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Qui est Michel Claise, le juge d’instruction qui fait vaciller le foot belge?

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Michel Claise est un hyperactif, à la tête de plusieurs dossiers chauds qui font trembler le football noir-jaune-rouge. À la découverte du Shérif.

Les mises au frais de Christophe Henrotay et Patrick De Koster. Les perquisitions à Anderlecht (dossier du rachat par Marc Coucke), au Standard (dossier Henrotay) et à Mouscron (dossier Pini Zahavi & Co). Tout ça, c’est lui, c’est son oeuvre. Michel Claise, le juge d’instruction bruxellois qui s’est juré de donner un bon coup de balai dans notre football et de punir ses dérives. Un personnage. Un homme qui a déjà vécu un nombre incalculable de vies. Et fait trembler les plus grands capitaines d’industrie. Portrait.

« Je ne suis ni shérif, ni Don Quichotte. Je veux juste appliquer la loi. »

Michel Claise

De la boulangerie à la magistrature

Michel Claise a été élevé par ses grands-parents, qui faisaient tourner une boulangerie-pâtisserie à Anderlecht. Il a obtenu sa licence en droit à l’ULB, puis a débuté comme avocat dans le cabinet du père de Marc Uyttendaele. Pendant vingt ans, il a travaillé comme avocat avec une spécialisation dans les dossiers de droit commercial. En 1999, son épouse l’a inscrit – à son insu – à l’examen de la magistrature. Il l’a présenté, l’a réussi et a quitté le métier d’avocat. Il est devenu juge d’instruction financier à Bruxelles.

Panama Papers, Fortis, Kubla, Kazakhgate, Alain Hubert,…

Il a instruit des affaires retentissantes, les scandales financiers les plus médiatisés, les plus grands détournements de fonds. Il a fait incarcérer Luc Vansteenkiste, l’ancien patron de la Fédération des Entreprises de Belgique, dans le cadre d’une vente d’actions Fortis avec délit d’initié. Qu’importe pour Michel Claise si cet homme avait reçu le prix du Manager de l’Année, puis le titre de baron… Il a réservé le même sort à Serge Kubla dans l’affaire Duferco, qui a mis fin à la carrière politique de ce poids lourd. Il s’est attaqué à des géants du monde bancaire comme HSBC, UBS et la Belgolaise. Il a été entendu comme expert devant le Parlement européen dans le scandale des Panama Papers. Il a traité le Kazakhgate et l’affaire impliquant l’aventurier Alain Hubert (station polaire Princesse Elisabeth). Entre autres…

Monsieur 100 millions

Avec Shérif, c’est un autre surnom qu’on lui donne dans le milieu. 100 millions, c’est le montant approximatif qu’il ferait rentrer chaque année dans les caisses de l’État par son travail d’investigation. Son domaine, c’est  » la lutte contre la criminalité en col blanc.  » La fraude fiscale, les sociétés offshore, il combat tout ça. Il affirme que la fraude fiscale coûte à chaque citoyen européen près de 2.000 euros par an.  » En Belgique, c’est entre 25 et trente milliards par an qui s’en vont alors qu’on cherche à trouver quatre à cinq milliards pour boucler un budget (…) Cet argent devrait revenir aux citoyens et aller à la recherche scientifique, à la culture, à l’enseignement, au monde médical,…  » Mais ce surnom de Shérif, il ne l’aime pas trop.  » Je ne suis ni shérif, ni Don Quichotte. Je veux juste appliquer la loi.  » Ce qui le fait flipper dans son métier, ce sont  » les gens que je rencontre. Les policiers, les magistrats du parquet. Ce que j’aime, c’est la stratégie du jeu d’échecs, avec cette infinité de combinaisons.  »

Michel Claise :
Michel Claise : « N’a-t-on pas le devoir de combattre des lois imbéciles, des prises de décision politiques méchantes ? »© BELGAIMAGE

 » Une justice abandonnée  »

À la moindre occasion, quand il accorde une interview, le juge d’instruction fustige le manque de moyens accordés à l’appareil judiciaire. Au moment où il a reçu le Prix de la Citoyenneté de la Fondation P&V en 2016, il s’est épanché sur le sujet dans un long entretien :  » Le gouvernement ne veut débloquer aucun moyen financier. Nous sommes sur la corde raide. C’est comme une Porsche poursuivie par une petite 2 CV. Nous ne disposons pas des moyens nécessaires (…) Des milliers de dossiers dorment dans les placards de la justice, mais le parquet n’a pas les moyens d’investiguer. Ces dossiers sont enterrés à jamais. L’impunité est totale.  » Dans une autre accordée à La Dernière Heure, il fait ce constat :  » À défaut de refinancer la justice, je pense que nous connaîtrons des reculs démocratiques épouvantables.  » Et il constate que chaque année, le parquet doit classer sans suite près de 20.000 dossiers, faute de moyens financiers et humains pour les traiter.

