© BELGAIMAGE

Les confessions d’Emile Mpenza: « J’ai peut-être été dépressif »

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Un an après son retour dans le milieu, E1000 explique le foot d’aujourd’hui comme il le voit. Le regard est acéré.

C’est l’histoire d’une main tendue qui change une vie. Pendant l’été 2018, Lucien D’Onofrio propose un petit job d’entraîneur de jeunes à une ex-icône qui traîne son ennui, son spleen, ses incertitudes et pas mal de kilos en trop. C’est comme ça qu’Emile Mpenza entre à l’Antwerp et dans un nouveau métier. On le rencontre à ce moment-là et il n’a pas encore l’air tout à fait assuré. Ce boulot est-il vraiment fait pour lui ?

Un an plus tard, on revoit un gars qui s’éclate.  » J’avais tout à découvrir, maintenant les gens du club voient que je sais me débrouiller, que je suis capable de maîtriser un groupe. J’ai commencé tout en bas, je m’occupais des attaquants U9. Entre-temps, je suis devenu T2 de Chris De Witte en U16 et j’entraîne les attaquants en U18 et en équipe Réserve. Et je continue ma formation. J’ai passé le diplôme UEFA B, avec Jérémy Perbet et Mémé Tchité notamment. Je commence le A, puis je m’attaquerai à la Pro Licence. Si tout se passe bien, d’ici deux ans c’est dans la poche.  »

Ton but est de devenir entraîneur d’une équipe Première ?

ÉMILE MPENZA : A terme, oui. Mais c’est du long terme.

Tu n’as rien fait de spécial entre la fin de ta carrière en 2011 et 2018. Comment tu as vécu cette période ? C’était compliqué ?

MPENZA : Très compliqué. Je ne savais pas du tout ce que j’allais faire, ce que j’allais devenir. Je me cherchais. Je n’étais pas du tout préparé à ça. Du jour au lendemain, tu quittes la lumière et tu entres dans le noir. Quand on parle du trou noir pour les footballeurs, c’est vraiment ça. C’est ON / OFF en quelques heures.

Tu n’y avais jamais pensé quand tu étais joueur ?

MPENZA : Jamais parce que quand tu es en pleine carrière, tu as la routine des entraînements et des matches, l’adrénaline, et puis tu es fort entouré. Parfois, tu peux aborder ton après-carrière avec des amis mais ça ne va en général pas bien loin. Tu n’as pas envie d’y penser, tout simplement.

 » La vie d’un footballeur est comme la vie d’un prisonnier  »

Tu as été chroniqueur en radio mais ça n’a pas duré.

MPENZA : Ce n’est pas un job fait pour moi. Donc, je n’avais pas envie de continuer. Pas envie de critiquer pour critiquer. Quand j’entends certains consultants en radio, en télé, dans les journaux… je trouve ça triste. Tu peux avoir un gars qui a par exemple joué au Cercle de Bruges et qui se permet de démolir un mec qui joue au Real ou à Chelsea. Il y a beaucoup de frustration, de jalousie. A ceux qui se font descendre, il faudrait montrer des images de la carrière de celui qui les casse. Ça les ferait bien rire. J’aime bien écouter les chroniqueurs en France, comme Bixente Lizarazu, Frank Leboeuf, Emmanuel Petit. Ils savent être durs mais ce n’est pas pour faire mal, ce n’est pas gratuit, ils cherchent à être constructifs. Les Belges devraient aller prendre des leçons là-bas.

Comment tu vivais, après ta carrière, dans les moments où tu te rendais compte que tu n’étais pas heureux ?

MPENZA : Les gens autour de moi voyaient sans doute que ça n’allait pas, que je n’étais pas bien dans ma peau. Mais moi, sur le coup, je ne m’en rendais pas trop compte. J’ai peut-être eu des périodes de dépression, je n’en sais rien. Quand tu es dedans, tu ne le vois pas nécessairement. Ce n’était pas une dépression au point de devenir alcoolique mais c’est clair que je réfléchissais trop et je n’avais plus envie de voir des gens. C’est plus tard que tu t’en rends compte, que tu comprends à quel point tu as été mal dans ta tête. C’est comme pendant une carrière de footballeur, tu ne saisis pas nécessairement ce qui t’arrive.

