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Nastja Ceh: « Andres Mendoza s’est moqué de mes cheveux »

Nastja Ceh a empoché six trophées en trois saisons à Bruges. Et empilé un nombre incalculable de coups francs grâce à une patte gauche de velours. Tout juste retraité, il dresse le bilan de sa carrière. Clope au bec.

La dernière fois qu’il a posé les pieds dans l’enceinte du château de Ptuj, Nastja Ceh se mariait. « C’était en 2003, tous les invités étaient rassemblés dans la cour. Un grand moment. » Surplombant la plus ancienne ville de Slovénie, le Ptujski Grad donne vue sur la Drava, qui s’écoule en direction du Danube croate, et sur les séduisantes bâtisses blanches aux toits rougeâtres du vieux centre. Un lieu féérique que le Slovène retrouve aujourd’hui avec un tout autre costume, celui de vice-président et d’entraîneur des jeunes du NS Drava Ptuj, le club de sa ville, de ses débuts et de ses derniers faits d’armes en tant que joueur, à 40 printemps. « Je continue à donner beaucoup de ma vie au foot parce que j’aime ça et surtout, parce que je ne sais rien faire d’autre », confie l’ancien Brugeois, assis à la terrasse du château, en enchaînant les cigarettes et les traits d’esprit, un poil pince-sans-rire. « Je n’allais pas devenir électricien: j’aurais pu me tuer en mettant les doigts dans la prise, par erreur. » Si le gaucher tape encore le cuir en quatrième division, il est officiellement retraité depuis un an. « J’avais un temps d’avance, c’est pour ça que je pouvais toujours jouer. Si j’avais couru comme les plus jeunes, l’ambulance aurait dû venir me chercher sur le terrain après cinq minutes. Le football, ce n’est pas que courir. » On veut bien le croire. Nastja Ceh l’a prouvé à maintes reprises sous la vareuse des Gazelles.

Vous vouliez boucler la boucle en terminant là où tout a commencé?

Oui, on peut dire ça. Il faut pouvoir mettre un point final à une histoire. Ptuj, c’est ma ville, mais je ne pensais pas spécialement finir ici, c’est venu comme ça. Mais je ne pouvais plus suivre. Je devais m’entraîner au moins trois fois par semaine et pas seulement m’occuper de mes enfants, mais aussi des affaires courantes du club : je suis aussi le vice-président. Je bossais 24 heures sur 24… Maintenant, j’ai plus de temps pour me détendre, avec ma famille.

« Au carnaval de Ptuj, mes enfants et moi, on se déguise en mouton. »

Le carnaval de Ptuj est l’un des plus gros du pays.

Il y a plus de 100.000 personnes, dont mes enfants et moi (il sourit). C’est la folie: il y a trois semaines de fêtes, non-stop, c’est très populaire. C’est seulement quand je suis revenu ici, sur la fin de ma carrière, que j’ai vraiment commencé à y participer. Avec mes enfants, nous nous sommes déguisés en mouton (il montre une photo de leur déguisement, Ndlr). L’ensemble pèse plus de 30 kilos et à l’intérieur, il fait très chaud. Chaque masque représente quelque chose de différent. Le nôtre comporte une grosse cloche. Quand nous marchons, c’est impossible de s’entendre parler (rires). C’est quelque chose qui date de très, très longtemps: cet apparat était utilisé au Moyen-Âge pour prévenir les gens que l’hiver était terminé, que la neige allait fondre et que le soleil allait revenir. Le masque est même protégé par l’UNESCO depuis un an.

Vous n’aviez que 14 ans quand la Slovénie est devenue indépendante, en 1991. Cela vous a marqué?

