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Les secrets de la BeNeLigue

De retour au sommet de la pile de dossiers concernant l’avenir du football belge, la BeNeLigue semble plus palpable que jamais. Coup de bluff ou coup de génie ? Voyage dans les coulisses du grand marché belge du ballon rond.

À mi-chemin d’Amsterdam et de Bruxelles, Eindhoven fait office de cadre idéal. C’est à l’abri des regards curieux, dans les coulisses du Philips Stadion où le PSV donne la leçon deux fois par mois, que les hommes forts des footballs belge et néerlandais ont désormais pris l’habitude de se rassembler, à un rythme de plus en plus soutenu.

Lors de la dernière entrevue, tenue à la fin de la semaine dernière, certains grinçaient des dents. De l’autre côté de la frontière, il se dit que l’Ajax n’a que modérément apprécié la sortie médiatique de Bart Verhaeghe dans les colonnes du journal Le Monde, au coeur d’une interview livrée en marge de la visite du géant parisien dans la Venise du Nord.

Le président de Bruges, avec la délicatesse de bulldozer que lui prêtent volontiers ceux qui se sont déjà assis avec lui autour d’une table de négociations, évoque en vrac l’arrivée très prochaine d’une BeNeLigue, un format de compétition à dix-huit clubs – huit Belges et dix Néerlandais – et une D2 belge  » encore plus intéressante  » où seraient rassemblées les huit entités laissées sur le carreau et les actuels pensionnaires de la D1B.

Au bout de la réunion, tenue en présence du G5 belge, du G6 néerlandais (Ajax, Feyenoord, PSV, Vitesse, AZ et Utrecht) et de représentants des deux fédérations, ce sont les Oranje qui dégainent pourtant l’arsenal médiatique en premier, confirmant qu’une étude commandée au cabinet Deloitte sur la rentabilité économique du projet avait obtenu des réponses positives et qu’une deuxième phase était désormais lancée, concernant la faisabilité du projet.

Un virage presque historique dans l’éternel refrain de la BeNeLigue, chanté au siècle dernier par Michel Verschueren avant d’être repris en 2012 par Roland Duchâtelet. En effet, la fédération néerlandaise s’était toujours rangée dans le camp des opposants au projet.

DE DUCHÂTELET À VERHAEGHE

Il y aura toujours quelqu’un pour vous répéter l’adage.  » Tout va très vite dans le football.  » En sept ans, bien des choses ont changé. Notamment le classement européen des ligues nationales, via le fameux coefficient UEFA.

Pendant que Feyenoord cherchait à remonter la pente, que le PSV enchaînait les campagnes continentales rapidement avortées et que l’Ajax sauvait occasionnellement le football néerlandais du naufrage, le voisin belge trouvait une belle régularité, entre les quarts de finale d’Europa League disputés par Bruges, Genk et Anderlecht, et le huitième de finale de Ligue des Champions décroché par les Buffalos d’ Hein Vanhaezebrouck.

L'Anderlecht-Ajax amical d'avant-saison, deviendra-t-il un jour une affiche en BeNeLigue ?
L’Anderlecht-Ajax amical d’avant-saison, deviendra-t-il un jour une affiche en BeNeLigue ?© BELGAIMAGE

De quoi dribbler les Pays-Bas et grimper jusqu’à la huitième place de la hiérarchie européenne. Loin des Russes et des Portugais, confortablement installés dans le sillage du G5, mais devant l’Ukraine ou la Turquie, qui devançaient encore les Néerlandais en début de saison.

Aux velléités de Roland Duchâtelet, Bart Verhaeghe répondait à l’époque qu’il fallait que les deux pays soient sur un pied d’égalité pour que les négociations aient du sens. La remise à niveau belge a réveillé l’intérêt du voisin néerlandais, également poussé par une réforme annoncée de la Ligue des Champions où les cinq grands championnats continentaux se tailleraient l’essentiel du gâteau sportif et, par conséquent, économique.

L’idée d’une association fait alors son retour, avec l’objectif affirmé de devenir le sixième championnat du continent, et de s’offrir ainsi une place qualificative automatique pour la nouvelle CL, qui n’offrirait que huit tickets aux clubs issus des championnats  » mineurs « .