Ennemi du monde politique

Invité en radio sur La Première, Michel Claise avait résumé sa pensée par rapport au milieu politique :  » Depuis que je pratique cette profession, je n’ai pas connu de gouvernement, qu’il soit de tendance majoritaire de gauche ou de droite, qui ait pris en main la connaissance de ces métastases qui démolissent nos sociétés démocratiques.  » Il n’a pas peur d’attaquer publiquement les gros bonnets. Par exemple Charles Michel, du temps où il était Premier ministre. Dans un entretien publié dans Le Soir en 2016, il plaçait sa banderille :  » Malgré des déclarations de principe, rien n’a été fait. Au contraire : alors que, sous la législature précédente, un secrétariat d’État à la lutte contre la fraude fiscale avait été mis en place avec succès, ce secrétariat a été démantelé sous le gouvernement de Charles Michel.  »

Autre politique dans son viseur : le ministre de la Justice Koen Geens. Michel Claise lui a reproché de vouloir supprimer les juges d’instruction, indépendants. Au profit des parquets, qui ne le sont pas tout à fait par rapport à l’exécutif.  » Je le surnomme parfois Erdogeens.  » Pas besoin d’explication.

Et puis il y a eu Theo Francken. Le jour où un journaliste de Paris Match lui demande si le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration lui donne des boutons, il répond franco :  » Plus que ça, encore ! Je ne peux pas admettre de vivre dans une société avec de pareils comportements politiques. Aujourd’hui, on commet des rafles… Et de voir que Francken est populaire même au sud du pays est insupportable. Cette peur de l’autre, de la différence, fait naître le racisme, bien plus que la peur d’une agression. Le gouvernement, et Francken en particulier, ne s’occupe ni des demandeurs d’asile ni des SDF, et j’en arrive à penser que les décisions qu’il prend le sont par conviction personnelle et non sous le coup d’un problème de crise économique. Cette exploitation de la peur de l’autre fait vendre sur le plan électoral. C’est monstrueux !  »

« Voir que Theo Francken est populaire même au sud du pays est insupportable. »

Michel Claise

Encore ceci à destination du monde politique :  » Les politiciens préfèrent se voiler la face en ce qui concerne la fraude fiscale de grande envergure parce que ça ne leur rapporte pas d’électeurs. Les grandes entreprises pensent également qu’elles subiront des dommages si nous accentuons la lutte contre la fraude fiscale. Elles font dès lors pression sur les partis politiques avec lesquels elles entretiennent de bonnes relations pour contrer cette lutte (…) J’ai dit aux députés : Réalisez-vous avec quelle facilité l’État belge se laisse attaquer et dévaliser par les fraudeurs ?  »

Michel Claise :
Michel Claise :  » Le fisc n’a aucune pitié pour les petits tricheurs, mais pour les énormes catastrophes fiscales, c’est circulez, y’a rien à voir. « © BELGAIMAGE

