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Makélélé : un Galactique à Eupen

Homme aux trois poumons sur le terrain, Claude Makélélé veut devenir le cerveau du sauvetage d’Eupen. Mais s’il se retrouve au Kehrweg, c’est plutôt parce que son sens de l’orientation le guide, depuis six ans, vers une reconversion hésitante, entre des positions floues et un court passage sur le banc de Bastia. Celui qui a appris aux côtés des plus grands, de Mourinho à Ancelotti, cherche enfin à en récolter les fruits. La saison est ouverte.

Complètement Maboulou. De son prénom, Christopher. La 73e minute retourne Furiani quand, ce 9 août 2014, l’attaquant franco-congolais inscrit un doublé, après un premier but superbe pour ses débuts en Ligue 1. Bastia accroche Marseille, 3-3. Maboulou n’est pas le seul novice sur la pelouse. Son coach, Claude Makélélé, et celui d’en face, Marcelo Bielsa, découvrent le banc d’une écurie de l’élite française. Avant le coup d’envoi, El Loco congratule chaleureusement son homologue.  » Tu étais un crack.  » Un compliment qui vaut de l’or, surtout quand il sort de la bouche de l’Argentin.

Quatre mois plus tard, les deux hommes se retrouvent à la Commanderie, centre d’entraînement de l’OM. En compagnie de son pote Zinédine Zidane, Makélélé boit les paroles de maître Bielsa. L’ancien Londonien suit une formation afin de décrocher son diplôme d’entraîneur professionnel. Dans l’au-delà de sa vie de footballeur, il veut aussi devenir  » un crack « . Mais il est au chômage, remercié prématurément par la Corse et son Sporting. En vérité, il se cherche encore, lui qui n’a jamais vraiment pensé à une telle reconversion, mais qui passait son temps à replacer ses coéquipiers.

La semaine dernière, trois ans après Bastia, il se mue en professeur pour la deuxième fois de sa carrière, à 44 printemps. À Eupen, si loin des fastes blues et galactiques. Pour rallier l’Est, Maké quitte son  » mentor  » Paul Clement et laisse des Swans avant-derniers de Premier League. D’entrée, il doit régler une embrouille entre deux de ses nouveaux soldats, Mickaël Tirpan et Nicolas Verdier. Comme à son habitude, il le fait avec flegme.  » Je le regardais à la TV, c’est ma jeunesse. Alors me dire que je l’ai comme coach, ça fait bizarre « , dit Verdier, détendu.

L’autre français de l’effectif, Jordan Lotiès, approuve :  » Pour moi, c’est une fierté. Il a marqué l’histoire du foot français. Il a une grande expérience.  » En 2003, quand il passe de la Casa Blanca à Stamford Bridge, remplacé par David Beckham, Zidane l’a mauvaise.  » Pourquoi rajouter une couche de peinture dorée sur ta Bentley alors que tu es en train de perdre tout le moteur ?  » En 2017, Makélélé se gare au Kehrweg et prend le volant de ce qui s’apparente à une Fiat, avec une belle lanterne rouge sur le tableau de bord. Et il a jusqu’au 11 mars pour conduire les siens jusqu’au maintien.

LE PAPA EN D2 BELGE

Avec l'équipe de France face au Brésil de Kaka en quart de finale de la Coupe du Monde 2006.
Avec l’équipe de France face au Brésil de Kaka en quart de finale de la Coupe du Monde 2006.© BELGAIMAGE

Le vent souffle, les feuilles volent. Le gris plane sur Eupen. Il est 10h, vendredi dernier. Claude Makélélé donne sa dernière séance de la semaine, accompagné de Manel Exposito, qui n’a pas bougé malgré le départ du fidèle serviteur, Jordi Condom. Après une bonne demi-heure de physique et de toros, lors desquels Luis Garcia cale un petit pont à Mbaye Leye, qui réplique par un joli  » Ta race ! « , Claude clôture les débats. Sobrement.  » Bon weekend.  » Il semble déjà se sentir à la maison. Peut-être parce que l’histoire de sa famille devait inévitablement le ramener en Belgique.

Début sixties, le Tout Puissant Orchestre Kinshasa, ou TPOK Jazz pour faire court, se déplace à Bruxelles. Vicky Longomba, célèbre chanteur de rumba de ce qui s’appelle encore le Zaïre, se trouve parmi les troupes. C’est le grand-père maternel de Claude Makelele. Mais le petit Maké doit surtout ses talent à son père, André-Joseph. En 74, il voyage en RFA pour disputer le Mondial avec les Léopards, première équipe noire africaine à en être. Soukous, surnom du père Makélélé, en prend deux contre l’Écosse, trois face au Brésil et neuf par la Yougoslavie, un record en phases finales.

