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Marc Coucke : 1 an de règne

Jeudi prochain, il y aura un an que Marc Coucke a repris Anderlecht. Il a secoué l’institut avec beaucoup de show ces douze derniers mois mais qu’a réalisé, concrètement, le puissant et riche homme d’affaires ? Comment a-t-il coulé le club dans son moule ? Un plongeon dans les coulisses de Neerpede.

On en est à la troisième journée des play-offs quand Marc Coucke rencontre un chef de département dont il ignore le nom dans les toilettes de Neerpede. Anderlecht vient de prendre la mesure du Club Bruges et Coucke retrouve quelque espoir de remporter un 35e titre.

L’homme d’affaires est décontracté et partage sa passion avec son collaborateur.  » As-tu vu la joie des supporters ? Je pense qu’Anderlecht est lancé.  » Le désenchantement ne tardera pas mais au début, l’enthousiasme de Coucke est contagieux. Lors de son intronisation officielle en avril, Coucke impressionne le personnel par son discours d’une heure et demie, durant lequel il explique minutieusement ses projets.

Son talent oratoire et son sens du détail frappent les esprits. Durant une visite du stade Vanden Stock, Coucke a remarqué que les lumières restaient inutilement allumées dans certains locaux et que le chauffage continuait à fonctionner. À ce moment, il donne l’impression d’être un chef qui s’occupe de tous les aspects quotidiens de la gestion.

L’ambiance change progressivement. Tout le monde craint pour son emploi et les gens se méfient les uns des autres, ne sachant pas qui fait partie de quel camp. Quel contraste avec la période suivant la reprise…L’arrivée du toujours jovial Coucke a été accueillie avec plaisir. On considère celui qui dansait sur les tables à Ostende comme un type sympathique, qui va insuffler un nouvel élan à Anderlecht.

Mais comme tous les hommes de pouvoir, Coucke, qui s’enferme pendant des heures dans une salle de réunion et reçoit ses interlocuteurs dans la plus grande discrétion, est aussi un killer. Il ne faudra pas longtemps pour que le personnel de Neerpede découvre cette face de sa personnalité.

De nombreux procès en cours

L’instinct de tueur du nouveau patron des Mauves émerge pour la première fois après le limogeage d’ Herman Van Holsbeeck, le 6 avril. Comme le CEO Jo Van Biesbroeck, Coucke veut remplacer les anciens collaborateurs par des jeunes aux idées rafraîchissantes. Surtout, il veut placer ses hommes.

C’est confirmé par un membre haut placé du conseil à au moins un employé qui doit s’en aller. C’est pour cela que le chef-cuisinier de Neerpede et le gérant horeca qui livre les sandwiches à la presse et aux stewards le jour des matches sont remplacés par Bartel Dewulf, cofondateur de Belgocatering, chef-cuisinier des Diables Rouges et connaissance de Coucke. Plusieurs joueurs veulent lancer une pétition pour conserver le cuisinier qui prépare leurs repas depuis 17 ans mais ils y renoncent en dernière instance.

Obligé de réduire le personnel, Van Biesbroeck prépare la volée de renvois en toute discrétion. Anderlecht a 240 employés. En général, Coucke donne son fiat sans être au courant des dossiers individuels mais il aurait ordonné lui-même le limogeage de deux personnes. Un soir, devant plusieurs collègues, Coucke s’en prend au juriste Renaud Duchêne. Peu après, son C4 est prêt.

Mais c’est le limogeage de Robert Steeman, responsable du département féminin, qui constitue l’exemple le plus flagrant de la manière dont Coucke traite les personnes liées à Herman Van Holsbeeck. Après le titre des dames, le premier en vingt ans, Steeman a invité Coucke à féliciter l’équipe. Les joueuses demandèrent à Coucke quelles étaient ses intentions avec l’équipe féminine, ce qui n’avait pas plu au nouveau boss. Du coup, le sort de Steeman était scellé.

La raison fallacieuse de son renvoi ? Il avait soi-disant humilié Coucke. Conséquence : Steeman intente un procès dont on attend le prononcé en automne 2019. Coucke n’en perd pas le sommeil : il paraît qu’une centaine de procès similaires sont en cours, tous intentés par des gens avec lesquels il a travaillé ou d’anciens employés de ses firmes.