Avec les gens de la rue et les prisonniers

Les réfugiés, les SDF : deux catégories d’êtres humains qui intéressent beaucoup Michel Claise. Il est favorable à une aide sociale pour les demandeurs d’asile. Il affirme qu’en leur offrant cette aide, on ne ferait qu’appliquer la loi. Il a salué les initiatives de la Ville de Bruxelles pour accueillir les migrants, mais a condamné la dispersion du Parc Maximilien.  » Alors qu’à cet endroit, une aide, même illégale, pouvait être apportée aux demandeurs d’asile. Illégale ? Oui, et alors ? N’a-t-on pas le devoir de combattre des lois imbéciles, des prises de décision politiques méchantes ?  » Le juge s’est impliqué dans la coordination d’une plateforme d’aide aux réfugiés. Il milite également pour une modernisation des prisons et une amélioration des conditions de vie des détenus, constatant que sur ce point aussi, le manque de moyens financiers débloqués par le monde politique est le gros problème. Et ça le rend malade qu’on punisse sévèrement une personne qui a détroussé une vieille dame dans la rue, qu’on s’en prenne à la comptabilité des petits indépendants  » pendant que les fraudeurs qui dissimulent des millions dans les paradis fiscaux s’en sortent sans aucun problème. Les gens ordinaires sont contrôlés à mort pour chaque petite bêtise. Le fisc n’a aucune pitié pour les petits tricheurs, mais pour les énormes catastrophes fiscales, c’est circulez, y’a rien à voir (…) 90% des dossiers avec des soupçons de blanchiment n’arrivent jamais sur la table d’un juge d’instruction (…) On peut craindre que pour le monde politique, la criminalité financière ne soit pas un problème, mais un avantage. Certains disent qu’on ne doit pas importuner les fraudeurs parce qu’ils stimulent l’économie et qu’on en profite tous.  » Il lance un cri d’alarme :  » Il faut que les gens se réveillent et s’indignent, qu’ils se rendent compte des conséquences qu’a cette criminalité sur leur portefeuille, mais aussi sur le système démocratique.  »

Terrorisme et criminalité financière

Il a un avis bien tranché sur la lutte contre le terrorisme. Pour lui, ce fléau est directement lié aux mouvements financiers. Il estime qu’en pistant ces mouvements, on peut remonter aux commanditaires des attentats. Il rappelle qu’en 2004 déjà, l’Union Européenne avait été invitée à combattre le terrorisme en passant par la lutte contre la criminalité financière. Quand Koen Geens a nommé trois nouveaux juges antiterroristes, mais pas un seul juge financier, ça l’a fait bondir. Et il stigmatise une crise des vocations.  » Quand les nouveaux entrent dans la police, ils ont leur flingue. Ils ne rêvent pas forcément de dossiers financiers.  »

Il distingue le micro-financement du terrorisme :  » Quelques milliers d’euros qui suffisent à acheter des armes ou des explosifs et à commettre un attentat.  » Et le macro-financement :  » Par exemple, le pétrole qu’exporte Daesh pour se financer. À qui le vend-il ? Ce pétrole n’est pas vendu directement à des États ou des sociétés qui ont pignon sur rue, mais à des intermédiaires dissimulés derrière des sociétés offshore. Ne pourrait-on pas, par exemple, utiliser toutes les technologies modernes pour pister les camions qui transportent ce pétrole et remonter jusqu’aux acheteurs ? Le terrorisme est entré de plain-pied dans la criminalité financière.  » Pour Michel Claise, c’est clair, l’argent du terrorisme est inclus dans les quelque 3.000 milliards d’euros qui sont blanchis chaque année à travers le monde.

Auteur à succès

À côté de tous ces avis sans équivoque, ces déclarations chocs, l’intervention dans des dossiers hyper médiatisés, les mandats d’arrêt décernés à des gros bonnets et ses enquêtes récentes dans le monde du foot, c’est peut-être l’écriture qui contribue plus encore à sa réputation dans le grand public. Parce que Michel Claise est un écrivain, habitué des succès en librairie. Il a déjà sorti une dizaine de romans ! Dans un premier temps, il s’agissait surtout d’histoires se déroulant dans le Bruxelles de la Seconde Guerre mondiale et de l’après-Guerre, et de polars financiers. L’homme est capable de pondre une très longue histoire sur le blanchiment d’argent, la corruption ou les carrousels à la TVA…  » Mon éditrice s’en inquiétait, et pourtant, ce livre sur les carrousels a très bien marché. Il se trouve dans les rayonnages des bibliothèques universitaires.  » En 2019, il a sorti son dixième bouquin : Sans destination finale. Une plongée dans le monde de l’exclusion sociale. Le personnage principal est une jeune SDF. Pour trouver l’inspiration, il a d’abord longuement observé, à Bruxelles, ces gens privés de logement, parfois de nourriture. Il a été marqué par leur détresse.  » La rue, c’est comme un suicide raté « , a-t-il lâché dans Le Vif / L’Express au moment de la sortie en librairie.

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