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Nicolae Stanciu : Escale à Bruxelles

Anderlecht veut faire taire les critiques avec un transfert record. Dix millions, c’est une somme énorme pour le marché belge, mais ceux qui le connaissent affirment que Nicolae Stanciu peut relancer le Sporting avant de partir pour un championnat plus huppé.

Le 10 avril de cette année, des scouts de l’Inter et de l’AC Milan garnissent les tribunes du stade de Bucarest, théâtre du derby entre le Steaua et le Dinamo. Ils se sont déplacés pour le milieu de terrain Nicolae Stanciu (23 ans). Trois semaines plus tôt, celui-ci a effectué ses débuts en équipe nationale à l’occasion d’un match amical contre la Lituanie. Le petit médian de 1m70 est entré au jeu après le repos. Son nom est scandé au coup de sifflet final: il a inscrit le seul but de la rencontre, d’un tir des 30 mètres.

Un mois plus tôt, le Steaua avait refusé pour lui une offre du FC Krasnodar. Le club russe était prêt à mettre trois millions sur la table, selon la presse locale. En février, Stanciu prolongeait son contrat au Steaua pour cinq années supplémentaires, à des conditions revues à la hausse. On savait depuis sa prime jeunesse que Stanciu était un talent en devenir.

Ses premiers entraîneurs, au club d’Unirea Alba Iulia, en attestent. C’est là que le gamin a effectué ses premiers pas de footballeur, à l’âge de huit ans. Il était tellement timide qu’il se cachait derrière le dos de sa grand-mère. Mais, lorsqu’il montait sur le terrain, il n’avait plus peur de rien. Son talent sautait aux yeux.

En équipe A à 15 ans

Il débute en équipe Première à 15 ans et 18 jours. Unirea joue alors en D2. Le 1er mai 2010, toujours avec Unirea, il effectue ses débuts en D1 contre le…Steaua. Vaslui l’achète en septembre 2011. En 2013, on parle d’un transfert au Dinamo, mais le Dinamo n’a pas d’argent. Au contraire du Steaua.

A ce moment-là, déjà, Stanciu tape dans l’oeil des recruteurs milanais. Ce n’est pas étonnant. Le 30 août 2012, son club de Vaslui joue au stade Giuseppe Meazza le match retour des play-offs qualificatifs pour l’Europa League.

Les 50.000 spectateurs pensent que ce ne sera qu’une formalité pour l’Inter, d’autant que les nerazzuri se sont déjà imposés 0-2 à l’aller en Roumanie. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. Le lendemain, un journal italien titre: ‘Stanciu fa impazzire l’Inter’. Traduction: Stancia affole l’Inter.

Stanciu fait des ravages sur son flanc gauche et alimente son attaquant. Ce n’est qu’en toute fin de match que l’Inter assure sa qualification. Dès ce moment, Stanciu n’est plus un inconnu en Italie. En mars de cette année, juste avant que Stanciu ne prolonge son contrat au Steaua, l’AC Milan offre quatre millions, mais le propriétaire du club, Gigi Becali, refuse. Pas question de vendre Stanciu, affirme-t-il dans la presse roumaine.

« Nous ne voulons pas nous en séparer pour l’instant. Peut-être cet été, mais alors pour dix millions. Car c’est un grand talent. Si c’est possible, nous aimerions le garder quelques années, afin qu’il grandisse avec nous. Il partira ensuite pour 25 ou 30 millions. Surtout s’il nous aide à disputer la Ligue des Champions. »

Mais lorsque les émissaires de l’Inter et de l’AC Milan sont dans la tribune, ce fameux 10 avril, Stanciu n’en touche pas une. Cela fait l’affaire de Becali: « L’avez-vous vu à l’oeuvre? Et Milan voudrait l’acheter? Eh bien, je paierai moi-même pour qu’ils le prennent. »

Il ne paiera pas, bien sûr. Becali n’a pas d’argent à consacrer au football, il en récolte grâce au football. En 2003, alors qu’il était actif dans l’immobilier et comme parlementaire, il a acheté le Steaua, en grosses difficultés à l’époque, pour en faire un club de pointe en s’appuyant sur de jeunes Roumains. Mais il échoue en prison en 2014. Il continue à diriger le club de derrière les barreaux et, à sa libération, il affirme que son but est désormais de gagner de l’argent grâce au football.