Les Zaïrois sont malgré tout de véritables héros au pays. Au Congo, Claude reste  » le fils d’André « . Il faut dire que 1974 constitue une année phare pour le régime de Joseph-Désiré Mobutu. Le  » Père de la Nation  » concentre les pouvoirs dans une nouvelle constitution et accueille, à Kinshasa, le combat légendaire entre Mohamed Ali et George Foreman. Le TPOK Jazz se produit pour chauffer la salle. Claude vient de souffler sur sa première bougie. Un demi-siècle plus tard, le petit-fils de Longomba se détend toujours au son de ses musiques natales.

Son père fuit Mobutu avant qu’il ne puisse en avoir le souvenir, dans la foulée de la Coupe du Monde. André-Joseph part pour la région bruxelloise et continue de tâter le cuir.  » En deuxième division, dans un club au nom bizarre « , sourit son fils. Difficile d’en savoir plus. Claude lui, patiente à Kin la belle jusqu’à ses quatre ans. En 77, avec ses huit frères et soeurs, il rejoint son géniteur, se pose à Boussy-Saint-Antoine, en banlieue parisienne. La famille parle lingala, langue dans laquelle  » Makélélé  » signifie  » le bruit « . Soit à l’exact opposé de ce que sa personnalité dégage.

EN STAGE OU PRESQUE

Son passage à Bastia a rapidement tourné au vinaigre.
Son passage à Bastia a rapidement tourné au vinaigre.© PHOTOPQR/NICE MATIN

Pourtant, en 2014, son nom ronflant fait résonner Furiani. Makélélé sort, en théorie, d’un apprentissage XXL aux côtés de Carlo Ancelotti et choisit Bastia pour s’asseoir sur son premier banc. Un choix ambitieux, vu le caractère du club insulaire.  » Au début, on était tous excités de l’avoir comme coach. On avait hâte de bosser avec lui « , assure Julian Palmieri, régional de l’étape, aujourd’hui exilé à Metz. Mais très vite, le bruit se transforme en acouphènes.  » Il a demandé des joueurs, ça n’a pas abouti. Ça l’a mis en difficulté. Il a été trop gentil. Il a laissé passer alors qu’il n’aurait pas dû. « 

En novembre, après douze journées et deux petites victoires, l’idylle corse se termine. Une semaine après le bon point pris contre l’OM, Bastia se déplace au Parc des Princes. Le Sporting s’incline 2-0. Quand les 22 acteurs rentrent aux vestiaires, Brandao attend sagement Thiago Motta. Il lui assène un coup de tête, lui pète le nez et file en courant. Makélélé vient calmer Motta comme il peut. Il joue son rôle. En Corse, il donne un maximum de temps de jeu à deux espoirs parisiens, Alphonse Areola, aujourd’hui dans les cages parisiennes et Hervin Ongenda, à la recherche d’un club après une expérience ratée au PEC Zwolle.

Sur le terrain, il essaye de mettre en place un jeu flamboyant, objectif maintien ou pas. Palmieri :  » Pour moi, c’est un tacticien hors-pair. Quand il parle foot, tu l’écoutes. Il veut vraiment jouer au ballon. Mais à Bastia, c’était trop. Parfois, il fallait qu’on dégage en défense et lui ne voulait pas « . Le point de rupture intervient lors de la neuvième journée. Lorient, un concurrent direct, a rendez-vous sur l’île de beauté. Les Merlus repartent avec trois points dans l’épuisette.  » Je pense qu’il s’est trompé sur les hommes. Il aurait fallu plus de caractère. La défaite a fait très mal. « 

S’il parle aujourd’hui d’une  » très bonne expérience « , courte de cinq mois, Makélélé ne laisse pas un souvenir impérissable à Bastia. Surtout depuis cette récente interview dans L’Équipe où il déclare avoir été  » en stage, ou presque  » afin d’obtenir ses diplômes d’entraîneur. Une formulation maladroite qui lui attire les foudres du Sporting, qui le flingue dans un communiqué :  » Le SCB ne saurait que trop conseiller à Claude d’en finir avec cette vocation de stagiaire et de s’atteler enfin, avec humilité et respect, à décrocher un job véritable de coach principal d’équipe de haut niveau. « 

