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Quand De Bruyne galérait avec les Diables en 2012: « Si on me laisse faire mes propres choix, c’est comme ça que je suis le meilleur »

Jan Hauspie
Jan Hauspie Jan Hauspie is redacteur bij Sport/Voetbalmagazine.

Nourrie par un début de campagne réussi sur la route du Brésil, la Belgique vit au bout de l’année 2012 l’émergence d’un talent qui sera bientôt amené à gouverner ses offensives. Depuis Brême, Kevin De Bruyne évacue sa frustration en jouant les oracles.

Embarqué dans le grand manège des prêts de Chelsea, Kevin De Bruyne est loin de vivre sa meilleure vie à Brême, où seul le temps de jeu semble le satisfaire. Un an et demi après avoir conquis la Belgique avec Genk, KDB est pourtant sur le point de s’installer dans le onze des Diables, qu’il intégrera lors d’un déplacement pluvieux et victorieux à Belgrade pour ne plus jamais le quitter.

Dans le nord de l’Allemagne, le pied droit le plus soyeux du Royaume sort d’un entraînement haché et époumonant pour se confier au coeur de la spirale négative connue par son club. L’équipe nationale, source de frustration à cause de trop longs moments passés dans le groupe, mais hors de l’équipe, deviendra bientôt une bouteille d’oxygène au coeur de l’apnée allemande. Parce que contrairement à un club qui connaît un déclin inexorable depuis la fin des années 2000, Kevin De Bruyne ne manque pas d’ambition. La preuve par quelques déclarations prophétiques, venues d’un homme qui voit décidément bien plus vite que les autres.

Sur ce qu’on a vu de l’entraînement, on est plutôt sur de la grosse débauche d’énergie que sur une maîtrise technique.

KEVIN DE BRUYNE : C’est comme ça, ici. À Genk, j’étais habitué à un style plus néerlandais, avec beaucoup de matches axés sur la possession du ballon. Chelsea ne procédait pas autrement : tout tournait autour du jeu de position et de la conservation du ballon. Ici, c’est le contraire. Il faut prendre la balle et courir. Je n’ai pas encore disputé de petit match, alors que je suis ici depuis deux mois. Mais bon, ce n’est pas grave. Je suis heureux de jouer. C’est la seule raison de ma présence ici. Mais la mentalité ne me plaît pas trop. J’ai même été un peu rebuté.

Par quoi exactement ?

DE BRUYNE : Par la manière de s’entraîner. C’est très tactique et on parle beaucoup, alors que je préfère une explication brève, directe, avant de commencer. Selon moi, le football repose sur l’intuition. C’est un jeu. Mais ici, on n’exerce pas beaucoup la possession du ballon. Quand nous menons 2-0, nous continuons à arpenter le terrain alors que nous pourrions conserver le ballon et le faire circuler tranquillement, comme le Bayern ou Dortmund. On voit que ces équipes jouent la Ligue des Champions et détiennent la classe internationale.

Ça ne complique pas votre intégration ?

DE BRUYNE : Si, mais c’est une bonne étape dans mon développement. Le niveau de la Bundesliga est nettement supérieur à celui de la Belgique. Ici, après septante minutes, des équipes belges seraient épuisées. Je lis dans les journaux que le joueur de notre équipe qui abat le plus de terrain arrive toujours à treize bons kilomètres. En Belgique, je suppose que cela ne doit pas dépasser dix à onze kilomètres. J’ai déjà beaucoup progressé sur le plan défensif et dans les duels. Je m’y lance beaucoup plus qu’il y a deux ans.

« En Allemagne, les supporters adverses ne vous sifflent pas »

Dans une interview, vous avez déclaré que vos coéquipiers devront s’adapter à vous et pas le contraire.

DE BRUYNE : Je ne suis pas de ceux qui changent de caractère ni de football. J’avais le sentiment que les autres joueurs ne tenaient pas compte de moi comme à Genk. En équipe nationale aussi, on me passe le ballon et on m’accorde ainsi la latitude d’opérer mes propres choix. C’est comme ça que je suis le meilleur. Ça commence à venir ici. Avant, quand je passais le ballon, on me demandait : « Que fais-tu ? » Encore hier à l’entraînement. J’avais adressé une longue transversale. Quelqu’un a crié : « Joue simplement ! » Mais entre-temps, Elia, notre ailier gauche, avec lequel je me suis lié d’amitié, avait déjà convergé vers l’axe pour se présenter seul devant le but. « Vous avez vu ? », ai-je répondu.

