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Les confidences de Hannes Delcroix: « Je savais que j’y arriverais » (entretien)

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

S’installer en défense d’Anderlecht, ça lui a pris un certain temps. Mais il l’a bien fait et il savoure. Bienvenue dans le monde de Piterson Desir.

776 jours. Soit 2 ans, 1 mois et 14 jours.

C’est le temps qui a séparé le premier match de Hannes Delcroix en championnat avec Anderlecht (5 août 2018) et son deuxième (19 septembre 2020). Une éternité entre la marque de confiance de Hein Vanhaezebrouck et la conviction de Vincent Kompany. Qu’importe. Il accumule entre-temps les matches complets. On ne le sort plus de l’équipe. Au point qu’il a séduit Roberto Martínez et a même obtenu ses premières minutes avec les Diables, en novembre dernier. Le parcours a été compliqué, mais aujourd’hui, il a de la gueule. Rencontre avec Piterson Desir, prénom et nom reçus lors de sa naissance en Haïti (à Petite-Rivière-de-L’Artibonite pour tout vous dire…) en 1999, rebaptisé Hannes Delcroix lors de son adoption par une famille de la région anversoise deux ans plus tard.

Le championnat des Pays-Bas m’a appris à défendre et à être plus fort mentalement. »

Hannes Delcroix

Quand Vanhaezebrouck te lance, tu imagines qu’il va te falloir autant de temps pour devenir un vrai titulaire à Anderlecht?

HANNES DELCROIX: Non, évidemment. Je pensais que j’étais parti, que j’allais jouer régulièrement, que j’allais rester dans l’équipe de base. Ça a été une surprise négative. Et pas toujours facile à vivre. Pendant les mois qui ont suivi ce premier match, j’étais au mieux sur le banc, au pire en tribune. Il y avait beaucoup d’impatience.

Tu sais pourquoi il ne t’a plus fait confiance?

DELCROIX: Peut-être que je n’étais pas encore tout à fait prêt. J’ai essayé de ne pas me poser trop de questions, de ne pas m’encombrer la tête. J’ai bossé. J’ai toujours l’air tranquille, c’est ma nature . »

Jean Kindermans te surnomme Mister Cool, il dit que tu es même parfois trop cool. Tu peux expliquer?

DELCROIX: Je pense que j’ai toujours l’air tranquille, sur le terrain et en dehors. Je reste calme dans toutes les situations et on peut même avoir l’impression que je suis un peu nonchalant. C’est difficile de travailler là-dessus, c’est un truc que je n’éliminerai jamais totalement. Je suis comme ça, c’est ma nature. Ça a des avantages et des inconvénients. C’est peut-être dû à mes origines, à mon sang, je n’en sais rien.

Comment ça se manifeste au quotidien?

DELCROIX: Je ne me fâche pas vite, je ne crie pas, je peux me mettre dans ma bulle. Il y a des gens autour de moi qui voudraient que je sois moins cool à certains moments, d’autres qui me conseillent de ne rien changer.

Tu as aujourd’hui l’impression de prendre ta revanche sur le terrain? L’impression de faire une mise au point, de pouvoir dire: « Vous voyez bien que j’avais le niveau d’Anderlecht »?

DELCROIX: Je n’irais pas jusque-là mais je trouvais dommage de ne pas recevoir ma chance alors que je travaillais dur. Ma saison en prêt aux Pays-Bas m’a beaucoup amélioré, je suis revenu plus fort.

En été de l’année passée, tu as eu des propositions pour rester là-bas mais tu as choisi de revenir à Anderlecht pour t’imposer. Comment tu as vécu le début de cette saison, quand tu n’étais à nouveau pas dans l’équipe? Tu ne t’es pas dit que tu avais fait le mauvais choix?

DELCROIX: Je ne vais pas te dire que je l’ai bien vécu, ce début de saison. Évidemment, je n’étais pas content. Un moment, j’ai envisagé de repartir quand même aux Pays-Bas. Je demandais qu’on me donne au moins ma chance. En même temps, j’étais sûr que ça allait venir, un jour ou l’autre. Quand elle est arrivée, je l’ai saisie. Et aujourd’hui, je ne regrette pas du tout d’être revenu parce que je suis là où je voulais être.

Il y a eu un déclic? Une série de très bons entraînements? Une discussion avec Vincent Kompany?

