Lukas Nmecha, la grande interview: « Jouer à Manchester City, c’est dans mes cordes »
Lukas Nmecha a un plan: inscrire au moins vingt buts en Jupiler Pro League, jouer plusieurs années dans le même club et gagner un jour sa place en pointe à Manchester City.
Pour chaque joueur du calibre de Phil Foden et Jadon Sancho, des dizaines de jeunes quittent chaque année la City Football Academy par la petite porte. Dans le meilleur des cas, ils trouveront de l’embauche dans un championnat européen et il arrivera parfois qu’ils rencontrent un ancien équipier, comme ce fut le cas de Lukas Nmecha et Cameron Humphreys voici peu à Waregem. « C’est bien la preuve qu’en football, tout est possible », rigole le premier cité. « Je connais les qualités de Cameron et je suis convaincu qu’il ne s’arrêtera pas à Zulte Waregem. Il ne ferait pas tache dans un club comme Anderlecht. »
L’époque où les joueurs britanniques n’osaient pas traverser la Manche ou faisaient la fine bouche à l’idée de jouer en Belgique est révolue. » Yeah. Le championnat de Belgique est plus fort qu’on le pense. Saviez-vous que j’aurais déjà pu venir à Anderlecht dès la saison dernière. J’ai discuté à plusieurs reprises avec Vinnie, mais ça ne s’est pas fait. Cette fois, le timing était bon. C’était écrit. »
Quand vous êtes arrivé cet été, on doutait de vous. À présent, on vous considère comme un des meilleurs attaquants du championnat. Vous affichez une telle confiance que, face à Ostende, vous vous êtes même permis une panenka.
LUKAS NMECHA: Je l’avais déjà fait cette saison avec les U21 allemands, lors d’un match de qualification pour l’EURO. À Anderlecht, j’avais toujours tiré de la même façon: en force et à ras de terre. Contre Ostende, je craignais que le gardien anticipe. Mais c’est vrai que j’avais tellement confiance en moi que j’ai agi au feeling.
« Devoir s’incliner face à un concurrent, ça peut arriver à tout le monde »
Quel objectif vous êtes-vous fixé cet été en débarquant à Anderlecht?
NMECHA: Je m’étais dit que je devais marquer un but tous les deux matches. Je suis donc dans les temps, mais je veux faire mieux. Combien de joueurs ont marqué plus que moi? Quatre ou cinq, peut-être six? Mes concurrents me motivent à faire encore mieux. C’est vrai, je songe au titre de meilleur buteur. Mais les joueurs qui me précèdent jouent déjà depuis au moins un an en Belgique. Ça joue en ma défaveur.
Pouvez-vous tirer un bilan de votre première demi-saison à Anderlecht? Dix buts en seize matches, c’est bien. Mais vous avez aussi loupé quelques grosses occasions, comme à Charleroi, alors que le score était toujours vierge.
NMECHA: ( Il souffle) Le gardien est sorti super vite. Après coup, je me dis que j’aurais dû le contourner. Si je me retrouve dans la même position, j’y penserai… Il ne faut pas non plus oublier qu’au cours des deux dernières saisons, je n’ai pas beaucoup joué. J’ai donc eu peu d’occasions de marquer. Je dois apprendre à gérer cette nouvelle situation.
Vous êtes le seul attaquant d’Anderlecht capable de marquer lors de chaque match. Est-ce une pression supplémentaire?
NMECHA: Pour moi, c’est positif. C’est une pression bien plus agréable que celle que j’ai subie au cours des dernières années.
En termes de statistiques, vous livrez la meilleure saison de votre carrière. Au cours des deux saisons précédentes, vous n’aviez pas inscrit plus de trois buts. Comprenez-vous pourquoi soudain, ça marche?
NMECHA: J’ai joué dans des équipes qui ne convenaient pas à mon style de jeu. Lorsque j’ai été prêté à Preston North End, j’ai joué plus de quarante matches, parfois trois par semaine. Mais tous ces longs ballons, ce n’était pas pour moi. En Championship, des clubs comme Brentford, Swansea, Fulham, Aston Villa, Leeds United – et j’en oublie peut-être – jouaient au sol. Mais les équipes classées au-delà du top 6 jouaient le kick and rush. J’aime être impliqué dans le jeu. En Championship, je ne pouvais pas montrer ce que je savais faire avec un ballon.
J’aime être impliqué dans le jeu mais en Championship, je ne pouvais pas montrer ce que je pouvais faire avec un ballon. »
Lukas Nmecha
Avant de partir à Wolfsburg, en 2019, vous avez déclaré dans une interview que vous rêviez de la Bundesliga. Mais vous ne gardez pas que de bons souvenirs de votre bref passage à Wolfsburg.
