© PG

Noisefeed, le scouting des blessures

Avez-vous déjà entendu parler de Noisefeed? Probablement pas! Ses fondateurs se cachent dans la petite commune italienne de Chiavari. Après la révolution Wyscout, ils sont à leur tour sur le point de secouer le monde du football.

Nicolò Cavallo et Filippo Azzarini se souviennent encore parfaitement du jour où ils ont eu l’idée de lancer Noisefeed Injuries. Le 13 novembre 2019, le CEO et le Head of Business Developmentont assisté pour la première fois au Wyscout Forum à Amsterdam et, dans les quelques jours qui ont suivi, leur cerveau a chauffé. Au retour d’Amsterdam, sur lla route humide entre Milan et Chiavari, ils ont discuté avec leurs amis de Wyscout. « Soudain, on était tous d’accord: la prochaine grande innovation, c’était le monitoring des blessures. À partir de ce moment-là, on a travaillé sur une banque de données qui rassemblerait l’historique des blessures des joueurs », raconte Filippo Azzarini depuis Chiavari, une petite ville des environs de Gênes. « Par le passé, plusieurs clubs avaient déjà dit à Wyscout qu’ils cherchaient un produit similaire et on a donc sauté sur l’occasion. La grande question posée aux clubs était celle-ci: Vous serait-il utile de pouvoir consulter sur une plate forme des informations certifiées sur les blessures? La réponse était unanime: Oui! On ne cherche pas des données abstraites comme la personnalité d’un joueur. On donne des informations sur sa fraîcheur physique. Un joueur à dix millions qui ne joue pas, c’est de l’argent jeté par les fenêtres, un mauvais investissement qui peut causer du tort au club. »

On a importé 300.000 profils de joueurs de la base de données de Wyscout et on en est aujourd’hui à 100.000 profils de blessés. » Filippo Azzarini

Cavallo, le fondateur, est né et a grandi à Chiavari, qui fait fonction de hub pour les start-ups spécialisées en sport. Noisefeed existe depuis 2017, mais Noisefeed Injuries, figure de proue de l’entreprise, n’a été lancée qu’en novembre 2020. « Lorsqu’on a commencé, il y a trois ans et demi, on est partis d’une idée toute simple: tracer et tenir à l’oeil toutes les informations relatives à l’industrie du football parues dans les journaux et sur les réseaux sociaux. Noisefeed voulait séparer les rumeurs des informations précises et vérifiables. C’est pour ça que nous l’avons appelée Noisefeed ( bruit de fond en VF, ndlr). »

Filippo Azzarini et Nicolò Cavallo
Filippo Azzarini et Nicolò Cavallo© PG

Donc, vous collectez toutes les informations parues dans les journaux, les magazines et sur internet afin de nourrir votre banque de données. Et sur base de cela, vous proposez des softwares?

FILIPPO AZZARINI: Exactement. On a une grande plateforme contenant des millions d’informations venues en temps réel du monde entier. On est donc sur une énorme montagne d’informations, probablement la plus grande sur une seule plateforme. Après la première année du Covid, on a remarqué qu’il y avait un manque d’informations sur le marché en matière de blessures. La plupart des clubs utilisent Transfermarkt afin de vérifier l’historique des blessures d’un joueur, mais on savait qu’on pouvait fournir un meilleur produit. On est donc partis de notre base de données existante, au sein de laquelle on avait collecté toutes les informations sur les blessures. Les clubs utilisent Wyscout pour suivre les qualités des joueurs. Pour les statistiques, ils font plutôt appel à Opta Sports et StatsBomb. Il leur fallait aussi un outil permettant de mesurer les aptitudes physiques d’un joueur.

« On ne révèle pas d’information du dossier médical d’un joueur »

Êtes-vous surpris que personne n’ait lancé un tel produit sur le marché avant vous?

NICOLO CAVALLO: C’est ça, une start-up. On a décelé une opportunité et on a décidé d’y investir du temps et de l’argent pour lancer la première et plus grande banque de données sur les blessures.

AZZARINI: On collecte actuellement jusqu’à quinze paramètres différents sur une blessure. La nature de celle-ci, la cause – même s’il ne s’agit que d’un tacle – le nombre de jours d’absence et le nombre de matches manqués. Si possible, on ajoute des images de la blessure.

