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Que vaut le championnat belge?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

De plus en plus scrutée par les plus grands championnats, irrégulière en Coupe d’Europe, connue pour ses vieux stades et ses jeunes talents : que vaut vraiment la Jupiler Pro League ? Analyse.

Entre abréviations et calligraphie aussi soigneuse que minuscule, tout semble fait pour ne jamais atteindre le bout de la feuille. Chaque ligne est consacrée à l’un des vingt-deux acteurs présents sur la pelouse, et certaines se remplissent bien plus vite que d’autres. Finalement, l’une d’elles devient même trop étroite pour le talent de son héros. Les actions de Victor Osimhen ont visiblement tapé dans l’oeil de ce scout de Stuttgart, venu gratter quelques lignes dans son cahier aux feuilles quadrillées dans les tribunes du Mambour. Aucune chance, pourtant, pour le club allemand de rafler la mise quelques semaines plus tard, car nombreux sont les concurrents qui ont déjà placé leurs pions dans le dossier du buteur nigérian. Une saison en Belgique est déjà largement suffisante pour ne plus être un inconnu aux yeux des recruteurs des plus grosses écuries du continent.

C’est un championnat intermédiaire où on peut encore trouver de bons joueurs à des prix raisonnables, pas aussi chers que dans certains autres pays où les prix ont flambé.  » Felipe Miñambres, directeur sportif du Celta Vigo

Le championnat belge retrouve une cote intéressante, après plusieurs années de vaches maigres au début du millénaire, sauvées par l’apparition ponctuelle de talents comme Vincent Kompany. Le virage s’amorce sans doute à la fin des années 2000, quand le Standard aligne de concert les centimètres de Marouane Fellaini et l’élégance d’Axel Witsel. Les deux hommes franchissent les frontières et ne tardent pas à briller, tout comme Christian Benteke ou Kevin le feront quelques années plus tard, au départ du Limbourg, ou Romelu Lukaku depuis Bruxelles. Autant de réussites qui amènent les grands championnats européens à chercher de bonnes affaires sur le marché belge. Rares sont ceux qui quittent la Jupiler Pro League sans réussir leur grand saut vers des sphères plus élevées.

En quelques mois à Charleroi, Victor Osimhen s'est fait un nom dans toute l'Europe.
En quelques mois à Charleroi, Victor Osimhen s’est fait un nom dans toute l’Europe.© BELGAIMAGE

Emportée dans le sillage de ces Diables Rouges dont la réussite intrigue forcément, au point d’amener des scouts de Leeds à se documenter actuellement en profondeur sur les secrets de fabrication de talents belges, la compétition noire-jaune-rouge s’est confortablement installée dans le subtop continental, aux côtés des championnats portugais, russe, néerlandais, voire ukrainien et turc. Aujourd’hui, elle est peut-être même celle que les recruteurs examinent avec le plus de minutie, cherchant parfois dans les clubs de second rang une perle rare débauchée avant même d’avoir brillé avec l’un des clubs du G5 national. Osimhen, par exemple, a signé au LOSC sans prendre la peine de valider son passeport chez l’un des vaisseaux-mères de la flotte belge.

DE GAND AUX QUARTS

Les spécialistes du recrutement, contactés par nos soins et souvent restés anonymes – lot d’un job qui se joue souvent dans l’ombre -, racontent le réveil du football belge en deux étapes. La première a lieu au tournant des années 2010, quand commencent à se révéler sur nos terres certains des talents qui constitueront la fameuse génération dorée de l’équipe nationale. La suivante attend quelques années supplémentaires. Incapable de briller par-delà l’hiver continental depuis de longues saisons, à l’exception d’un quart de finale occasionnel en Europa League, le football belge frappe deux coups secs à la porte du continent. Le premier est asséné par les Gantois d’Hein Vanhaezebrouck, invités inattendus des huitièmes de finale de Ligue des Champions en 2016. Malgré un noyau avare en talents hors-normes, certains clubs espagnols et italiens soulignent notamment le nom de Sven Kums, qui aurait sans doute décollé pour Séville ou Naples s’il avait eu quelques années de moins sur la carte d’identité lors de l’historique campagne des Buffalos.

À un moindre niveau, les caractéristiques physiques du jeu belge le rapprochent un peu du football anglais.  » Nicolas Penneteau, gardien de Charleroi

Douze mois plus tard, les Belges s’installent à trois dans les seize derniers invités de l’Europa League, et sont encore deux en quarts de finale, faisant vaciller Manchester United et le Celta Vigo. Les Galiciens, qui éliminent Genk, tombent alors sous le charme de Leandro Trossard.  » On a tenté de le faire venir, mais il était déjà trop cher pour nous « , explique Felipe Miñambres, directeur sportif du Celta qui a mis la main sur un autre Racingman cet été en attirant Joseph Aidoo dans le nord-ouest de l’Espagne.  » On trouve certains profils intéressants pour les clubs espagnols dans le championnat belge Surtout des ailiers, qui sont très forts en un-contre-un, mais aussi des défenseurs centraux ou des milieux défensifs.  »

Grâce à ces prestations européennes, la Belgique a dopé son coefficient UEFA. Lors de la saison 2016-2017, malgré les sorties décevantes de Bruges en Ligue des Champions, les Belges concluent ainsi l’année en sixième position continentale, derrière les cinq grands championnats européens mais devant les Portugais, habituels invités dans le sillage du Big Five.