La mentalité de Brême ne me plaît pas trop. J’ai même été un peu rebuté.

Kevin De Bruyne

Vous êtes trop malin : vous anticipez plusieurs coups.

DE BRUYNE : Je réfléchis vite, oui. C’est une de mes qualités, et peut-être même la principale, avec mon passing. Le début est toujours difficile dans une formation qui compte beaucoup de nouveaux et je suis moi-même arrivé très tard, mais ça va de mieux en mieux.

Vous ne regrettez pas votre choix ?

DE BRUYNE : Ce serait un grand mot. Comme je viens de le dire, je suis déjà content de jouer. D’un autre côté, je suis aussi heureux de ne pas avoir signé ici pour plusieurs saisons. Je veux toujours retourner à Chelsea. Le club prend d’ailleurs contact avec moi chaque semaine. J’ai même un rendez-vous avec le team manager, bientôt, qui se déplace spécialement pour moi. C’est évidemment chouette.

Et la vie privée ?

DE BRUYNE : (Il rit) Je ne viendrai jamais vivre ici plus tard. Dès que je suis libre, je retourne en Belgique. Mon amie vit avec moi et j’en suis très heureux, mais quand je me retrouve seul, je m’ennuie beaucoup.

Vous avez effectué vos débuts en Bundesliga au Borussia Dortmund, devant 80.000 spectateurs. Quel effet cela vous a-t-il fait ?

DE BRUYNE : C’était super. Plus il y a de monde, plus c’est agréable de jouer. L’ambiance est différente en Allemagne. Ici, les supporters adverses ne vous sifflent pas. Je n’ai encore jamais connu d’ambiance haineuse dans les stades allemands, ce qui n’est pas le cas lors des matches entre Anderlecht et le Standard, par exemple. Ici, je n’ai encore jamais entendu de huées. Les gens se mêlent les uns aux autres, ils se respectent. C’est extra.

« Je considère cette polyvalence comme un atout plutôt qu’un handicap »

Vous avez déjà évolué à six positions…

DE BRUYNE : J’ai débuté sur le flanc droit et gauche, puis j’ai occupé trois positions dans l’entrejeu. Contre Dortmund, j’ai même joué en attaque. Je ne sais toujours pas pourquoi. Cela ne s’est pas mal passé, mais tout le monde a quand même vu que ce n’était pas mon poste de prédilection. Je suis maintenant un des deux milieux offensifs du triangle et je m’épanouis dans ce rôle, surtout avec Elia et Arnautovic sur les flancs.

Pendant la préparation, vous vous êtes entraîné un mois avec Chelsea et là aussi, vous avez occupé plusieurs postes différents.

DE BRUYNE : Comme je suis plutôt polyvalent, il a sans doute été difficile pour le club de déterminer quelle était ma meilleure place. Je considère cette polyvalence comme un atout plutôt qu’un handicap. Même si je ne suis pas immédiatement titulaire, je suis sans doute repris plus vite parce que je suis susceptible d’être placé à différents postes.

Maintenant, le football est vraiment votre métier, non ?

DE BRUYNE : Malheureusement ! (Il rit) Le plaisir n’est pas nécessairement de la partie.

Brême est-il votre choix ou celui de Chelsea ?

DE BRUYNE : Le mien.

Sur quoi vous êtes-vous basé ?

DE BRUYNE : Sur mon instinct. Je ne dirai d’ailleurs pas que je me suis trompé. Je continue à assumer ce choix. L’essentiel est de jouer et de signer de bonnes prestations. Je recevrai du même coup plus de chances en équipe nationale.

Quand vous ne recevez pas votre chance, pendant deux ans, vous finissez par vous demander si vous êtes bon.

Kevin De Bruyne

Pensez-vous vraiment qu’il ait fallu attendre votre départ à l’étranger pour qu’on vous estime à votre juste valeur en équipe nationale ?

