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Lior Refaelov, un Soulier d’Or et de Lumière

L’Antwerp n’est que le troisième club de Lior Refaelov, récemment élu Soulier d’Or. Tout a commencé au Maccabi Haïfa, le grand club israélien où le natif d’Or Akiva a grandi.

Lior Refaelov fêtera ses 35 ans le 26 avril prochain. Avant l’arrêt Bosman, les joueurs de cet âge se retrouvaient libres, car ils étaient en fin de carrière. Un Soulier d’Or à 34 ans en dit-il plus long sur un footballeur, ou sur le championnat dans lequel il se produit? Difficile à dire, mais oui, Rafa a éclos sur le tard. Il avait déjà 25 ans en 2011 lors de son arrivée en Europe, au Club Bruges, notamment à cause du service militaire de deux ans dont il avait dû s’acquitter en Israël.

Ces dernières années, notre magazine a déjà dépêché à deux reprises un journaliste à Or Akiva, le berceau de Lior Refaelov, pour retracer ses racines, parler à sa famille et découvrir son premier club. Or Akiva signifie Lumière d’Akiva en hébreu, du nom du savant juif Rabbi Akiva. La ville est située à quarante kilomètres au nord de Tel-Aviv, et tout autant d’Haïfa. C’est une bourgade étrange, qui n’était encore qu’un village de quelques rues il y a quelques décennies, mais qui a subitement grandi, suite à l’immigration de Juifs venus d’Afrique et du Caucase. C’est une ville plutôt pauvre aussi, qui offre un contraste saisissant avec la cité balnéaire voisine de Caesarea, une des villes les plus prospères d’Israël.

Nisime Suisa, un coach d’Or Akiva, sait que Refaelov est né pour le foot.

UNE FAMILLE SOUDÉE

Lior Refaelov a grandi à Or Akiva, mais sa famille est originaire d’Azerbaïdjan. Ses deux parents ont émigré en Israël et s’y sont rencontrés dans le courant des années 80. Yosef Refaelov est chauffeur de camion pour une firme qui importe du vin, Tirza est infirmière et est devenue chef de service de la maternité de l’hôpital voisin. Le couple s’est rapidement marié et a tout aussi vite conçu des enfants: Tirza n’avait encore que 17 ans quand elle a accouché de ses jumeaux, Lior et Hen, une fille. Elle a encore eu trois fils par la suite: Yaron, Tomer et Shay.

Or Akiva, la ville où a grandi Lior Refaelov, a beaucoup changé ces dernières années.
Or Akiva, la ville où a grandi Lior Refaelov, a beaucoup changé ces dernières années.© KOEN BAUTERS

Yaron nous a raconté il y a quelques années que la fratrie était très soudée, qu’elle était en contact permanent. Quand Yaron a vécu plusieurs mois aux États-Unis, il a passé son temps au téléphone. Leur mère a dit aux enfants qu’ils devaient former un ensemble, rester unis. Que si l’un d’eux relâchait le lien, cet ensemble s’effondrerait.

Quand Lior a quitté le Maccabi Haïfa pour la Belgique, il a également passé beaucoup de temps au téléphone. Il a mal supporté sa vie dans un hôtel de Bruges. Heureusement pour lui, il venait de se fiancer et était sur le point de se marier.

UN MELTING-POT ETHNIQUE

Avant de rejoindre le Maccabi Haïfa, un des plus grands clubs israéliens, Refaelov a fait ses gammes à Or Akiva, dans les équipes d’âge de l’équipe locale, et surtout sur la place devant l’école. On pouvait y trouver le petit Lior à tout moment, par tous les temps, souvent jusqu’à l’heure du coucher.

À part le football, il n’y a pas beaucoup d’activités pour les jeunes à Or Akiva. La ville avait mauvaise réputation dans les années 80 et 90. Ses habitants sont pauvres, ce sont des immigrés issus de différentes ethnies: des Marocains, des Algériens, des Tunisiens et des Libyens, mais aussi ceux qu’on appelle les Kavkazis, les Juifs du Caucase, situé au sud de l’ex-Union soviétique. Aucun de ces groupes n’est prospère et ça crée de l’agitation. La police patrouille sans arrêt dans les rues. La famille Refaelov n’est pas mieux lotie que les autres. Sa petite maison abrite aussi une grand-mère. Les jeunes qui traînent en rue risquent de tourner mal. Lior sait donc ce qui lui reste à faire pour éviter les problèmes: jouer au football et s’appliquer à l’école.

