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Qui est Victor Osimhen, le nouveau buteur des Zèbres?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

De la banlieue de Lagos aux pelouses belges, en passant par un voyage révélateur au Chili et un séjour en Allemagne, voyage sur les traces du nouveau buteur des Zèbres. Portrait.

Habitué aux prouesses hebdomadaires pour maintenir son équipe hors de la zone rouge, Davy Roef est désabusé. Plus d’une heure après les faits, il sert la version d’un témoin toujours sous le choc.  » Le ballon traînait, j’étais attentif « , raconte en substance le gardien aux quelques journalistes qui lui tendent un micro ou un carnet dans les couloirs du Freethiel.  » Mais je ne m’attendais pas à ça.  »

Ça, c’est un enchaînement qui finit au fond des filets. Un contrôle approximatif, suivi d’une talonnade surpuissante.  » Si ce but était marqué en Angleterre, il ferait le tour du monde « , glisse Felice Mazzù de l’autre côté de la porte, en conférence de presse. Dans le Pays de Waes, pourtant, le but de Victor Osimhen ne fait pas chavirer la foule.

Même en zone mixte, personne ne se rue sur le Nigérian, qui attend patiemment que Cristophe Diandy termine son récit d’une rencontre mouvementée pour délivrer ses premiers mots à la presse belge.

La nouvelle arme offensive des Zèbres, reléguée au second plan lors de son arrivée à cause du but précoce d’ Adama Niane et de l’aura médiatique de Massimo Bruno, raconte son admiration pour Didier Drogba, son intégration en douceur dans le vestiaire carolo et, surtout, la libération que constitue ce but.

Son premier chez les pros.  » Je l’attendais depuis deux ans.  » Une sécheresse inhabituelle pour un joueur qui semblait avoir inscrit le but à chaque ligne de son agenda.

LA DÉCHARGE DE L’AFRIQUE

Victor Osimhen se consacre entièrement au football dès ses quatorze ans, laissant l’école de côté pour saisir ce qui semble être sa meilleure chance de sortir la tête haute de la banlieue de Lagos. Dans la plus grande ville d’Afrique, la famille Osimhen se construit à l’ombre peu enviable de la décharge d’Olusosun, plus grand dépotoir à ciel ouvert du continent.

Là, il débarque jusqu’à 10.000 tonnes de déchets par jour. Au milieu de ces cent hectares où l’odeur pique des yeux déjà attristés par une vue loin d’être paradisiaque, la loi est faite par les bandes et l’ascenseur social est presque toujours hors-service.

 » Parfois, il n’y avait pas à manger « , se souvient Victor, cadet d’une famille de six enfants qui grandit accroché au dos de sa mère, qui arrondit ses fins de mois en vendant des sachets d’eau dans les embouteillages d’une capitale engorgée. Frappés par le décès de la mère et la perte d’emploi du père, les Osimhen rangent leurs rêves de grandeur au placard.

La traduction de leur nom (Osimhen signifie  » Dieu est bon « ) prend des airs de cruelle ironie. Le grand frère, Andrew, met entre parenthèses sa carrière de buteur local pour vendre des journaux dans les rues de Lagos. Avant de raccrocher les crampons, il a eu le temps de transmettre le virus du ballon rond à Victor.

Au fil de matches organisés à Lagos, le cadet des Osimhen finit par taper dans l’oeil de la fédération nigériane. En particulier, dans celui d’ Emmanuel Amunike. L’ancien attaquant du Barça, qui formait un duo redoutable avec Ronaldo au milieu des années nonante, est une véritable gloire nationale au Nigéria : buteur en finale de la CAN 1994, en huitièmes de finale de la World Cup américaine contre l’Italie ou encore en finale des Jeux olympiques de 1996, son nom est associé à quelques-unes des plus belles histoires du football africain. Le genre de mentor dont rêvent tous les attaquants.

Un duel plutôt musclé avec le Lokerenois Mickaël Tirpan.
Un duel plutôt musclé avec le Lokerenois Mickaël Tirpan.© BELGAIMAGE

L’ALLEMAGNE VIA LE CHILI

Meilleur buteur de la CAN des moins de 17 ans, organisée par le voisin nigérien au mois de février 2015, Victor Osimhen offre à son pays un billet pour le Chili, où se déroulera le Mondial U17 à la fin de l’année. Pendant que la Belgique de Dante Rigo s’invite dans le dernier carré, le Nigeria crée la sensation au pied de la Cordillère des Andes.

