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« Les équipes qui ne sont pas prêtes, ça m’énerve »

« Si un club comme Zulte Waregem, qui chamboule son effectif chaque été, est prêt à temps, pourquoi les grands clubs n’y arrivent-ils pas? », se demande Franky Van der Elst, ancien Soulier d’Or.

Franky Van der Elst (56 ans) habite toujours à deux kilomètres du Jan Breydelstadion, où il a joué pendant quinze ans. « Je dois bien avouer que c’est difficile de ne pas y aller, surtout lorsque je n’ai pas de boulot », dit celui qui est aujourd’hui consultant pour Proximus TV et Extra Time. « Mais je regarde aussi beaucoup de foot à la télé. Un peu trop, même. »

Qu’est-ce qui vous intéresse ?

Pour le moment, j’essaye surtout de découvrir les nouveaux joueurs, comme Brahim Diaz, qui a débuté à Manchester City à l’âge de 17 ans.

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Vous vous réjouissez que la saison ait repris ?

Oui, même si tout est encore loin d’être top. Ce qui m’énerve, ce sont toutes ces équipes qui ne sont pas prêtes. Comme Anderlecht par exemple qui, la saison dernière déjà, avait joué deux matches à quinze millions contre Rostov sans être au mieux de sa forme. Manifestement, il n’en a toujours pas tiré la leçon un an plus tard. D’accord, ça porte moins à conséquence ce coup-ci puisque le Sporting entamera sa campagne européenne en septembre seulement. Il n’empêche qu’il n’était pas prêt au moment où les trois coups du championnat ont retenti pour lui, à l’Antwerp. Un constat qui vaut aussi pour Gand ou Ostende, pour ne citer que ces clubs du top-6. Ça me chiffonne un peu.

Le Club Bruges, lui, a commencé de manière autoritaire. Sur la scène nationale, du moins. Que pensez-vous des Bleu et Noir ?

J’ai assisté au dernier match en 4-3-3 à Deinze contre l’AZ. La première mi-temps n’était pas mauvaise, Bruges aurait même pu mener 2-0 mais il a été battu 1-3. J’ai été surpris, après coup, qu’Ivan Leko change de système, préconisant soudain une défense à trois. Ce modus operandi a clairement affiché ses limites contre Basaksehir, même s’il tient la route jusqu’à présent sur le plan national. Mais le Club n’a pas encore joué de match-référence contre un grand.

La question épineuse n’est-elle pas de savoir comment faire jouer le reste de l’équipe quand on évolue avec trois défenseurs centraux ?

Il y a plusieurs variantes possibles : on peut par exemple aligner deux joueurs offensifs derrière l’attaquant de pointe plutôt que sur les flancs, à savoir Dennis en position la plus avancée, soutenu par Refaelov et Vanaken dans son dos. On peut aussi demander aux flancs de monter plus rapidement, de façon à jouer plus haut. Ou alors faire comme Conte le fait parfois à Chelsea : il demande à Alonso de surgir rapidement sur le flanc gauche afin de libérer Hazard de son travail défensif et il fait l’inverse sur l’autre flanc avec Moses. Les choix ne manquent pas car le système est souple et peut être appliqué tant offensivement que défensivement. En équipe nationale U19, Gert Verheyen évolue avec deux hommes en soutien du centre-avant et demande à un ailier de déborder tandis que l’autre recule et devient quatrième défenseur. Mais contre Bilbao, en raison de la force de l’adversaire, Bruges jouait constamment à cinq derrière et ce n’est pas le but de ce système car avec deux médians centraux, Perbet était fort seul. Vormer et Nakamba ont immédiatement été mis sous pression et ne sont pas parvenus à distribuer le jeu.

« J’ai été surpris par la nomination d’Ivan Leko à Bruges »

Bruges a-t-il besoin d’un autre type de joueur devant la défense ?

Vanaken pourrait jouer à cette place, même si je pense qu’il est meilleur un cran plus haut. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui le critiquent régulièrement. Vous verrez qu’il jouera beaucoup de matches cette saison.

Vous avez connu Ivan Leko comme joueur à Bruges, lorsque vous étiez entraîneur-adjoint. Qu’avez-vous retenu de sa personnalité ?