Une liste pour contourner la loi Renault

Coucke se rend tout sauf populaire auprès des anciens serviteurs. Certains devaient prendre leur retraite mais il ne leur offre pas d’adieux dignes de ce nom. Anderlecht s’est formé grâce à des personnes présentes depuis plus d’une décennie. John van den Brom pouvait se permettre de les tirer du lit à minuit parce qu’il ne trouvait pas son passeport, par exemple.

Selon les détracteurs de Coucke, la manière dont il se sépare d’anciens collaborateurs, d’un coup de fil ou d’un courriel sec, illustre son manque d’empathie. La nouvelle équipe de direction est composée de professionnels, qui suivent des procédures et ne supportent pas l’improvisation.

 » Il était temps que quelqu’un comme Van Biesbroeck restructure le club « , témoigne un initié.  » Auparavant, on étudiait les chiffres par département, en fin de saison. On disait alors : – OK, tu as dépensé 400.000 euros cette saison, on va arranger ça.

Maintenant, le chef de service reçoit 100.000 euros et doit se tirer d’affaire avec cette somme. Parfois, il faut un zeste de brutalité pour remettre de l’ordre.  »

On ne sait pas exactement combien de personnes sont parties en 2018. Le va-et-vient a été constant durant le second semestre. Ces derniers temps, certains employés ont jeté l’éponge eux-mêmes.

Des gens qui connaissent très bien le club soupçonnent Van Biesbroeck et Coucke d’avoir utilisé une liste pour contourner la loi Renault. En étalant autant que possible les licenciements, le Sporting échappe au règlement en vigueur pour les renvois massifs. Il y serait soumis s’il diminuait la masse du personnel de 10% en 60 jours.

Tout doit rapporter

D’emblée, Coucke est obsédé par les chiffres. Il est consterné par les prix ridiculement bas des billets VIP comme par la gratuité des places en tribune d’honneur.  » Nous supprimons ça sur-le-champ « , conclut-il. Même les anciens membres du conseil administration, gentiment priés en décembre de vendre leurs parts et de renoncer à leurs fonctions au sein du club, doivent débourser près de 5.000 euros cette saison pour obtenir un siège en tribune d’honneur.

La politique de gratuité d’Anderlecht est révolue. La vision de Coucke est claire : tout doit rapporter. Quand il dépense cent euros, il veut en récupérer au moins 101. D’un point de vue commercial, il était donc logique que Coucke veuille se séparer de l’équipe féminine. Quand quelqu’un a souligné qu’elle venait d’être championne, Van Biesbroeck a haussé les épaules.  » Les femmes ne rapportent rien.  »

Il ne faut pas s’étonner qu’Anderlecht se tourne vers l’étranger dans sa quête de fonds. Coucke fait commerce avec le monde entier et Van Biesbroeck, qui a travaillé aux USA et en Asie, est un citoyen du monde. Sous l’impulsion de Matthijs Keersebilck, Head of sales, marketing et communication, le club a d’abord procédé à la réorganisation de tout le fonctionnement commercial.

Van Holsbeeck et consorts appuyaient leur modèle commercial sur les seuls transferts sortants. Maintenant, il s’agit avant tout d’optimiser les profits issus des branches commerciales, comme le merchandising et la billetterie. L’introduction de la fameuse tribune PME, à moitié remplie cette saison, s’intègre dans cette perspective.

Ça a fâché quelques dizaines de supporters contraints de changer de place ? Dégâts collatéraux. Mais ça n’en donne pas moins l’impression que le supporter moyen doit laisser sa place à l’homme en costume-cravate.

Greys Anatomy à l’anderlechtoise

En même temps, Coucke tente de faire plaisir aux clients moins riches par toutes sortes d’initiatives. Il place ses fournisseurs sous pression pour offrir quelque chose aux supporters à chaque match – un coca, du pop-corn, etc -. Il a fondé un fan village dans la tribune et un family corner au fan shop. Il est en train de négocier des tarifs spéciaux pour les supporters avec la STIB.

