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Que valent vraiment les pépites d’Anderlecht

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

La génération dorée de Neerpede allait faire déborder la caisse mauve, qu’on disait. Entre-temps, c’est moins sûr. À moins que ce soit le moment pour un club étranger de faire une affaire en or?

On allait voir ce qu’on allait voir. On était en août 2019 et le process allait être extraordinaire, un moment-clé dans l’histoire du championnat de Belgique. Si on se replonge dans les compos de l’époque, on voit tous les mêmes jeunes noms qui étaient, au mieux sur la pelouse au coup d’envoi, au pire sur le banc en début de match pour monter en cours de route. Tous ces gamins formés sur place étaient censés porter l’équipe très haut, en même temps que leur valeur sur le marché. Jérémy Doku, Killian Sardella, Marco Kana, Sieben Dewaele, Francis Amuzu, Alexis Saelemaekers, Sebastiaan Bornauw, Albert Sambi Lokonga, Yari Verschaeren, Anouar Ait El Hadj. En cours de saison, Antoine Colassin a rejoint la troupe, portant les mêmes espoirs. Le trésor de guerre de la maison était là.

Martinez fait un peu de pub à Verschaeren, mais ça ne suffit pas à en faire un joueur à quinze millions. » Un agent

Où en sont-ils, quinze mois plus tard? Certains sont partis, parce qu’ils ne croyaient plus au process ou parce que le process ne croyait plus en eux. Sept enfants de la maison sont restés. Et pour le moment, un seul confirme, que ce soit par son temps de jeu ou l’explosion de sa valeur marchande: Sambi Lokonga. Tous les autres sont dans le dur, aucun n’atteint cette saison la barre symbolique de 50% du temps passé sur le terrain. Et forcément, ils ne valent pas beaucoup plus cher qu’il y a un an. On tente de comprendre.

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Insouciance vs expérience

« On ne gagne pas de titres et on ne va pas loin en Europe avec une équipe composée exclusivement de joueurs de 18 à vingt ans », nous dit Peter Verbeke, le Head of Sports du Sporting. Prenons deux matches contre le même adversaire, à un an d’intervalle, pour mieux comprendre le changement de cap et aussi le tort qu’on a sans doute fait à certains jeunes en les lançant trop tôt et en trop grand nombre dans le grand bain.

15 octobre 2019, Anderlecht reçoit l’Antwerp. Il y a trois joueurs de vingt ans dans le onze de base mauve (Sieben Dewaele, Luka Adzic, Alexis Saelemaekers). Mais aussi un de 19 ans (Albert Sambi Lokonga), un de 18 (Yari Verschaeren) et un de 17 (Killian Sardella). La moyenne d’âge au coup d’envoi est de 21,3 ans, mais si on enlève le vieux Nacer Chadli, elle tombe à 20,5 ans. Les Mauves montrent des belles choses et dessinent des mouvements intéressants, comme dans la plupart de leurs autres matches du début de saison. Mais ils s’inclinent 1-2. Parce que les Anversois sont plus pragmatiques, plus réalistes.

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1er novembre 2020, le même Antwerp se déplace à Bruxelles. La moyenne d’âge est de 24 ans et aucun joueur bruxellois n’a moins de 21 ans. Cette fois, c’est Anderlecht qui est réaliste à l’extrême. Les gars de Vincent Kompany gagnent en n’ayant que 28% de possession. Et donc avec bien plus de métier dans l’équipe qu’un an plus tôt.

Cette évolution progressive dans la tête de l’entraîneur, déjà entamée par Franky Vercauteren la saison dernière, freine donc la progression de quelques pépites. Et les empêche de valoir de plus en plus sur le marché. Par exemple, s’il doit choisir entre Killian Sardella et Amir Murillo, le coach préférera Murillo, plus âgé et plus habitué au haut niveau. On peut étendre le raisonnement à Marco Kana par rapport à Adrien Trebel ou Peter Zulj. Ou à Antoine Colassin par rapport à Landry Dimata. En début de saison passée, les jeunes du cru partaient avec une longueur d’avance, vu le process. Entre-temps, ils ont perdu cet avantage. Parce que l’insouciance n’a plus le dessus sur l’expérience aux yeux de l’entraîneur?