NMECHA: Je n’ai pas dit que c’était un rêve, mais j’en avais effectivement envie. Jusqu’à ce que j’arrive à Wolfsburg. (Il cherche ses mots) Le courant avec l’entraîneur ne passait pas, je n’ai pas été bien traité et des promesses n’ont pas été tenues. Enfin, j’ai perdu la bataille avec Wout Weghorst, qui m’a beaucoup appris. Devoir s’incliner face à un concurrent, ça peut arriver à tout le monde. Les autres attaquants d’Anderlecht ne sont sans doute pas contents non plus de se retrouver sur le banc à cause de moi. À Wolfsburg, les choses ne se sont pas passées comme je l’avais espéré, mais le peu de matches que j’ai joués me permettent de dire que la Bundesliga est un championnat ouvert, où les attaquants peuvent inscrire beaucoup de buts. Je ne ferme donc pas définitivement la porte à ce championnat.
« Quand il est prêté à un autre club, un joueur de City doit s’adapter »
Après six mois, vous êtes rentré en Angleterre et vous avez été prêté à Middlesbrough, en Championship. Là non plus, vous n’avez pas marqué.
NMECHA: À Wolfsburg, je n’avais été qu’une seule fois titulaire. Lorsque je suis arrivé à Middlesbrough, je manquais donc de confiance. Le manager ( Jonathan Woodgate, ndlr) croyait en moi, mais il m’alignait surtout sur le flanc. Après son limogeage, Neil Warnock est arrivé. Après deux entraînements, il avait tiré un trait sur moi. Il m’a dit: « Tu es un bon joueur mais tu ne corresponds pas au profil que je cherche. À partir de maintenant, nous allons passer par de longs ballons. » Mon concurrent ( Rudy Gestede, ndlr) mesurait plus d’un mètre nonante. Il était plus fait pour le jeu que l’entraîneur avait en tête et je n’ai plus joué.
C’est vrai, je songe au titre de meilleur buteur. »
Lukas Nmecha
Avez-vous douté de vous? Pour un attaquant, marquer, c’est important…
NMECHA: ( Il rit) Attaquant, c’est la place la plus difficile sur un terrain. On n’est jugé que sur le nombre de buts inscrits, pas sur les prestations. Et si on ne joue même qu’une minute, ça compte pour un match. Ça me trottait en tête, mais que pouvais-je faire. Je me disais: keep pushing. Car à l’entraînement, je marquais régulièrement. Évidemment, un cinq contre cinq, ce n’est pas un vrai match, il y a beaucoup plus d’espace dans le dos des défenseurs.
Songez-vous encore à devenir titulaire à Manchester City ou avez-vous revu vos objectifs à la baisse?
NMECHA: Je ne prétendrai jamais que je veux gagner le Ballon d’Or, mais être titulaire à Manchester City, c’est dans mes cordes. Sergio Agüero est mieux coté que moi et c’est la raison pour laquelle le club m’a prêté plusieurs fois. Si je veux réussir à City, je dois travailler mes points faibles.
Vous aviez 19 ans lorsque vous avez effectué vos débuts avec City, en League Cup. Avez-vous eu du mal à trouver votre place dans un vestiaire de stars?
NMECHA: Je me souviens des duels avec Kompany à l’entraînement. Quand je le passais, il m’accrochait immédiatement. Un gamin qui arrive à City doit avant tout regarder et apprendre. Celui qui travaille dur et montre de belles choses en semaine est bien accueilli. Mais quand on a joué à City, on ne connaît que le City Way. Tout le monde sait que le football de Pep est basé sur la possession de balle. Dans la plupart des matches, City a 60 ou 70% de possession. Ce n’est pas normal et, quand il est prêté dans un autre club, un joueur de City doit s’adapter.
Je me souviens de mes duels avec Kompany à l’entraînement: à chaque fois que je le passais, il m’accrochait immédiatement. »
Lukas Nmecha
Vous avez été formé à City, vous avez remporté le titre en 2018 et, en 2012, vous étiez ramasseur de balles lors du match du titre légendaire face à QPR.
NMECHA: J’étais du côté du terrain où Agüero a inscrit le but de la victoire. Je vois encore la scène: le but, l’envahissement de terrain après le coup de sifflet final et l’agent de sécurité que j’ai heurté. Je suis tombé, me suis relevé et suis monté sur le terrain comme tout le monde. Je ne crois pas qu’une équipe gagnera encore un jour le championnat de cette façon.
« Il est temps que je m’installe dans un club »
Vous êtes né à Hambourg, vous avez grandi à Manchester et vous avez une éducation germano-nigériane. Êtes-vous le mélange parfait entre l’Allemagne, l’Angleterre et le Nigeria?
NMECHA: ( Il rit) Mes parents seraient heureux de vous entendre dire cela. Mais je ne veux pas dire que je me sens davantage Anglais, Nigérian ou Allemand. Une personne peut avoir une triple identité. À la fin de la journée, ça ne doit pas poser de problème.
