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On était à Eendracht-Daring, le derby brugeois du foot d’en bas

Le derby brugeois a lieu vendredi. Le week-end dernier, il y en a eu un autre, celui opposant l’Eendracht au Daring de Bruges. Comment ces clubs vivent-ils dans l’ombre de leur deux grands voisins, à moins de 300 mètres du stade Jan Breydel?

L’entraînement du jeudi soir a débuté depuis une demi-heure lorsqu’un joueur arrive en pressant le pas. Pas de problème, car il travaille dans le domaine des soins de santé et est venu directement du boulot. Le secrétaire, Frédéric Warnants (32 ans) se présente en tenue de gardien. Lorsque l’entraîneur, Nicolas Vanhaeverbeke, donne le coup d’envoi de l’entraînement, Frédéric éteint sa cigarette, vide son verre de Coca et s’excuse: « Sorry, faut que j’aille m’entraîner. » À l’Eendracht Bruges, on peut combiner les fonctions de secrétaire et de gardien de l’équipe première.

Nos fêtes étaient légendaires. »

Geert De Bruyne

Ainsi va la vie dans ce club de quatrième provinciale B, qui occupe les terrains près du château d’eau de Sint-Andries. Sortez de la rue, traversez l’avenue Léopold III, prenez le premier chemin en face de vous et vous arriverez au Stade Jan Breydel. La distance est de moins de 300 mètres et pourtant, c’est un autre monde.

C’est ici que, dimanche, a eu lieu le « petit » derby brugeois, celui opposant l’Eendracht au Daring de Bruges. Un match de Coupe de Flandre-Occidentale, car les deux équipes ne s’affrontent pas en championnat. Le Daring, installé à Sint-Pieters, évolue en effet une division plus haut que son « rival » de Sint-Andries. Avant, l’Eendracht était le plus grand des deux clubs. Depuis six ans, les rôles sont inversés, mais l’entraîneur de l’Eendracht, Nicolas Vanhaeverbeke, a bien l’intention de faire changer les choses. Son objectif est de rejoindre la troisième provinciale. Il y a quatre ans qu’il est arrivé du Daring, où son fils jouait. « Tout le monde m’a dit que j’étais fou, car l’Eendracht n’avait que 18 joueurs pour deux équipes », dit-il. Dimanche, le Daring, avec l’ancien joueur du Club Birger Maertens au coup d’envoi, était toutefois encore un cran au-dessus. Il l’a emporté 1-5 devant une foule de plus de septante personnes. Le secrétaire de l’Eendracht, Frédéric Warnauts, n’a finalement pas eu à enfiler sa tenue de gardien. Depuis la préparation, un coéquipier a pris le relais dans les buts.

Neuf joueurs au coup d’envoi

L’hiver, des terrains de l’Eendracht Bruges, on peut apercevoir les tribunes du stade Jan Breydel. En été, avec les arbres, ce n’est pas possible. Le président Franky De Cuyper monte même sur le toit de la buvette pour vérifier. Ici, cependant, le Club et, dans une moindre mesure, le Cercle ne sont jamais très loin. Parfois, lorsqu’ils jouent, les joueurs entendent la voix du speaker ou les cris des supporters.

À l’entraînement, quelques joueurs de l’Eendracht portent un maillot du Club. Le président arbore un masque de l’Eendracht. Celui de Geert De Bruyne, responsable des équipes d’âge et membre de la direction, arbore le logo No sweat, no glory du Club, dont il est supporter depuis qu’il allait le voir jouer au Klokke avec son oncle. La première rencontre à laquelle il a assisté opposait le Club au Lierse. « J’étais assis à même le terrain, derrière une corde », raconte-t-il. De Bruyne a également travaillé au Club. D’abord comme steward, puis au ticketing, et enfin en tant qu’exploitant d’une des nombreuses buvettes. Aujourd’hui, sa femme, son fils et sa fille sont toujours abonnés et il lui arrive de les accompagner, mais pas lors de chaque match. Si le président ne porte pas de masque du Club, c’est parce qu’il est fan du Cercle. Tout comme sa femme, qui exploite la buvette et occupe la fonction de trésorière. Elle est devenue supportrice du Cercle après avoir longtemps été fan du RWDM. Originaire des Ardennes, elle habitait Bruxelles.