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« On est en pleine nébuleuse »

Quelle est la solution pour (re)booster le prix de ces jeunes? « Il n’y a pas 36 solutions », nous explique un agent. « Ils doivent jouer plus régulièrement. Et ça ne suffira pas qu’ils jouent en championnat de Belgique. Pour faire exploser leur valeur, il faut qu’Anderlecht soit à nouveau en Coupe d’Europe. Dans tous ces jeunes, je ne vois actuellement que Sambi Lokonga pour rapporter beaucoup d’argent à court ou moyen terme. Parce qu’il a le profil pour s’imposer dans n’importe quel championnat. Il se régalerait en Espagne, par exemple. En Italie, il jouerait les doigts dans le nez. Dans des conditions normales, Anderlecht pourrait espérer quinze ou vingt millions. Mais la crise fait baisser les prix partout. »

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« On est en pleine nébuleuse », dit l’agent Daniel Striani.  » Mediapro, qui a les droits télé de la Ligue 1, veut renégocier le contrat et menace de ne pas verser les prochaines échéances. Et il y a d’autres pays où la même menace plane. Les diffuseurs veulent revoir les contrats à la baisse parce qu’ils estiment qu’avec des stades vides, le produit n’a plus autant de valeur. Ça risque d’avoir une grande incidence un peu partout. Et quand on voit que le Real ne fait pas un seul gros transfert entrant, c’est symbolique. Tous les petits clubs sont liés aux gros. Si les gros ne bougent plus, les petits auront moins de ressources et ne pourront plus transférer aux mêmes prix. Sans le contrat de la Ligue 1 avec Mediapro, Rennes n’aurait jamais pu mettre 25 millions pour un joueur comme Doku. »

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Doku, le contre-exemple

Les exemples de Sebastiaan Bornauw, Sieben Dewaele et Alexis Saelemaekers ( voir encadré) suffisent-ils pour conclure qu’il faut changer de club pour voir sa valeur décoller sur le marché? Il y a quand même le contre-exemple Doku. « C’est un cas à part », nous dit cet agent. « Chez les jeunes, Doku avait déjà une grosse cote. On savait depuis longtemps qu’il allait partir pour un gros prix. Quand tu es convoité très tôt par des clubs comme Liverpool et Manchester United, ça veut normalement dire que tu finiras par être transféré pour beaucoup d’argent. Doku a quelque chose que les autres n’ont pas. Et il a fait un choix qui peut étonner, sans doute aussi parce qu’il est chez Stellar, un des plus grands groupes de management du monde. Pour lui, c’était mieux d’aller à Rennes que dans un club anglais comme Brighton ou Crystal Palace. Parce que Rennes joue la tête du classement en France et dispute la Ligue des Champions. C’est une bonne vitrine. C’est aussi un club qui vend bien. Tu as plus de chances de te retrouver à Chelsea en passant par Rennes qu’en faisant une escale à Brighton. »

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Sur le papier, le Mauve le plus bankable est Yari Verschaeren. Dès qu’il a été appelé pour l’EURO des Espoirs en 2019, sa valeur a grimpé à une quinzaine de millions. « En ce moment, il ne les vaut certainement pas », lâche Daniel Striani. « Déjà, il faudrait qu’il joue plus, et mieux, pour que sa valeur monte. Mais il ne dispute de toute façon que le championnat de Belgique. Roberto Martinez lui fait un peu de pub, mais ça ne suffit pas à en faire un joueur à quinze millions. Ou alors, il faut qu’un club avec beaucoup de moyens ait subitement un coup de coeur et ouvre sa caisse, comme Dortmund l’a fait avec Jude Bellingham qui a coûté plus de vingt millions. Ça peut arriver, mais c’est rare. Pour le moment, Verschaeren est plus occupé à suivre la trajectoire d’Alexis Saelemaekers, dont on pensait qu’il partirait pour un pactole, mais qui a finalement été transféré à Milan pour un montant limité. Anderlecht voulait dix ou douze millions, mais il a filé pour un peu plus de la moitié. Avec le recul, quand on voit ce que Saelemaekers fait avec Milan et l’évolution de sa valeur marchande, on peut dire qu’Anderlecht s’est trompé. Il a même failli partir pour moins que les sept millions dépensés par Milan. J’ai participé à des discussions avec le Genoa pendant l’été 2019, quand il était sur une voie de garage à Anderlecht. Le Genoa pouvait l’avoir pour quatre ou cinq millions, mais a finalement estimé que c’était trop cher. Ils s’en sont bien mordu les doigts entre-temps. »