LA PRESSION DE BART

Annoncée pour 2024, la réforme de la reine des compétitions européennes coïncide précisément avec le terme du contrat qui lie l’ Eredivisie à Fox, détenteur des droits du championnat néerlandais. Le géant américain, qui a réagi assez virulemment en privé avec la fédération néerlandaise suite à l’annonce officielle du projet d’étude d’une BeNeLigue, serait-il le principal obstacle à l’instauration d’un championnat international ?

 » Un deal, ça se renégocie toujours « , tempère l’homme fort d’un club qui serait probablement appelé à monter dans le wagon belgo-néerlandais en cas d’issue favorable.  » Fox serait certainement intéressé par les droits de ce nouveau championnat.  » Un son de cloche presque unique dans le dossier, là où la plupart des personnes contactées brandissent le contrat liant les Américains et la fédération néerlandaise pour jouer la montre face aux déclarations de Bart Verhaeghe.

Certains vont même jusqu’à avancer que le président de Bruges aurait surtout rué dans les brancards pour obtenir une plus grande part du nouveau gâteau médiatique national, actuellement en cours de négociations. Une manière de mettre la pression sur le  » K11  » (rassemblant les 11 clubs de D1A hors G5) et la D1B, en désignant une porte de sortie claire en cas de répartition financière trop peu avantageuse pour les clubs du top dans ce nouveau contrat pour lequel on évoque des chiffres dépassant les cent millions d’euros.

Lassé par les réclamations d’égalité venues de clubs pourtant soutenus par de riches investisseurs étrangers, Bart Verhaeghe serait ainsi prêt à négocier des droits médiatiques individuels pour son club, laissant chacun se débrouiller pour obtenir sa part du marché, selon certaines sources.

TOUJOURS PLUS D’ALLIÉS

 » Je ne pense pas que Verhaeghe soit uniquement concerné par un jeu à quelques pourcents près. Lui, sa préoccupation principale, c’est déjà de savoir comment il va emmener ses partenaires commerciaux jusqu’à Eindhoven ou à Rotterdam « , glisse un dirigeant habitué des réunions avec le patron brugeois. Ardent défenseur du projet, allant jusqu’à évoquer le sujet avec son staff sportif, le président du Club a vu les alliés se multiplier au fil des mois et des réunions.

Parmi eux, bien plus qu’un Michael Verschueren qui a pourtant repris le flambeau de son père, défenseur d’un rapprochement avec les Pays-Bas dès les années nonante, ou qu’ Ivan De Witte et Bruno Venanzi (néanmoins impliqués dans les réunions et visiblement favorables à l’idée), le principal atout de Verhaeghe serait la présence autour de la table de Peter Croonen.

Le président de Genk a laissé de côté sa casquette de nouveau dirigeant de la Pro League pour se rendre à Eindhoven avec ambition, dans le costume d’un patron de club du G5.  » C’est vraiment le momentum, parce que c’est la première fois que les deux pays sont véritablement intéressés « , confirme Croonen.  » Nous voulons absolument éviter d’avoir des regrets dans dix ans, parce qu’on aura laissé passer une occasion en or.  »

Pas présents lors des discussions, des clubs comme l’Antwerp, Charleroi ou Malines seraient également à ranger dans le camp des partisans du projet. Le Great Old n’a pas encore les prétentions de réclamer un élargissement du G5, mais son statut le place de plus en plus parmi les ténors du championnat et en ferait un pensionnaire inévitable de la BeNeLigue.

Du côté de Charleroi, où l’ambition s’affirme à l’horizon… 2024 avec la préparation d’un nouveau stade qui doit permettre au club de changer de dimension, on refuse pour l’instant de se mouiller face aux micros. Mehdi Bayat a sorti ses tours de prestidigitation habituels après la victoire contre Mouscron, évoquant une potion qui lui permettrait de grandir de cinq centimètres pour expliquer qu’il ne réagirait pas tant que rien de concret ne se présenterait sous ses yeux. Pourtant, en coulisses, le club semble préparé à monter dans le train à grande vitesse piloté par Verhaeghe.

