© NICK DECOMBEL

« Quand j’ai vu les salaires, je me suis dit qu’on gagnait bien sa vie à Ostende »

Petit à petit, Hugo Broos (66 ans) pose les fondements d’un business model footballistique à Ostende. Rencontre avec le nouveau chef de chantier.

« Venez « , dit Hugo Broos en pénétrant dans son bureau avec la vigueur d’un jeune homme de vingt ans. Enfin, bureau, c’est un bien grand mot pour un conteneur posé à côté des vestiaires et des terrains d’entraînement. Quand on lui fait remarquer que l’endroit est charmant, le directeur sportif rigole.  » Bah, ce n’est pas très important. On est bien ici.  »

Le directeur a un grand bureau, tandis que le plus petit est réservé au team manager, Rik Coucke, nouveau directeur de l’académie qui, après le départ de Johan Plancke à Anderlecht, a repris son ancienne fonction pour quelques semaines.  » Je suis content de pouvoir compter sur Rik mais nous avons besoin de lui chez les jeunes. Au niveau administratif, c’est un crack (il souffle).  »

Le team manager/directeur redresse la tête.  » Il a fallu que j’apprenne le métier. Maintenant, c’est devenu une routine « , dit-il avant de se replonger dans ces papiers.

 » Si je me consacrais à cela pendant quelques semaines, j’y arriverais aussi mais je n’ai plus envie et nous n’engagerons personne « , dit Broos qui, depuis le mois de mars, préside à la destinée sportive d’Ostende. Des mois agités mais enrichissants.  » Je connais le règlement dans les grandes lignes mais je suis parfois surpris. Je ne savais pas, par exemple, qu’un joueur sur lequel on levait l’option avait automatiquement droit à une augmentation salariale de 20 %.  »

Coucke confirme.  » C’est le chaos, hein.  » Broos réplique :  » Imaginez qu’on offre un contrat avec option à cinq joueurs : cela veut dire qu’il faut tenir compte d’une éventuelle sérieuse augmentation de la charge salariale.  »

La période des transferts touche à sa fin et le halo d’incertitudes qui planait sur De Schorre s’estompe tout doucement.  » Nous sommes soulagés d’enfin savoir avec qui nous allons pouvoir travailler. Jusqu’en décembre du moins car là, tout va recommencer. Mais là, je me dis : ‘Ouf, on ne pourra plus venir nous prendre personne et nous ne devrons plus chercher de remplaçants’.

Je pense que, lors des derniers jours du mercato, tous les clubs partagent cette crainte car la marge de manoeuvre est étroite. Dans une situation normale, on est préparé à cela mais je ne suis ici que depuis cinq mois. Nous avons tout de même anticipé en transférant Laurens De Bock.  »

 » Les agents que je ne connais pas, je les évite  »

D’autres choses vous ont-elle surpris au cours des derniers mois ?

HUGO BROOS : Le nombre de coups de téléphone que je reçois. Hier, il y en a eu plus de 20 ! Et plus on avançait dans la période des transferts, plus j’étais contacté par des agents qui me proposaient un joueur. Parfois, c’est usant car ils arrivent avec des joueurs dont on se demande ce qu’ils font là : ils n’ont joué que quelques matches en cinq ans et ont changé de club lors de chaque période des transferts… Ça prend du temps mais il faut passer par là car les joueurs qu’on ne connaît pas peuvent aussi être intéressants. Il n’empêche qu’avec la fin de la licence pour les agents, il y a un tas d’opportunistes. Au début, je parlais avec tous ceux qui me contactaient mais je me suis aperçu que ça ne servait à rien. Donc, les gars que je ne connais pas, je les évite. Sinon ça n’arrête pas. Ce sera plus facile l’an prochain.

Il ne faut jamais dire jamais mais je ne pense pas que je ferai des transferts-panique.  » – Hugo Broos

Parce qu’ils se diront qu’il n’y a plus rien à gagner à Ostende ?

BROOS : Oui, aussi mais surtout parce que nous serons mieux préparés. Lorsque Gert Verheyen procédera à son évaluation et dira qu’il a besoin d’un gardien, d’un arrière gauche et d’un extérieur droit, nous irons chercher parmi les joueurs que nos scouts ont repérés. Cela nous permettra d’anticiper plus rapidement et plus efficacement. Heureusement, je ne panique pas vite. Quand on fait des choix, il faut avoir confiance. On verra à la trêve hivernale où nous en sommes. Il ne faut jamais dire jamais mais je ne pense pas que je ferai des transferts-panique.