Je m’en souviens très bien. Mais s’il y a eu des massacres dans d’autres pays de l’ex-Yougoslavie, où les gens ont été marqués à vie, ici, la guerre n’a duré que neuf jours. De temps en temps, il y avait une alarme qui annonçait des bombardements et nous avons dû nous réfugier dans un bunker, une fois, à cause de cette même alarme. Sinon, rien de spécial ne s’est vraiment passé. Le plus gros du conflit se déroulait à la frontière, pas à Ptuj. Nous avons rapidement commencé une autre vie. C’est aussi parce que la Slovénie vivait déjà d’une autre façon. Nous sommes proches de l’Italie et de l’Autriche donc ils (les Serbes, Ndlr) nous ont laissés tranquilles parce qu’ils savaient qu’en cas d’attaque, l’Autriche pouvait s’en mêler et que dans ce cas, le conflit allait devenir international. Au final, selon moi, il n’y avait derrière tout ça que des gens stupides, qui n’avaient aucune idée des conséquences de leurs actes, comme le Président, Slobodan Miloševi? (à la tête de la Serbie de 1989 à 1997, puis de la République fédérale de Yougoslavie de 1997 à 2000, Ndlr). Mais je ne veux pas rentrer dans les débats politiques.

« Un jour, à Bruges, la coiffeuse qui était en bas de chez moi ne savait pas comment me colorer. Je lui ai demandé des cheveux blonds, je suis sorti tout jaune… »

Vous avez toujours vos longs cheveux blonds…

Bien sûr. Je n’ai pas changé. Enfin, j’ai peut-être cinq ou dix kilos en trop (rires)… Mais c’est la vie. Même si on a longtemps pensé le contraire, la couleur de mes cheveux est naturelle. Ça m’est bien sûr déjà arrivé de les colorer: à Bruges, par exemple. La coiffeuse, qui était en bas de chez moi, ne savait pas comment faire. Je lui ai demandé des cheveux blonds, je suis sorti tout jaune… C’était avant un match de Ligue des Champions. Quand mes coéquipiers m’ont vu, ils ont ri. Je me souviens que Mendoza était là et il se marrait tellement que c’était gênant. Le jour suivant, ma coiffeuse m’a appelé pour qu’on arrange ça: elle m’avait vu à la télé (rires). Quand vous êtes jeune, vous faites parfois des bêtises. Au moins, ça nous a permis de passer un bon moment.

À Bruges, on vous reconnaissait surtout à la qualité de vos coups-francs. On peut parler d’un don?

(Il souffle) Je ne sais pas… Mon seul cadeau, c’était d’avoir un très bon pied gauche. Quand j’ai commencé comme professionnel à Maribor, j’allais sur le terrain une heure avant l’entraînement pour m’exercer. Je faisais ça trois ou quatre fois par semaine, sans gardien, mais avec quelques cibles précises. Une fois que vous avez tiré 70 fois dans la journée, ça vient tout seul. Chacun de nous a quelque chose en lui qu’il sait qu’il peut faire facilement. Moi, c’était les coups-francs. Mais je suppose que j’avais d’autres qualités. Sinon, je n’aurais pas joué à Bruges (rires).

« J’ai fini quatrième des Free Kick Master, mais j’aurais dû gagner le tournoi. Je suis tombé sur un Cañizares en grande forme. »

Quelle est la formule secrète pour marquer sur coup-franc?

Je ne peux pas l’expliquer, c’est une histoire de feeling. Quand je prenais le ballon, je savais où tirer mais je ne savais même pas comment tirer, ni sur quelle partie de la balle. Je le faisais, c’est tout. Quand je la posais, je voyais déjà le chemin qu’elle devait prendre pour rentrer dans le but, par exemple entre la tête du deuxième et celle du troisième joueur dans le mur. Vous pouvez penser que je dis des conneries, mais c’est juste une question de feeling.

En 2004, vous figurez parmi les prestigieux invités du Free Kick Master, organisé en Espagne. Quels souvenirs en gardez-vous ?

