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Lopez et Campos, des businessmen du foot à la tête de Mouscron

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Les nouveaux patrons de l’Excel ont porté à son paroxysme le modèle de financement du ballon rond par les flux générés sur le mercato.

Les scénaristes n’auront pas lésiné sur l’ajout d’épisodes. Dans les tuyaux depuis de longues semaines, le rachat de Mouscron par Lille sera finalement officialisé ce mardi 7 juillet, tout juste un mois avant les premiers coups de sifflet de la nouvelle saison de Pro League. Le LOSC fait donc son retour au Canonnier, qu’il avait quitté à la hâte cinq ans plus tôt, quand les promesses d’investissements de Marc Coucke dans le club du président Michel Seydoux et la menace d’une emprise trop importante du milliardaire flamand sur deux clubs de l’élite belge avaient incité les Dogues à quitter la cité des Hurlus.

Depuis, les noms sulfureux se sont succédés à la tête du club hennuyer. Pini Zahavi, Marc Rautenberg et Fali Ramadani, agents de renom, ont fait la loi dans la rue du Stade, d’abord à visage découvert, puis de façon plus discrète quand il a été décidé que les détenteurs d’une licence d’agent ne pouvaient plus siéger au conseil d’administration d’un club. Appelé à la rescousse par Zahavi, son associé de longue date, le Thaïlandais Pairoj Piempongsant était surtout arrivé pour mieux repartir, cherchant presque immédiatement un repreneur pour le siège dans lequel il venait de s’installer.

Il n’est fait aucune mention d’une quelconque intervention du LOSC pour sauver Mouscron dans le rapport d’audience de la Cour d’arbitrage.

Maintes fois, Mouscron a échappé aux feux rouges de la Commission des Licences, lors du règne des agents sur le Canonnier. La dernière étant incontestablement la plus inattendue, quand des écoutes téléphoniques de Paul Allaerts semblaient signer la fin de l’aventure mouscronnoise en D1. Une erreur de retranscription des policiers limbourgeois sauvera finalement les Hurlus, ainsi qu’une lettre de confort signée par Pairoj Piempongsant. Contrairement à certaines rumeurs, Lille et son président Gérard Lopez n’ont pas influencé le verdict rendu par la CBAS.

L’OBSESSION PORTUGAISE

Le mariage avec Mouscron est, pour Lille, l’aboutissement d’une longue quête, à la recherche d’un club satellite. De l’autre côté de la frontière, on raconte que cette volonté émane principalement de Luis Campos, ancien entraîneur portugais devenu l’homme de confiance de José Mourinho avant de se transformer en découvreur de talents d’envergure internationale. Une spécialité qu’il exerce à Monaco pendant trois saisons, avant de s’associer à Lopez pour prendre en mains la destinée sportive des Dogues.

Luis Campos a toujours été obsédé par l’acquisition d’un club portugais, mais les règles locales ne facilitent pas la chose.

Les énormes possibilités offertes par une filiale à l’étranger ont toujours obsédé Campos. Les Football Leaks révèlent ainsi que même après son départ de l’AS Monaco, il conseille à son homme fort Vadim Vasyliev de racheter un club portugais. Avant de s’installer à Lille, le trio formé par Campos, Lopez et Marc Ingla (ancien dirigeant du Barça) tente de prendre la tête de Gil Vicente, avant de se rétracter. Deux ans et demi plus tard, ils nouent un partenariat avec Belenenses pour y prêter des joueurs, mais le manque de contrôle sur les décisions sportives du club fait que l’association ne fonctionne pas aussi bien qu’espéré. Début 2020, c’est donc au Vitoria Setubal qu’ils tentent de s’installer. Une nouvelle preuve du pouvoir considérable de Campos sur la destinée lilloise, lui qui irait même jusqu’à choisir le système de jeu dans lequel doivent évoluer les U17 des Dogues chaque week-end.

Puisque le système portugais fait passer l’accession à la présidence par un vote, Lopez et Campos affirment publiquement leur soutien à Vitor Hugo Valente, président sortant et candidat à sa propre succession. Lors d’une conférence de presse, ils expliquent vouloir nouer « une relation plus profonde, qui passe par un aspect économique. » Finalement, la présidence atterrit entre les mains de Paulo Gomes, élu à 875 voix contre 731, et le projet tombe encore à l’eau. « Au Portugal, vous devez prendre le contrôle du club après un vote des membres », explique Udi Schochatovitch, éphémère président de Lommel, en début de saison dernière. « Ici, je viens, je donne mon argent et j’achète 100% des parts du club. »

LE PARADIS BELGE

Même s’ils n’ont pas rangé leurs rêves portugais au placard, et envisagent un partenariat avec Boavista, les dirigeants lillois se rabattent donc sur Mouscron, où il leur « suffit » de racheter les 90% des parts du club possédées par Pairoj Piempongsant, président-vendeur. La proximité a évidemment ses atouts, tout comme l’avantageuse règlementation en vigueur sur les pelouses belges. « Il y a trois paradis pour le business du football: Chypre, le Portugal et la Belgique. Tous n’ont que très peu de règlementations concernant l’enregistrement de joueurs étrangers », explique encore Schochatovitch.