C’était un gars relativement simple. On voyait qu’il avait pris de l’expérience à Malaga, dans le championnat d’Espagne. Ce n’était pas le gars qui se cachait sous sa capuche pour entrer dans le vestiaire, comme Nzelo Lembi (il rit). Leko venait parfois parler en espagnol avec Emilio Ferrera, l’entraîneur de l’époque. Il était un des gars qui se faisaient entendre et haussait parfois le ton mais ce n’était pas un emmerdeur et il ne cherchait pas à dominer les autres. J’ai quand même été surpris quand on a annoncé qu’il serait l’entraîneur. J’assistais à la soirée de la Casa Hogar à Jabbeke quand l’annonce a été faite et tous les Brugeois présents sont tombés de leur chaise, d’autant qu’avant cela, on avait cité de grands noms. Mais ce n’est pas parce que le choix est surprenant qu’il n’est pas bon. Le Club prend un risque, il sera plus vite soumis à la critique mais je trouve que c’est bien de donner sa chance à un jeune entraîneur qui a joué chez soi.

Lorsque Leko a été nommé, vous avez dit que sa réussite dépendrait surtout de la qualité des joueurs. Que pensez-vous des transferts ?

Bruges a transféré de très jeunes joueurs, sans doute pour faire de la plus-value. J’attendais des joueurs plus expérimentés, même si Perbet, Nakamba et Mera ont quand même des planches. Mais Mera, on ne l’a pas encore vu à l’oeuvre, Nakamba doit apprendre à jouer plus vite mais il est mobile et je crois que Bruges a besoin d’un joueur comme lui devant la défense. Quant à Perbet, il inscrira son quota de buts. Reste à voir s’il marquera aussi dans les grands matches et lors des play-offs. J’ai été surpris que Bruges le transfère car c’est un finisseur, comme Vossen. Si l’équipe domine, il se mettra en évidence mais contre Bilbao et Basaksehir, Bruges n’a pas joué en fonction de ses qualités. Dans ce cas, mieux aurait valu aligner Dennis qui est rapide et accrocheur mais marque aussi. Ou un pivot qui aurait pu garder le ballon en attendant du renfort.

Wesley ?

Oui, s’il avait été prêt. Le Brésilien est solide et travaille énormément mais il est parfois brouillon et il se crée trop peu d’occasions parce qu’il se place mal. Il a beaucoup à apprendre de Vossen et de Perbet. Dommage que la maladie l’ait privé de la période de préparation.

« Anderlecht devrait toujours bien jouer mais on est loin du compte »

Vous pensez qu’Anderlecht sera champion ?

Comme presque tout le monde, sans doute. Avec Kara et Spajic, c’est solide derrière. De plus, Kums et Onyekuru sont arrivés. J’ai été surpris qu’Onyekuru ne joue pas à l’Antwerp. J’espère qu’Anderlecht produira un meilleur football que la saison dernière. Je sais qu’il a fallu s’adapter au nouvel entraîneur et que le vestiaire a subi un nettoyage en profondeur mais après quelques mois, cela aurait dû être meilleur. Or, je n’ai pratiquement pas vu un bon match d’Anderlecht. En Allemagne, le Bayern doit toujours bien jouer. Pareil pour l’Ajax aux Pays-Bas et pour le Real Madrid ou Barcelone en Espagne. Cela devrait également valoir pour Anderlecht chez nous. Mais on est loin du compte.

Mais cela ne semble pas tracasser René Weiler.

En effet. Quand on lit ses interviews, on se rend compte qu’il s’en fiche totalement.

Tout ce qui l’intéresse, c’est le titre.

Et je trouve ça vraiment dommage. Pour moi, Anderlecht peut être champion chaque année mais je veux qu’il produise du beau jeu, un football technique, des attaques bien dessinées, des buts… Ce n’est peut-être pas possible lors de chaque match mais ça doit arriver régulièrement.

J'avais dit que Gand irait loin en Europe. Je me suis trompé.
J’avais dit que Gand irait loin en Europe. Je me suis trompé.© KOEN BAUTERS

Comment Anderlecht pourrait-il se planter cette saison ?

Pendant le premier tour de la compétition, en 2016-17, le Sporting a pu compter sur un buteur hors pair en la personne de Teodorczyk. A présent qu’il est muet, il n’y a personne pour prendre la relève car Kiese Thelin ou Ganvoula ne sont pas du même calibre. Les Mauves ont besoin d’un avant de pointe qui marque son quota de buts, même si Hanni et Onyekuru ont le sens du but, eux aussi. Indépendamment de la méforme de l’avant polonais, il y a aussi la relève de Tielemans qui pose problème.

Celui-ci avait inscrit une quinzaine de buts et délivré pratiquement autant d’assists la saison passée. Qui va reprendre son rôle ? Kums ? Il est plus à l’aise dans un rôle moins avancé. Reste qu’Anderlecht dispose toujours du meilleur noyau de Belgique et que si on se base sur le talent présent, il doit normalement être champion.

Vous aviez dit de Gand que ce serait l’équipe belge qui irait le plus loin en Coupe d’Europe.

Je me suis un peu laissé prendre par l’euphorie qu’on retrouve typiquement lors du mercato : on disait qu’Andrijasevic était très bon, Hein assurait qu’il n’avait jamais disposé d’un aussi bon groupe… Mais ce qu’ils ont montré depuis le début de la saison n’est pas bon. Alors, oui, il y a de quoi se poser des questions. Milicevic joue devant la défense aux côtés d’Esiti mais est-ce sa meilleure place ? Et qui mettre sur les flancs si Simon et Kalu jouent mal ? Birger Verstraete ne me semble pas être non plus l’homme qu’il faut pour remplacer Foket. De plus, les longues transversales de Neto font défaut : il avait beaucoup d’importance dans ce système. Je suppose aussi que Hein se fait du souci parce que l’équipe encaisse trop.

Ça manque de qualité en défense ?

La stabilité défensive, c’est important, évidemment. Quand on n’encaisse pas, on ne doit marquer qu’un but pour gagner. C’est ce qui peut faire la force d’Anderlecht. L’équipe qui prend deux ou trois buts par semaine va perdre beaucoup de points.

« Yves Vanderhaeghe entraînera un jour le Club Bruges »

Question délicate : qui va remplacer qui dans le top 3 en fin de saison ? Et que penser du Standard ? Franky Van der Elst avoue qu’il n’en sait rien. « Genk peut-il combiner bon football et résultats ? Le fait de ne pas devoir jouer en Coupe d’Europe constitue un avantage mais contre Waasland-Beveren, lors de la première journée, l’équipe s’est toujours montrée aussi fragile, même si elle s’est reprise par après.

À Zulte Waregem, beaucoup de choses ont changé mais ça reste une belle équipe. Francky Dury a l’art de former rapidement des équipes qui jouent bien au football. Pour moi, c’est ce qui fait un bon entraîneur. Il ne faut pas oublier qu’il a été champion d’automne la saison dernière. Et l’année d’avant, c’était Ostende. C’est grave. Si ces clubs peuvent être prêts rapidement, pourquoi les grands clubs n’y arriveraient-ils pas ? »

Franky Van der Elst apprécie aussi Yves Vanderhaeghe, même si Ostende mange son pain noir en ce début de saison. « Un jour, il deviendra entraîneur du Club Bruges. C’est un coach offensif, il lit bien le jeu, il semble bien manager son groupe, sait s’y prendre avec les joueurs. Devant les caméras, il est très nature, j’aime ça, même si on lui reproche parfois de dire trop franchement qu’il faut mettre le pied (il rit). Il s’en prend aussi un peu trop au quatrième arbitre, ce qu’il ne faisait pas il y a deux ans.

Là, j’ai envie de dire : Ne fais pas ça, Yves, s’il te plaît. Mais je le comprends. Il ne faut pas sous-estimer la pression qu’engendre le fait de devoir faire mieux chaque année. Chaque semaine, un entraîneur est démuni face aux spectateurs, aux caméras et aux médias. Je sais par expérience que, quand on rentre chez soi, on se demande parfois ce qu’on a raconté. Mais il ne peut pas en faire une mauvaise habitude. »

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