Bornauw
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Ils partent, leur valeur s’envole

Bornauw, les jackpots inattendus

En août de l’année dernière, les dirigeants anderlechtois ont cru rêver quand Cologne est venu avec une offre monstrueuse de huit millions pour Sebastiaan Bornauw. En plus, il n’avait pas le profil voulu par Vincent Kompany, et risquait donc de ne pas beaucoup jouer s’il restait. Les Allemands ont vu en lui un clone de son agent Daniel Van Buyten, et étaient prêts à faire cette petite folie pour un joueur vite surnommé Tarzan de l’autre côté de la frontière.

Doku
Doku© belgaimage

Depuis, Bornauw crève l’écran en Bundesliga. Il a même failli quitter Cologne sur la fin du dernier mercato. La Lazio était sur le coup et les clubs n’ont pas été loin de s’entendre sur un transfert à 25 millions. Ça aurait été tout bénéfice pour Anderlecht, qui a droit à 20% de la plus-value à la revente. Si le transfert s’était fait, cela aurait représenté une rentrée supplémentaire de 3,4 millions (20% des 17 millions de plus-value) pour la trésorerie bruxelloise. S’il continue sur sa lancée, Cologne ne sera pas son plafond. Et donc, Anderlecht palpera encore, tôt ou tard. Pas mal pour un indésirable.

Doku, x 10 en douze mois

« J’ai lu et entendu pas mal de montants différents concernant le transfert de Jérémy Doku et une plus-value pour Anderlecht », nous dit Peter Verbeke, le responsable sportif des Mauves. « Mais les chiffres corrects, je ne les ai lus ou entendus nulle part. Il y a une clause de confidentialité, donc je n’en dirai pas plus. »

Dewaele
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Dès qu’elle a appris les contacts entre Anderlecht et Rennes, la presse française a signalé que le club breton avait dans un premier temps proposé vingt millions. Soit la valeur marchande du joueur sur Transfermarkt. Lors de l’été 2019, il était évalué à deux millions. Au final, le transfert a tourné autour de 26 ou 27 millions, ce qui fait de Doku le transfert sortant le plus cher du Sporting et l’opération entrante la plus coûteuse du Stade Rennais.

Dewaele, en attendant de décoller

Sieben Dewaele valait, selon Transfermarkt, 200.000 euros au début de la saison passée. Son parcours en 2019-2020 a été encourageant, avec pas mal de matches complets. Jusqu’à une prestation ratée contre le Standard à la mi-décembre. Après ça, on ne l’a plus vu. Anderlecht l’a prêté cet été à Heerenveen et le département sportif affirme que le but est de le rapatrier un jour à Bruxelles pour en faire un titulaire. Sa valeur a depuis lors grimpé à 1,6 million. Malgré un temps de jeu limité avec son club actuel.

Saelemaekers
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Saelemaekers, dans la précipitation?

Anderlecht croyait faire une affaire en or, en janvier, quand un accord a été trouvé avec l’AC Milan pour une location de quelques mois à 3,5 millions, avec une option d’achat pour 3,5 millions de plus. Les Italiens l’ont activée et sept millions sont donc entrés dans la caisse mauve. Pour les observateurs extérieurs aussi, c’était vu comme un deal inespéré. Sauf qu’entre-temps, le joueur multiplie les bonnes choses avec l’équipe lombarde et est monté dans le noyau de Roberto Martinez. Et donc, logiquement, sa valeur marchande a explosé. Il est aujourd’hui estimé à quinze millions.

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