On devrait préparer les joueurs à leur reconversion ?

MPENZA : Certainement. Mais ça ne se fait pas du tout. Un jeune normal va à l’école, il fait des études pour apprendre à s’intégrer dans la société. Un footballeur, c’est différent. On saute des étapes, on gagne très vite beaucoup d’argent, on est adulé. Du jour au lendemain, j’ai gagné beaucoup plus d’argent que mes parents alors que j’étais encore très jeune. Tu n’es pas préparé psychologiquement à ça. Je comparerais notre vie à celle des prisonniers. On entre dedans sans avoir été conditionné, et à la fin on sort sans avoir été préparé à une reconversion, à une réinsertion dans la vraie vie. Dans mon cas, il a manqué une personne pour que ça se passe mieux : ma mère. Elle est décédée quand j’étais à Manchester City. Du jour au lendemain, je n’avais plus mon guide. C’est elle qui m’avait toujours accompagné, conseillé, plus que mon père. Quand j’entends que la mère de Romelu Lukaku vit avec lui en Italie, je comprends tout à fait et je me reconnais dans son histoire. Si ma mère était encore là, je crois que je n’aurais pas fait de dépression parce que je ne serais pas tombé dans un trou noir quand j’ai arrêté de jouer.

 » Tous mes anciens coéquipiers sont divorcés… sauf mon frère  »

L’après-foot a été plus simple, plus calme, plus posé pour Mbo.

MPENZA : Mon frère, c’est mon meilleur exemple dans le foot. L’exemple qu’il faut suivre. Par exemple, tous les gars que j’ai côtoyés dans ma carrière, ils sont divorcés entre-temps. Lui pas… Mais je n’aurais pas pu faire la même reconversion que lui. Mbo, tu peux le mettre dans un bureau, il saura gérer. Moi pas. J’ai besoin de terrain, je dois faire sortir la foudre qui est en moi.

Comment tu expliques qu’il ait toujours gardé les pieds sur terre, qu’il n’ait jamais dérapé en rien alors que ta vie a été beaucoup plus mouvementée ?

MPENZA : Est-ce que j’ai tant dérapé ? C’était quoi, finalement, les différences avec mon frère ? Il avait une copine, moi je sortais avec des Miss Belgique. Il avait une voiture de sport, moi j’avais des voitures que tout le monde regardait. Mais à part ça ? Je ne faisais quand même rien de bien spécial. Mais on s’amusait à me montrer du doigt, j’étais toujours la cible, toujours sous les spotlights. J’étais le Radja Nainggolan de ma génération, et comme lui, je n’étais pas préparé à ça. Qu’est-ce que j’ai eu envie qu’on décide de me foutre la paix !

Tu aurais dû vivre plus caché ?

MPENZA : Non. C’était ma vie. Je n’allais pas la changer pour les autres. A part casser une voiture et sortir avec des miss, qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Je n’ai pas braqué. Pas volé. Pas violé. On ne me ratait pas, parce que j’étais médiatisé. Tu imagines, si j’avais fait la même chose que Gilbert Bodart ? J’aurais dû quitter la Belgique. On aurait fermé les frontières. Je me mets dans la tête de Cristiano Ronaldo, j’imagine ce qu’il vit. Il est toujours super bon sur le terrain mais on s’amuse à le casser sur sa vie privée.

Il le cherche, aussi, avec toutes ses femmes !

MPENZA : Mais non, il ne le cherche pas… Qu’est-ce que tu fais si tu ne trouves pas chaussure à ton pied ? Tu continues à en mettre, des chaussures. Jusqu’au moment où tu auras trouvé les bonnes. Tout le monde fait ça.

 » J’ai conseillé à l’Antwerp de prendre un psy, pas seulement pour Lamkel Ze  »

A l’Antwerp, le Mpenza des temps modernes, c’est Didier Lamkel Ze…

MPENZA : Si tu dis ça, je suis flatté parce que c’est un des meilleurs joueurs de l’équipe. (Il rigole).

Mais il pète parfois les plombs.