Si les activités commerciales se déroulent sans un pli, le département médical est au bord de l’effondrement. Récemment, un médecin sportif réputé a reçu un message inquiétant.  » C’est le chaos à Anderlecht. Il est urgent que ça change.  » Ceux qui suivent le club savent que le problème existe depuis des années. La direction, à savoir Van Holsbeeck et Van Biesbroeck, le savait aussi, mais ne pouvait ou ne voulait intervenir.

Confronté à une plainte, Van Holsbeeck a eu une réaction édifiante :  » Combien veux-tu en plus ?  »  » L’ambiance est infecte depuis des années. Même les meubles sont contaminés « , raconte un ancien employé, qui a travaillé pendant des années au département médical. Le cabinet médical est le cadre de scènes qu’on ne voit que dans des feuilletons style Greys Anatomy. Deux médecins se sont disputés quant à l’utilité du vaccin contre les hépatites A et B pour les nouveaux joueurs. Un joueur africain souffrant d’une maladie sexuellement transmissible a dû attendre longtemps son traitement et ainsi de suite.

Chaque fois, des problèmes de communication sont à la base des négligences. Jochen De Coene, qui s’était rendu indispensable au fil des années, était devenu une partie du problème mais le manque de clarté quant à la répartition des tâches et des compétences a aussi joué un rôle. La saison passée, quand Nicolas Frutos a assuré l’intérim avant l’arrivée de Vanhaezebrouck, il s’est même risqué à pratiquer des injections intramusculaires aux joueurs.

Aucune confiance dans le staff médical

En termes couverts, Hein Vanhaezebrouck a déjà maintes fois critiqué le staff médical cette saison. Il demande depuis longtemps qu’on engage un nouveau médecin, qui soit constamment à Neerpede. Les blessures sans fin de Sven Kums, Andy Najar, Adrien Trebel et Elias Cobbaut ont renforcé les joueurs dans l’idée que l’encadrement médical n’est pas optimal.

Chris Goossens ne jouit pas encore de la pleine confiance du vestiaire, ce qui génère une situation malsaine : des joueurs postposent leur consultation jusqu’à ce que Kristof Sas passe, le lundi ou le mardi et le jeudi ou le vendredi. Sas est médecin urgentiste à Renaix et ne tient une consultation à Anderlecht que deux jours par semaine.

Le fait que les joueurs continuent à consulter des kinésithérapeutes extérieurs au club peut être considéré comme une motion de défiance. Le club possède les infrastructures et le personnel nécessaires pour effectuer les revalidations mais, il y a quatre ans, les joueurs du Sporting consultaient Lieven Maesschalck pour un rien.

Maesschalck est repris comme consultant dans l’organigramme du club pour le suivi des blessés de longue durée – quatre mois ou plus – et fait donc officiellement partie du staff mais ses traitements sont onéreux et c’est entre autres pour ça que le budget a explosé ces dernières années. En plus, le suivi pose un problème : nul ne sait si un joueur va vraiment à Anvers.

 » Le fait que les joueurs consultent ailleurs démontre que quelque chose ne va pas « , raconte un employé du service médical.  » Ils disent qu’ils vont ailleurs parce qu’ils ne reçoivent pas ce dont ils ont besoin au club. C’est une manifestation de mécontentement, un signal d’alarme dont il faut tenir compte.  »

Dans les bonnes grâces à Neerpede

Après des années d’enlisement, Van Biesbroeck semble occupé à remanier le département médical. Le renvoi de De Coene a fait l’effet d’une claque à Van Biesbroeck mais il déblaie le chemin et permet d’embaucher un nouveau chef de département qui osera s’attaquer au problème.

À Neerpede, tout le monde est d’accord sur un point : Coucke aime les jeunes. Fin avril, il a été un hôte remarqué lors du match du titre des U21, il s’informe régulièrement sur les jeunes qui sont sur le point d’éclore et se tient au courant des résultats des équipes de jeunes, auprès de Jan Verlinden, chef du département social, et de Jean Kindermans.

Il veut aussi lire le plus vite possible les rapports et les comptes rendus des matches de l’entraîneur des espoirs, Jonas De Roeck. Pourtant, on n’a pas encore vu Coucke à l’académie qui héberge les catégories jusqu’aux U14. Jadis, Philippe Collin réunissait les entraîneurs une fois par mois pour tout passer en revue mais cette tradition semble s’être perdue.