C’était un très bel événement, même si ça n’a pas très bien marché pour moi. J’ai fini quatrième, mais j’aurais dû remporter le tournoi. Après les poules, il y avait trois groupes avec un gardien différent. Je n’ai pas eu de chance parce que je suis tombé sur Cañizares qui était très en forme: il a arrêté deux de mes coups-francs alors qu’avec un but supplémentaire, j’aurais terminé premier. Zidane a fini cinquième, David Villa est sorti dès les phases de groupes. C’est un Turc (Ugur Y?ld?r?m, Ndlr) qui a gagné, parce qu’il a marqué de plus loin, ce qui rapportait pas mal de points. Il n’avait rien de spécial, mais bon…

« Sollied était toujours tranquille. Il s’asseyait, s’ouvrait une bière, et me répétait que mon moment allait venir. »

Vous aviez dit dans une interview que vous étiez tellement libre à Maribor que vous auriez pu commander une bière en plein match. Vous l’étiez tant que ça?

C’était une blague, parce que ce n’était pas comme ça au début. Il a fallu que je m’impose avant d’être élu deux fois de suite meilleur joueur du championnat slovène. J’étais aussi assez libre à partir de ma deuxième saison à Bruges. À mon arrivée, par contre, je n’ai pas beaucoup joué. Le coach (Trond Sollied, Ndlr) me disait de patienter. Il était toujours tranquille… (Il mime) Il s’asseyait, s’ouvrait une bière et il me répétait, doucement: « Ton moment va venir. » Il est venu après le but que j’ai marqué contre le Shakhtar Donetsk (décisif pour la qualification en Champions League en 2002, Ndlr). Jusque-là, je me suis entraîné comme un fou, parce que je voulais montrer de quoi j’étais capable. Après, je n’ai plus quitté le onze. Maintenant, je comprends : il fallait que je m’adapte au jeu, qui était différent. La marche était grande, de la Slovénie à la Belgique. À l’époque, je ne comprenais pas pourquoi Sollied ne me faisait pas jouer. Aujourd’hui, je peux dire qu’il est le meilleur coach que j’aie eu dans ma carrière. Avec lui, le Club jouait vraiment bien. Tout le monde savait ce qu’il devait faire sur le terrain, tout était automatique. Aujourd’hui, en tant que coach, je reproduis 60 à 70% de ce qu’il faisait. Bon, par contre, je ne dis pas à mes joueurs que leur moment va venir… (rires)

Quinze ans plus tard, avec le recul, vous pouvez enfin répondre à cette question : votre association avec Alin Stoica aurait pu fonctionner ?

(Il rit) Trond nous a fait évoluer ensemble donc ça veut dire que oui. J’ai aimé jouer au milieu avec Gaëtan (Englebert) et Timmy (Simons) parce que ces gars savaient quoi faire pour m’aider. Ils étaient des bons amis. Parfois, Alin voulait seulement développer son jeu et ne travaillait pas assez pour l’équipe. C’était un bon gamin. Un peu étrange, mais un bon gamin quand même (rires). Son caractère était différent des nôtres, il était assez solitaire dans le groupe. Trond en attendait plus de lui. Et il savait ce qu’il faisait: on a été deux fois champion et une saison, on a marqué 100 buts (96 en réalité, lors du championnat 2002/2003, Ndlr). Avec le recul, qu’est-ce que vous pouvez dire sur Trond ? Rien.

Nastja Ceh était l'un des joueurs les plus soyeux du Bruges de Trond Sollied
Nastja Ceh était l’un des joueurs les plus soyeux du Bruges de Trond Sollied© belga

En 2005, vous quittez Bruges pour l’Austria Vienne. Si votre choix est pas mal discuté à l’époque, on lie votre départ à des raisons financières. Qu’en était-il?

L’argent n’était pas la raison. Sur la table, j’avais au moins cinq ou six offres venues d’Espagne ou d’Allemagne. J’ai choisi Vienne seulement pour me rapprocher de chez moi et parce que ma femme était enceinte. J’ai fait la plus grande erreur de ma carrière en quittant Bruges, ma maison. J’étais jeune, je pensais être l’homme le plus intelligent sur terre, mais j’avais tort: j’aurais dû rester dix ans à Bruges. Après, tout s’est accéléré.