Votre frère, Felix Nmecha, a alterné à quatre reprises entre les équipes nationales allemande et anglaise. Vous avez disputé plus de trente matches sous le maillot anglais et vous avez même marqué contre l’Allemagne. Est-ce difficile de passer d’une équipe nationale à l’autre?
NMECHA: ( Il réfléchit) Lorsque je jouais en équipes d’âge à City, il me semblait logique de représenter l’Angleterre. Mais quand l’Allemagne m’a appelé, je n’ai pas hésité longtemps. J’y suis né, je m’entendais bien avec le sélectionneur, Stefan Kuntz , et la fédération avait un plan. Je ne sais pas si quelqu’un a tenté d’empêcher ma première sélection, mais je n’ai appris que deux heures avant un match amical contre l’Angleterre que j’étais qualifié.
Vous serez bientôt trop âgé pour jouer en Espoirs avec l’Allemagne. Le Nigeria constitue-t-il un plan C au cas où vous ne seriez pas sélectionné avec la Mannschaft?
NMECHA: Honnêtement, je n’y ai pas encore pensé. J’espère seulement que ma carrière va évoluer de façon à ce que je sois directement repris en équipe A.
Au cours des dernières années, vous avez joué pour cinq clubs différents. Vous êtes la preuve vivante qu’un joueur de football est avant tout un nomade et que tout peut changer très vite.
NMECHA: La saison prochaine, je ne veux plus être prêté. Je veux jouer, un, deux, trois ou même quatre ans dans le même club. Je n’exclus pas non plus un séjour prolongé à Anderlecht. Déménager tout le temps et devoir sans cesse s’adapter à un nouvel environnement, ça pèse. Même les meilleurs joueurs du monde ont besoin d’un temps d’adaptation. Je me souviens de la première saison de Bernardo Silva à City: il n’était pas encore le joueur qu’il est maintenant. À Anderlecht, j’ai entamé ma première saison dans un club pour la cinquième fois. Il est temps que je m’installe.
En juin, il vous restera un an de contrat à Manchester City. Cette saison peut donc déterminer la suite de votre carrière.
NMECHA: J’en suis convaincu. Actuellement, tout va bien pour moi et pour Anderlecht. Mieux je joue, plus je suis en position de force pour négocier. Pour la première fois, j’aurai vraiment le choix.
« Quand j’ai commencé à jouer pour l’Allemagne, j’ai reçu des messages haineux »
Début juin, vous avez participé au I’m a black man challenge, qui consistait à poster une photo de vous et un texte tout fait puis de taguer un autre noir. Pourquoi?
LUKAS NMECHA: Je ne vous apprends rien en disant que le racisme est omniprésent dans le monde. J’ai donc voulu faire passer un message positif pour démontrer que les choses peuvent aussi être différentes.
Vous êtes manifestement un grand partisan du Black Lives Matter, un mouvement qui s’est fait connaître en Europe après la mort de George Floyd. Que pensiez-vous de ce mouvement avant qu’il soit mondialement connu.
NMECHA: Je ne peux pas dire que j’étais très impliqué, mais comme toute personne bien, je suis opposé à toute forme de racisme. Pour moi, Black Lives Matter, c’est plus qu’un slogan: c’est un mouvement social qui nous fait prendre conscience du fait que le racisme est une réalité quotidienne. Les supporters de Millwall qui sifflent les joueurs parce qu’ils s’agenouillent avant un match, ce n’est pas bien. Quand j’ai commencé à jouer pour l’Allemagne, j’ai reçu des messages haineux. Tant que cela arrivera, nous ne pourrons pas abandonner la lutte. Nous sommes arrivés à un stade où il faut infliger de lourdes sanctions à ceux qui ont un comportement raciste.
Aux États-Unis, le monde de la musique a créé Blackout Tuesday, une action qui consistait à publier un carré noir pour lutter contre le racisme et la violence policière. Pourquoi n’y avez-vous pas participé?
NMECHA: Cette action a eu un impact sur le courant d’information. Avant, quand on utilisait le hashtag #blacklivesmatter, on recevait des infos des actions BLM. Maintenant, l’information est noyée dans tous ces carrés noirs, vous comprenez? Cela ne ressemble à rien. Je fais donc comme je l’entends.
Quelle est votre contribution à la lutte contre le racisme?
NMECHA: J’essaye de créer une prise de conscience et d’en parler afin que les gens ne banalisent pas cela. Il y a des gens qui s’éveillent chaque jour et descendent dans la rue pour protester contre l’injustice dont les gens de couleur sont victimes. Nous, les joueurs, nous pouvons attirer l’attention sur la question via les réseaux sociaux.
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