PLUS SERRÉ QU’AILLEURS

 » Je voulais savoir comment la Belgique était devenue le tremplin idéal vers les cinq grands championnats, au point de supplanter les Pays-Bas ces dernières saisons « , explique un Jess Thorup débarqué plein de curiosité dans le championnat belge. Chez nous, le Danois a découvert  » une compétition difficile, avec des duels serrés contrairement aux Pays-Bas où ce sont certaines équipes qui dominent tout.  »

La compétitivité du championnat belge est l’une des clés qui attire les regards des grands championnats. Rares sont les matches pliés facilement, par rapport à la réalité de nos voisins du nord. Aux Pays-Bas, 20% des matches se concluent avec trois buts d’écart, voire plus, selon des chiffres collectés en 2018 par le CIES. En Belgique, seules 15% des rencontres connaissent ce scénario. Une réalité confirmée par la différence de buts moyenne entre deux équipes belges en championnat, le vainqueur marquant généralement 1,24 but de plus que le vaincu. Aux Pays-Bas (1,46) ou au Portugal (1,55), le rapport de forces est bien plus disproportionné, et peut donc plus facilement amener des scouts à surévaluer des joueurs.

La densité du championnat belge se reflète également dans le classement des clubs européens par rapport à leur coefficient UEFA, qui reprend la moyenne de leurs performances sur les cinq dernières saisons. Si la Belgique ne place aucun de ses représentants dans le top 30 continental, où on trouve pourtant trois clubs portugais, deux ukrainiens, un néerlandais, un russe et un turc, elle est par contre le premier de ces pays du subtop européen à classer cinq équipes. Le Standard, cinquième représentant belge, pointe ainsi à la 74e place. C’est mieux que la 82e place du Spartak Moscou, cinquième équipe russe au classement. Quant aux Portugais, Hollandais, Ukrainiens et Turcs, ils ne classent pas plus de quatre représentants dans le top 100.

DES TALENTS AU DUEL

 » Le football belge me semble avoir deux caractéristiques marquantes « , expliquait Beñat San José, attablé sous le brûlant soleil d’Allemagne lors de la préparation estivale d’Eupen.  » Le talent individuel et les transitions offensives.  » Une analyse généralement partagée par les étrangers qui plongent dans le grand bain moussant de la Jupiler Pro League.  » À un moindre niveau, les caractéristiques physiques du jeu belge le rapprochent un peu du football anglais « , confirme Nicolas Penneteau au sujet des transitions et des duels qu’elles impliquent. Quant à la place accordée au talent individuel, c’est sans doute Marcus Ingvartsen, venu d’un football scandinave très structuré collectivement, qui en parle le mieux :  » Ici, chaque joueur est responsable de sa zone et de son adversaire direct. Tu joues ton propre match dans le match.  »

Le football belge me semble avoir deux caractéristiques marquantes : le talent individuel, et les transitions offensives.  » Beñat San José, coach Eupen

La Belgique propose un football de duels. Les chiffres rapportent que chaque équipe y joue en moyenne 67 duels défensifs par match, surpassant toutes les ligues concurrentes en la matière. Exception faite des Pays-Bas, le championnat belge est aussi celui où l’on dribble le plus, avec 26,8 tentatives par équipe et par rencontre. Autant de données qui facilitent la mise en évidence des qualités individuelles d’un joueur et donc la plus-value potentielle qu’il pourra apporter à un collectif bien rodé dans un championnat du top.  » Pour savoir ce qu’un jeune joueur a dans le ventre et dans les pieds, le championnat de Belgique est un thermomètre parfait « , raconte le directeur sportif d’un club actuellement engagé en Ligue des Champions.

Vincent Kompany, avec Andrés Mendoza, lors de sa première période anderlechtoise, avant qu'il ne fasse les beaux jours de Manchester City durant des années.
Vincent Kompany, avec Andrés Mendoza, lors de sa première période anderlechtoise, avant qu’il ne fasse les beaux jours de Manchester City durant des années.© BELGAIMAGE

 » Tu es toujours en duel avec un adversaire direct et quand tu l’élimines, tu as beaucoup d’espace devant toi d’un coup, et tu entends tout le stade qui frémit « , explique Sander Berge pour décrire ce biotope belge si particulier.  » En arrivant, j’ai dû apprendre les codes du football tel qu’on le joue en Belgique. Ici, on accorde beaucoup d’importance à la vitesse, à la contre-attaque et au football physique.  »