DELCROIX: Déjà, je pense que les matches de préparation ont été un premier déclic. Peter Verbeke et Vincent voulaient que je reste. Une autre explication, c’est aussi le fait qu’on se soit retrouvés moins nombreux pour jouer en défense. Elias Cobbaut s’est blessé, Derrick Luckassen est parti.

« On se bagarrait pour les records avec Evenepoel »

Tu as un coach qui jouait à la même place que toi. Ça change de la relation que tu as eue avec tes autres entraîneurs?

DELCROIX: Ce n’est peut-être pas essentiel, mais je trouve ça important. Quand Kompany me dit quelque chose, je me dis qu’il sait de quoi il parle exactement, que ses conseils ne sont pas de l’à-peu-près. Au début, même quand je ne jouais pas, je n’ai jamais eu l’impression qu’il ne comptait pas sur moi, qu’il m’avait éliminé de ses plans. J’ai continué à beaucoup bosser et j’ai senti que je me rapprochais progressivement de l’équipe.

Tu es de la génération de Sebastiaan Bornauw, Alexis Saelemaekers, Albert Sambi Lokonga. En jeunes, tu étais aussi bon qu’eux. Tu sais pourquoi il t’a fallu plus de temps pour t’installer?

DELCROIX: Je n’étais ni jaloux ni frustré, seulement content pour eux. Je n’étais pas non plus découragé, je savais que j’y arriverais même si ça devait prendre plus de temps.

En équipes de jeunes, tu étais au-dessus de tout le monde dans la plupart des tests physiques.

DELCROIX: Oui, j’ai détenu pas mal de records. Jusqu’au moment où Remco Evenepoel est arrivé. On n’était pas dans la même catégorie, il est un an plus jeune, mais on se retrouvait parfois ensemble à l’entraînement. On se bagarrait pour ces records. Quand il m’en prenait un, ses entraîneurs me tenaient au courant.

« Ma saison à Waalwijk a été un bon apprentissage »

Qu’est-ce que tu as aimé aux Pays-Bas?

DELCROIX: Surtout le fait d’avoir joué beaucoup de matches et de ne pas avoir eu de blessure sérieuse. Parce que j’ai eu pas mal de petits pépins physiques quand je suis devenu pro, alors que je n’avais jamais rien chez les jeunes. Mon corps n’était peut-être pas tout à fait prêt pour supporter subitement la charge de travail. Je dois aussi dire que le suivi médical et physique au club a énormément évolué. C’est peut-être pourquoi je suis épargné par les blessures cette saison.

C’est un championnat agréable pour les joueurs offensifs parce qu’on marque beaucoup, mais ça doit l’être moins pour les défenseurs. Surtout quand on est dans l’équipe qui termine à la dernière place, qui ne gagne que quatre matches et qui a la moins bonne défense!

DELCROIX: On a encaissé beaucoup, oui, mais ça a été un bon apprentissage.

Avec parfois de la frustration, non?

DELCROIX: Honnêtement, oui. Quand tu es depuis autant d’années dans un club comme Anderlecht, tu es habitué à gagner beaucoup de matches et à prendre peu de buts. D’un coup, je me suis retrouvé dans une situation complètement différente. Il faut s’habituer et il y a des moments difficiles. Au début de chaque match, on voulait tenir le zéro derrière, mais ça ne fonctionnait pratiquement jamais. Toutes ces phases où on était sollicités m’ont fait progresser dans mon jeu et je me suis aussi bonifié sur le plan mental parce que j’ai dû apprendre à gérer des enchaînements de mauvais résultats et la lutte pour le maintien. Tu dois continuer à prester quand ton équipe est tout en bas du classement et je l’ai assez bien fait. C’est pour ça que, malgré la dernière place en fin de saison, j’ai reçu des offres. Je pouvais rester à Waalwijk et aussi aller dans des meilleurs clubs du milieu du tableau.

Les confidences de Hannes Delcroix:
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« Mais vous êtes sérieux, là? »

Tu as été dans les sélections nationales depuis les U15. Qu’est-ce qui a été le plus fort? La phase finale de l’EURO U17 ou ta demi-heure avec les Diables contre la Suisse?