En 2013, Gérard Lopez et Marc Ingla ont voulu bâtir l’agence de joueurs la plus puissante du marché.

Une théorie partagée par Marc Rautenberg, ancien dirigeant hurlu, qui donnait ce conseil au club anglais de QPR dans un mail de novembre 2015 épinglé par les Football Leaks: « Si QPR était mon investissement, j’agirais de la façon suivante: acheter un club en Belgique, où on peut former une équipe de jeunes joueurs (passeport européen après deux ans, les joueurs africains ne sont pas considérés comme étrangers et il n’y a besoin que de six joueurs belges sur la feuille de match), investir dans le jeune talent à travers le monde et les envoyer en Belgique dans le but de produire des joueurs pour QPR ou de les vendre à profit. Les coûts annuels seront plus bas que de payer des sommes de transferts. »

Est-ce, en substance, le raisonnement tenu par Gérard Lopez, quand il explique dans les colonnes de La Voix du Nord que Mouscron sera « un tremplin plus efficace pour nos joueurs », et que « ce sera une opportunité pour Mouscron d’avoir une belle équipe, et des joueurs que le club serait normalement incapable de s’offrir »? Un voyage dans le temps nous apprend en tout cas qu’en novembre 2013, Lopez et Ingla déroulaient un powerpoint dans la capitale française pour lancer Kick Partners, une agence qu’ils espéraient voir devenir une référence mondiale en bousculant la hiérarchie des Jorge Mendes et Kia Joorabchian (aujourd’hui impliqués dans de nombreux deals lillois).

« Rendre service à un agent sur un joueur placé à Mouscron pourrait être un moyen pour un autre agent d’accéder au sommet du catalogue de Campos. »

Lors de cet exposé, soutenu par un fonds d’investissements chiffré à 500 millions d’euros, le football belge est classé parmi les « marchés prioritaires à ouvrir dès la saison 2013-2014 ». Si le projet n’a pas le succès escompté, la mise en place d’un scouting assidu sur les pelouses mondiales s’est en quelque sorte installée dans le Nord, où la société Scoutly Limited (détenue par Lopez et Ingla, et dirigée par Luis Campos) facture ses services au LOSC tout en restant indépendante du club. Fondée en février 2017 et basée à Londres, elle est une filiale de Victory Soccer Limited, la société derrière le rachat de Mouscron.

MOUSCRON EN DANGER?

Les Hurlus seraient-ils encore en danger face au règlement, au vu du passé trouble de certains des nouveaux protagonistes du pouvoir mouscronnois? S’il sera difficile de démêler un éventuel conflit d’intérêts dans le dédale de sociétés qui contrôlent le LOSC, Mouscron pourrait bien rester « un club où on rend service », selon l’expression utilisée sous l’ère Zahavi-Ramadani par un acteur influent du marché belge. Depuis Lille, on raconte en tout cas que « rendre service à un agent sur un joueur placé à Mouscron pourrait être un moyen pour un autre agent d’accéder au sommet du catalogue de Campos, à savoir les meilleurs talents du LOSC. »

Entouré de méfiance à son arrivée, Gérard Lopez est aujourd’hui désigné par ses pairs pour solliciter des emprunts destinés à aider le football français.

Ce curieux mélange des genres posera-t-il pour autant vraiment problème, au sein d’un football belge où les confusions de ce type sont monnaie courante et où Mouscron a parfois semblé faire figure de cible privilégiée ? La personnalité de Gérard Lopez a en tout cas gagné en crédibilité de l’autre côté de la frontière.

Si les doutes avaient entouré son rachat du LOSC, financé par un fonds d’investissements qui lui avait prêté 140 millions d’euros pour acquérir le club, l’habileté du Luxembourgeois pour négocier avec les fonds-vautour a récemment amené les autres présidents français à le désigner comme négociateur pour solliciter des emprunts, afin d’amortir la chute d’un football frappé en plein vol par la crise sanitaire et ses conséquences économiques.

En s’installant à Mouscron, Lille gagne un point de chute proche de ses installations pour faire mûrir ses jeunes talents, un atout devenu plus précieux suite à la relégation de l’équipe B en N3. Ainsi qu’un endroit où placer des joueurs prometteurs et potentiellement bankables, mais insuffisants pour briller au sein de l’élite de la Ligue 1. Et Mouscron, que gagne-t-il? Sa survie, sans doute.

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