CAVALLO: De nombreux clubs veulent également savoir dans quel hôpital un joueur a été opéré et par quel chirurgien.

Cela ne relève-t-il pas du secret médical?

CAVALLO: On ne révèle pas d’information du dossier médical d’un joueur. Supposons que Romelu Lukaku doive se faire opérer demain et que l’Inter communique des informations sur son site internet. On participe aux conférences de presse et on recherche des informations dans les médias via les réseaux sociaux des joueurs, des agents et des journalistes. Ce sont des données faciles à trouver. À côté de ça, il y a des données plus difficiles, mais on a développé un algorithme qui nous permet de collecter des informations dans le monde entier.

AZZARINI: Cet algorithme nous permet de trouver le mot « blessure » sur tous les canaux d’information. En deux cents langues! Lorsqu’un joueur est remplacé en première mi-temps, on reçoit une notification. On regarde alors les images, car il peut s’agir d’une blessure.

Pouvez-vous assurer que les informations que vous recevez via ce feed sont correctes? Des gens mal intentionnés peuvent publier des choses sur internet.

AZZARINI: Une équipe de 25 analystes procède manuellement à un deuxième screening, qu’on appelle « quality check ». Pour chaque blessure, on cherche trois ou quatre sources d’informations différentes. Un club peut cacher un hématome, mais quand il s’agit d’une blessure grave, on en retrouve toujours la trace.

« En Angleterre, on a davantage de blessures à la cheville »

Combien de joueurs retrouve-t-on dans la base de données de Noisefeed?

AZZARINI: On a importé les 300.000 profils de la base de données de Wyscout et on en est à 100.000 blessés. On a commencé par les joueurs en Europe et en Amérique du Sud, mais on constate que les clubs sont plus intéressés par les joueurs d’Amérique du Nord, de Scandinavie et d’Afrique. Ce n’est pas une question de géographie ou de localisation, on se concentre sur les marchés qui intéressent nos clients. Un club veut-il acheter uniquement la plateforme des championnats de jeunes ou d’un pays? Pas de problème. Aujourd’hui, on est même capables d’établir en 24 heures un rapport complet d’un joueur actif en Australie.

On veut protéger les investissements des clubs et la santé des joueurs. » Nicolò Cavallo

Noisefeed veut révolutionner le football, mais les blessures, c’est encore un sujet tabou. Les clubs et les agents n’ont souvent pas intérêt à partager le bulletin médical d’un joueur.

AVALLO: On veut simplement protéger les investissement des clubs et la santé des joueurs. Un club qui connaît tout l’historique d’un joueur peut personnaliser la façon dont il va travailler avec lui.

AZZARINI: L’objectif n’est pas de briser la carrière d’un joueur, mais le club doit avoir toutes les informations afin de savoir comment utiliser celui-ci de façon optimale. Si un joueur a eu des problèmes de genou, il doit recevoir des soins spécifiques, non? Cette plateforme doit aider les joueurs, les clubs et les agents. Les plus grands agents ont fondé leur propre département de scouting pour être les premiers à recruter les stars de demain. Pour eux, il est important de connaître l’historique des joueurs. Pas seulement ses blessures, mais aussi la façon dont il utilise les réseaux sociaux.

Noisefeed, le scouting des blessures

Le coronavirus a vu le nombre de blessures grimper en flèche. Avez-vous constaté d’autres tendances?

AZZARINI: En Serie A, les mois de mars et avril ont été cruciaux dans la course au titre. La Juventus et l’AC Milan, surtout, ont eu de nombreux blessés. Fin février ou début mars, sept joueurs de l’AC Milan étaient out, dont cinq piliers. L’Inter, lui, comptait moins de deux blessés. C’est là qu’Antonio Conte a remporté le championnat.

Vous pouvez donc dire dans quels championnats les tacles provoquent le plus de blessures?

AZZARINI: On ne voit pas de différences significatives dans le nombre de blessures, mais bien dans le type de celles-ci. En Italie, ce sont souvent des blessures musculaires. En Angleterre et en Espagne, on a davantage de blessures à la cheville. En Italie, par exemple, on a trois blessures à la cheville pour trente à la cuisse. En Angleterre, c’est neuf blessures à la cheville. C’est une question d’intensité dans les matches. En Premier League et en Bundesliga, on tacle plus et les arbitres sortent moins vite les cartes jaunes qu’en Serie A. »

La Belgique et les Pays-Bas font un travail formidable avec des petits budgets »

Quelles sont les ambitions de Noisefeed à moyen et long termes?

