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Objectif Wembley et Ballon d’Or pour Kevin De Bruyne

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Il s’est mis en « mode couleur framboise » pour nous sortir du pétrin. Voici comment le meilleur médian du monde peut (et veut) devenir le meilleur joueur du monde tout court.

Ça se passe à Tubize, entre les déplacements des Diables à Copenhague et Saint-Pétersbourg. Kevin De Bruyne est un des deux joueurs convoqués au point presse. L’autre, c’est Jason Denayer. Pendant que le héros malheureux de Copenhague discute avec les médias écrits et tente de justifier sa passe suicidaire qui aurait pu nous coûter cher, le vrai héros du même match se confie aux télés. L’armée de photographes se désintéresse de Denayer, préférant scruter l’arrivée de De Bruyne, qui va quitter les containers des chaînes de télé pour venir dans la tente réservée à la presse écrite. On a beau être le meilleur défenseur central de Ligue 1, on ne pèse plus bien lourd quand le meilleur joueur de Premier League est dans les parages.

Tout un symbole. KDB est plus hot que jamais. Et dès qu’il met le nez dehors, le bruit des rafales d’appareils photo est impressionnant. « C’est sympa qu’il n’ait pas mis de masque, ça nous permet d’avoir des chouettes clichés, on voit bien son expression », dit un photographe. Une expression rarement débordante, mais il a toujours été comme ça, dans la retenue. Il s’installe face aux médias écrits et les déclenchements en rafale reprennent.

Un peu plus tard, on s’installe au bord d’un terrain d’entraînement avec Thorgan Hazard pour une interview. On évoque Kevin De Bruyne et son retour dans l’équipe. Obligé. La conversation dévie sur l’attribution du prochain Ballon d’Or. « Il le mérite », lâche le joueur de Dortmund. « C’est dommage qu’il n’ait pas gagné la Ligue des Champions, ça aurait pu faire pencher la balance pour beaucoup de votants. Si on gagne l’EURO, il aura énormément de chances. Ce serait incroyable pour la Belgique. » Trois joueurs encore en activité ont déjà reçu la récompense individuelle suprême: Lionel Messi, Luka Modric et Cristiano Ronaldo. Aucun des trois ne sort d’une saison exceptionnelle à leur échelle. Et si KDB devenait le 45e lauréat? Et si Thorgan Hazard devait voter, de façon indépendante? « Sur mon podium, je mettrais, dans le désordre, Kevin De Bruyne, Romelu Lukaku et N’Golo Kanté. Je mets Kevin devant Romelu simplement parce que l’Inter n’a pas été très loin en Ligue des Champions alors que Kevin a failli la gagner. »

Auteur de son deuxième assist du tournoi, KDB était le meilleur Diable sur le terrain face à la Finlande.
Auteur de son deuxième assist du tournoi, KDB était le meilleur Diable sur le terrain face à la Finlande.© BELGAIMAGE

Caviars

MarcWilmots a signalé récemment que De Bruyne était dans les candidats et il voit prioritairement, pour lui barrer la route, Kylian Mbappé, Karim Benzema, Erling Haaland et Robert Lewandowski. KDB lui-même sait qu’il devra compter sur les autres Diables pour avoir une chance: « Parfois, vous pouvez être brillant dans un match et être du côté des perdants. Pour être dans la course pour une récompense individuelle comme le Ballon d’Or, vous devez gagner des titres. J’essaie d’être le meilleur possible dans tout ce que je fais. Je ne sais pas ce que ça va donner, mais je suis déjà fier d’être cité parmi les favoris. On parle là du trophée remis au meilleur du monde! »

Si De Bruyne devient le premier Ballon d’Or belge, il le devra notamment à ce qu’il fait de mieux: distribuer des caviars. Une marque de fabrique, un aspect du foot qu’il maîtrise comme personne. Thorgan Hazard en a bénéficié à Copenhague pour égaliser, son frère a déjà transformé cinq passes décisives de KDB en équipe nationale. Et le champion toutes catégories est Lukaku qui a encore profité de la précision de son pourvoyeur pour en mettre une au fond contre la Finlande et est largement en tête du classement des buteurs belges servis par le génie ( voir encadré).