En balance avec Ziyech

Comment Anderlecht s’est-il mis sur la piste de Stanciu? Dimitri Mbuyu, chef de la cellule scouting, préfère ne pas en parler. « D’autres personnes sont mieux placées que moi pour cela », s’excuse-t-il.

« Nous connaissons quasiment tous les joueurs en Europe’, affirme le directeur général Herman Van Holsbeeck, après un mercato intensif durant lequel son travail a été fortement critiqué (voir encadré). « Les gens pensent que je décide de tous les transferts, mais je ne me mets en action que lorsqu’un profil précis a été défini. Notre cellule scouting a constitué un dossier sur quasiment tous les joueurs d’Europe.

A un moment donné, un profil est défini en concertation avec le coach. Chaque entraîneur a sa vision, prône une certaine manière de jouer. C’est parfois compliqué, car il arrive que la cellule scouting ne partage pas l’avis de l’entraîneur. Dans ce cas-ci, il s’agissait d’un numéro dix ayant certaines qualités.

Nous consultons alors notre base de données pour savoir si un joueur répond au profil recherché. Nous voyons aussi quels sont les agents de ces joueurs. Nos recherches nous ont menés vers Hakim Ziyech et Nicolae Stanciu. Ensuite, je contacte les agents de ces joueurs. »

Van Holsbeeck discute avec les agents de Ziyech, un international marocain qui joue au FC Twente et qui a grandi aux Pays-Bas, mais l’affaire prend une tournure inattendue. Twente, qui a échappé de peu à la faillite mais a un urgent besoin d’argent pour subsister, est disposé à vendre Ziyech, mais pas pour six ou sept millions, comme l’affirme le directeur technique Ted van Leeuwen.

Anderlecht est bien placé, mais un autre acheteur potentiel se met sur les rangs: l’Ajax, qui avait dans un premier temps jeté son dévolu sur Leon Bailey mais qui s’est heurté à une fin de non-recevoir du KRC Genk. Après son élimination de la Ligue des Champions, des oeuvres de… Rostov, le tombeur d’Anderlecht, le club amstellodamois est décidé à mettre le paquet pour Ziyech. Le 30 août, l’international marocain signe à l’Ajax, qui verse 11 millions au FC Twente.

Van Holsbeeck n’a donc pas d’autre choix que de se rabattre sur Stanciu. Anderlecht aurait déjà suivi une première fois le jeune talent roumain lors d’un match de Ligue des Champions entre le Steaua Bucarest et le club bulgare de Ludogorets en 2014. A l’époque, le Sporting lui avait préféré Ibrahima Conte de Zulte Waregem.

Le meilleur de Roumanie

A la mi-juillet, le nom de Stanciu refait son apparition du côté du Parc Astrid, mais le président Becali ne veut pas entendre parler d’un transfert. Son club dispute les tours préliminaires de la Ligue des Champions et il préfère miser sur le jackpot de la C1 plutôt que récolter des cacahuètes en vendant Stanciu. Celui-ci doit d’abord aider le Steaua à se qualifier. Ensuite, on verra. En tout cas, le flamboyant président n’est pas décidé à brader sa pépite.

Finalement, le Steaua ne se qualifie pas pour la Ligue des Champions. Dans les barrages, son club coule à domicile face à Manchester City: 0-5. Son sort est scellé dès le match aller. Mais, auparavant, Stanciu avait déjà déposé sa carte de visite.

Rudi Verkempinck était notamment dans la tribune lorsque le Steaua affronte le Sparta Prague. Le champion de Roumanie inscrit quatre buts contre les Tchèques, dont trois par Stanciu. « Il a été phénoménal », atteste l’assistant belge du nouveau sélectionneur roumain Christoph Daum avec lequel il avait déjà collaboré à Bruges.

« Il me fait penser à Victor Vazquez pour son intelligence de jeu. Il lit le jeu très rapidement, c’est un vrai numéro dix doté d’une incroyable technique de frappe. Mentalement, il est très stable. Et il est très ambitieux. Il est actuellement le meilleur joueur de Roumanie. »

Verkempinck, qui a travaillé avec l’international durant la préparation au match contre le Monténégro, joué dimanche soir (score final : 0-0), ne doute pas un seul instant que Stanciu réussira à Anderlecht. « Je lui ai dit qu’Anderlecht faisait beaucoup d’efforts pour intégrer au mieux les joueurs étrangers. Il m’a avoué que le Sporting était son premier choix.