Enfin… L’école passe après le football. Lior est bon en mathématiques, mais en classe, il rêvasse, laisse ses pensées vagabonder vers les joueurs dont les posters ornent les murs de sa chambre: Alessandro Del Piero, Christian Vieri, Ronaldo… Il découpe les photos d’un agenda qui comporte les stars du foot européen, un cadeau d’un professeur, parce qu’il est bon élève. Pourtant, sa mère doit souvent expliquer aux enseignants comment elle l’oblige à se concentrer sur ses devoirs.

Certains vont jusqu’à affirmer que Luis Fernandez a sauvé la carrière de Lior Refaelov.

UN CLUB DE RÊVE

Deux décennies plus tard, Or Akiva va mieux. De nouveaux quartiers se sont ajoutés à la ville, et les différentes ethnies commencent à trouver leurs marques. Or Akiva est par exemple devenue la première ville dotée d’un bourgmestre originaire du Caucase, il y a dix ans.

Le petit stade du club local, pensionnaire de troisième division, reste assez basique. En 1994, un coach d’Or Akiva, Nisime Suisa, voit Lior, âgé de huit ans, sur la plaine de jeux de l’école. Il l’attire au club. Suisa remarque le talent du gamin. Infatigable, Lior continue à jouer même sous la canicule. Il développe une technique brillante, sur la surface dure. Il écoute ses entraîneurs et emmagasine rapidement leurs conseils et directives. Une certaine rivalité l’oppose à Eran Levi, un garçon d’un an son aîné, originaire du même quartier et qui va ensuite rallier le Maccabi Haïfa, avant de transiter par presque tous les clubs de D1 israélienne. Mais alors qu’Eran Levi est insouciant, Refaelov, plutôt du genre tranquille, fait preuve de plus de maîtrise. On peut former beaucoup d’enfants, mais Suisa sait que Refaelov est né pour le foot. Il s’appuie sur son instinct. Il dribble, marque. En fait, il a tout pour réussir. Au bout d’un an, Suisa réalise que Refaelov peut viser beaucoup plus haut et l’envoie au Maccabi Haïfa. Tous les garçons du coin rêvent de ce club, un des plus prestigieux d’Isräel. On retrouve des tags au nom du club, ici et là, sur les murs d’Or Akiva.

La nouvelle maison familiale des Refaelov.
La nouvelle maison familiale des Refaelov.© KOEN BAUTERS

LA STAR DE L’ÉQUIPE

Lior Refaleov devient capitaine de la meilleure équipe de jeunes que le Maccabi ait jamais eu. Tzadok Malka, son entraîneur pendant cinq ans en catégories d’âge, vante sa technique et sa mentalité. Il répète au jeune Lior qu’il est important de rester concentré, surtout quand on est d’origine modeste: le football est un outil pour gravir les échelons de la société. Lior le comprend et s’érige en leader. Il devient une figure dominante sur le terrain, un vrai roc. Plus d’une fois, il offre la victoire ou l’égalisation à son équipe, grâce à une action individuelle.

On ne manque cependant pas de le mettre sous pression. Dès que Refaelov pointe le bout de son nez en équipe première, on le qualifie de nouveau Eyal Berkovic, le plus grand joueur du Maccabi Haïfa. L’entraîneur, Ronny Levi, est dur à son égard. Il lui impose une volée de directives tactiques auxquelles il n’était pas habitué en équipes d’âge et Rafa ne trouve plus ses marques. Il a le sentiment que Ronny Levi ne croit pas en lui et ça le mine.

Deux hommes lui donnent alors l’élan dont il a besoin pour émerger: Elisha Levi, qui succède à Ronny Levi au poste d’entraîneur du Maccabi, et le sélectionneur Luis Fernandez. Elisha Levi fait de Refaelov la star de l’équipe, suite au départ de plusieurs cadres. Ce défi donne des ailes à Refaelov, qui prend l’équipe en mains. Il a à nouveau le sentiment de jouer un rôle de premier plan, ce qui est très important à ses yeux.