DE BRUYNE : Dans une équipe comme la nôtre ? J’ai bel et bien cette impression. Regardez où chacun joue. J’ai été repris systématiquement depuis deux ans, mais sans jamais recevoir ma chance. Si je prouve maintenant que j’ai le niveau de la Bundesliga, on sera plus vite enclin à juger que j’ai aussi celui qui est requis en équipe nationale. Je suis bien entré au jeu contre les Pays-Bas, le pays de Galles et la Croatie, de surcroît. Ça m’a insufflé de la confiance et ça a certainement rassuré l’entraîneur et les autres joueurs. Ces entrées au jeu ont fait une énorme différence. Je me réjouis déjà de retrouver l’équipe nationale. Maintenant, je m’y amuse vraiment beaucoup.

L’assurance de Kevin De Bruyne peut-elle vaciller ?

DE BRUYNE : Je ne doute jamais, mais quand même : quand vous ne recevez pas votre chance, pendant deux ans, vous finissez par vous demander si vous êtes bon. Quand vous pouvez enfin effectuer votre entrée contre les Pays-Bas et que vous êtes bon, vous êtes soulagé. Je n’avais pas encore 19 ans lors de ma première sélection. Je n’ai fait que m’entraîner avec le noyau pendant deux ans et ce n’était pas toujours marrant. Je comprends que d’autres, à ce moment-là, avaient un niveau supérieur, mais je suis un footballeur : je veux jouer. Même dans les matches amicaux, je passais nonante minutes sur le banc. Pourquoi ne pas réserver vingt minutes à un nouveau joueur ? Ça lui donnerait confiance.

« Je suis un joueur qui doit permettre aux autres de mieux jouer »

Marc Wilmots est-il différent de Georges Leekens, comme sélectionneur ?

DE BRUYNE : Oui. Il est plus to the point. Plus direct, proche du groupe, très strict, mais il nous laisse faire nos trucs. J’apprécie son approche. Leekens…. C’était différent. Il jouait beaucoup avec la presse.

Trouvez-vous que l’équipe nationale vous apporte quelque chose ?

DE BRUYNE : Je ne sais pas. Je commence à comprendre que je suis un joueur qui doit permettre aux autres de mieux jouer. Je ne suis pas déroutant, comme un Eden Hazard par exemple, mais je peux épauler un joueur de ce type, par ma circulation rapide du ballon et ma technique de frappe. Peut-être cela doit-il devenir mon objectif, plutôt que de délivrer moi-même un assist ou marquer un but chaque semaine, comme c’était le cas en Jupiler Pro League. J’ai déjà remarqué durant ma période à Genk qu’au départ d’une place centrale, je pouvais faire tourner l’équipe grâce à mon jeu de position et permettre à l’un ou l’autre de réaliser des actions.

Il s’est passé quelque chose à chacune de vos entrées au jeu en équipe nationale.

DE BRUYNE : Effectivement.

La circulation du ballon a été plus rapide, le jeu plus axé vers le but.

DE BRUYNE : C’est ce que je veux dire. Je suis plutôt entré au jeu comme numéro 8. Peut-être est-ce ma meilleure position. Pas le numéro 10, qui est trop haut, ni le 6, car je suis trop court défensivement. Mais quelque part entre les deux. Là, je pense pouvoir apporter quelque chose à l’équipe.

Vous êtes un des rares joueurs à avoir déclaré, après le quatre sur six contre le pays de Galles et la Croatie, que vous aviez pris un bon départ. D’autres estimaient être passés à côté d’une belle chance après le 1-1 contre les Croates.

DE BRUYNE : C’est une occasion ratée. Nous aurions pu gagner ce match. Mais si nous prenons encore quatre points contre la Serbie et l’Écosse, nous lutterons jusqu’au bout pour la qualification. Le pays de Galles a été battu 6-1 contre la Serbie, mais je suis curieux de voir ce que la Serbie et la Croatie feront là-bas. Je ne suis pas sûr qu’elles y gagneront si facilement. C’est pour ça que je pense que le début de campagne est réussi. Les gens disent qu’il faut gagner à domicile, mais peu importe si on s’impose en déplacement. Qui sait ? On parviendra peut-être à prendre un point à la Serbie, voire les trois.