En avril 2011, la presse slovène évoque votre implication dans une affaire de paris illégaux…

(Il coupe) Des conneries. J’ai fait des erreurs: j’étais jeune, j’ai contacté certaines personnes mais je n’ai jamais été impliqué dans des pratiques criminelles. J’ai perdu une partie de mon argent, j’ai appris de cette histoire et je n’ai plus jamais fait de paris. Depuis deux, trois ans, je ne pense même plus à cet événement.

Il a été écrit que vous aviez mis votre maison en gage.

Seuls cinq ou dix pourcents de ce qui a été écrit est vrai: j’ai placé des paris comme tous les autres et comme ils étaient illégaux, je pouvais miser un peu plus d’argent. Mais je m’en suis sorti. J’ai une vie normale, j’ai ma famille, ma maison est toujours là… Le meilleur exemple de ces conneries, c’est ce matin où j’étais dans mon lit avec ma femme, en Israël (alors qu’il évolue au Maccabi Petah Tikva, Ndlr). On regardait la télé slovène et elle a publié une photo de nous deux en annonçant notre divorce… Cette femme censée me quitter était juste à côté de moi.

« Près d’un millier de personnes ont fait ces paris, dont certains étaient illégaux. On n’a parlé que de moi et d’un ancien coéquipier. »

Alors pourquoi vous faire ça, selon vous?

Parce que je ne leur ai jamais répondu. J’ai eu une expérience avec un journal qui affirmait que j’avais placé 2,5 millions d’euros dans ces paris illégaux. Je leur ai téléphoné pour leur dire d’aller se faire foutre. Ils m’ont répondu qu’ils étaient obligés d’écrire quelque chose… Ensuite, mon avocat m’a calmé: « Nastja, si tu continues à brasser la merde, ça va puer encore plus fort. » J’ai été appelé à la Cour, mais simplement pour parler des autres personnes impliquées dans les affaires de paris illégaux. Pas de moi.

Vous étiez quand même un amateur de paris…

À l’époque! Près d’un millier de personnes ont fait ces paris, dont certains étaient illégaux, mais on n’a parlé que de moi et d’un ancien coéquipier (Goran Sukalo, Ndlr) parce que nous étions des footballeurs professionnels. J’ai eu le sentiment que certains médias s’acharnaient sur nous, que certains journalistes écrivaient ce qu’ils voulaient, et pour des paies de misère. Ils étaient prêts à nous détruire pour gagner 20 euros…

Vous n’avez plus parié ensuite?

Plus jamais.

« Au Vietnam, j’avais acheté un bocal de vin avec un cobra à l’intérieur. À Francfort, six policiers m’ont arrêté. »

Après Bruges, vous avez joué en Autriche, en Russie, en Grèce, en Croatie, en Israël, en Indonésie et au Vietnam. Si vous deviez retirer une expérience particulière au cours de toutes ces péripéties, ce serait laquelle?

Un jour, alors que je revenais du Vietnam, j’ai acheté à l’aéroport un bocal de vin avec un cobra à l’intérieur. En transit par Francfort, six policiers m’ont arrêté et m’ont enfermé de longues minutes dans leur bureau. Naja Naja, le serpent du bocal, était une espèce protégée et totalement interdite à l’achat. Pour les flics, c’est même encore pire que de la drogue. Je n’en savais rien du tout, mais j’avais beau me défendre, ils me promettaient beaucoup d’ennuis. À un moment donné, j’ai repéré le logo du Bayern Munich sur le bureau d’un des officiers. Je lui ai donné mon nom, qu’il a tapé sur Transfermarkt. C’est ce qui m’a sauvé. J’ai rendu le bocal, payé une amende de 200€ puis la police m’a escorté jusqu’à l’avion pour ne pas que je le rate.

Vous dites pouvoir vous adapter partout, quelle que soit la culture ou la religion qui prédomine là où vous vous installez. Vous êtes vous-même religieux?

Je suis chrétien, par défaut. La première question que l’on m’a posée en Israël était « En quel dieu crois-tu? » J’ai répondu: « Je crois en moi. » Si je travaille, je vais réussir. C’est tout ce que je crois.

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