À peine arrivé, vous avez dû licencier Adnan Custovic. Cela a-t-il été difficile ?

BROOS : Non. J’avais dit que je lui laissais deux mois mais Adnan partait du principe que j’avais déjà décidé de prendre Gert, ce qui est faux. Je ne le connaissais pas en tant qu’entraîneur et je trouvais donc que la moindre des choses était de voir comment il travaillait. Après cette courte période d’évaluation, je me suis dit qu’il valait mieux se séparer. Les résultats n’étaient pas bons, il y avait des tensions dans le groupe…

 » Je voulais donner une chance à un jeune entraîneur  »

Comment avez-vous pensé à Gert Verheyen ?

BROOS : Mon intention était de donner sa chance à un jeune entraîneur, comme Philippe Clement la saison dernière, et la direction était d’accord. J’avais une liste de trois noms qui me semblaient en mesure de nous aider. Et Gert n’y figurait pas.

De qui s’agissait-il, dès lors ?

BROOS : Je ne peux pas vous le dire. En octobre, j’avais rencontré Gert lors de la présentation de mon livre et il était surpris que le Cameroun ne m’ait pas encore proposé de nouveau contrat. Il se demandait comment il était possible de remporter la Coupe d’Afrique et de ne pas pouvoir rester. Il était satisfait de son travail à la fédération et à la télévision, d’autant que bon nombre d’entraîneurs venaient d’être limogés.

 » Je ne veux pas me lancer là-dedans « , avait-il dit. Je n’avais donc plus pensé à lui jusqu’à ce que Patrick Orlans me demande pourquoi Gert ne figurait pas sur ma liste. Je lui ai immédiatement téléphoné et il m’a dit qu’il avait changé d’avis : ‘Je veux entraîner un club pour voir si j’en suis capable.’ Ce jour-là, il est passé en haut de la liste.

Sur quelles bases ?

BROOS : Ses analyses de match à la télévision ont toujours été très précises. Pour moi, c’est un grand atout. Ce n’est pas donné à tout le monde, surtout pas à un jeune entraîneur. Je me suis renseigné à gauche et à droite sur la façon dont il fonctionnait. Humainement, évidemment, je le connaissais : c’est un homme qui respecte les normes et les valeurs, qui a les pieds sur terre. Je l’ai donc invité chez moi et nous avons parlé pendant deux heures : de ses méthodes, de son style de jeu, de la façon dont il utiliserait Fernando Canesin.

 » Je ne vais pas me mêler de l’équipe  »

Vous ne vous êtes pas dit que s’il échouait, vous devriez limoger un ami ?

BROOS : C’est vrai qu’au fil des années, nous sommes devenus amis mais j’en reviens à ce que je disais de lui au niveau humain. Si, un jour, je dois lui dire que c’est fini et que j’ai des arguments, il acceptera la décision parce qu’il ressentira la même chose. C’est un homme sobre qui comprend qu’il y a des limites et que nous ne pouvons pas toujours transférer qui nous voulons.

L’arrivée de Franky Van der Elst, c’était une suite logique ?

BROOS : Gert a demandé si Franky pouvait nous rejoindre. Il n’a rien exigé et je trouvais que ce n’était pas une mauvaise idée. Ils sont amis et Franky a une expérience de T1 qui, dans certaines situations, lui permettra d’apporter l’une ou l’autre retouche sans que Gert ait l’impression qu’il est en train de lui planter un couteau dans le dos. Un jeune entraîneur est toujours confronté à des choses auxquelles il ne s’attend pas. Quand j’ai entamé ma carrière au RWDM, je pensais tout savoir, qu’il me suffisait de donner l’entraînement, de composer une équipe et d’attendre que les joueurs appliquent mes consignes. Mais soudain, on doit faire face à des situations que l’on a connues lorsqu’on était joueur et dont on se disait qu’on ne les tolérerait pas. Pourtant, on fait pareil que les entraîneurs précédents. Un joueur qui ne s’entraîne pas bien mais marque chaque semaine, par exemple : faut-il l’écarter de l’équipe ? Certes, tout le monde doit être traité de la même façon mais un entraîneur doit tenir compte d’autres facteurs.