L’assist pour l’égalisation par Thorgan Hazard contre le Danemark était un cas d’école. Au bout de l’effort extraordinaire du tank Lukaku, un De Bruyne à deux pas du but aurait pu frapper. Mais il a préféré passer à Thorgan, mieux positionné. Il explique son choix décidé en une fraction de seconde: « Je me dis directement que si j’essaie de marquer moi-même, il y a une chance que le ballon soit arrêté par un Danois. Tout aussi directement, je raisonne comme ceci: le back droit vient me presser, donc ça veut dire qu’il n’est plus disponible pour tenir Thorgan. Je vois effectivement que Thorgan est démarqué, donc c’était logique de lui faire la passe. »

Désorientateur

Ça semble si simple. Si on visionne la phase au ralenti, ce n’est effectivement pas bien compliqué. Le hic, c’est qu’une phase pareille se déroule à du cent à l’heure. On en revient à cette notion de fraction de seconde. Parce que c’est une donnée qui impressionne de plus en plus les observateurs du foot international: on a l’impression que Kevin De Bruyne pense plus vite que n’importe quel autre joueur. Comme s’il avait, dans un coin de la tête, un logiciel accélérateur de traitement de données. Il est conscient qu’il a un avantage énorme sur ce plan-là, peut-être un don inné. « Je ne sais pas d’où ça me vient », rigole-t-il. « Aucune idée, vraiment. À l’entraînement et en match, j’essaie de reconnaître les situations, de les comparer à des phases que j’ai déjà vécues. En une fraction de seconde, j’arrive à voir où sont les coéquipiers et où se trouvent les adversaires. J’essaie d’avoir le plus grand nombre possible de données à l’avance et de prendre les meilleures décisions le plus vite possible. Tout dépend aussi des qualités spécifiques de mes coéquipiers. Je ne donne pas le ballon de la même façon à Eden Hazard ou à Raheem Sterling. Eden préfère le recevoir dans les pieds, Raheem préfère dans la profondeur. Je m’adapte. J’essaie de lire dans la tête de celui à qui je vais passer la balle. » L’homme est un désorientateur de haut vol. Il n’y a pas plus fort pour déstabiliser une défense complète, pour la mettre en porte-à-faux. Et pour la faire douter. « Je ne sais pas si j’arrive à faire douter les équipes adverses, mais je peux comprendre qu’elles doutent quand je construis une action! »

Objectif Wembley et  Ballon d'Or pour Kevin De Bruyne

On peut comprendre qu’il soit soulagé de pouvoir jouer sans masque suite à son opération au visage. Histoire de ne pas limiter son champ de vision. « J’avais peur aussi d’être irrité. » On ne savait pas dans quel état physique il était quand Roberto Martínez l’a lancé en deuxième mi-temps à Copenhague. Il avait dû brosser les entraînements pendant une dizaine de jours et devait toujours faire l’impasse sur les duels de la tête. On a vite été rassuré. Un but, un assist, une victoire, merci bonsoir. « En le regardant jouer, on ne pouvait pas imaginer qu’il avait subi récemment une intervention », analyse le coach. Autre analyse, à l’étranger. Une chroniqueuse de L’Équipe TV a remarqué qu’il avait subitement pris son teint rougeaud, synonyme de grosse dépense physique. « L’entrée de De Bruyne est ouf. Il s’est mis en mode couleur framboise. Quand il change de couleur, on sait qu’il est parti. »

Femme et enfants

De Bruyne a récupéré. Physiquement. Et mentalement. Il reconnaît que ça a été compliqué, mais relativise: « On a perdu la Ligue des Champions, mais ce n’est pas comme si je n’avais rien gagné cette saison. » Relativiser… Encore un art qu’il maîtrise. « Ce qu’il a vécu après sa blessure me fait penser à ce que mon frère a vécu les derniers mois », nous explique Thorgan Hazard. « Que ce soit Eden, Kevin, moi, d’autres joueurs de l’équipe nationale, on a une vie bien rangée avec femme et enfants. Quand tu es dans le dur parce que tu es blessé ou parce que tu te prends plein de critiques, tu arrives à tourner le bouton dès que tu rentres à la maison parce que tu as d’autres choses auxquelles tu peux te raccrocher. Tu passes du bon temps avec ta famille, tu oublies tes soucis du foot. Eden est comme ça, Kevin aussi. Si tu es seul, si tu n’as pas d’autres centres d’intérêt, c’est là que ça peut devenir très compliqué. »

Bas les masques à Copenhague!
Bas les masques à Copenhague!© BELGAIMAGE

Covid, hypocrisie et bombe à retardement

« On ne comprend rien, on risque de le payer. » C’est le cri d’alarme lancé par une Anversoise croisée à Copenhague. Elle est installée dans cette ville depuis une vingtaine d’années. Elle ne comprend rien à la subite volte-face du gouvernement. Les règles par rapport au Covid étaient hyper strictes depuis des mois, et tout à coup, le week-end d’ouverture de l’EURO, on a tout relâché. 12.500 spectateurs étaient admis pour le premier match. Quelques heures plus tard, les autorités annonçaient qu’il y en aurait 25.000 pour la venue des Diables.

