Olivier El Khoury

Qatar 2022: Les Diables ou Le Diable

Olivier El Khoury Ecrivain, supporter et fidèle milieu de terrain en P4.

Découvrez la chronique d’Olivier El Khoury.

Un supporter de foot est un patriote. Un être humain qui donnerait tout pour ses couleurs. Au nom de la loyauté, de la solidarité, on se bat aux côtés de son équipe, parfois littéralement. Prenez-les un par un ou en foule dans les gradins, tous vous parleront de la beauté du foot, de sa capacité à faire vibrer. Des valeurs qu’il véhicule. Un supporter, lorsqu’il défend son blason, défend aussi toutes les possibilités qui se déclenchent au moment du coup d’envoi. Il défend avant tout le football lui-même.

Le verbe supporter a de multiples définitions. Toutes ont une connotation négative. Je ne supporte pas ce fumier, je ne supporte plus mon boulot, j’ai l’impression de supporter le poids du monde. A contrario, le sport a réussi à apporter sa seule déclinaison positive. Supporter comme soutenir. Supporter ses couleurs, les pousser vers l’avant, vers l’exploit. Dépasser l’attendu.

Au-delà de cet éclat de beauté linguistique, cela démontre aussi à quel point ça nous coûte d’être supporter. Endurer une douleur permanente que nous sommes prêts à subir car un espoir, souvent déraisonnable, nous réchauffe les tripes. « Supporter les Diables », par exemple. Trois mots, zéro titre et tant d’espérances. Trois mots qui disent tout du paradoxe du supporter. Du paradoxe de supporter. Supporter, mais à quel prix?

Dans un an et trois mois, au Qatar, se jouera la Coupe du monde. Se jouera surtout quelque chose de plus vaste. Une question qui pourrait se formuler comme ça: pour quelle définition du verbe supporter opterons-nous alors? Ou plus simple: qui choisirons-nous de supporter, entres nos Diables et le Diable?

Depuis 2010, plus de 6.500 travailleurs migrants sont décédés au Qatar dans la construction des stades destinés à accueillir le Mondial. Tout cloche. Un pays qui enterre ses morts sous des gradins. Des migrants réduits à l’esclavage moderne, tout ça pour faire tourner la clim’ dans les stades, que les grands de ce monde puissent applaudir sans transpirer, se moquant par là même de la question écologique. La FIFA qui botte en touche. Pourrons-nous supporter cela? Un tournoi organisé sur des valeurs qui vont à l’encontre de toutes celles qui définissent le sport? Sous prétexte que le foot est un Dieu sacrificiel dont la cause dépasse de loin le monde, les hommes et la mort elle-même? Supporterons-nous cela? Ou préférerons-nous supporter nos Diables?

Quelle équipe écrira l’histoire en s’opposant à la FIFA et son Mondial meurtrier?

Les supporterons-nous, nos Diables? Et dans quel sens du verbe supporter?

J’aime certains Diables d’un amour véritable, au-delà du foot, un amour qui pourrait rendre ma copine ou mes frères jaloux. J’aime voir Kevin s’en battre les couilles. Eden faire une vanne pourrie. J’aime voir Radja fumer des clopes. Romelu qui tient tête à Zlatan. J’aime Courtois qui like les photos des mannequins sur Instagram. Michy et son sac-à-dos de gosse. J’aime Dries, son sourire et sa simplicité. J’aime Marouane parce qu’il est aussi doué en maths que moi. Thomas et son côté tranquille. Je les aime tous parce que je veux croire en leur humanité, malgré la gloire, le talent, l’argent, la compétition.

Mais on est exigeant en amour. Et je sais que je ne supporterais pas de voir mes Diables fermer les yeux et zigzaguer entre les tombes d’un cimetière. Plus que les supporters, les joueurs ont le pouvoir de faire changer les choses, car nos enfants les regardent pour davantage que leurs performances sur un terrain. Ils sont des idoles, pas seulement en tant que footballeurs, mais en tant qu’humains. Et s’ils agissaient alors comme des humains? Se révolter.

Quelle équipe écrira l’histoire en s’opposant à la FIFA et son Mondial meurtrier? Seront-ce les Diables rouges? Je l’espère. Qu’ils nous démontrent que leur boulot a un sens, un impact, que leur métier dépasse le foot. Que le foot dépasse le foot, qu’il n’est pas un vase clos, déconnecté du monde, de la vie et de la mort. Qu’ils éprouvent au moins le besoin de révolte. Et si ce ne sont pas les Diables qui lancent le mouvement, qu’ils le suivent alors, pourvu qu’il y en ait un, de mouvement.

Je serais plus fier de mes Diables s’ils boycottent le tournoi que s’ils tissent une étoile, même historique, sur leur maillot. Je ne crois pas être le seul avide de cette fierté. Et la fierté du peuple, n’est-ce pas leur seule véritable récompense?

Dès aujourd’hui, les Diables peuvent gagner la Coupe du monde en ne la jouant pas. Refuser. Lever le poing. Dépasser l’attendu. Et ça, ce serait une victoire historique. Dans l’autre cas, mes Diables, je ne les supporterai pas.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire