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Naissance et renaissance: comment Denis Dragus a fini par s’imposer au Standard

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Longtemps perdu entre un statut de star locale en Roumanie et un terrible anonymat liégeois, Denis Dragus s’est enfin fait une place dans le onze rouche. L’histoire d’un talent qui, après avoir longtemps été plus rapide que les autres, a dû se résoudre à prendre son temps.

On dit de Mihai Dragus qu’il a du flair. Suffisamment en tout cas pour avoir monnayé ses talents de buteur au-delà des frontières de sa Roumanie natale, de la Corée du Sud aux confins de la Russie, avant de raccrocher les crampons avec la trentaine dans le viseur à cause d’un corps qui dit très vite stop. En ce soir de novembre 2017, l’ancien attaquant est encore en veine. Ou peut-être a-t-il, comme les meilleurs renards des surfaces, simplement un temps d’avance? Avant une rencontre de Coupe de Roumanie entre le FC Botosani et le FC Viitorul, Mihai dépose 25 lei ( environ cinq euros, ndlr) sur un but de son fils Denis, titularisé pour la première fois par le coach Gheorghe Hagi. Il reste un petit quart d’heure à jouer quand la progéniture, 18 ans à peine, dégaine une Madjer qui offre onze fois sa mise à son paternel, l’égalisation à ses couleurs et une célébration dans les bras du Maradona des Carpates.

Sa petite fille Gloria-Elena serait, aux dires de certains, le déclencheur principal du décollage liégeois tant attendu de la promesse roumaine.

« Si Dragus était serbe ou croate, il vaudrait déjà des millions », déclarera quelques mois plus tard la légende du football roumain, quand la dernière pépite de son académie se met à crever l’écran. Sur les bords de la Mer Noire, Hagi a effectivement élu domicile à Constanta pour y lancer son centre de formation puis son club, le FC Viitorul (un mot qui signifie « avenir » en VF). C’est là qu’ OlivierRenard dénichera le coup de patte d’exception de RazvanMarin, l’un des premiers fers de lance produits par les 4-3-3 dynamiques et dominants de Mister Gheorghe. Attirés par la figure de proue du football national, de nombreux jeunes talents sont séduits par le projet de l’Académie Hagi. Denis Dragus est l’un d’eux, repéré dès ses douze ans lors d’un match amical face aux académiciens où il marque le seul but de ses couleurs, mais seulement intégré au centre un an plus tard après avoir convaincu ses parents.

DE IANIS À DENIS

Le décollage file le vertige. Première montée au jeu à seize ans, première titularisation à 18, puis débuts en équipe nationale à 19 lors d’un match de Ligue des Nations face à la Serbie. Une promotion internationale précoce qui ne doit rien, a priori, aux accointances entre Hagi et la Fédération, révélées par les Football Leaks, mais qui impliquaient surtout l’ancien sélectionneur ChristophDaum (ex-Bruges). Sous les ordres de CosminContra, Dragus empile une centaine de minutes de jeu en deux mois, puis poursuit son aventure en sélection chez les Espoirs, une case grillée dans sa progression supersonique. L’objectif est alors d’en faire l’une des têtes d’affiche de l’EURO U21, disputé en Italie à l’été 2019, mais une blessure contrarie les plans de la Fédération roumaine.

C’est donc sans lui que GeorgePuscas et IanisHagi claquent une demi-finale et s’offrent les projecteurs. Le premier file à Reading contre 7,5 millions d’euros, le second rejoint Genk malgré les convoitises d’une bonne partie du Vieux Continent. Dans le deal entre l’est de l’Europe et le coeur du Limbourg, l’agent italien PietroChiodi (également représentant de Marin) fait appel à MogiBayat. « On a discuté avec le véritable agent de Ianis et pendant quatre jours avec son père. Bayat n’était même pas là lorsqu’on a signé le contrat », raconte à l’époque DimitrideCondé. « L’agent de Hagi lui a demandé de l’aide parce qu’il voulait connaître la législation belge. Si on avait eu l’impression que le prix augmentait à cause de l’intervention de Bayat, on n’aurait pas fait le transfert. Mais c’est le contraire qui s’est produit. Bayat, l’a fait diminuer. »

Quelques semaines plus tard, les bons rapports de l’époque entre Bayat (qui bénéficie alors d’une exclusivité belge pour les transferts du Viitorul) et la direction rouche facilitent les négociations entre le club roumain – représenté par Mogi – le Standard et Pietro Chiodi. Denis Dragus signe un contrat de longue durée en Principauté, contre près de deux millions d’euros versés au club de Gheorghe Hagi. Présenté comme le nouveau wonderboy du football transylvanien, le virevoltant attaquant accueille les premiers mots de son coach comme on prend une douche froide. MichelPreud’homme, pas forcément convaincu par le potentiel du joueur, le présente comme « un pari pour l’avenir » et l’envoie finir son mois d’août dans l’anonymat des matches U21. L’aisance qui lui permet de survoler les premières rencontres se change vite en une forme d’insolence, et son temps de jeu chez les pros reste famélique. À vouloir trop prouver sa valeur pour retrouver le statut qui était le sien, Dragus en fait des tonnes et entre dans un cercle vicieux qui ne fait qu’entamer un peu plus une confiance déjà en berne.

LE CONTRASTE

Esseulé dans un pays dont il ne maîtrise pas la langue, passé en un transfert du statut d’icône locale à celui de joueur lambda sans avoir été préparé à l’important décalage malgré des conversations répétées avec Razvan Marin, le Roumain prend le contraste en plein visage. « Il aurait fallu mettre une sorte de nounou derrière lui, il a été très mal géré », raconte à Sudpresse et avec le recul ThierryVerjans, l’un des scouts qui avait analysé Dragus pour les Rouches. Un sentiment d’abandon et de disparition publique confirmé par l’intéressé dans la presse roumaine, à l’occasion de son retour en sélection au bout de l’été dernier: « Là-bas, à mon arrivée, personne ne me connaissait. Il fallait à nouveau que je prouve ce dont j’étais capable. »

Thierry Verjans:
Thierry Verjans: « Il aurait fallu mettre une sorte de nounou derrière lui, il a été très mal géré. »© belgaimage – VIRGINIE LEFOUR

Pas facilitées par un Michel Preud’homme qui n’avait pas pour habitude de consacrer l’essentiel de son temps aux jeunes talents, les preuves peuvent enfin se faire quand PhilippeMontanier prend les rênes d’un groupe liégeois en pleine cure de rajeunissement. Les débuts amicaux sont prometteurs, mais une blessure pendant la préparation et une vie encore trop souvent passée à l’écart du groupe empêchent Dragus de se greffer à l’esprit de corps que souhaite installer le coach français. Le prêt vers Crotone, où son agent Pietro Chiodi a ses entrées, tourne vite à l’erreur de casting quand le Covid, des blessures et un changement d’entraîneur s’entremêlent pour écrire l’histoire d’une nouvelle saison gâchée.

LA TRIPLE BOUÉE

À son retour en bords de Meuse, le Roumain s’accroche à une triple bouée de sauvetage pour changer le cours de sa trajectoire liégeoise. Il y a d’abord MbayeLeye, en quête de joueurs de percussion pour dynamiser son secteur offensif et qui affirme très vite sa confiance en Dragus: « Quand j’étais adjoint, je trouvais déjà que Denis faisait partie de nos joueurs les plus talentueux en termes d’explosivité, de vitesse et de football », explique le Sénégalais au cours de la préparation. « Il faut trouver la clé pour lui permettre d’éclore. »

Au bout du trousseau s’agite ensuite JoãoKlauss, nouveau partenaire de prédilection de celui qui enfile le numéro 7 suite au départ de Michel-AngeBalikwisha, son éphémère propriétaire. Dans un vestiaire très francophone, les deux offensifs se lient d’amitié en anglais, et le Brésilien présente même le Roumain comme « son petit frère » dans les colonnes de la Dernière Heure.

Dans les couloirs du centre d’entraînement, surtout, on raconte que Denis Dragus a été métamorphosé par sa paternité. Si son couple a entraîné quelques dissensions familiales – il ne parle plus à ses parents – l’arrivée de sa fille a provoqué un grand bouleversement aux conséquences positives sur le terrain. Spectatrice attentive de chacune de ses rencontres, dans les bras d’une mère tellement enthousiaste qu’elle fait craindre le drame à ses voisins à chaque action brûlante de son favori, la petite Gloria-Elena serait, aux dires de certains, le déclencheur principal du décollage liégeois tant attendu de la promesse roumaine.

Jamais titularisé auparavant, Denis Dragus s’est immédiatement invité dans le onze de base de LukaElsner, en quête de joueurs dynamiques et capables de répéter les courses dans l’espace pour animer son jeu vertical. L’occasion d’enfin réaliser la prophétie de ceux qui voyaient en lui, dès le départ, un joueur capable de briller un jour dans les plus grands championnats du continent? Au sein du club, d’aucuns continuent en tout cas à le classer dans le haut du panier des joueurs les plus prometteurs du noyau liégeois. En espérant que comme pour Mihai Dragus, le pari sur l’avenir permette de multiplier la mise.

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