HOMME DE RÉSEAU

Maké lors de son passage à Monaco en compagnie de Vadim Vasilyev, vice président, et Dmitri Rybolovlev, président de l'ASM.
Maké lors de son passage à Monaco en compagnie de Vadim Vasilyev, vice président, et Dmitri Rybolovlev, président de l’ASM.© PHOTOPQR/NICE MATIN

Il lui aura fallu trois ans pour parfaire son apprentissage. Ses contacts avec la KAS Eupen remontent à un peu plus d’un mois. Les 6 et 7 octobre, le salon annuel Aspire4Sport se tient à Londres, à Stamford Bridge. Parmi les invités, Arrigo Sacchi, Kevin Keegan, Ronald de Boer, Roy Hodgson et Claude Makélélé. Au micro, l’ancien de la maison blue ne tarit pas d’éloges pour le développement du foot au Qatar et de sa machine Aspire. Andreas Bleicher, membre du CA d’Eupen et dirigeant à l’Aspire academy, l’approche lors du congrès.

Josep Colomer, le directeur sportif, prend la suite. Son discours séduit Makélélé, qui aurait donné son accord pour rejoindre les Cantons de l’Est deux semaines avant l’officialisation de son arrivée, ce lundi 6 novembre. Sa nomination colle parfaitement avec la trêve internationale. Pour lui faire signer un contrat de deux ans et demi, les Pandas se séparent de Jordi Condom, sur place depuis 2012 et la reprise qatarie. L’Espagnol a refusé d’intégrer l’organigramme, mais les décideurs eupenois souhaitent le revoir pour réentamer les discussions.

Le recrutement de l’ex-international français permet d’établir une connexion claire entre Eupen et le PSG, Aspire et QSI, le fond qui détient les parisiens. Les présidents des deux clubs, Tariq Abdulaziz Al Naama et Nasser Al-Khelaïfi, sont de très bons amis. Il n’est pas rare de voir les joueurs du PSG en visite à l’Aspire Zone de Doha, ni les pontes de l’usine à talents dans les tribunes du Parc. Comme il le révèle dans L’Équipe la semaine dernière, Bleicher se dit ouvert à un partenariat avec l’écurie francilienne,  » persuadé que, tôt ou tard, un jeune joueur venu du PSG évoluera dans [son] équipe « .

Le PSG cherche justement une entité satellite, notamment depuis l’arrivée d’Antero Henrique aux affaires sportives et de Luis Fernandez à la formation. À l’instar de son épisode bastiais, Claude Makélélé, qui entretient toujours des relations étroites avec le fanion de la capitale française, ne devrait pas rechigner à mettre en valeur les jeunes estampillés QSI ou Aspire. Il démontre ici que son statut de  » stagiaire  » s’efface au profit de celui d’un véritable homme de réseau. En janvier 2016, après un an et demi de chômage, il se retrouve à Monaco par l’intermédiaire de Roman Abramovitch.

Les deux patrons de l’ASM, Dmitri Rybolovlev et Vadim Vasilyev, rendent alors visite à leur compatriote, qui vante les mérites de son ex-crack à Chelsea. Nommé directeur technique, mais diplômé entraîneur, Makélélé se heurte d’entrée à Leonardo Jardim, qui lui interdit d’abord l’accès au centre d’entraînement. Le  » Clan des Portugais « , constitué avec l’influent Luis Campos, aujourd’hui à Lille, s’acharne sur lui. Rebelote, cinq mois plus tard, l’aventure touche à sa fin. Makélélé glisse du Rocher avec une seule satisfaction : avoir convaincu Kylian Mbappé de signer pro à Louis-II.

AGENT DE LIAISON

Sur le banc du PSG avec Paul Clement et Carlo Ancelotti.
Sur le banc du PSG avec Paul Clement et Carlo Ancelotti.© BELGAIMAGE

À l’époque, le prodige qui n’est pas encore une star planétaire s’arrache déjà partout. Plus que jamais, Claude Makélélé endosse son rôle de  » grand frère « . Ce qu’il fait de mieux. En 2008, il choisit de terminer sa carrière à Paris, reconversion à la clé. Capitaine courage, il raccroche les crampons quand QSI débarque, en 2011. Alors que le poste de directeur sportif lui semblait promis, on l’offre à Leonardo. L’ancien Merengue devient son  » conseiller « , avant de devenir l’un des adjoints d’Ancelotti, en décembre. Pendant deux ans, il apprend aux côtés du Mister, puis de Laurent Blanc, qui lui succède.

Là encore, sa fonction demeure floue. Mis à part le couac de la première année, avec le titre montpelliérain de 2012, la domination du PSG l’écarte de toutes questions à cet égard. À quoi sert-il ? Il faut attendre son départ pour que Blanc réponde.  » Il était la liaison entre les jeunes et les anciens, les étrangers et les Français. C’était un plus pour nous.  » Un grand frère, donc, à qui l’on attribue quand même l’éclosion de Blaise Matuidi. En janvier dernier, il retrouve ainsi, à Swansea, l’adjoint attitré d’Ancelotti et son collègue du Camp des Loges, Paul Clement.

C’est décidé. Même s’il intègre la cellule technique de l’UEFA pendant l’EURO, en tant que  » collaborateur « , autre activité vague, Makélélé veut entraîner,  » transmettre « . De janvier à juin, il participe à l’opération maintien des Gallois avec succès. Un petit miracle qu’il doit, entre autres, à sa gestion du vestiaire. Mercredi dernier, il entame une mission similaire, dans la brume germanophone, loin des caméras de la veille. Dans un anglais timide, il tente de provoquer la providence au rythme de  » Together !  » et de longs  » Yes « . Cette fois, c’est lui qui tient la barre.

Il a appris des plus grands, de Coco Suaudeau (voir cadre) à José Mourinho. C’est de nouveau son tour. Il redémarre samedi, contre l’Antwerp. Mais pour le moment, seul Raymond Domenech semble le considérer comme  » un entraîneur né « . C’était en 2009, dans la préface de son autobiographie, Tout Simplement. Sous ses ordres, Maké atteint la finale du Mondial 2006. Avant le quart face à un Brésil cinq étoiles, il met des mots simples sur ses pensées mielleuses.  » Brésil ou pas, je m’en bats les couilles. Brésil ou pas, Ronaldinho, machinchouette… Rien à foutre.  » Alors, Antwerp, ou pas…

Maké, Ukulélé, Boa…

Maké n’est pas le seul surnom de Claude Makélélé. Si son père, André-Joseph, se fait appeler  » Soukous « , les Anglais n’hésitent pas à parler de Ukulele pour qualifier l’infatigable milieu de Chelsea. En Espagne, ses coéquipiers galactiques lui donnent les doux sobriquets de  » Trois jambes « ,  » Boa  » ou  » Tripode « .

Bien en cour auprès de la gent féminine, avant son arrivée aux Îles déjà, Jean-Claude Suaudeau, l’entraîneur du FC Nantes, est l’un des premiers à le chambrer sur le sujet. « Il passait son temps à vanner Claude sur ses copines », rembobine l’ancien Canari Reynald Pedros pour So Foot. « Coco aimait bien parler des femmes, savoir avec qui on était », embraye Nicolas Ouédec.

Au club, tout le monde, joueurs et staff compris, sait avec qui il sort, sauf Suaudeau. Lors d’une mise au vert, à table, l’entraîneur canari s’adresse à Makélélé, posté à l’autre bout :  » Putain, mais Claude, ta gonzesse, on la voit jamais. Tu vas nous la sortir un jour, nous la présenter ?  » Les convives pouffent, mais ne pipent pas mot. « Ça a duré comme ça pendant quatre mois », termine Ouédec, toujours pour So Foot.  » Toute la table savait que Coco parlait, sans le savoir, de sa fille… »

Jet de bananes au Real

Après le sacre mondial de l’équipe de France en 98, il s’agit de l’un des agents les plus influents, en France comme en Europe. Marc Roger s’occupe alors d’une bonne partie des cadors bleus. Claude Makélélé est parmi ceux-là. Dans un livre publié en 2015, intitulé Transferts, Roger raconte notamment comment il force le passage de son protégé du Celta Vigo au Real, en 2000.

 » Je suis allé porter plainte dans un commissariat local en disant que les supporters du Celta avaient menacé le joueur de vandaliser sa voiture. Sauf que les cailloux, c’est moi qui les avait jetés sur le pare-brise.  » Trois ans plus tard, Roger récidive pour envoyer Maké à Chelsea. Il emploie le même stratagème, glisse à la presse que des pierres et des bananes sont jetées par-dessus le portail de la villa de son joueur. Si c’est complètement faux, Makélélé rejoint bien Chelsea la veille de la clôture du mercato d’été.

Par Nicolas Taiana

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