Sous l’ère Coucke, l’académie et Neerpede sont devenus deux mondes distincts. Les entraîneurs des jeunes ont grogné, n’ayant pas été prévenus de l’intention de la direction de soutenir des académies en Chine et aux USA. Ils ont reçu une note interne, le jour de la conférence de presse, reprenant les points que Michael Verschueren allait reprendre. Sans doute pour éviter les fuites.

Depuis qu’en mai, Coucke a offert un contrat à onze talents du cru, il est dans les bonnes grâces de Neerpede. Le message adressé aux prochaines générations est clair :  » N’allez pas à l’étranger car nous croyons en vous.  » Un entraîneur des jeunes confie :  » Stricto sensu, Coucke n’était pas obligé d’offrir un contrat à autant de joueurs. Ne me comprenez pas mal. C’est une bonne chose que Doku et Verschaere reçoivent leur chance mais ils ne jouent que parce que la concurrence n’est pas assez forte et que le club se trouve dans une impasse.  »

Un tour de force avec Doku

Conserver Jérémy Doku est un véritable tour de force. Les négociations de sa famille avec Liverpool étaient si avancées que Coucke a dû insister pour renverser la situation. Les Reds proposaient deux fois plus qu’Anderlecht mais Doku ne manquera quand même de rien les trois années à venir.

Le contrat de trois ans, la prime à la signature et les diverses primes s’élèveraient à une somme allant de 500.000 à un million d’euros. Van Holsbeeck ne voulait plus faire de tels efforts financiers. À la fin de son règne, il n’avait plus l’intention d’investir beaucoup dans des jeunes du calibre de Youri Tielemans et Dennis Praet. Si Van Holsbeeck était resté en poste, Doku jouerait donc en U23 d’une équipe anglaise.

Luc Devroe : de héros à zéro

Les managers ne savent plus que faire, Luc Devroe, leur interlocuteur depuis plusieurs mois, ayant été démis de ses fonctions de directeur technique. Ils ne savent plus qui contacter. Michael Verschueren ? Marc Coucke ? Ou quand même Devroe ? Pour être sûrs de toucher la bonne personne, certains s’adressent aux trois protagonistes. Ce n’est pas une situation idéale à l’approche du mercato hivernal.

La nomination de Devroe au poste de responsable du scouting est interpellante. Le personnel de la cellule de scouting pensait qu’à son arrivée, il ferait de nouveau appel à lui, contrairement à Herman Van Holsbeeck. Devroe a rompu le contrat d’un scout qui refusait de se présenter tous les matins à Neerpede, pour une journée de travail normale, mais à part ça, il a complètement ignoré la cellule.

Devroe est un solitaire. Même sa secrétaire personnelle, Katharina Viaene, qui a trouvé embauche à l’Antwerp après son limogeage, ne savait pas toujours où se trouvait son patron ni ce qu’il faisait.  » Devroe est un travailleur, nul ne le niera, mais il ne s’occupe de personne. Ce n’est pas un joueur d’équipe « , dit-on à Neerpede.

En instaurant un comité de transfert, où siégeront notamment le nouveau directeur sportif, le chef du scouting et l’entraîneur, Michael Verschueren veut éviter la reproduction du scénario des derniers mois. En hiver, Hein Vanhaezebrouck avait bloqué le transfert du Polonais Jakub Swierczok, un attaquant de Zaglebie Lubin.

Cet été, Antonio Milic et Kwowledge Musona ont été imposés au staff alors que le scouting avait émis un jugement négatif. À l’avenir, plus personne n’aura de droit de veto ni de pouvoir décisionnel.

Le médecin Chris Goossens, ici avec Lukasz Teodorczyk, ne jouit pas encore de la pleine confiance du vestiaire.
Le médecin Chris Goossens, ici avec Lukasz Teodorczyk, ne jouit pas encore de la pleine confiance du vestiaire.© BELGAIMAGE
Marc Coucke (à droite) en pleine discussion avec Jo Van Biesbroeck, le CEO du Sporting (à gauche), et Luc Devroe, l'ancien directeur sportif.
Marc Coucke (à droite) en pleine discussion avec Jo Van Biesbroeck, le CEO du Sporting (à gauche), et Luc Devroe, l’ancien directeur sportif.© BELGAIMAGE

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