Pourtant, tout n’est pas encore au top. Elisha Levi a l’habitude, insupportable aux yeux de Refaelov, de remplacer sa star en cours de deuxième mi-temps, même quand il joue bien. Peut-être parce qu’il a acquis une réputation de sorteur, même si elle n’est pas justifiée, après avoir été vu à plusieurs reprises dans des discothèques ( voir encadré).

Il obtient la confiance dont il a besoin quand Luis Fernandez le convoque en équipe nationale. Fernandez ne connaît pas le championnat israélien et n’a pas de préjugés envers les talents qu’il découvre. Il a d’abord un entretien personnel avec Refaelov, durant lequel il lui dit croire pleinement en lui. Il se retrouve dans ce joueur. Lior obtient un rôle libre et peut jouer en fonction de ses qualités. Certains vont jusqu’à affirmer que Fernandez a sauvé la carrière de Refaelov.

CAP SUR L’ÉTRANGER

Refaelov intéresse des clubs étrangers depuis un certain temps. En Espoirs, il a participé à un tournoi prestigieux en Italie, avec les meilleures équipes européennes: l’Ajax, l’Inter, l’AC Milan, la Lazio… C’est là que les scouts découvrent son visage. Le Torino, Tottenham et Newcastle s’intéressent à lui, mais le service militaire constitue un obstacle. Il doit en effet servir sous les drapeaux de 19 à 21 ans. Lorsqu’il a achevé son service militaire, des clubs étrangers se remanifestent, surtout quand Refaelov fait banquette, mais le Maccabi Haïfa parvient toujours à le convaincre de rester.

Jusqu’à ce que le Club Bruges débarque, en 2011. Refaelov vient d’avoir 25 ans et il rejoint enfin l’Europe. Près de dix ans plus tard, le voilà désormais chaussé d’or.

Par Raoul De Groote, Peter Mangelschots et Christian Vandenabeele

À 34 ans, Lior Refaelov soulève enfin son premier Soulier d'Or.
À 34 ans, Lior Refaelov soulève enfin son premier Soulier d’Or.© KOEN BAUTERS

Une histoire de sosie

Quand il jouait au Maccabi Haïfa, puis au Club Bruges, Lior Refaelov a été aperçu dans des boîtes de nuit israéliennes à diverses reprises. La presse nationale en a fait ses choux gras et ça lui a valu une réputation de noceur, celle d’un homme qui ne donnait pas tout pour réussir. Du coup, sa position au Maccabi a pu s’en retrouver fragilisée.

Son frère Yaron affirme qu’on a exagéré ces histoires et que les rumeurs quant à ses sorties sont à 90% des ragots infondés. Lior préférerait rester confortablement chez lui. Pour Yaron, l’origine de ces bruits est claire: c’est lui qu’on a vu, pas Lior. Il y a quelques années, il disait ceci à notre magazine: « Nous nous ressemblons tous très forts, dans la famille, et c’était encore plus marquant quand nous étions petits. On me prenait souvent pour Lior. Récemment, quelqu’un m’a encore demandé pourquoi j’étais revenu de Belgique… ( Rires) Une fois, on m’a aperçu dans une discothèque alors que Lior était à la maison, car il jouait un match le lendemain. Malheureusement, le club lui a signalé qu’on l’avait vu sortir. Personne n’avait prêté attention à notre ressemblance. » Yaron a tiré des leçons de cet incident: « Depuis, je ne sors jamais la veille d’un match de mon frère. C’est préférable. »

On ne saura toutefois jamais le fin fond de l’histoire. Il reste 10% après tout… Quoi qu’il en soit, l’anecdote révèle à quel point la famille Refaelov est soudée.

Lior Refaelov a quitté le Maccabi Haïfa en 2011 pour le Club Bruges.
Lior Refaelov a quitté le Maccabi Haïfa en 2011 pour le Club Bruges.© KOEN BAUTERS

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