Avant le coup d’envoi, le speaker demande de respecter la distance de sécurité et de porter le masque en continu. Maintenir 1m50 dans un stade presque comble… Et pour le port du masque, c’est raté aussi. Cet ustensile est devenu une relique à Copenhague. Très peu de Danois le portent en rue et il n’est plus imposé dans les commerces. Dans les transports publics, c’est bof, bof aussi. Dans ce pays, on reste très strict au niveau des tests. À notre arrivée à l’aéroport, on doit filer vers un petit kot pour un PCR si on ne peut pas présenter la preuve d’une vaccination complète. Et on doit attendre un résultat négatif, un quart d’heure plus tard, pour passer la douane. Tout le monde a accès aux restaurants, mais seules les personnes pouvant présenter un test négatif ont la permission de consommer à l’intérieur. À côté de ça, on a vu en ville pendant tout l’après-midi du match des milliers de supporters en guindaille, sans masque, chantant, se bourrant la tronche, s’embrassant aussi. Idem autour du stade et à l’intérieur.

Dans notre numéro de la semaine dernière, on vous expliquait qu’on avait l’impression qu’il n’y avait plus de Covid à Saint-Pétersbourg quand on y était allé pour le premier match des Diables. Là-bas aussi, les masques sont devenus une denrée rare. Entre-temps, le nombre de cas positifs a explosé dans cette ville, comme à Moscou. Les chiffres récents peuvent faire penser à l’arrivée d’une nouvelle vague. Saint-Pétersbourg tourne à 800 nouvelles hospitalisations par jour, mais ne prend toujours que des mesurettes par rapport à l’EURO, comme la diminution de la capacité d’une fan-zone.

Officiellement, 130.000 Russes sont décédés du Covid. Mais une agence indépendante évoque le double. Problème: une frange importante de la population est anti-vaccin, ne fait pas confiance au Sputnik V local. Et donc, moins de vingt millions de personnes ont été vaccinées, pour une population frisant les 150 millions. Mais bon, à Saint-Pétersbourg comme à Copenhague, le speaker du stade rappelle qu’il faut garder ses distances et ne pas tomber le masque. Histoire de donner bonne conscience aux gouvernements et à l’UEFA. Pour pouvoir dire, en cas de drame: « On vous avait prévenus. » Hypocrisie. On tient peut-être une bombe à retardement. Au Danemark, en Russie, en Hongrie et ailleurs. On comptera les points dans quelques semaines.

Objectif Wembley et  Ballon d'Or pour Kevin De Bruyne
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Eriksen était là!

Au fan-shop du stade de Copenhague, trois mannequins dans les vitrines. Ils portent tous un maillot floqué  » ERIKSEN« . Le nom apparaissant le plus sur les maillots des supporters danois? Eriksen, évidemment. Le joueur de l’Inter n’était pas au stade lors du match contre les Diables. Mais pas bien loin, à l’hôpital situé à quelques centaines de mètres. On a vite compris qu’il allait être le premier sujet de conversation pendant tout le séjour. Lors du point presse la veille du match, de nombreuses questions posées à Roberto Martínez et Romelu Lukaku évoquent Christian Eriksen.

Le chauffeur du bus transportant les médias belges vers le stade est ému quand on lui en parle. « Difficile pour moi de te dire quelque chose. C’est compliqué. Au moment où il a fait son malaise, la ville a arrêté de vivre, des gens pleuraient. La défaite contre la Finlande s’explique par ça, c’est évident pour tout le monde ici. Tous les Danois disent qu’il n’aurait pas fallu reprendre le match. Ça a été une grosse erreur. Le niveau de l’équipe a baissé de façon dramatique. »

Une bénévole du centre de presse revient sur cette soirée cauchemardesque. « C’était bizarre. Surréaliste. Eriksen, justement lui! Un malaise pareil aurait été pris comme quelque chose de très grave pour n’importe quel joueur, mais Eriksen, c’est la star, le seul joueur que tout le monde connaît ici. Demande à un gamin de douze ans qui ne s’intéresse pas au foot s’il connaît Eriksen, oui, il le connaît sûrement. Un grand joueur, un beau gosse, il joue dans un grand club. On a cru qu’il allait mourir, on s’est demandé si l’EURO allait continuer pour l’équipe danoise. Entre-temps, les joueurs regrettent d’avoir accepté de reprendre le match. Mais est-ce qu’ils avaient le choix? Il y avait deux options: reprendre le soir même, ou alors le lendemain à midi. Ils ne se sentaient pas capables psychologiquement de revenir le lendemain, donc ils ont pris la décision qu’ils trouvaient la moins mauvaise. Pour en finir le plus vite possible avec leur cauchemar. » Lors de la présentation des équipes avant le match contre les Diables, le Danois le plus applaudi a été Simon Kjaer. Pas uniquement parce qu’il est le capitaine de l’équipe. Mais parce qu’il a peut-être sauvé la vie du chouchou du foot danois en l’empêchant de s’étrangler.

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