Avant de signer au Werder, vous avez participé à la tournée estivale de Chelsea aux États-Unis. Vous avez dû vous pincer ?

DE BRUYNE : Cette tournée a été fantastique. C’était incroyable, cet intérêt de l’autre bout du monde pour un club comme Chelsea. J’ai pu jouer contre des stars mondiales et on m’a même reconnu alors que j’étais nouveau. C’était vraiment une expérience superbe.

N’avez-vous jamais été submergé ?

DE BRUYNE : Le premier jour, peut-être. C’était très impressionnant. Un monde de différence. Mais il ne faut pas longtemps à ces grandes vedettes du football pour vous considérer comme un coéquipier. C’est comme en équipe nationale : au début, on est un jeune gamin, mais au bout d’un moment, on est aussi un Belge qui joue pour son pays. Chelsea m’a immédiatement mis à l’aise, a fait en sorte que je me sente chez moi. Quand un joueur comme Frank Lampard bavarde avec vous comme vous le faites avec vos copains à Genk… Frank Lampard n’a pas oublié qu’il a lui aussi été un jeune, un débutant, qui a dû faire ses preuves à l’entraînement. C’est précisément ce que je dois faire : montrer que j’ai le niveau requis.

« Genk a été un rêve »

À peine aviez-vous signé que Chelsea a effectué trois transferts de joueurs aptes à évoluer à votre place.

DE BRUYNE : Eden, Marko Marin et Oscar. Peu importe. Ils vont jouer davantage que moi puisqu’ils sont sur place, mais ce n’est pas comme en équipe nationale : c’est à l’entraînement qu’il faut faire ses preuves. Je relève le défi. Le chemin vers le haut est fatalement le plus dur. Il est agréable de gagner de l’argent, mais ça ne m’intéresse pas vraiment. Je ne le dépense pas. Il est à la banque et, plus tard, j’en ferai bon usage, mais je n’en ai pas besoin maintenant. C’est le football qui compte.

Quel regard portez-vous sur votre période à Genk ?

DE BRUYNE : Genk a été un rêve. J’ai intégré l’équipe fanion à 17 ans, je me suis entraîné avec le noyau un an et ensuite, j’ai pratiquement tout joué. J’ai certes parfois eu de la malchance, des blessures, une maladie, mais j’ai gagné tout ce qui était possible. Ça a vraiment été une superbe période.

Après le titre, l’équipe a subi un exode, mais vous êtes resté.

DE BRUYNE : Nous étions déjà en contact avec Chelsea, mais le transfert ne s’est pas fait. Par la suite, Genk n’a rien eu à me reprocher. J’ai continué à me livrer à fond, sans jamais retirer le pied, même le transfert conclu. Tout le monde a pu découvrir mon vrai caractère.

Cette dernière saison a-t-elle été difficile ?

DE BRUYNE : Elle n’a pas toujours été agréable. J’ai été poursuivi par la poisse : deux fractures d’un orteil, une déchirure importante des ligaments du mollet… J’ai été sur la touche pendant des semaines, mais je suis revenu plus fort. Cette troisième place a été une belle confirmation pour l’équipe, mais la saison du titre a été la plus belle, c’est clair. Du début à la fin, nous avons été en tête tout en développant un bon jeu. Cependant, nous aurions dû jouer davantage au football la deuxième année. Nous avons joué très directement l’année du titre, mais la saison suivante, surtout à la fin, nous avons montré des choses superbes avec notre jeu de position.

Avez-vous puisé plus de plaisir dans ces moments que dans le football qui vous a conduit au titre ?

DE BRUYNE : Peut-être. Nous n’avions parfois que 35% de possession de balle, mais nous menions 4-0 au repos. Ce sont deux types de jeu, amusants mais différents.

Comme Franky Vercauteren et Mario Been sont différents.

DE BRUYNE : Complètement. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, les deux styles me conviennent. Je n’émettrai donc pas de préférence.

Quelle est la différence ?

DE BRUYNE : J’aime être en possession du ballon. Mais il est tout aussi agréable d’être affûté, de miser sur le contre et de marquer quatre ou cinq buts durant un match. Nous l’avons souvent fait quand nous avons été champions. Quand tout va bien, les deux tactiques sont amusantes.

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