Je trouve fantastique que le Sporting soit parvenu à conclure le transfert d’un tel joueur. Il faudra simplement être patient avec lui. On sous-estime souvent l’adaptation nécessaire lorsqu’on découvre un nouveau pays et un nouveau championnat. Bruxelles n’est pas Bucarest. »

L’entraîneur-adjoint de l’équipe nationale roumaine est convaincu qu’Anderlecht ne constituera qu’une étape pour Stanciu: « Après s’être imposé dans le championnat de Belgique, il partira en Bundesliga ou en Premier League. »

Un agent féminin

Lorsque Van Holsbeeck rouvre le dossier Stanciu après les brillantes prestations de l’international contre le Sparta Prague et Manchester City, il sait que son prix de vente a augmenté: « Je savais que l’affaire ne se conclurait pas sans un effort supplémentaire. Le Steaua ne voulait plus vendre Stanciu pour quatre millions. Roger Vanden Stock a demandé: y a-t-il unanimité sur ce transfert? Il ne voulait pas dépenser autant d’argent s’il y avait des réticences. Mais tout le monde était d’accord. »

Van Holsbeeck prend alors contact avec Anamaria Prodan-Reghecampf, l’agent du joueur. En Roumanie, cette dame est omniprésente dans les médias. Et pas seulement dans la presse sportive, également dans les magazines de société pour lesquels elle pose et donne des interviews. Elle a un passé de top-modèle. En 2007, elle a encore pris la pose pour le Playboy roumain, afin de démontrer qu’une femme peut encore présenter bien des atouts à 35 ans.

Son émission à la télévision booste les audiences. Finalement, elle atterrit dans le milieu sportif grâce à ses mariages successifs. Elle épouse d’abord le basketteur Tiberiu Dumitrescu, puis en 2008 elle se marie à Las Vegas avec le footballeur Laurentiu Reghecampf qui a joué pour le Steaua, l’Energie Cottbus, Alemania Aix-la-Chapelle et le FC Kaiserslautern.

Elle décide de porter le nom de ce dernier lorsqu’elle demande une licence FIFA comme agent de joueurs. Son mari, lui, est devenu entraîneur : d’abord dans des petits clubs roumains, puis en Arabie saoudite et, depuis décembre 2015 au Steaua, là où évolue Stanciu.

En 2013, Anamaria Prodan – qui est devenue présidente du club de D2 du FC Snagov en 2009 et qui a aussi été CEO de l’Universitatea Cluj, qu’elle a aidé à sortir du marasme financier – est élue manager sportif de l’année. Elle possède dans son portefeuille quantité de joueurs roumains de talent, dont Adrian Mutu.

Anamaria montre à Van Holsbeeck une liste de dix clubs intéressés par Stanciu. Ils sont disposés à délier largement les cordons de la bourse. Le manager général d’Anderlecht sait que sa mission sera compliquée: « Notre chance, c’est que Stanciu n’a pas envie de partir à Hull City ou à Burnley. Il veut gravir les échelons sans brûler les étapes. Pas partir pour beaucoup d’argent dans un club anglais de milieu ou de bas de tableau. »

Un professionnel exemplaire

En optant pour Anderlecht, Stanciu n’a pas fait un choix financier. Van Holsbeeck en est conscient: « Il pouvait gagner quatre fois plus ailleurs. » Ailleurs, c’est surtout à Fenerbahçe, qui était prêt à lui offrir un salaire annuel de 2,5 millions. Si l’on en croit la presse roumaine, il touchera un peu plus de 900.000 euros au stade Constant Vanden Stock.

Mais les tensions politiques en Turquie ont aussi dissuadé Stanciu de partir à Istanbul. Il préfère la capitale belge. Son agent l’aurait aussi encouragé à signer à Anderlecht, ce que confirme Ioan Leasca, un économiste roumain amateur de football. Leasca a appris à apprécier Anderlecht à l’époque de Pierre Sinibaldi.

« Les footballeurs roumains rencontrent souvent des difficultés lorsqu’ils partent à l’étranger », affirme-t-il. « Il n’est pas rare qu’ils rentrent rapidement au pays. Je ne pense pas que ce sera le cas de Stanciu, il a toutes les qualités pour réussir. C’est un professionnel exemplaire, il vit pour son sport. C’est un bon dribbleur, il a une bonne vision du jeu et une frappe fantastique. Il me fait penser à Pär Zetterberg. Je dois féliciter Anderlecht et la Belgique pour ce transfert. »

Lorsque Stanciu débutera en championnat de Belgique dimanche prochain, contre Charleroi, il portera un sérieux poids sur les épaules: celui du transfert entrant le plus cher de l’histoire du championnat de Belgique et également de transfert sortant le plus cher de l’histoire du championnat de Roumanie. Il bat le record de Vlad Chiriches qui avait rapporté 8,5 millions au Steaua en 2013, lorsqu’il était parti à Tottenham.