 » Je n’ai pas été contacté, mais ce n’est pas grave, c’est une bonne idée que l’initiative vienne du G5 « , souligne de son côté Dieter Penninckx, propriétaire du Malinwa.  » Le plus important, c’est que le football professionnel en Belgique reste viable, et pas seulement pour six, huit ou dix clubs. Il faut voir qui en sera, et comment éviter le cimetière pour les autres.  »

DOUBLE JEU

Au petit jeu des pronostics sur les premiers participants à cette éventuelle BeNeLigue, le KaVé, notamment pénalisé par son implication dans le Footgate, serait doublé par Zulte Waregem pour la dernière place nationale en cas de répartition en 10 + 8.

 » Je suis tombé du ciel quand j’ai entendu qu’on serait parmi les huit clubs concernés « , affirme Eddy Cordier, le CEO du Essevee.  » Nous ne sommes pas impliqués dans les négociations. On sait seulement qu’elles ont lieu, mais sans en connaître la teneur.  »

Un autre dirigeant qui serait du bon côté de la barrière ne s’offusque pas de son absence des salles de réunion d’Eindhoven :  » Je sais par expérience que plus il y a de gens autour de la table, moins il y a de chances qu’un projet aboutisse.  »

 » Le but n’est évidemment pas de prendre des décisions en cachette « , se défend Peter Croonen face aux nombreuses attaques dont il fait l’objet, à cause de son encombrante double casquette. De Saint-Trond à Courtrai en passant par le Cercle, on s’offusque ouvertement du double agenda mené par le G5, en pleines négociations pour le nouveau contrat médias.

 » Nous avons élu Peter Croonen comme président de la Pro League en mai, et savoir qu’il était à table avec les clubs néerlandais pour discuter de la BeNeLigue, c’est quelque chose que je ne comprends pas « , tempête Marc Van Maele, directeur général du Cercle.

Matthias Leterme confirme que le projet n’est  » pas une piste  » du côté de Courtrai, plutôt favorable à une élite nationale élargie à vingt clubs, mais ajoute que  » s’il devait y avoir des arguments sains et un bon plan, nous regarderons tranquillement avant de donner notre avis. C’est difficile de s’exprimer sans vraiment savoir de quoi il s’agit. Actuellement, ça pose surtout beaucoup de questions.  »

La deuxième phase préparatoire, lancée depuis ce vendredi, devra y apporter des réponses. La première, bouclée par le cabinet Deloitte, s’est conclue sur des chiffres très prometteurs, encore plus élevés que ceux qu’avait lu Bart Verhaeghe au terme d’une étude de marché qu’il avait commandée à titre personnel. De quoi augmenter l’enthousiasme des parties rassemblées autour de la table.

COMMENT FAIRE ?

À l’heure d’évoquer les contours pratiques de ce projet ambitieux, le conditionnel est plus que jamais de rigueur, puisque l’étude de faisabilité n’en est qu’à ses balbutiements. Histoire de ne pas surcharger le calendrier, l’idée principale serait de conserver un format de championnat à dix-huit clubs, comme c’est actuellement le cas aux Pays-Bas.

Selon les mots de Bart Verhaeghe, la BeNeLigue s’orchestrerait donc plutôt autour d’un format avec dix clubs néerlandais et huit belges, pour respecter au sein de l’élite la différence démographique entre les deux pays, le marché oranje étant numériquement plus important.

Les seize clubs belges restants seraient alors rassemblés dans une  » super D2 « , revalorisée sportivement et économiquement par rapport à l’actuelle D1B grâce à un contrat médias bien plus important suite à la  » fusion « .

Les pessimistes y voient déjà un aller simple pour le cimetière, et craignent la constitution d’une élite fermée, bien que Peter Croonen affirme qu’en cas d’aboutissement du projet,  » il me semble important qu’un système de montées et descentes soit mis en place, afin d’éviter d’en arriver à un format de ligue fermée.  »

Difficile de dire, à ce stade, si chaque pays verrait automatiquement descendre son ou ses équipe(s) moins bien classée(s), indépendamment du classement, ou si seuls les derniers du championnat seraient renvoyés à l’échelon national.

La réglementation quant au nombre de joueurs extra-communautaires, également différente entre les deux pays, devrait être l’une des nombreuses choses à uniformiser au sein de la BeNeLigue. Est-ce cela qui fait que la plupart des clubs belges détenus par des investisseurs étrangers se rangent dans le camp des réfractaires ?

BOULEVERSEMENT EN VUE ?

