qui servent de critère pour nous juger. Si on gagne 3-0 et que je ne touche pas un ballon, qu’est-ce qu’on me met comme note? Un 6? Pourtant, au final, le match est parfait. Mais au final, on n’accorde pas beaucoup d’importance à ça. Dans nos analyses, on essaie d’avoir une vue plus globale.

« J’ai senti directement tout le soutien du club »

Tu te sentais prêt au moment où Preud’homme choisit de te faire commencer la saison comme numéro 1 devant Milinkovic-Savic?

BODART: Dès la préparation, il était revenu… Pas très fit, on va dire. Il avait du mal et j’avais compris. J’avais senti l’occasion et pour ma part, ça s’est super bien passé. Je n’avais pris qu’un ou deux buts sur la préparation et j’étais censé jouer tout le match contre Nice, mais finalement, je suis sorti à la mi-temps et le coach m’avait félicité en sortant. Là, j’avais un peu compris, mais on attend toujours l’officialisation. Il faut voir l’équipe à la théorie pour le croire.

Le mercato n’est pas fini, tu n’es pas censé être numéro 1: tu ne flippes pas un peu de te retrouver avec un nouveau concurrent si tu passes à travers tes matches?

BODART: À partir du moment où j’avais géré mon premier match, on avait eu des discussions avec la direction. J’avais prolongé peu de temps après, ça voulait déjà dire qu’ils étaient contents. Pour moi, ça a été un boost supplémentaire parce que c’est clair que ne rien me dire ou mettre le doute aurait pu créer une part de stress. Ici, j’ai senti directement tout le soutien du club, et aussi celui du public. On sait à quel point c’est chaud ici à Liège, avoir les supporters derrière moi m’a permis de traverser ces premiers matches sereinement, alors que c’est le plus dur. Une fois lancé, j’étais parti.

Arnaud Bodart:
Arnaud Bodart: « J’ai toujours eu envie de progresser et d’aller vers le haut et pour ça, il faut aller chercher les détails qui font la différence. »© KOEN BAUTERS

Être gardien et avoir Michel Preud’homme comme entraîneur, c’est un boost?

BODART: Comme coach, c’est surtout quelqu’un qui est connu pour faire des résultats, pour avoir été champion partout où il est passé. Il avait des ambitions, je savais qu’il avait besoin d’une équipe solide derrière et que du coup, il misait plus sur l’expérience que sur les jeunes. À ce niveau-là, m’imposer était une difficulté supplémentaire.

Avec le recul, on dit au sein du club que tes prestations ont été un déclic pour le retour en grâce du centre de formation. C’est beau, non?

BODART: Ce qui est beau, c’est que je suis ici depuis très jeune. Je n’étais pas le premier à venir en équipe première parce qu’il y a eu Jérôme Déom et Dimitri Lavalée, qui sont deux amis à moi. On était à l’école ensemble, on a fait le même parcours, on se voyait tous les jours et on avait la même routine. Voir qu’ils réussissent aussi, c’est vraiment ça la belle histoire. Au début, on était presque les trois seuls jeunes à se retrouver ici avec les pros. Maintenant ça se développe, on voit qu’un travail est effectué derrière.

« Il faut des circonstances favorables pour recevoir sa chance »

À quel moment est-ce qu’être le gardien du Standard est vraiment devenu un objectif?

BODART: Ça s’est fait progressivement. Quand on est petit, on joue pour le plaisir. J’ai des super souvenirs de cette époque, du foot un peu insouciant: on partait en tournoi à droite ou à gauche, que ce soit à Paris ou en Bretagne. On jouait sur des petits terrains, il y avait des trophées à la clé, on logeait dans des familles d’accueil… C’étaient de bons moments. Une fois qu’on commence à avoir des entraînements le matin, ça devient autre chose. On n’est pas encore pro, mais on se rend compte qu’on entre dans la course. Et puis, il y a l’arrivée dans le vestiaire des pros. On s’en fait toujours une image, et puis on le découvre vraiment. Là, l’objectif commence à être concret. On ne le rêve plus, on le voit.

J’ai eu la chance d’avoir été troisième gardien derrière Gillet et Ochoa. C’était le scénario parfait.

Arnaud Bodart

Tu as attendu deux ans entre ton premier contrat pro et ton statut de titulaire. Pour un gardien, quand on n’est pas numéro 1, on joue très peu. Il faut savoir gérer son impatience…

BODART: On sait qu’il ne faut pas brûler les étapes, mais on sent surtout le temps qui passe et au fil des ans, ça devient plus compliqué. On est toujours rattrapé par le mental qui nous dit qu’il faudrait qu’on joue, et on est parfois perdu entre encore patienter un peu pour avoir sa chance ou essayer d’aller quelque part pour jouer. Le plus dur, c’est ça, parce qu’on a envie d’être sur le terrain.

