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Pourquoi Schalke et Valence organisent-ils des stages en Belgique?

Matthias Stockmans
Matthias Stockmans Matthias Stockmans is redacteur van Sport/Voetbalmagazine.

Sport/Foot Magazine a accompagné deux jeunes talents belges en Espagne et s’est informé sur l’aspect commercial et l’impact positif de la formation internationale de jeunes.

Les grands clubs européens le font depuis longtemps : ils créent des académies de jeunes aux quatre coins de la planète, concluent des alliances avec les écoles locales et les clubs ou organisent des stages de football. Désormais, des clubs du subtop européen le font également, et souvent dans le Benelux.

Comme Schalke 04 et Valence, qui avaient organisé leur premier stage de football dans notre pays, l’an passé. On pourrait comprendre qu’ils le fassent en Asie ou aux Etats-Unis, qui disposent encore d’un vaste réservoir inexploré de talents et de supporters. Mais en Belgique ? Un pays de 11 millions d’habitants dont on connaît tous les recoins ?

Il y a quelques mois, notre rédaction a reçu un mail de Daniel Vidovsky, l’un des nombreux parents confrontés au meilleur choix qu’ils devraient effectuer pour leur enfant, au talent footballistique naissant. Il nous proposait de l’accompagner, lui et son fils Jazz, à Valence pour un mini-stage de trois jours.

Un mini-stage que son fils avait gagné pour avoir été élu meilleur élève du stage de football organisé par Valence, l’été dernier à Wommelgem, en région anversoise. Inclus dans le mini-stage : une visite du mythique stade de Mestalla, deux entraînements dans le nouveau centre d’entraînement du club et des tickets pour un match de championnat du FC Valence, contre le Real Betis.

Nous avons accepté. Nous espérons découvrir, avec la famille Vidovsky ce que le club espagnol vient chercher chez nous et ce que l’heureux élu peut y trouver.

Situation win-win

L’homme à la base de cette initiative est le Néerlandais Gert Bongers. Depuis 2010, il organise des stages de football aux Pays-Bas, d’abord pour l’AC Milan, désormais pour Valence et le Real Madrid. Et, depuis l’an dernier, également en Belgique. Dès notre arrivée à Valence, nous lui posons la question : pourquoi les clubs organisent-ils de tels stages ?

 » Pour soigner leur image et attirer des clients à l’échelle internationale « , répond-il honnêtement.  » En outre, pour les entraîneurs de jeunes de Valence, c’est une manière de rester actif et de gagner un peu d’argent pendant les mois d’été, quand le football est à l’arrêt. Il ne faut pas considérer ces stages comme une chasse aux talents, même si beaucoup de parents espèrent que ce soit le cas. L’Espagne interdit d’ailleurs les transferts de jeunes joueurs de moins de 16 ans. Mais pour ces jeunes garçons, c’est une expérience unique, et ils apprennent toujours quelque chose des entraîneurs espagnols. C’est une situation win-win.  »

Ce genre de stages existe évidemment depuis longtemps, mais autrefois, ils étaient l’apanage de clubs belges ou d’entraîneurs belges. Aujourd’hui, ce sont des clubs espagnols, italiens, anglais et allemands qui inculquent la science du football à nos gamins. Jorrick Lammers, le bras droit de Bongers, nous explique que la plupart des stages internationaux organisés dans le Benelux affichent déjà complet. Les entreprises s’en mêlent également : ‘Il est possible de gagner une journée de stage en achetant l’un ou l’autre de leurs produits. Nous organisons, par exemple, 15 clinics pour Mediamarkt, qui réunissent une centaine d’enfants chacun.  »

Le complexe d'entraînement du FC Valence a subi un profond lifting et compte désormais parmi les plus cotés d'Espagne.
Le complexe d’entraînement du FC Valence a subi un profond lifting et compte désormais parmi les plus cotés d’Espagne.© PG – MATTHIAS STOCKMANS

 » Il existe cependant une différence entre un stage du Real Madrid ou de Valence « , glisse Lammers.  » Le Real prête simplement son nom, alors que Valence envoie ses propres entraîneurs. Après chaque stage, ils doivent envoyer un rapport à Valence. Ils appliquent leur méthode de formation des jeunes, qu’ils adaptent et modernisent régulièrement. Tout se passe en anglais. Je traduis lorsque c’est nécessaire.  »

Un vrai talent a-t-il déjà été détecté chez nous ? Lammers :  » Non. Même s’il est possible que le staff espagnol ait noté l’un ou l’autre nom pour l’avenir.  » C’est la carotte dont les parents ambitieux ont besoin pour avancer.