 » La semaine dernière, j’étais à un meeting à Londres où étaient rassemblés plus de 200 clubs européens pour évoquer l’avenir du football. Et la conclusion majeure était qu’une compétition nationale était le plus important pour les supporters. Ils doivent pouvoir se reconnaître dans cette compétition « , argumente Christoph Henkel, le directeur général allemand d’Eupen.

 » Le problème en Belgique, c’est surtout que le marketing de la Ligue est très mauvais. Et moi, je veux surtout réfléchir à cette question : comment pouvons-nous, tous ensemble, améliorer le produit football belge ? Sur le plan sportif, sur le plan du marketing, et sur le plan des revenus.  »

Une question à laquelle le G5 semble avoir décidé de répondre en tournant le regard vers l’étranger. La réforme des compétitions européennes amènera-t-elle également un immense bouleversement à l’échelle nationale ? Les défenseurs de la tradition s’en mordent déjà les doigts, pointant le manque de charme d’un Zulte Waregem – Heerenveen pour contrer ceux qui se lèchent les babines à l’idée de déguster un Bruges – PSV, un Standard – Feyenoord ou un Anderlecht – Ajax.

Pour ceux qui sont attachés viscéralement à leur fibre nationale, il resterait donc un titre officieux de champion à glaner dans la D1 belge rassemblant les 16 autres clubs professionnels du pays. Sans oublier la Coupe de Belgique, qui resterait nationale offrirait à tous une (dernière ? ) opportunité de se frotter aux géants de la BeNeLigue.

Par Guillaume Gautier et Peter T’Kint

Les réactions officielles

Anderlecht

Comme convenu avec les clubs néerlandais, Anderlecht ne souhaite pas communiquer vu que les pourparlers sont encore à un stade prématuré.

Antwerp

Cercle

Marc Van Maele :  » Nous sommes absolument contre. L’unique avantage concernerait un petit nombre de clubs. Mais de l’autre côté, on enterre totalement notre propre compétition.  »

Charleroi

Mehdi Bayat :  » Une fois qu’on saura si c’est faisable, je donnerai mon avis.  »

Club Bruges

Bart Verhaeghe dans Le Monde :  » On est en train de créer avec les Pays-Bas une Ligue qui peut réduire notre écart avec le Big Five.  »

Courtrai

Matthias Leterme :  » Pour nous, la BeNeLigue n’est pas une piste.  »

Eupen

Christoph Henkel :  » Une compétition nationale est le plus important pour les fans. Mais sur le plan du marketing, la Ligue belge fonctionne très mal.  »

Gand

Ivan De Witte :  » Je suis pour, mais l’idée a seulement des chances de réussir si elle est bien mise en oeuvre. Je compare un peu ça avec le Brexit, toutes proportions gardées : on vote pour une idée, mais on trébuche sur sa mise en place.  »

Genk

Peter Croonen :  » Nous avons l’obligation intellectuelle de faire cet exercice, parce que la chance est présente maintenant. Refuser de manière purement émotionnelle ne serait pas intelligent.  »

Malines

Dieter Penninckx :  » Nous trouvons que c’est une bonne chose, et c’est la force de Bart, d’avoir mis ce sujet à l’agenda. Il nous amène à regarder vers l’avant, et il y a des choses à changer dans notre football. Ensuite, il faudra se mettre à table et peser le pour et le contre.  »

Mouscron

Patrick Declerck, sur Proximus TV :  » Si on veut participer à une BeNeLigue, on devra s’associer à Roulers, Courtrai ou Zulte Waregem.  »

Ostende

Saint-Trond

 » Le STVV soutiendra chaque initiative qui aide le football belge à aller de l’avant, mais les pourparlers menés uniquement par certains grands clubs vont à l’encontre du concept de la Pro League, dont ils font pourtant partie.  »

Standard

Waasland-Beveren

Dirk Huyck :  » Nous sommes complètement contre. Nous avons déjà des difficultés, et nous priver des affiches, ce serait la mort des plus petits clubs.  »

Zulte Waregem

Eddy Cordier :  » Nous savons seulement que ces négociations ont lieu, mais nous n’avons pas plus d’informations. Je ne peux donc pas vraiment dire si ce serait une bonne chose pour Zulte Waregem. Parce qu’à ce moment, il reste trop de questions sans réponses.  »

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