AZZARINI: Noisefeed doit être utilisé dans le monde entier. On veut que les utilisateurs restent le plus longtemps possible sur la plateforme. Les clubs ne doivent pas utiliser uniquement nos données pour vérifier les blessures. Au cours des prochains mois, on lancera donc de nouvelles choses qui doivent intéresser les utilisateurs.

Vos clients sont l’AC Milan, la Roma, la Fiorentina, Everton, Leeds, Benfica, le Sporting CP et la fédération mexicaine. Quels marchés voulez-vous encore conquérir au cours des prochaines années?

CAVALLO: Je pense avant tout au Royaume-Uni, car la Premier League est le plus grand marché du monde. On a un pied dedans, mais on n’y est pas encore aussi bien établis qu’en Italie.

AZZARINI: Je pense que la Belgique et les Pays-Bas sont intéressants également, car chaque année, ils sortent de bons jeunes. Ils font un travail formidable avec des petits budgets. Ils aiment aussi les nouvelles technologies.

CAVALLO: En attendant, on est déjà en MLS. On a pris les premiers contacts et j’y vois beaucoup de potentiels, car ils veulent intégrer les nouvelles technologies dans leur travail.

Peut-être qu’à terme, Noisefeed peut aussi intéresser les quatre grands sports d’équipes américains?

AZZARINI: Actuellement, on se concentre sur le football. Mais pourquoi ne pas appliquer notre méthodologie aux autres sports? Si on doit décider d’investir en dehors du football, on le fera d’abord aux États-Unis. Il y a beaucoup d’argent et leur approche des technologies nous intéresse beaucoup.

« On veut révolutionner le football, comme Wyscout »

C’est à Chiavari que se trouve le quartier général de Noisefeed. Avez-vous volontairement opté pour une petite ville plutôt que pour une métropole?

NICOLÒ CAVALLO: Chiavari n’est pas une ville comme les autres. C’est ici que sont nées Wylab, une entreprise qui investit dans des start-ups novatrices du secteur sportif, Wyscout et d’autres encore. Elles ont créé un nouvel écosystème focalisé sur la technologie. On peut parler d’économie circulaire. Lorsqu’on raconte notre histoire à des étrangers, on dit toujours qu’on est établis dans la Silicon Valley de l’industrie du football.

FILIPPO AZZARINI: Chiavari est la seule ville d’Italie qui dispose d’un incubateur spécifiquement dédié au sport et à la technologie. Quand on parle de football 365 jours par an et 24 heures sur 24, il n’est pas illogique de trouver un jour la bonne idée. On a des meetings et des pauses café avec les gens de Wyscout et on se pose souvent la même question: « Quel est le prochain software qui va changer notre core business? »

Wyscout et Noisefeed sont originaires d ‘Italie. Ce n’est pas un hasard? L’Italie a-t-elle une longueur d’avance sur les autres pays?

AZZARINI: Le football est profondément ancré dans notre culture. Matteo Campodonico travaillait dans une banque avant de fonder Wyscout. Il a révolutionné le football. On veut faire pareil, à plus petite échelle. Mais ça n’a rien à voir avec l’Italie, c’est surtout une question de mentalité des hommes d’affaires italiens. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les start-ups sont soutenues par de grands investisseurs. En Italie, lancer quelque chose est plus difficile. on doit se montrer créatifs, mais ce n’est pas nécessairement un inconvénient. On peut aussi arriver à quelque chose avec des moyens limités.

Peut-on dire que Noisefeed est une spin-off de Wyscout?

AZZARINI: Les deux entreprises entretiennent des liens très étroits. Les gens de Wyscout sont nos amis. Ils ont vu le potentiel de Noisefeed et ont investi de l’argent dès le départ. Ils possèdent d’ailleurs toujours des actions dans l’entreprise. On utilise leurs données et, jusqu’il y a peu, on partageait le même bâtiment. Campodonico fait partie de notre conseil d’administration. Mais malgré ces liens, on ne dépend pas d’eux pour fonctionner comme on l’entend.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire