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Mbaye Leye, sous le scanner d’Eupen

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Si Eupen veut sauver sa peau, ça passera par des buts de Mbaye Leye. Il fait le taf. Mais qu’est-ce qui rend si unique cet incontournable de notre championnat ?

Encore une histoire d’amour qui s’est mal finie, entre gros mots, reproches en public et portes qui claquent. Dans la relation Mbaye Leye/Zulte Waregem, il y a vraiment eu de l’amour. « Mon club », comme il nous le disait il y a quelques mois. À trois périodes différentes, il a planté des buts avec ZW (87 au total ! ). Mais, trois fois, la fin a été mouvementée, le départ a été houleux. Chaque fois pour des histoires de sous et de contrat. Cet été, il ne lui restait plus qu’un an à tirer là-bas. Il demandait une rallonge de deux saisons. Donc jusqu’en 2020. Et jusqu’à 37 ans. Hors de question pour la direction. Et donc… direction noyau B pour le sympathique puncheur. Il a finalement atterri à Eupen, quand le championnat avait déjà commencé. Son contrat de trois ans, là-bas, il l’a eu. Et qu’est-ce qu’il fait ? Il claque des goals. What else ?

On ne sait pas si Mbaye Leye est un caractériel. Mais c’est un caractère, ça c’est sûr. Voici un portrait décalé du personnage. Des traits de sa personnalité introduits par des choses qu’il nous a lui-même dites dans différentes interviews réalisées depuis son arrivée en Belgique, il y a dix ans. Pour faire contrepoids (ou pas), on a pris du lourd. Jordi Condom, son coach. Luis Garcia, son capitaine. Et Christoph Henkel, son directeur général. Envoyez les sauces !

Le buteur

  • « Plus de cent buts en championnat, plus de dix en Coupe de Belgique. Pour un attaquant qui n’a pas joué que dans des clubs comme le Standard et qui n’a pas toujours joué devant, c’est pas mal hein… »
  • « J’ai la chance d’avoir eu des passeurs de très haut niveau à Waregem. J’ai eu Franck Berrier, Thorgan Hazard, Onur Kaya. »

Jordi Condom résume : « Regarde les chiffres, ça saute directement aux yeux, Mbaye Leye a marqué partout où il est passé. Il le fait avec ses qualités. Ce n’est pas l’attaquant le plus rapide. Ce n’est pas une flèche. Il n’a jamais été Usain Bolt ! Il a de la vitesse mais c’est de la vitesse mentale. Il sent l’action et a l’art de se placer au meilleur endroit. Il compense son manque de vélocité par son placement, et ça, c’est aussi difficile que courir vite. Si tu as le bon timing, tu peux griller un défenseur central plus rapide en le surprenant par une passe bien donnée ou un mouvement auquel il ne s’attend pas. Ça porte un mot : expérience. »

Le patron du club se focalise aussi sur les stats du Sénégalais. « Leye, c’est une garantie de buts, peu importe l’équipe dans laquelle il joue », dit Christoph Henkel. Eupen devait compenser le départ d’Henry Onyekuru, cet été. « Une des priorités de notre mercato était de trouver un gars capable de mettre beaucoup de buts. Regarde les chiffres de Leye depuis son arrivée. On a vite compris qu’on avait fait une bonne affaire. Son adaptation hyper rapide veut dire qu’il a encore plein de qualités. »

Le coach met lui aussi l’accent sur le côté complet du joueur. Leye est un buteur mais également un donneur de passes décisives: « Il ne se contente pas de marquer. Il sait dribbler, s’infiltrer, donner des bons ballons, jouer avec la tête, contrôler, temporiser, frapper, faire jouer les autres. Il y a chez lui une sorte de mimétisme, l’art de déchiffrer très vite les situations et de s’y adapter. En fait, il a la faculté de prendre presque toujours la bonne décision. Si tu as onze joueurs comme ça dans ton équipe, tu gagnes tous tes matches. Mais on n’en a pas onze à Eupen… »

Le guide

  • « Dans les matches décisifs, l’esthétique, tu t’en fous complètement. »
  • « Je ne me lève pas le matin en espérant gravir une nouvelle montagne le jour même. Il faut de la préparation. »
  • « Depuis que j’ai quitté le Sénégal, j’ai vécu dans pas mal d’endroits et je me suis toujours adapté rapidement partout. Mon père disait toujours : -Si tu vas dans un pays où tout le monde est tout nu, tu dois te déshabiller aussi. »

Luis Garcia se sentait un peu seul dans son rôle de parrain du groupe avant l’arrivée de Mbaye Leye. « Parfois, les jeunes ont des opinions différentes des anciens, et dans un groupe de footballeurs, ça peut être compliqué à gérer. Il faut essayer de rassembler les idées pour que l’équipe progresse. Ça prend du temps, ça coûte de l’énergie. Je me sentais un peu seul pour le faire. Dès que Leye est arrivé, ça a changé, il m’a directement aidé. Je pense vraiment que c’est aussi pour ça que la direction a pensé à lui. Tous les anciens n’arrivent pas à assumer ce rôle. Pour Leye, c’est assez facile parce qu’il a la qualité la plus importante pour faire ce boulot : le charisme. Il en a à revendre. Le charisme, tu l’as ou tu ne l’as pas, ça ne s’achète pas au magasin du coin. »

On comprend que le club a fait le double choix des qualités sportives et humaines. « Que ce soit clair, on l’a d’abord fait venir pour qu’il soit bon sur le terrain », lâche le directeur général. « Mais quand tu as un joueur qui, en plus d’être efficace dans les matches, peut aussi jouer un rôle en dehors du terrain, tu ne te poses pas de questions. Mbaye Leye est ici pour guider nos jeunes, et pas seulement les Africains. »

« Je passe moins de deux heures par jour sur le terrain », continue Jordi Condom. « Pour le reste, je suis beaucoup dans mon bureau. Je n’ai pas nécessairement le temps de faire le boulot dans le vestiaire, ce que j’appelle le travail invisible. Jusqu’à l’été dernier, c’était surtout Luis Garcia qui s’en chargeait. Je suis content d’avoir aujourd’hui un autre gars pour l’aider. Leye apporte beaucoup sur ce plan. Sa longue expérience, c’est du pain bénit pour nos joueurs qui ont encore plein de choses à découvrir. »

Le vieux

  • « Peter Maes croyait en mon retour alors que plus personne ne se faisait d’illusions (…) Je suis rentré à Waregem, et là aussi, qui croyait encore en moi ? On ne me le disait pas en face mais j’avais des échos du style : -Pourquoi faire revenir un gars de bientôt 33 ans avec un genou à jeter ? Si j’ai réussi, c’est aussi parce que j’ai beaucoup appris dans la blessure, dans la douleur, dans la médiocrité. »
  • « La jeunesse, la jeunesse… ça suffit. Il ne faut pas que ce soit toujours l’excuse facile. »
  • « En football, il y a un passé, un présent et un avenir. On est tous des passants et personne n’est assez important pour rester. Un jour, je serai remplacé et on m’oubliera. »
  • « Il n’y a qu’une seule personne qui décidera quand Mbaye Leye arrêtera sa carrière. Et c’est Mbaye Leye. »

Mbaye Leye aura 35 ans en décembre. Son contrat de trois saisons n’est-il pas un risque pour Eupen ? « Les gens peuvent voir ça comme un risque financier, je comprends », répond Christoph Henkel. « Mais on aurait aussi pu dire ça pour Luis Garcia quand il est arrivé. Lui aussi avait bien passé la trentaine. Entre-temps, regarde ce qu’il nous a apporté et ce qu’il nous donne encore. On voit directement que ce sont des gars sains, des pros qui ont une hygiène de vie exemplaire. J’ai vraiment l’impression que Leye va encore jouer plusieurs années à un bon niveau. Encore aujourd’hui, je m’étonne qu’il n’ait pas reçu d’offre d’un plus grand club », poursuit le capitaine. « Pour moi, il aurait sa place dans n’importe quelle équipe du top belge. J’ai vu beaucoup de matches de Zulte Waregem la saison passée, il n’arrêtait pas de montrer qu’il était encore à son meilleur niveau. Et il continue à le prouver chez nous. »

Le philosophe

  • « J’ai choisi Eupen parce que la philosophie du club me convient. »
  • « En play-offs 1, tu as la fierté, l’orgueil, l’envie de ne pas être ridicule. »
  • « Le perdant d’une finale de Coupe de Belgique, il est nul. Bon pour les oubliettes. La frustration qu’on ressent, je ne peux pas te la décrire. C’est comme quand tu termines deuxième du championnat. Tu es juste derrière le premier mais tu as l’impression d’être tout en bas de l’escalier. »
  • « À Lokeren, j’étais le Leye le plus nul qu’on puisse imaginer. »
  • « Avoir onze amis sur le terrain, ce serait contre-productif. Parce que tu peux avoir peur de dire la vérité à un ami, tu peux avoir peur de l’engueuler. »
  • « On va peut-être dire que j’ai trop de fierté. Tant pis : oui, je suis fier et je le revendique. »
  • « Je suis plus préoccupé par l’avenir de l’humanité que par ce qui s’est passé il y a des millions d’années. »
  • « J’ai perdu des neurones dans ma commotion cérébrale mais ce n’est pas un handicap pour jouer au football. »
  • « Quand mes actes ne sont pas en conformité avec ma conscience, j’en souffre dès que je reprends mes esprits. »

Quand Leye évoque « la philosophie d’Eupen », Henkel a son idée : « Ce club a une tradition de football offensif et technique, Leye adore ça. »

Condom dit que « pour que ça ait une chance de marcher chez nous, il faut qu’on ait le ballon et qu’on produise un foot offensif. Notre jeu ne ressemble pas nécessairement à celui de Zulte Waregem mais Mbaye Leye s’est vite adapté. » Avec son coach, il philosophe à l’occasion sur des clashes de Ligue des Champions, les lendemains de ses présences sur le plateau de RTL.

« Pour les Sénégalais du noyau, il fait figure de grand sage », lance Luis Garcia. « Dès qu’il ouvre la bouche, on se tait et on l’écoute. Il a un vrai statut dans le foot sénégalais, ça saute aux yeux. Tous les joueurs d’Eupen qui viennent de ce pays peuvent décrire son parcours belge. Le respect qu’il inspire est énorme. Aussi chez les adversaires. »

Avec sa conservation de balle, son intelligence de jeu et son sens du but, Mbaye Leye fait du bien aux Pandas.
Avec sa conservation de balle, son intelligence de jeu et son sens du but, Mbaye Leye fait du bien aux Pandas.© BELGAIMAGE

Le rebelle

  • « J’ai des comptes à régler avec Ostende. Quand je me blesse, c’est chaque fois contre eux. »
  • « Je pardonnerai toujours plus facilement une réaction à chaud qu’une vengeance à froid savamment préparée. »
  • « Ma gifle à Berrier en plein match, ce n’était pas une perte de contrôle. J’appelle ça la volonté et la maîtrise de mon caractère. »
  • « Si Zulte Waregem ne me laisse pas partir, pas de problème. Je suis prêt à passer un an dans le noyau Z. Pas dans le noyau B, hein. Le noyau Z. »

Pour sûr, « Mbaye Leye a deux visages », c’est confirmé par Luis Garcia. « Il y a des moments où un noyau a besoin de gars calmes. À d’autres moments, on doit avoir quelqu’un qui réveille. Quand Leye explose, il réveille tout le monde. »

Ses explosions, c’est un fil rouge de sa carrière au même titre que ses buts, ses déclarations, son sourire. Il peut perdre le contrôle dans le vestiaire après une défaite, se lâcher à fond dans une interview d’après-match, remettre publiquement en place un entraîneur ou un employeur qu’il accuse de ne pas avoir été correct. « C’est bien qu’il explose chez nous à certains moments clés, mais bon, dans notre situation, ça ne sert à rien de trop s’exciter non plus », dit encore le capitaine. « Les footballeurs qui explosent sont souvent ceux qui font leur métier avec beaucoup de passion. Moi aussi, je suis un calme en temps normal. Mais quand quelque chose ne me plaît pas, je peux devenir un autre homme. »