J’avais une liste d’entraîneurs avec trois noms dont je pensais qu’ils pouvaient nous aider. Gert n’y figurait pas.  » – Hugo Broos

Sale temps pour les entraîneurs : la saison dernière, douze coaches de D1A ont été limogés.

BROOS : Je trouve ça grave. Souvent, c’est parce que les clubs paniquent. J’ai connu cela aussi. À Anderlecht, on m’a laissé moisir pendant sept ou huit mois. Je ne ferai jamais cela. J’essayerai d’être pour Gert celui sur qui j’aurais voulu compter dans ma carrière : quelqu’un avec qui on peut discuter pour tenter de trouver des solutions. Un soutien, surtout dans les moments difficiles. Quand un entraîneur est dans la mouise, toutes les portes se ferment. Je me vois encore dans mon bureau, à Bruges, avec René Verheyen, en train de nous demander ce que nous pouvions encore faire. Dans de tels moments, il est utile de parler à quelqu’un qui a du recul. Ce n’est pas pour ça que je ferai l’équipe à sa place. Avant le match, je ne sais même pas qui va jouer.

Hugo Broos :
Hugo Broos :  » L’héritage de Marc Coucke est lourd. « © NICK DECOMBEL

 » Marc Coucke surpayait les gens  »

Votre deuxième mission consistait à composer un noyau. Comment vous y êtes-vous pris ?

BROOS : J’ai d’abord regardé les chiffres. Quand j’ai vu les salaires, je me suis dit qu’on gagnait bien sa vie à Ostende. Trop bien même, pour un club comme celui-ci. À Bruges et à Anderlecht, les sponsors se bousculent au portillon mais ici, il faut se battre pour récolter un budget de 17 millions d’euros. Le président précédent avait beaucoup d’argent et le dépensait facilement. Il surpayait les gens. Cela n’arrivera plus.

Vous voulez dire que Coucke n’a pas dirigé le club en bon père de famille.

BROOS : Je ne veux pas qu’on pense que je ne fais que critiquer Marc Coucke. J’ai énormément de respect pour ce qu’il a fait ici en cinq ans. Il a mis en place une structure, a transformé le stade, a fait de belles plus-values sur les joueurs, a disputé deux fois les play-offs 1 et a qualifié le club pour la Coupe d’Europe. Qui suis-je pour dire qu’il n’a pas géré le club en bon père de famille ? Seulement, l’héritage est lourd. Nous avons déjà réussi à faire le ménage et à ramener Ostende à un niveau plus réaliste. Sans revoir ses ambitions à la baisse car nous ne voulons pas être un club moyen. Nous visons toujours les play-offs 1, même si ce sera peut-être plus difficile qu’avant.

Votre première mission a-t-elle été de vous débarrasser de certains joueurs ?

BROOS : Non. Antonio Milic et Knowledge Musona sont partis parce que nous avons touché beaucoup d’argent tandis que Zinho Gano n’a pas fait ses preuves la saison dernière. À Waasland-Beveren, il marquait les yeux fermés. Il a coûté 2,5 millions d’euros et est arrivé dans une équipe qui ne tournait pas. Il avait besoin de centres et Ostende n’avait pas d’ailiers. Il faut voir les choses dans leur ensemble. De plus, soyons honnêtes, il avait un gros contrat. Je lui ai demandé s’il voulait poursuivre pendant un an avec le risque d’échouer ou si nous devions chercher un autre club. Il a compris car il ne voulait pas non plus rester. Je ne suis pas étonné qu’il soit allé à Genk car Philippe le connaît très bien. Certains joueurs étaient en fin de contrat – Joseph Akpala, Siebe Van der Heyden, Victor Vandewiele… – et n’ont pas été prolongés. Nous avons tenté de nous séparer des joueurs dont nous estimions qu’ils n’avaient pas le niveau, comme Mathias Bossaerts mais nous devions aussi veiller à avoir une équipe compétitive. De offres, j’en ai reçu beaucoup mais nous ne pouvons plus nous permettre d’acheter des joueurs d’un million et demi ou deux millions comme c’était le cas par le passé.

Je ne veux pas qu’on dise que je critique sans cesse Marc Coucke. J’ai beaucoup de respect pour ce qu’il a fait ici en cinq ans mais l’héritage est lourd.  » – Hugo Broos

 » Pas question de dépenser plus de 500.000 euros pour un joueur  »

Jusqu’où pouvez-vous aller, alors ?