Le foot au centre des conversations

Le point de chute, à Valence, s’appelle Hotel Posadas de España, situé dans une zone industrielle a priori peu attrayante, à une demi-heure de route du centre historique de la ville mais pas très éloigné du centre d’entraînement du club. La prestigieuse Ciutat Esportiva Paterna a été transformée en un centre sportif moderne, utilisé à la fois par les jeunes élites et l’équipe A, depuis la reprise par le milliardaire singapourien Peter Lim en 2015. Chaque semaine, des jeunes talents originaires du monde entier affluent pour s’entraîner sur l’un des nombreux terrains synthétiques.

Lester (à gauche) et Jazz pendant la visite guidée de Mestalla, l'antre du FC Valence.
Lester (à gauche) et Jazz pendant la visite guidée de Mestalla, l’antre du FC Valence.© PG – MATTHIAS STOCKMANS

La première chose que font les 14 enfants de notre délégation du Benelux est d’investir le parking de l’hôtel. Deux vestes délimitent les contours du but. Les jeunes font étalage de leurs dribbles et de leurs combinaisons. Ils ne se connaissent pas, mais leur timidité disparaît dès que le ballon se met à rouler. Les deux Belges, Jazz (13 ans) et Lester (12 ans), font forte impression. Une heure plus tard, les deux joueurs de l’Antwerp sont dans toutes les conversations dans le bus qui conduit les jeunes au légendaire stade de Mestalla, où une visite les attend.

Le football international semble ne plus avoir de secret pour tous ces gamins. Ils connaissent par coeur la composition du 11 de base de l’équipe de Valence. Ils connaissent même la position au classement de Levante, le deuxième club de la ville. Souvent, ces adolescents connaissent mieux le football international que celui de leur propre pays. Les clubs du subtop européen s’en rendent compte également.

Parmi les parents, le football est aussi au centre des conversations. Ils échangent leurs expériences au sujet de l’organisation des clubs où leurs enfants sont actifs. Ou du rôle qu’ils ont à jouer en tant que parent. Une mère néerlandaise affirme :  » Je suis curieuse de découvrir l’étape suivante, lorsque les enfants auront 16 ans. C’est un âge crucial : ils ont alors une petite amie, leurs amis commencent à sortir. Seront-ils encore disposés à sacrifier leurs loisirs pour le football ?  »

Apprendre à connaître d’autres philosophies

Tous les parents présents dans ce bus ont un point commun : ils consacrent beaucoup de temps et d’énergie dans la carrière footballistique de leur fils. Comme Ilse, la maman de Lester :  » Nos deux fils jouent à l’Antwerp et je suis moi-même déléguée chez les U8. Nous sommes présents au club six jours par semaine. Lorsqu’on opte pour ce choix, il faut le faire sérieusement. Beaucoup de parents sous-estiment l’ampleur de la tâche. Mais tout vient de l’enfant lui-même. Ils sont les plus passionnés, veulent toujours progresser et se plaignent lorsqu’ils ont appris trop peu à l’entraînement.  »

Les participants au stage à leur entrée sur le terrain avant le match FC Valence-Betis Séville.
Les participants au stage à leur entrée sur le terrain avant le match FC Valence-Betis Séville.© PG – MATTHIAS STOCKMANS

Daniel Vidovsky acquiesce. Il reconnaît cette passion chez son fils Jazz, qui en plus des quatre entraînements hebdomadaires et du match du samedi avec les U14 de l’Antwerp, suit également les cours de l’école de Sport-Elite de Wilrijk. Comme Daniel estime qu’il peut être intéressant de jauger les qualités de son fils avec d’autres méthodes d’entraînement, il a inscrit Jazz aux journées de détection de jeunes talents de Zulte Waregem et de l’Essevee Soccer School de Thomas Caers (reliée depuis fin mars à l’académie des jeunes de Zulte Waregem).

 » Il apprend ainsi à connaître d’autres philosophies. A l’Antwerp, l’accent est très souvent mis sur le physique, alors que Jazz est plutôt un joueur technique et stratégique, estime Vidovsky.  » Le rapport du staff de l’Essevee était en tout cas très positif.  » C’est une question qui le poursuit : où son fils a-t-il les plus grandes chances de réussir ? Car, selon lui, il faut soi-même se donner des opportunités, et pas attendre que l’on découvre le talent un peu par hasard.

Tout le monde ne partage pas le même avis. Ilse et son mari Ken croient par exemple davantage à une méthode qui permettrait à leurs fils Lester et Melvin de rester dans un environnement familier. Ils ont préféré ne pas opter pour l’école Topsport.  » Dans ce cas, il n’y aurait plus que le football dans leur vie « , explique Ilse.