« Il y a des joueurs qui ont plus de caractère que d’autres », analyse Jordi Condom. « C’est bénéfique à partir du moment où ils arrivent à le canaliser et à le transformer en énergie positive. Après des défaites, il arrive que Leye donne son opinion au groupe. Il faut aussi savoir trouver les bons mots parce que le public cible est fort varié. Il y a des joueurs de 18 ans, d’autres qui ont plus de 30 ans, on a des cultures différentes, des religions différentes. J’ai l’impression que Leye s’est vite adapté à l’environnement d’Eupen. C’est assez typique ici. On ne peut pas comparer Zulte Waregem et ce club. Il vient du haut niveau et se retrouve dans une espèce d’école de football. »

L’Africain

  • « Ma mère est la personne la plus importante de ma vie, elle m’a mis au monde et élevé. J’irais à pied à Dakar pour elle. »
  • « J’aime les couleurs vives. Pour jouer au foot, je choisis des godasses colorées. Quand je vais à RTL pour la Ligue des Champions, je sais que c’est pas un gala, mais dans ma tête, dans mon délire, je décide parfois de mettre un noeud papillon, par exemple. »
  • « La couleur de la peau ne reflète pas la réalité d’une personne, même pas son apparence, qui est moins importante que le fond. Parfois, l’emballage est attrayant mais à l’intérieur, il n’y a que de la merde. »
  • « Les Africains sont le problème des Africains. La majorité de ceux qui arrivent au pouvoir n’ont rien mais repartent riches. »
  • « C’est l’Afrique qui m’a donné cette joie de vivre et cette façon d’être à l’aise avec tout le monde. »

Jordi Condom voit en Mbaye Leye « un mélange de deux cultures. Dans sa mentalité, il n’est pas typiquement africain. Il l’était peut-être quand il est arrivé en Europe, mais ça remonte à très longtemps et il s’est adapté. À côté de ça, il montre qu’il reste très fier de ses origines. »

Le directeur fait cette analyse : « Je ne sais pas si on doit parler de sagesse africaine dans son cas. J’y vois plus une sagesse qui est une caractéristique des gens intelligents. »

Le businessman

  • « Tu gagnes un seul match sur dix, comme Zulte Waregem l’année passée en play-offs 1. Tu touches quoi comme primes ? Et en plus, tu as été ridicule. »
  • « Je ne peux pas ignorer l’aspect financier car, c’est connu, les footballeurs africains ont toujours beaucoup de bouches à nourrir. »
  • « Un club fait une erreur quand il met en équipe Réserve un joueur qu’il cherche à vendre. C’est dans la vitrine qu’il faut le placer, pas dans l’ombre. »
  • « Quand j’ai quitté Zulte Waregem, Francky Dury a lâché que je ne pensais qu’à l’argent et que mon agent prenait toutes les décisions à ma place. J’ai répondu que le temps de l’esclavage était fini et que je savais réfléchir tout seul, même en étant noir. »
  • « Je trouve normal de soutenir des organisations humanitaires au Sénégal et l’Unicef, puisque je suis privilégié. »
  • « En Europe, quand un iPhone est cassé, on le jette. Si je l’emporte en Afrique, on va le réparer. »

Le transfert de Mbaye Leye n’a pas été simple. Deux montants bloquaient : le prix demandé par Zulte Waregem (500.000 euros) et le salaire du joueur en Flandre (entre 700.000 et 800.000 euros, selon plusieurs sources). À partir du moment où on ne lui offrait pas de prolongation, il demandait à partir gratuitement. Une faveur que la direction lui avait promise dans un premier temps, selon lui. Côté direction, on a répliqué : « Tous les managers et les clubs savent combien on demande pour Leye. La qualité a un prix et son prix n’est pas excessif. Son âge n’est pas une raison non plus pour faire baisser le prix. Bruges a quand même dépensé 1,3 million pour Jérémy Perbet, qui a 32 ans. »

Finalement, Eupen a lâché près de 400.000 euros. Mais ce club n’a évidemment pas les moyens de s’aligner sur les salaires qu’on offre à Waregem. Une histoire circule : pour compenser sa perte de revenus, Mbaye Leye toucherait une commission sur des jeunes joueurs qui seraient prochainement vendus par Eupen. On confronte le directeur général à cette version. Christoph Henkel joue plutôt bien le coup… « Je ne révèle rien sur les contrats de nos joueurs, c’est normal. » Il refuse de confirmer l’arrangement. Mais il ne veut pas non plus le nier.

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