Il y a toujours une part de chance aussi. Si Milinkovic-Savic arrive en forme…

BODART: ( Il coupe) On ne parle peut-être pas de moi. Ou pas à ce moment-là, ou ailleurs qu’ici. En tant que gardien, on sait qu’il faut des circonstances favorables pour recevoir sa chance un jour, mais je pense que dans la vie, les choses n’arrivent pas par hasard.

On dit aussi de toi que tu as toujours fait en sorte de mettre toutes les chances de ton côté.

BODART: Le foot, c’est ma vie. J’adore ce que je fais, et je me suis toujours dit que je devais être professionnel pour être performant. Personne sur terre ne détient la vérité. Moi, j’aime parler, échanger pour progresser, aller chercher à droite ou à gauche des gens qui peuvent t’apporter des choses… J’ai toujours eu envie de progresser et d’aller vers le haut et pour ça, il faut aller chercher les détails qui font la différence.

« Ça fait mal de ne pas être européen »

Avec ton statut et ton parcours, tu es maintenant un des garants de l’esprit Standard dans le vestiaire. Tu dois en parler avec les nouveaux?

BODART: Vous savez, ici, on comprend très vite les choses. On sait très vite comment le public est, comment le club est… On n’a pas besoin de leur dire quoi que ce soit à ce niveau-là.

L’an dernier, pourtant, le coach a pointé du doigt à plusieurs reprises certaines mentalités ou attitudes qui ne cadraient pas avec l’esprit Standard. Tu as ressenti ça, toi aussi?

BODART: Je retiens surtout qu’on a vécu une deuxième partie de saison très compliquée. Pour moi, à ce moment-là, le plus important était de faire mes matches. Dans les moments difficiles, on pense toujours un peu plus à soi-même.

Qu’est-ce qui ne marchait pas pendant ce deuxième tour?

BODART: C’est difficile à dire. Le mauvais côté du foot fait que quand ça ne va pas, ça parle beaucoup, et tout ça entraîne du négatif. Quand on n’arrive pas à en sortir, on se met souvent dans sa bulle. Là, on était un peu rentré dans un cercle vicieux: chacun pense plus à lui et on ne tire plus spécialement dans la même direction. C’était un peu le topo et la trêve a fait du bien. On a soufflé, on s’est recentré et on est reparti sur un cap commun.

Aujourd’hui, l’équipe est armée pour atteindre ses objectifs et retrouver la Coupe d’Europe la saison prochaine?

BODART: Cette saison, ma plus grosse frustration, c’est de ne pas avoir de Coupe d’Europe. Pour mes deux premières saisons comme titulaire, j’ai eu la chance d’aller jouer à Glasgow, au Benfica, à Arsenal… C’est juste magnifique et en tant que compétiteur, ça fait mal de ne pas être européen, donc on veut aller rechercher cette récompense.

Il y a peu de temps et avant les derniers transferts, le coach a pourtant déclaré après un match que l’équipe avait moins de qualités que la saison passée. Comment on vit sa communication dans le vestiaire?

BODART: Au début, il faut s’y faire. On se dit que normalement, un entraîneur doit défendre ses joueurs, donc ça nous saisit un peu. C’est un peu bizarre dans un premier temps, mais au final, on s’y fait. On sait que c’est dans sa personnalité.

Tu n’as jamais senti que ça déstabilisait quelqu’un?

BODART: Celui que ça déstabilise, il ne va pas oser le dire. De là à dire que ça n’a jamais déstabilisé personne, je ne l’affirmerais pas non plus. Certains sont plus forts mentalement, mais chacun a son type de personnalité et n’est pas réceptif aux choses de la même manière. Au final, c’est le domaine du coach, c’est lui qui parle devant la presse. Moi je vois les titres passer, mais un étranger comme Laifis, je ne pense pas qu’il lit les journaux liégeois. Un mec comme lui ne sera pas atteint, il ne va même pas le voir. Tout dépend de la personne.

« Pour un gardien, il n’y a pas de juste milieu »

Toi, tu sembles complètement hermétique à la pression.

BODART: On me l’a toujours appris, et ça fait partie du travail du gardien. Dans les moments difficiles, on se fait taper sur les doigts et il faut réagir puis dans les bons moments, on est porté aux nues. Pour un gardien, il n’y a pas de juste milieu. Je sais que plus je serai fort mentalement, plus je saurai me développer, et mon obsession est d’aller vers le haut. Depuis que je joue, j’ai remarqué que ce qui pouvait entacher la progression de certains joueurs, c’est tout ce qu’il y a autour. Avec les réseaux sociaux, on peut parfois lire des choses où on se fait attaquer, juger, insulter… Malheureusement, on doit faire avec ça, ne pas se laisser déstabiliser.