Au Steaua, qui a encaissé plus de 30 millions en cinq ans pour la vente de ses joueurs (dont 13 millions d’Anderlecht rien que cet été: dix pour Stanciu et trois pour Alexandru Chipciu), on se frotte les mains entre-temps.

Par Geert Foutré

PARI PERDU

Anderlecht ne l’admettra pas, mais l’échec du transfert de Nicolas Lombaerts reste toujours en travers de la gorge. Le défenseur du Zenit Saint-Pétersbourg devait être la pièce de résistance d’un mercato estival un peu fou. Le Diable Rouge symbolise le manque d’action des administrateurs du club bruxellois. Il y a des semaines que le staff technique réclame un défenseur central expérimenté qui puisse jouer un rôle de leader.

Pourtant, Herman Van Holsbeeck aurait attendu le dernier jour pour faire une offre sérieuse au Zenit. Le comité de direction ne l’a sans doute pas entièrement soutenu dans ses démarches. Lombaerts représentait un investissement considérable, sur lequel toute plus-value à la revente était quasiment exclue.

Finalement, Lombaerts intègre une liste qui comprend déjà Thorgan Hazard, Mbark Boussoufa, Daniel Van Buyten, Alexander Scholz, Alexander Milo?evi? et Jakub Brabec: des joueurs qui avaient un pied à Neerpede, mais qui n’y ont pas mis le deuxième parce que le manager général s’y serait mal pris.

« Michel Verschueren avait des défauts, mais lorsqu’il annonçait un transfert, le joueur débarquait le lendemain », nous souffle un collaborateur du club.

Autre critique entendue à propos de Van Holsbeeck: il miserait trop sur son plan A, sans toujours prévoir un plan B, et resterait alors les mains vides lorsque la première option échoue. Ces dernières années, Mogi Bayat a souvent dû venir à la rescousse. Ce fut encore le cas mercredi passé: lorsque le dossier Lombaerts était au point mort, Bayat est arrivé avec Uros Spajic. Un Serbe dont Anderlecht n’avait encore jamais entendu parler. Mercredi passé, Bayat n’aurait quitté Neerpede que peu après minuit.

Une cellule scouting négligée

Le manager général dément avoir trop tergiversé: « Lombaerts était notre premier choix, et il avait envie de venir, mais j’ai rapidement senti que l’affaire serait compliquée. D’abord c’était une question d’argent, puis le Zenit voulait le conserver. Au début des négociations, le club russe demandait six millions. Puis, j’ai senti qu’il ne voulait plus lâcher Lombaerts pour des raisons sportives. Certains dirigeants étaient sans doute prêts à s’en séparer, mais pas le vrai décideur. Mercredi après-midi, j’ai senti que l’affaire ne se conclurait pas, et j’ai actionné le plan B.’

Il faut reconnaître un mérite à Van Holsbeeck: avec lui, les affaires tournent à plein régime au Parc Astrid. Jamais encore, Anderlecht n’avait enregistré autant de transferts entrants et sortants en aussi peu de temps. Van Holsbeeck ose investir, avec l’objectif d’accroître les marges bénéficiaires. Mais cette méthode comprend des risques, surtout lorsque l’appareil de scouting laisse apparaître quelques failles. Le PSV et Lille – deux clubs du même calibre qu’Anderlecht – peuvent s’appuyer sur un réseau ingénieux de scouts qui parcourent le monde durant toute l’année.

A Anderlecht, la cellule scouting est négligée. Les gens sont envoyés en mission, mais leurs rapports sont classés verticalement. Certaines personnes généralement bien informées prétendent que Dimitri Mbuyu, promu chef de la cellule scouting il y a deux ans, ne serait pas toujours au courant des joueurs qui intéressent réellement Van Holsbeeck. Le dernier joueur engagé grâce à un rapport de la cellule scouting est Mahmoud Hassan ‘Trezeguet’.

« La cellule scouting coûte un maximum d’argent et ne rapporte rien. La direction ferait peut-être mieux de la supprimer », affirme le même collaborateur.

Par Alain Eliasy et Geert Foutré

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