Ken se montre tout aussi prudent :  » Bien sûr, nous savons que Valence essaie d’attirer de nouveaux clients en agissant de la sorte. Et alors ? Pourvu que les enfants y prennent du plaisir.  »

Aux côtés des pros à Mestalla

La première journée d’entraînement est terminée. Lester et Jazz ne sont pas entièrement satisfaits après une séance d’une heure et demie sous la direction de Guille Guerra, coach des U8 de Valence : les combinaisons étaient un peu trop lentes à leur goût. Ils placent leurs espoirs sur la deuxième journée. Alors que les parents retournent à l’hôtel avec leurs enfants, nous discutons un peu avec Guille.

 » Nous accueillons des petits footballeurs du monde entier, mais le niveau est très irrégulier. Les Canadiens, les Australiens et même les Anglais ne sont pas au même niveau que nos propres footballeurs. C’est dû à la méthode, mais également à l’organisation du football de jeunes. En Espagne, les enfants de 6 à 12 ans jouent à huit contre huit. Les autres pays n’ont adopté cette méthode que très récemment « , explique-t-il.

 » Lorsque nous détectons un vrai talent, nous l’invitons à venir s’entraîner avec nos propres jeunes, mais la barre est placée très haut, et parfois, le garçon se bloque lorsqu’il se retrouve dans un environnement qui ne lui est pas familier.  »

La journée se termine bien pour Jazz et Lester, avec un match entre Valence et le Real Betis. Juste avant le coup d’envoi, les imposantes tribunes du vieux Mestalla se mettent à vibrer. Le stade de 50.000 places affiche quasiment complet. Quelle vue ! Sans doute encore plus impressionnante depuis la pelouse, ce que les 14 petits footballeurs inscrits au stage pourront expérimenter. Ils accompagnent les professionnels sur le terrain et posent pour la photo. Depuis le rond central, les jeunes aspirants saluent la foule massée dans les tribunes.

En fin de match, un certain Ferran Torres García peut monter au jeu. Il vient d’avoir 18 ans et a été formé à l’académie de Valence. Il est l’un des nombreux produits de l’école des jeunes qui sont parvenus à se hisser en Première. José Luis Gayà et Carlos Soler sont des valeurs sûres. Ce dernier serait dans le collimateur du Real Madrid. Antonio ‘Lato’ Latorre, Nacho Vidal, Ferran et Javier Jiménez obtiennent aussi régulièrement du temps de jeu. Ils sont les figures de proue dont le club a besoin pour promouvoir le projet.

Luis Vicente Mateo, directeur de l'académie de Valence
Luis Vicente Mateo, directeur de l’académie de Valence© PG – MATTHIAS STOCKMANS

Des académies partout dans le monde

Toute la philosophie de Valence a été revue il y a cinq ans, sous la direction de l’ancien president Amadeo Salvo Lillo, mais n’a été mise en application que lors de la reprise par Peter Lim. Le directeur de l’académie Luis Vicente Mateo :

 » Une nouvelle dynamique a vu le jour il y a cinq ans, avec des gens enthousiastes et jeunes. En tant que directeur de l’académie des jeunes, je travaille en étroite collaboration avec le département marketing et le département des projets internationaux. Depuis peu, nous avons des collaborations et des académies partout dans le monde. Y compris en Malaisie (Johur Tiger), au Canada, à New-York, à Miami et à Shanghai. Nos entraîneurs restent un ou deux ans dans le pays pour établir une structure et implanter nos méthodes.  »

Ce n’est pas toujours évident, car il y a de grandes différence culturelles. Mateo :  » A New York, les parents ont certains moyens financiers, ils pensent qu’ils peuvent acheter nos entraîneurs pour donner des cours particuliers à leurs enfants. C’est impossible, évidemment : le football est un sport collectif, on ne peut progresser qu’en travaillant en groupe. En Malaisie, les habitudes alimentaires et le niveau de vie constituent un problème. Beaucoup de garçons de 14 ans sont déjà accros à la cigarette ou mangent n’importe quoi.  »

Nous posons à Mateo la question qui nous brûle les lèvres : les intérêts commerciaux priment-ils ou veut-on surtout concurrencer les grands clubs européens dans la chasse aux talents ? Le directeur de l’académie des jeunes n’élude pas la question :  » 92 % de nos jeunes joueurs proviennent de notre propre région, et nous souhaitons garder cette philosophie. Nous tenons à notre identité. Les 8 % restants proviennent du reste de l’Espagne.

Nous n’avons pour l’instant qu’un seul étranger dans nos rangs : Kangin Lee, un jeune Sud-Coréen de 17 ans. Il est arrivé ici à 11 ans avec sa famille, et à 16 ans, il était déjà l’un des joueurs les plus brillants de la Réserve. Un veritable phénomène ! Aujourd’hui, il est très proche de la Première.  » Bref, le rêve des parents belges et néerlandais de notre délégation pourrait bien n’être qu’une illusion.