L'ancien joueur du Club Birger Maertens (au centre), en action sous le maillot du Daring lors du derby contre l'Eendracht.
L’ancien joueur du Club Birger Maertens (au centre), en action sous le maillot du Daring lors du derby contre l’Eendracht.© BELGAIMAGE – HATIM KAGHAT

De Cuyper est arrivé à l’Eendracht Bruges en 2000, en tant qu’entraîneur des jeunes. Avant cela, il avait entraîné les jeunes du Cercle pendant deux ans. Il a notamment eu Thomas Buffel sous ses ordres pendant six mois. « C’était déjà un phénomène. Il s’est fait tout seul, avec l’aide précieuse de son père. » Vingt ans après son arrivée, il entraîne encore la seule équipe de jeunes que l’Eendracht conserve: les U21. Vous en connaissez beaucoup, des présidents-entraîneurs de jeunes? Il a également été secrétaire et a connu l’aventure en deuxième provinciale. Celle-ci s’est mal terminée. En 2014, après quatre ans de présence en P2, le club s’est retrouvé en P4. Il avait été au-delà de ses capacités financières et le payait cash. Aujourd’hui encore, il en paye les conséquences. De Cuyper, qui s’est retrouvé tout seul, est devenu président et a tenté de reconstruire en partant de rien, avec l’aide d’anciens joueurs.

Lors de la saison 2014-2015, le club a touché le fond. Parfois, il n’alignait que neuf joueurs au coup d’envoi. Il arrivait souvent qu’il n’y ait personne sur le banc et que le délégué, âgé de 44 ans, doive chausser ses crampons pour compléter l’équipe. De Cuyper a commencé par embrigader son épouse dans la direction, doublant ainsi le nombre de dirigeants du club. Aujourd’hui, ils sont cinq. À l’exception de madame De Cuyper, tous sont passés par l’Eendracht auparavant.

Le président passe au moins quatre heures par jours au club, sept jours sur sept. L’objectif sportif est de remonter en troisième provinciale. « Il y a deux ans, nous ne devions plus remporter que notre dernier match pour monter, mais nous n’y sommes pas arrivés. L’an dernier, nous étions deuxièmes lorsque le championnat a été arrêté. Tous nos joueurs sont restés et il y a six nouveaux. Seuls 8 des 44 joueurs que comptent l’équipe première et la réserve n’ont jamais joué à l’Eendracht. On n’a jamais vu une telle bande de copains. »

Au Klokke

L’histoire de l’Eendracht Bruges débute en 1975, lorsque le club s’affilie à l’URBSFA sous le matricule 8273. Avant cela, il s’appelait FC De Driehoek, du nom du café situé dans la Barrièrestraat, à la limite entre Sint-Michiels et Sint-Andries. Un an après son affiliation à l’Union belge, il déménage au stade Albert Dyserinck, sur la Torhoutse Steenweg à Sint-Andries. Un stade plus connu sous le nom de De Klokke, du nom du café d’en face. C’est là que, de 1912 à 1975, le Club Bruges disputait ses matches à domicile, avant de déménager à l’Olympiastadion, devenu stade Jan Breydel en 2000.

L’Eendracht Bruges joue à De Klokke jusqu’en 1998, lorsque le stade devient impraticable et même dangereux. La ville de Bruges met alors quatre terrains à sa disposition, près du château d’eau, à un jet de pierre de l’Olympiastadion. En 1999, De Klokke est démoli pour faire place à un nouveau quartier résidentiel. Le café légendaire d’en face sera abattu en 2018. Aujourd’hui, les quatre terrains près du château d’eau sont devenus deux terrains. Le club de hockey voisin a grandi et compte 650 membres. L’équipe de handifoot du Club joue également sur le terrain B de l’Eendracht.

Tous partagent le parking devant le hall omnisports. Il appartient à la ville, mais lors des matches à risques de D1A, il est rempli de véhicules de police et d’unités spéciales. Franky De Cuyper doit en tenir compte lors de l’établissement du calendrier. Lorsque celui-ci est publié, il vérifie tout de suite les dates des rencontres Club-Anderlecht ou Cercle-Anderlecht. « Ce sont les deux plus difficiles, car elles ont lieu le dimanche après-midi, comme les nôtres. Parfois, nous devons chercher des solutions avec la police et avec notre adversaire. »

Impossible que l’Eendracht joue à domicile le même jour qu’un Club-Anderlecht. « Par le passé, on perdait parfois quelques joueurs qui ne voulaient absolument pas manquer le match au sommet et disaient qu’ils étaient blessés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais c’est toujours un problème pour nos adversaires qui se demandent s’ils arriveront jusqu’ici ou s’ils ne seront pas coincés dans les embouteillages. Il y a trois ans, un arbitre nous a appelés pour nous demander de repousser le coup d’envoi de quinze minutes: il était dans les bouchons. » Il est déjà arrivé qu’un match de l’Eendracht Bruges soit reprogrammé à trois moments différents. Le dimanche, puis le samedi, puis le vendredi et à nouveau le dimanche. Pour le derby brugeois, il n’y a pas de problème: cette saison, celui-ci a lieu un samedi.