Buteur face aux États-Unis, pour l’entrée en lice des Golden Eaglets dans la compétition, Osimhen célèbre sa réalisation en se prosternant aux pieds d’Amunike, en signe de reconnaissance. Ce n’est que le premier but d’une longue série, conclue au soir de la finale avec dix roses au compteur.

Le record de neuf buts, détenu conjointement par le Français Florent Sinama-Pongolle et le Malien Souleymane Coulibaly, est tombé. Sacré Soulier d’or du tournoi, Victor doit se contenter du  » Ballon d’argent « , battu dans la course au titre de meilleur joueur par son coéquipier et capitaine, Kelechi Nwakali.

Deux ans après le sacre conquis aux Émirats Arabes Unis, le Nigeria prolonge son séjour sur le trône des moins de 17 ans. Et comme en 2013, ses joueurs majeurs attirent les convoitises. Finalistes victorieux à Abu Dhabi, Kelechi Iheanacho et Taiwo Awoniyi entrent rapidement en contact avec des clubs de Premier League.

Le premier rejoint l’Académie de Manchester City, tandis que le second opte pour Liverpool. Deux ans plus tard, les écuries anglaises se bousculent également au portillon. Nwakali s’engage avec Arsenal – il enchaîne depuis les prêts, sans avoir disputé la moindre minute pour le compte des Gunners – mais Osimhen surprend tout le monde en optant pour Wolfsburg, malgré des contacts tout aussi avancés avec le club d’ Arsène Wenger.

DÉCHANTE AVEC LES LOUPS

Victor est séduit par le discours de Klaus Allofs, le directeur sportif des Loups, qui voit dans sa nouvelle recrue la réincarnation africaine d’ Edin Dzeko, dernier buteur à avoir permis au club choyé par Volkswagen de coiffer le Bayern dans la course au titre. Nommé entraîneur au bout de mois compliqués, Valérien Ismaël est également sous le charme. Il promet à Osimhen une intégration rapide au noyau de l’équipe fanion.

Aux yeux d’Emmanuel Amunike, sa réussite sur le vieux continent ne fait aucun doute :  » Pour réussir en Europe, tu as besoin d’une bonne éthique de travail, de technique, de force mentale et de concentration. Victor a tout ça. Il sera une vraie sensation en Allemagne, comme Iheanacho l’a été en Angleterre.  »

Pourtant, la sensation peine à décoller. La situation sportive de Wolfsburg n’aide pas. Victor gratte deux montées au jeu au bout de la saison 2016-2017, sur les flancs d’une attaque emmenée par Mario Gomez. L’année suivante, Martin Schmidt l’installe à deux reprises dans son onze de base, mais les 278 minutes grattées au fil de la saison ne suffisent pas à trouver le chemin des filets.

Felice Mazzù ne peut que s'incliner devant son buteur.
Felice Mazzù ne peut que s’incliner devant son buteur.© BELGAIMAGE

 » Quand tu es jeune, arriver dans une situation où ça ne gagne pas beaucoup, où ça n’est pas facile pour le club, ça complique tout évidemment « , analyse Nany Dimata, tombé dans la même galère qu’Osimhen, avec une saison bouclée à 897 minutes jouées, mais aucun but marqué. Les deux hommes tiennent le même raisonnement : ils ont besoin d’un nouveau cadre, pour accumuler les minutes et les buts.

L’ÉTÉ ZÉBRÉ

Didier Frenay, à la tête de l’agence Star Factory et bien introduit chez les Loups – au point de s’afficher, à l’occasion, avec la veste vert fluo du club dans les tribunes de Jupiler Pro League – s’occupe des portes de sortie. Dimata débarque rapidement à Anderlecht, alors que l’été de Victor Osimhen est plus compliqué.

De retour au pays pour le début de l’été, le Nigérian revient en Europe avec la malaria dans les bagages. Mis en quarantaine par Wolfsburg, il accumule un retard physique qui, selon la version racontée par son agent à L’Avenir, est à l’origine de ses tests physiques et médicaux ratés à Zulte Waregem et à Bruges. C’est alors que Charleroi, où Mehdi Bayat s’est affiché plusieurs fois en compagnie de Didier Frenay depuis l’hiver dernier, entre en piste.