 » C’est vrai que c’est un football très physique, qui se rapproche plutôt du jeu anglais et aide donc les joueurs à s’adapter facilement à la Premier League, par exemple « , confirme Luis Rodriguez del Teso. Ancien scout pour l’Atlético Madrid, auquel il avait recommandé les signatures de Toby Alderweireld et Yannick Carrasco (et également évoqué les noms de Kevin De Bruyne et Dries Mertens, sans réussite), l’Espagnol est un habitué des tribunes belges et travaille aujourd’hui comme intermédiaire de joueurs ou comme consultant pour des clubs.  » Mais dans ce style de jeu peut-être plus britannique, on voit aussi une grande diversité de profils, qui font que le championnat peut aussi intéresser des clubs espagnols. Il y a des joueurs africains avec un jeu très vertical, très puissant. Des profils venus des Balkans, plus techniques ou accrocheurs, et des joueurs belges, parfois issus de l’immigration avec des qualités athlétiques impressionnantes. C’est une compétition métissée et ça la rend très intéressante pour un scout.  »

DU CRACK BON MARCHÉ

Si de nombreux clubs continuent à suivre la compétition belge de très près, c’est aussi parce que les prix n’ont pas encore décollé dans des eaux aussi millionnaires que pour les plus grands talents des championnats portugais ou néerlandais, capables de réclamer – et d’obtenir – plus de cinquante millions pour leurs meilleurs joueurs, là où les clubs belges n’ont jamais atteint la barre des trente.

 » C’est un championnat intermédiaire où on peut encore trouver de bons joueurs à des prix raisonnables, pas aussi chers que dans certains autres pays où les prix ont flambé « , confirme Miñambres. Luis Rodriguez del Teso nuance :  » C’est vrai que le rapport qualité/prix est souvent intéressant, mais les plus grands talents du championnat sont quand même de plus en plus chers. Ils sont aujourd’hui hors de portée pour la plupart des clubs espagnols. Hors du top 5 de la Liga, c’est pour ainsi dire impossible d’acheter les meilleurs joueurs du championnat belge.  »

La flambée des prix, toujours progressive mais de plus en plus marquée, est l’une des autres explications du départ quasi généralisé des talents les plus prometteurs de Pro League vers l’Angleterre. Du style de jeu du championnat au portefeuille des candidats, en passant par le côté polyglotte que développent forcément les joueurs qui passent par le championnat belge, tout semble pousser les stars du championnat de l’autre côté de la Manche. De quoi faire sourire les comptes des clubs belges, appelés à devenir l’un des fournisseurs majeurs du championnat le plus riche du monde.

Luis Rodriguez del Teso
Luis Rodriguez del Teso© BELGAIMAGE

La force du scouting

Si la Belgique a renforcé sa position sur la carte du football européen, c’est aussi grâce à la faculté de certains clubs à taper dans le mille dans leur recrutement. Luis Rodriguez del Teso, grand connaisseur du marché, passe en revue les qualités du scouting des clubs belges.

 » En général, la Belgique travaille plutôt bien dans le secteur. Il y a quelques années, Anderlecht était brillant en Amérique du Sud, notamment avec sa colonie de joueurs argentins où il y avait eu peu d’erreurs de casting. Par après, c’est Bruges qui s’est imposé dans le secteur, avec les arrivées de joueurs comme José Izquierdo ou Carlos Bacca.

Mais le plus impressionnant, dans le domaine, c’est le travail de Genk. Leur recrutement montre vraiment une grande maîtrise du marché européen. Que ce soit au nord ou à l’est du continent, ils parviennent à très bien identifier les talents qu’on peut trouver dans les ligues inférieures au championnat belge. Ils ont trouvé Ruslan Malinovskyi en Ukraine, Sander Berge en Norvège, et même des joueurs comme Wilfred Ndidi ou Joseph Paintsil directement en Afrique grâce à leur bonne connaissance du marché africain. Ils sont vraiment devenus une référence en matière de scouting et de recrutement.  »

La question des stades

Par rapport à la concurrence au sein du subtop européen, la Belgique et sa compétition souffrent d’un déficit d’image à cause de l’absence de modernité des infrastructures. Avec une moyenne de spectateurs évaluée à 11.551 lors d’une étude réalisée en 2018 par le CIES, le pays vogue certes dans les eaux du Portugal, de la Russie ou de l’Écosse, mais reste à distance de son voisin néerlandais et de ses 19.154 spectateurs de moyenne.

Pour combler cet écart, la Belgique doit espérer que ses clubs majeurs avancent rapidement dans le dossier de la rénovation ou de la construction de leur enceinte. Les Pays-Bas sont, par exemple, largement poussés par les chiffres de l’Ajax, qui rassemble 50.000 spectateurs dans sa Johan Cruijff Arena. Même chose au Portugal, où les spectateurs de l’Estadio da Luz, au Benfica, représentent à eux seuls 25% de l’affluence totale dans les stades de l’élite lusitanienne.

 » Pour devenir vraiment le championnat numéro un derrière le Big Five européen, la Belgique doit faire un effort au niveau des stades « , explique un dirigeant d’un adversaire récent en Coupe d’Europe.  » Quand vous arrivez dans un stade qui sent la poussière, ça ne reflète pas le dynamisme que vit le football belge sur le terrain.  »

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