MPENZA : Je n’ai jamais pété les plombs comme ça. En fait, pour moi, Lamkel Ze est un peu une énigme. Dans la vie, c’est le gars le plus gentil du monde, une crème, je le vois régulièrement, il vient voir les matches des jeunes. Tous les footballeurs professionnels ne font pas ça. Mais le terrain et la vie, c’est un autre métier… Moi, sur un terrain, je ne dérapais jamais.

Lamkel Ze, c’est l’inverse. Calme en dehors du terrain mais bouillant une fois qu’il a les godasses aux pieds !

MPENZA : C’est ça.

Vous avez déjà parlé à deux de ses dérapages ?

MPENZA : Non. Je suis fort réservé et je ne sais pas comment je devrais m’y prendre pour lui parler de ça. J’ai conseillé au club de prendre un psy. On ne sait pas ce que Lamkel Ze a eu dans sa jeunesse.

C’est comme dans les grands procès ? Tu dis qu’une jeunesse compliquée peut expliquer un comportement difficile à l’âge adulte ?

MPENZA : C’est toujours possible.

Les psys t’ont aidé pendant ta carrière ?

MPENZA : Bien sûr. J’ai commencé à consulter quand j’étais à Schalke, au moment où j’avais des problèmes avec Rudi Assauer. Lieven Maesschalk m’avait conseillé d’aller voir Jef Brouwers. Il m’a bien aidé quand je traversais des trous noirs. On communiquait régulièrement, parfois on faisait des séances par téléphone. Je lui posais des questions précises, il me donnait des réponses concrètes. Il m’a par exemple appris à améliorer mes relations avec la presse. Quand on disait ou quand on écrivait des choses négatives sur moi, j’avais tendance à me cacher, je ne voulais plus parler à personne. Brouwers m’a expliqué que ce n’était pas la bonne réaction, que je devais aller vers les gens. On a fait des fausses interviews ensemble, il se mettait dans le rôle d’un journaliste. Il m’a aussi démontré que je devais me faire une autre image de certaines personnes. Par exemple, chez Assauer, j’avais tendance à ne voir que les aspects négatifs. Brouwers m’a expliqué comment voir les bons côtés. Parce qu’il avait aussi des bons côtés, Assauer. J’ai assisté après ma carrière à des séances que Brouwers donnait aux internationaux de hockey, quand il y a eu le Championnat d’Europe à Anvers. C’était super intéressant, il peut être utile dans plein de sports.

Avant, je pensais que les psychologues, c’était pour les fous… Maintenant, je dis à tout le monde : Si tu ne te sens pas bien, va voir un psy, ça ira mieux après. Maesschalk me faisait le même effet, il faisait le même boulot avec moi. Il ne soignait pas seulement mon corps, il s’occupait aussi de ma tête. Je continue à lui demander des conseils quand je ne sais pas ce que je dois faire. C’est bien d’avoir des personnes comme ça dans ta vie. Et c’est pour ça que j’ai suggéré aux dirigeants de l’Antwerp de prendre quelqu’un. Pas seulement pour Lamkel Ze mais pour tout le monde.

 » Jusqu’à quand Kompany sera-t-il une icône à Anderlecht ?  »

Qui te ressemble le plus, aujourd’hui, dans le championnat de Belgique ?

MPENZA : Je ne vois personne mais j’admire énormément Dieumerci Mbokani. J’aurais voulu avoir sa couverture de balle, la même façon de la protéger. Mais moi, je devais tout faire très vite, je n’avais pas le temps de protéger le ballon, le temps d’y penser et il était déjà parti. Lui, il sait calmer le jeu et faire revenir toute l’équipe. Mais il n’a pas la vitesse que j’avais.

Comment tu le juges par rapport à ses passages au Standard et à Anderlecht ?

MPENZA : Il est plus fort aujourd’hui. Parce qu’il est plus mature. Quand tu penses qu’Anderlecht cherche un attaquant et qu’il avait envie de retourner là-bas… Les gens qui font les transferts devraient se poser les bonnes questions.

Tu vois Anderlecht en play-offs 1 ?

