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Quand Ivic privait Anderlecht de Réveillon

Jacques Sys
Jacques Sys Jacques Sys, rédacteur en chef de Sport/Foot Magazine.

Il fut un temps où Anderlecht se mettait au vert le soir du Nouvel An. C’était en 1980, sous la houlette du légendaire Tomislav Ivic. Les Mauves n’en avaient pas moins perdu le match de Coupe du 2 janvier à Waterschei.

À son arrivée à Anderlecht durant l’été 1980, Tomislav Ivic jouit de l’aura d’un Messie. Et pour cause, ce dernier a notamment travaillé à l’Ajax. Dès le départ, le Croate applique des principes inhabituels, comme le pressing effectué par toute l’équipe. Nul ne sait à l’époque ce que représente une telle tâche. Les Mauves disputent leur premier match de championnat à Waterschei. Après vingt minutes, le score est déjà de 0-4.

Les entraînements sont durs. Car si les joueurs ne sont pas en parfaite condition physique, ils ne peuvent pas développer le football d’Ivic nonante minutes durant. Jour après jour, ils se plient aux mêmes exercices tactiques afin d’affûter leurs automatismes. Résultat, Anderlecht est sacré champion avec dix unités d’avance au terme de la première saison d’Ivic. Celui-ci ne laisse jamais ses joueurs tranquilles. Il se balade partout avec ses papiers et ses bics bleu et rouge, avec lesquels il dessine ses plans tactiques dès qu’il croise quelqu’un. Dans le vestiaire, dans le car, pendant le repas, il les aborde partout. Certains joueurs préfèrent même faire un détour dès qu’ils l’aperçoivent.

Mais partout où il passe, Tomislav Ivic se met les gens à dos. Certains le qualifient de novateur, d’autres de destructeur. Il applique sa méthode, qui ne laisse pas la moindre place à la flexibilité. Ivic est le premier à oser aligner cinq défenseurs à Anderlecht, le temple du football aristocratique. Parce qu’il estime qu’il faut placer les meilleurs footballeurs à l’arrière, il fait reculer Morten Olsen et Ludo Coeck au coeur de la défense. Son souhait? Que la dernière ligne dirige le jeu parce qu’on y trouve les espaces qui manquent ailleurs. Il veut boucher ces brèches et attaquer de là. Ivic trouve qu’il s’agit de jouer sur l’homme quand on est mené, mais aussi en perte de balle. Pour pousser l’adversaire à la faute et élever le rythme.

Le manager Michel Verschueren tentera de convaincre Ivic de renoncer à cette mise au vert. En vain.

Sa tactique horrifie les romantiques et déclenche une petite révolution. La presse se retourne contre le coach, mais le succès est au rendez-vous et donne raison à Ivic. Il devient champion avec un système où Kenneth Brylle évolue seul en pointe. L’attaquant danois comprend rapidement ce qu’attend son entraîneur. Dans un match contre Beveren, il inscrit un but superbe, d’un angle impossible, en brossant parfaitement le ballon. Fou de rage, Ivic surgit de son banc et passe un savon à son buteur pour avoir tenté sa chance alors qu’un coéquipier était mieux démarqué, à côté de lui.

Tomislav Ivic va parfois très loin. Durant sa première saison, il instaure une mise au vert le jour du réveillon du Nouvel An, le 31 décembre 1980, au chic Lidohotel de Genval. En effet, le 2 janvier, Anderlecht dispute un match de Coupe à Waterschei et Ivic ne fait pas confiance à ses joueurs. Ceux-ci sont exaspérés et le manager Michel Verschueren tente de convaincre Ivic d’y renoncer. En vain. L’entraîneur fait toutefois une concession: à minuit, les joueurs peuvent brièvement téléphoner à leur compagne. Le rédacteur en chef de Sport 70, l’ancêtre de ce magazine, dépêche un journaliste et un photographe à cette mise au vert, dans l’espoir de saisir quelques clichés exclusifs. Dans la foulée, Anderlecht est battu 2-1 et éliminé de la Coupe. Pourtant, les joueurs de Waterschei ont bel et bien profité de la nuit du réveillon. Mais ils sont plus frais mentalement que des Bruxellois frustrés. Sport 70 n’osera pas publier les photos dans son édition suivante, mais attendra cinq mois, quand Anderlecht remporte finalement le titre. Un sacre dont on dit que les bases ont été posées à Genval.

Anderlecht limogera Tomislav Ivic après un peu plus de deux ans et le remplacera par Paul Van Himst. Ivic n’aura pas réussi à faire passer sa philosophie. Durant la suite de sa carrière, qui le conduira notamment au Standard, il traînera cette image d’entraîneur destructeur. Mais au Sporting, il aura quand même fait impression. Michel Verschueren versera même quelques larmes en annonçant le départ d’Ivic au groupe des joueurs.

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