DELCROIX: Il y aura toujours une place à part pour le championnat d’Europe. On était allés jusqu’en quart de finale, c’était un beau tournoi. Mais un premier match avec les Diables, c’est encore autre chose. Surtout au vu des circonstances. C’était complètement inattendu, je n’étais pas dans le groupe au départ, c’est le forfait de Thomas Vermaelen qui m’a permis d’être appelé. J’étais en famille, je regardais tranquillement la télé. Vers onze heures du soir, mon téléphone a sonné, je n’ai pas décroché. On a rappelé sur le coup de minuit, là je l’ai pris, c’était quelqu’un de la fédération qui me demandait si je pouvais aller directement à Tubize. Deux ou trois fois, j’ai demandé si ce n’était pas une blague. Je m’entends encore: « Mais vous êtes sérieux là? » J’ai compris que le gars ne faisait pas de l’humour. J’étais sur un nuage. Je lui ai répondu que c’était compliqué de faire la route en début de nuit, et le lendemain très tôt, j’ai démarré.

Je ne me fâche pas vite, je ne crie pas, je peux me mettre dans ma bulle. »

Hannes Delcroix

Comment tu as réagi le jour du match quand Martínez t’a demandé d’aller t’échauffer?

DELCROIX: J’ai ressenti une grosse décharge d’adrénaline, d’un coup. Mais j’ai essayé de rester le plus calme possible. Mister Cool, hein…

Avec l’avalanche de blessés, et on se doute qu’il y en aura encore, tu te vois maintenant à l’EURO?

DELCROIX: On ne sait jamais. Il me reste quelques mois pour confirmer avec Anderlecht. Martínez m’a dit que j’avais fait du bon boulot, aussi bien aux entraînements que dans le match. Je ne m’emballe pas.

Jouer pour Haïti, ça n’a jamais été une option?

DELCROIX: Ils m’ont déjà contacté. Mais j’ai toujours joué pour la Belgique en sélections d’âge et je me sens d’abord Belge.

Tu as dit un jour que tu jouerais peut-être pour Haïti si tu n’arrivais pas à devenir international belge. Ça n’a pas été mal interprété là-bas? Parce que ça peut passer pour un simple plan B, une roue de secours.

DELCROIX: Non, je n’ai rien entendu. Je ne vois pas Haïti comme un plan B, mais comme je viens de te le dire, je me sens Belge avant tout. Je confirme que je pourrais toujours envisager de jouer pour Haïti si ça ne marche pas ici, mais il n’y a rien de dénigrant là-dedans.

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« Je ne sais pas si mon père biologique est toujours en vie »

Tu n’es jamais retourné en Haïti, tu penses y aller un jour?

HANNES DELCROIX: Oui, il faut juste trouver le bon moment.

Ta maman d’accueil y est allée. Qu’est-ce qu’elle t’a raconté en rentrant?

DELCROIX: C’était après un ouragan, elle m’a dit que ce n’était pas beau à voir. Il y avait énormément de dégâts. C’est surtout ça qui l’a choquée. Elle voulait aider les gens, être utile. Elle s’implique dans une ASBL, Finado, qui aide plusieurs pays pauvres, dont Haïti. Ils construisent par exemple des écoles. Moi, via Finado, je finance l’installation de puits d’eau potable.

Tu as eu récemment ton premier contact avec ta mère biologique depuis que tu as quitté Haïti. C’était comment? Bizarre? Émouvant?

DELCROIX: Je dirais… un peu spécial. On s’est parlé par vidéo, j’ai aussi pu discuter avec mes deux soeurs. C’est ma mère qui avait pris l’initiative. Ma première bonne surprise, ça a été d’apprendre qu’elle était toujours en vie. La discussion n’était pas forcément facile parce qu’il y avait beaucoup d’émotion, chez elle et chez moi. On avait parfois du mal à trouver les mots. Et puis on communiquait en français, qui n’est ni sa première langue ni la mienne. Tout ça avec une connexion qui était limite.

Ton père vit toujours?

DELCROIX: Je ne sais pas. Je pense, oui, mais il a déménagé.

Tu sais pourquoi tu as été envoyé en Belgique à deux ans?

DELCROIX: Ma mère était malade, incapable de s’occuper de moi. Elle m’a placé dans un orphelinat et c’est là qu’une famille belge est allée me chercher.

Tu réfléchis souvent à ton parcours de vie qui n’est pas habituel?

DELCROIX: Je ne me pose pas trop de questions.

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