Une reconnaissance internationale

Mateo poursuit :  » Nous ne pouvons pas concurrencer le FC Barcelone et le Real Madrid où le budget consacré aux jeunes tourne autour des 20 millions d’euros. Le nôtre atteint à peine 1 million d’euros mais j’ose affirmer sans crainte que notre modèle de formation fonctionne mieux que celui du Real Madrid. Là-bas, ils engagent des grands talents, nous les formons nous-mêmes. Jusqu’à 12 ans, l’accent est mis sur le développement individuel : les contrôles, les passes, la coordination, l’art de jouer des deux pieds.

A cet âge-là, on ne sait pas encore quelle est la meilleure position de chaque joueur. Dans un stade ultérieur, on s’attache davantage à donner un certain profil aux joueurs et on leur apprend à réfléchir tactiquement. A 16 ou 17 ans, ils apprennent à vivre et à penser comme un professionnel.  »

 » La diffusion de notre marque et de notre image à travers le monde est importante pour le développement du FC Valence « , conclut Luis Vicente Mateo.  » Nous sommes un club important en Espagne, avec une formation de pointe, nous pouvons l’exploiter davantage. Longtemps, nous avons été un club de tradition avec une longue et riche histoire, mais n’étions pas adaptés au XXIe siècle. Aujourd’hui, nous disposons des infrastructures nécessaires et nous obtenons une reconnaissance internationale pour la formation de nos jeunes.

Cela nous apporte même des accords de sponsoring. Blu, notre nouveau sponsor maillot, est arrivé grâce à notre académie de Miami : le propriétaire de cette entreprise de télécommunications en est originaire. Sans ces affiliations et ces stages, notre club n’aurait pas une telle popularité. Aujourd’hui, les enfants de Shanghai, du Canada, des Etats-Unis et de Belgique apprennent à connaître notre club, alors qu’autrefois, ils ne juraient que par le FC Barcelone ou le Real Madrid.  »

FC Valence : de la tradition à l’avenir

En 2019, le FC Valence fêtera ses 100 ans d’existence. Il aurait aimé le faire dans le nouveau stade, dont la construction aurait déjà dû être entamée en 2006. Mais des problèmes financiers, des divergences de vues avec les autorités locales et un changement de propriétaire ont retardé le projet – la structure en béton existe pourtant déjà sur le nouveau site – et Valence est toujours obligé de jouer ses matches à domicile dans le vénérable stade de Mestalla, qui existe depuis 95 ans. Et ce sera encore le cas au moins jusqu’en 2021, nous explique un dirigeant du club.

En soi, ce n’est pas grave : Mestalla respire la tradition, on y trouve même des mosaïques typiquement espagnoles et ses tribunes escarpées (52.469 places assises) offrent aux spetateurs une vue imprenable. La grande chauve-souris, symbole du club, est taillée dans la tribune. Ces animaux envahissent encore le stade à la tombée de la nuit. L’orange est la couleur dominante. Elle fait référence au fruit, qui est – avec la paella – le principal produit d’exportation de la région.

Le stade de Mestalla a été le théâtre d’exploits mémorables. Dans un passé lointain, le Néerlandais Faas Wilkes et le Brésilien Waldo y ont brillé. Plus tard, les spectateurs ont applaudi aux prouesses du buteur argentin Mario Kempes et de l’entraîneur Alfredo Di Stéfano, et au début des années 2000, à celles de la génération dorée qui comprenait les Espagnols Gaizka Mendieta, David Albelda et Santiago Cañizares. Sous la direction d’ Héctor Cuper (deux fois finaliste malheureux de la Ligue des Champions en 2000 et 2001) et de Rafael Benítez (vainqueur de la Coupe de l’UEFA en 2004, champion en 2002 et 2004), le club Che a fait partie du top européen.

Mais la crise économique qui a touché l’Espagne a porté un coup sévère à la fierté de la Costa del Azahar. Ce n’est que lors du rachat par le milliardaire singapourien Peter Lim en 2015 que le ciel s’est de nouveau éclairci. Il a beaucoup investi dans le centre d’entraînement, dans la formation des jeunes et dans l’internationalisation du club.

Deux Belges ont porté le maillot du club Che : Zakaria Bakkali l’an passé (il est aujourd’hui prêté au Deportivo La Corogne) et cette saison Andreas Pereira, prêté par Manchester United. Le club est réputé pour l’excellence de son travail de formation. De nombreux jeunes Espagnols ont reçu leur chance : David Silva, Jordi Alba, Gaizka Mendieta, David Albelda, David Villa, Mista, Miguel Angúlo, Ruben Barája, Raul Albiol, Juan Bernat, Paco Alcácer. La relève est prête, avec José Gaya et Carlos Soler entre autres.

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