BROOS : Je pense que nous ne devons pas dépasser les 500.000 euros. Le club a gagné une fortune ( 10 millions d’euros, ndlr)avec Landry Dimata, un espoir du Standard dont personne ne voulait mais qui a explosé dès sa première saison. Cela n’arrivera pas chaque année mais nous devons travailler sur base de cet exemple : trouver des jeunes qui savent que nous leur accorderons une chance et qui peuvent constituer une plus-value. Et s’ils échouent, ils n’auront de toute façon pas coûté grand-chose. Je constate également que nous avons assez facilement convaincu Wout Faes et Indy Boonen, qui avaient envie de retravailler avec Gert. Jordi Vanlerberghe a opté pour nous et a du temps de jeu. Il n’est peut-être pas encore terrible mais il garde sa place. Les joueurs sentent cela.

Les différences de salaire au sein du noyau étaient grandes. Cela a-t-il rendu la situation malsaine ?

BROOS : Quand l’écart est trop important, c’est malsain. À Bruges aussi, il y a une grosse différence entre un jeune et le joueur le mieux payé mais dans un groupe comme celui d’Ostende, c’est plus difficile à accepter. Lorsque Nicolas Lombaerts a signé l’an dernier, les autres ont compris qu’après autant d’années au Zenit, il ne se contenterait pas du même tarif qu’eux. Les médias en ont beaucoup parlé et le club n’a jamais démenti qu’il avait un très bon contrat. Cela a entraîné des tensions, surtout au début, quand il ne jouait pas. Ce genre de réaction est humain, c’est pourquoi nous avons essayé d’atténuer les différences.

Pour conclure : l’an dernier, vous avez promis à votre épouse que vous prendriez votre retraite en juin 2019. Ça tient toujours ?

BROOS : J’ai dû la décevoir (il rit) Mais elle comprend aussi que c’est le job que j’ai toujours voulu exercer. Lorsque Ostende me l’a proposé, elle m’a dit immédiatement de foncer. Mais honnêtement, elle se réjouit de passer une soirée avec moi sans que mon téléphone ne sonne constamment. Moi aussi, d’ailleurs.

Hugo Broos et…

Mathias Bossaerts

 » Mathias était bien payé – ce qui ne veut pas dire qu’il gagnait beaucoup d’argent – et il a reçu sa chance mais sa carrière s’enlisait. Je lui ai dit qu’il devait un peu oublier les bons côtés du football – de beaux vêtements, une belle vie – et qu’il devait se montrer. Il aurait pu aller au bout de son contrat puis chercher un nouveau club mais cela aurait été difficile. Cette année, déjà, peu de clubs étaient intéressés. NEC n’est peut-être pas le club de ses rêves mais il a dû faire fi de cela. J’espère qu’il va réussir.  »

Nicolas Lombaerts

 » Sa situation était différente de celle de Mathias, qui est au début de sa carrière. Le premier avec qui j’ai discuté, c’est Nicolas, qui avait exprimé son insatisfaction dans le journal. Il était déçu par Marc Coucke. Il était rentré en Belgique pour jouer trois ans de plus dans un club ambitieux qui payait bien et, un an plus tard, la situation avait complètement changé. Son salaire grevait le budget et Gert ne pouvait pas jurer qu’il jouerait tous les matches. Il était donc prêt à le laisser partir mais j’ai aussi compris son point de vue : pourquoi serait-il parti pour gagner la moitié de son salaire ailleurs ?  »

Un peu plus bleu et noir

© NICK DECOMBEL

Hugo Broos, Gert Verheyen et Franky Van der Elst sont tous passés par le Club Bruges mais ils ne sont pas les seuls. La nouvelle cellule de scouting – dirigée par Guy Ghysel, un Ostendais pur sang, est également teintée de bleu et de noir. On y retrouve Jos Volders (1974-1982) et René Verheyen (1983-1987, adjoint et T1 de 1992 à 2006) ainsi que Kurt Hinderyckx, qui a joué à Bruges au milieu des années ’80.  »

 » Jos était déjà scout pour la fédération et je connais René depuis des années. Quand il dit qu’un joueur est bon, c’est que c’est le cas. Je n’aime pas quand on me dit qu’il faut aller le revoir encore une fois. Kurt et Gilbert Hermans, qui observent les matches, ont aussi pour mission de nous signaler des joueurs, ce qui nous permet d’établir une base de données de joueurs intéressants sur le plan financier sans devoir faire le tour du monde. « 

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