Les gens sont devenus très durs avec les joueurs?

BODART: On n’a pas le droit à l’erreur. Prends l’exemple de la réaction de Payet contre Nice. À un moment, l’excès de colère lui fait péter un câble, à juste titre ou non, mais les supporters ont fait pareil.

Sauf que contrairement à eux, Payet gagne beaucoup d’argent pour jouer au foot. On a l’impression que ce statut donne plein d’obligations aux joueurs.

BODART: On a la chance de jouer au foot, de bien gagner notre vie, mais avant d’être footballeur, on reste humain. J’ai la chance de faire ce métier, mais je reste un gars comme tout le monde. Je ne suis pas toujours d’accord avec certaines choses, mais j’essaie de faire abstraction parce que ça fait partie du travail. On doit faire notre taf et essayer de prendre un maximum de choses positivement. L’influence des réseaux sociaux ou les paroles des gens, je ne pourrai pas les changer tout seul.

Tu as du mal à vivre avec ça quand tu y accordes de l’attention?

BODART: Ce que je n’aime pas à l’heure actuelle dans la société, c’est que tout le monde se tire la tronche. J’ai l’impression que les gens sont de moins en moins souriants, alors que l’important c’est d’être positif. La gentillesse, l’humilité, ce sont les meilleures des choses. Ma devise, c’est que je suis comme tout le monde et que ce n’est pas parce que je joue au foot que je dois me voir différemment. J’espère qu’on me voit comme quelqu’un d’agréable, de souriant et de sympa, parce que ce sont des qualités qu’on retrouve trop peu dans le monde actuel pour moi.

On en revient à l’entourage, c’est important de ne pas avoir de gens trop « toxiques » autour de toi…

BODART: Dans ce milieu, la confiance est primordiale. Si on est ici, c’est qu’on sait tous jouer au foot, mais ce qui peut entacher les qualités d’un joueur, c’est la façon dont les choses sont gérées à l’extérieur.

Comment tu envisages ton futur?

BODART: Je me concentre sur le présent, parce qu’il faut vivre le foot au jour le jour. Si tu te projettes puis qu’on perd cinq matches d’affilée et que j’encaisse cinq fois, l’image qu’on aura de moi ne sera plus la même. Au final, ça peut sembler bateau, mais on se projette constamment sur le prochain match.

Malgré tout, tu as encore le temps de réaliser tout ce que tu as accompli depuis un peu plus de deux ans?

BODART: J’ai l’impression que mon premier match c’était hier, et au final ça fait déjà deux saisons. Tout passe super vite, même un match de foot. C’est pour ça qu’il faut pouvoir faire abstraction des choses, parfois. Ce qu’il s’est passé, on ne peut pas le changer. Il vaut mieux profiter un maximum et s’amuser parce que quand tout ça sera fini, je sais que je regretterai ces moments où j’étais sur le terrain.

Rencontre avec Arnaud Bodart:
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« Les penalties, ça reste une part de chance »

Tes stats sont impressionnantes sur penalty ces derniers mois. C’est quelque chose que tu prépares beaucoup?

ARNAUD BODART: On analyse tout, pour prendre en compte que ce l’adversaire pourrait faire, mais les penalties, c’est du 50-50. Là, je joue beaucoup à l’instinct.

Ton côté explosif, ça t’aide?

BODART: On dit que sur un penalty, il faut tout donner. Si elle est bien placée dans le coin et qu’on ne donne pas tout, c’est compliqué ( Il rit).

On dirait que tu n’oses pas trop en parler.

BODART: Je préfère ne pas trop en parler parce que pour le moment ça se passe bien, et j’aimerais que ça continue ( Il rit). Je ne suis pas superstitieux, mais un penalty, ça reste une loterie. Les ballons sont de plus en plus légers, ça flotte, les joueurs font ce qu’ils veulent dans leur course d’élan, nous on doit garder un pied sur la ligne… Ça diminue nos possibilités. Ça reste une part de chance avant tout.

C’est plus difficile de capter un ballon maintenant?

BODART: Bien sûr. Bien souvent, on ne prend pas le risque. Si on veut le caler, mais qu’il ressort un peu et que l’attaquant peut marquer, ça nous retombe dessus. Franchement, il faut être dans le goal pour le savoir. Si on prend les ballons Nike, ou ceux de l’Europa League qui sont des Molten… C’est une marque de volley à la base et je peux vous dire que ça flotte énormément.

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