Les Zèbres ont installé un chantier dans leur secteur offensif, et les délais de fin des travaux approchent à vive allure. Si Adama Niane débarque pour remplacer Kaveh Rezaei, il faut également pallier le départ de Chris Bédia, talentueux mais peu enclin à se fondre dans la dynamique collective faite d’engagement, de reconversion défensive et de pressing époumonant. Voilà la mission dévolue à Victor Osimhen.

VICTOR ET VICTOIRE

 » On a tout de suite senti qu’il y avait de la qualité « , rembobine Nicolas Penneteau, au moment de se rappeler des premiers ballons touchés par le Nigérian à l’entraînement. Le staff, lui, a très vite l’impression d’avoir un phénomène entre les mains. Malgré tout, les doutes planent dans le vestiaire. Penneteau les verbalise :  » Tout ce qui s’était dit à son sujet, au moment de son arrivée, ça ne concernait pas ses qualités footballistiques, mais surtout son aspect physique.  »

Lors des tests médicaux, les Carolos diagnostiquent un déséquilibre musculaire, et les premières séances d’Osimhen ont lieu en tête-à-tête avec le préparateur physique Philippe Simonin, dont les facilités en anglais permettent au Nigérian de s’intégrer en douceur dans un club qui avait pris l’habitude de vivre dans la langue de Molière.

Le vestiaire s’efforce de rassembler ses notions d’anglais pour mettre à l’aise un joueur au tempérament effacé, mais dont le talent saute immédiatement aux yeux. Victor, lui, ne change pas. Comme après son premier but à Beveren, il patiente poliment, assis sur une table, avant de répondre aux questions des journalistes suite à son doublé libérateur face à Zulte Waregem.

Les tapes amicales et les félicitations de ses coéquipiers, sortis de la douche, le sortent à peine de cet état qui semble mêler fatigue et voyage intérieur. Le regard est ailleurs. Peut-être s’est-il envolé jusqu’à Lagos.  » Tout ce que je fais, je le fais pour ma famille « , confie le buteur nigérian.  » Beaucoup de gens, au pays, pensaient que rien de bon ne sortirait jamais de notre famille.  » L’honneur des Osimhen est sauf. Et l’histoire de l’enfant d’Olusosun n’en est certainement qu’à ses premiers chapitres.

Un soulier maudit ?

Briller avant sa majorité ne garantit pas toujours une longue et belle carrière. Un détour par le palmarès des meilleurs buteurs du Mondial des moins de 17 ans suffit à le rappeler.

Difficile, à l’heure actuelle, de porter un jugement définitif sur la carrière de Victor Osimhen. Une formule qui vaut aussi pour son successeur Rhian Brewster, vainqueur du Soulier d’or lors du Mondial 2017 organisé en Inde. Le jeune Anglais, membre de l’équipe espoirs de Liverpool, a marqué un but en Youth League mais attend toujours ses premières minutes chez les pros.

Les trajectoires de leurs prédécesseurs n’incitent pas à l’optimiste. Le Soulier d’or 2013, le Suédois Valmir Berisha, n’a jamais réussi à s’imposer à la Roma, qu’il avait rejointe après le tournoi, et évolue désormais en Norvège, à Aalesund. Souleymane Coulibaly, sacré en 2011, a échoué à Tottenham et est retourné jouer en Afrique après des tentatives infructueuses entre l’Écosse, l’Angleterre, le pays de Galles et l’Italie.

Borja Tomás et Macauley Chrisantus n’ont pas connu une percée plus fracassante, et laissent à Carlos Vela et Cesc Fabregas, meilleurs buteurs en 2005 et 2003, les rares lauriers de la réussite future de ces buteurs précoces. La carrière du Français Florent Sinama-Pongolle n’a jamais vraiment décollé, même si elle a atteint de plus hauts plafonds que celles de ses anonymes prédécesseurs, David Rodriguez-Fraile et Ishmael Addo.

On citera encore Daniel Allsopp (un match joué en Premier League avec Manchester City en 2000), Wilson Oruma (90 matches mais seulement sept buts sous les couleurs de l’OM) ou Adriano Gerlin parmi les vainqueurs  » confidentiels  » du trophée, depuis la première édition du Mondial U17 en 1991.

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