Il y a trois ans, un arbitre nous a appelés pour repousser le coup d’envoi d’un quart d’heure: il était coincé dans les bouchons. »

Franky De Cuyper

Coupe d’Europe

Cette année, c’est la première fois depuis qu’il est président que De Cuyper ne prévoit pas de problème. Le 17 décembre, jour de Club – Anderlecht, l’Eendracht se rend à Westkapelle, la commune où se situe le centre d’entraînement de Bruges. Une semaine plus tard, c’est le derby brugeois, mais les clubs de provinciales seront alors à l’arrêt pour cause de trêve hivernale. Actuellement, seul le deuxième week-end d’août retient l’attention. Le Cercle accueille Anderlecht et l’Eendracht Bruges devra accueillir Gold Star Ypres le samedi à 17 heures. Ça signifie tout de même qu’il y aura deux matches à domicile sur un rayon de 250 mètres le dimanche après-midi.

Lorsque le Club joue en Coupe d’Europe, la police décide, en fonction de l’adversaire, si l’Eendracht pourra s’entraîner. Si ce n’est pas le cas, l’entraînement du mardi est repoussé au mercredi. L’entraîneur, Nicolas Vanhaeverbeke, fait preuve de compréhension. « Il faut pouvoir donner pour recevoir. »

En matière d’assistance, le fait qu’il y ait un match au stade Jan Breydel n’a pas tellement d’influence. Le nombre moyen de spectateurs oscille entre trente et quarante. Si les résultats sont bons et si l’équipe joue la tête, on peut grimper à cinquante ou soixante après la trêve hivernale. S’ils sont mauvais, on redescend à vingt ou trente, sauf pour les derbies contre Knokke B et Varsenare B.

Il y a une quinzaine d’années, l’Eendracht a bien tenté de profiter des matches à domicile du Club. Comme l’accès n’était pas encore clôturé, certains fans passaient par les terrains de l’Eendracht pour se rendre au stade Jan Breydel. L’Eendracht ouvrait alors sa buvette afin que les supporters puissent boire une bière (ou deux ou trois) à un prix raisonnable. Le bouche à oreille faisant effet, ils furent rapidement quelques dizaines à repasser par-là après les matches. Aujourd’hui, l’exclusivité de la vente de boissons et de nourriture dans un périmètre autour du stade a été confiée à la firme Verkindere. Seuls les cafés et restaurants peuvent en vendre, comme les bars de la place devant l’église à Sint-Andries. Pour les buvettes comme celle de l’Eendracht, c’est interdit.

Franky De Cuyper: président et entraîneur des jeunes de l'Eendracht Bruges.
Franky De Cuyper: président et entraîneur des jeunes de l’Eendracht Bruges.© BELGAIMAGE – HATIM KAGHAT

Il y a une vingtaine d’années, la buvette de l’Eendracht était le temple de la danse de toute la Flandre-Occidentale, the place to be. « Nos fêtes étaient légendaires », dit Geert De Bruyne avec une certaine nostalgie dans la voix. « On dansait jusqu’aux petites heures au son du chanteur de charme Frank Valentino ou du groupe de cover Innocence. Parfois, on avait des invités surprises comme Patrick Moenaert, bourgmestre de Bruges de 1995 à 2013 et joueur de guitare électrique. Il n’avait pas grand-chose à envier à Mark Knopfler. »

L’équipe a été présentée le 22 juin dernier. Normalement, la buvette devait fermer à 22h30, mais personne ne peut se rappeler de l’heure exacte à laquelle le dernier client est parti. Ce n’est toutefois plus comme avant, lorsque, après l’entraînement du jeudi soir, on fermait les portes à 4h30 du matin. Que se passera-t-il si le Club ou le Cercle déménagent? « On circulera plus facilement », dit De Cuyper, qui se demande si la prochaine réunion de riverains, le 16 octobre, accouchera enfin d’une décision définitive en matière de construction d’un nouveau stade, ou si on se contentera d’aménagements. « Si on aménage, les jeunes du Club (de U6 à U13) viendront s’entraîner sur nos terrains. Nous n’aurons donc plus que notre terrain principal. » Au château d’eau, on n’a donc pas fini de parler des voisins. De préférence avec une bière en main. Santé!

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