MPENZA : Joker. Ils se sont mis beaucoup trop de pression. On va jouer comme Pep Guardiola, et tout ça. Mais un seul bon joueur de City, à la limite, c’est tout le budget d’Anderlecht. J’aurais compris que le club parle d’un système de jeu qu’il allait essayer d’installer, mais comparer avec Manchester City, non, c’est trop gros.

Comment tu as réagi quand tu as entendu que Vincent Kompany allait être joueur et patron sportif ?

MPENZA : C’est beaucoup trop pour un homme. Si ça pouvait marcher, il y a des grands clubs qui l’auraient déjà fait. C’est impossible.

Tu pourrais devenir un T1 comme Simon Davies l’était, un T1 de l’ombre qui ne prenait pas les grandes décisions ?

MPENZA : Sûrement pas. Un entraîneur principal est frustré quand son équipe fait des mauvais résultats. Alors, imagine la frustration de celui qui ne fait pas lui-même les choix. C’était écrit noir sur blanc, il ne prenait pas les décisions. Mais il était là pour faire quoi, alors ? Il était entre deux. Et c’est lui qui a sauté parce que l’équipe ne tournait pas.

Parce qu’on ne pouvait pas faire sauter une icône du club comme Vincent Kompany, c’est simple.

MPENZA : être l’icône d’Anderlecht, c’est sa force. Mais jusqu’à quand cette force durera-t-elle ? On l’a laissé faire tout ce qu’il voulait. Le meilleur exemple, c’est le retour de notre ami Anthony Vanden Borre. S’il faut chercher la preuve ultime que Kompany était le grand patron, c’est ça.

Les confessions d'Emile Mpenza:
© BELGAIMAGE

Requiem pour des fous

L’Antwerp est bien calé dans le Top 6 et Laszlo Bölöni fait sa troisième saison ici. Il a pourtant le profil d’un entraîneur qui ne dure pas longtemps dans un club, à cause de son art du conflit et de ses méthodes très dures qui lassent assez vite les joueurs.

ÉMILE MPENZA : Conflits ou pas, dur ou pas, on voit que les joueurs continuent à se battre pour lui. Ils donnent tout. Il a trouvé le bon équilibre, c’est un truc que tu n’apprends pas dans les livres ou à l’école des entraîneurs, il n’y a que l’expérience qui peut t’apporter ça. Je vois aussi qu’il arrive à convaincre des gars parfois difficiles à gérer de se défoncer chaque week-end.

Tu as connu des entraîneurs excités, même un peu fous, pendant ta carrière ?

MPENZA : Je pense surtout à Huub Stevens à Schalke. Mais ce n’était pas négatif. Un coach dur, ça peut être contre-productif s’il ne t’aime pas. J’ai connu ça en Azerbaïdjan, le gars ne m’appréciait pas du tout et ça me bloquait. Stevens, en plein match, il pouvait me gueuler dessus comme un perdu, mais à la mi-temps, il me prenait dans ses bras et il me serrait fort. Parce qu’il m’aimait bien. Tu le sens vite, si ton entraîneur t’aime bien ou pas. Stevens était une pile de 10.000 volts le long du terrain mais il ne lui restait que 10 volts quand tu le croisais dans un couloir.

Bölöni, c’est un peu la même chose. Il hurle pendant les matches, surtout sur les arbitres, mais en dehors du terrain, tu as parfois du mal à entendre le son de sa voix. A chacun son style. Si j’étais encore joueur, j’adorerais travailler avec Philippe Clement. Il reste calme, même dans les moments les plus chauds. Au lieu de s’exciter, il cherche des solutions. Globalement, j’ai l’impression que des gars qui étaient des excités pendant leur carrière de joueur n’auront jamais la bonne approche pour devenir des grands entraîneurs.

Retour au Qatar

Les confessions d'Emile Mpenza:
© BELGAIMAGE

 » Le Standard restera toujours le club de mon coeur.  » C’est clair, mais c’est avec Schalke 04 qu’ EmileMpenza a conservé le plus de contacts.  » J’ai eu un fils au mois de mai de cette année, ils ont envoyé des fleurs, une tenue du club en taille bébé et un doudou. Si je devais quitter l’Antwerp, c’est là-bas que j’aimerais le plus travailler.  » Oublié, le spleen qui le paralysait quand il était à Gelsenkirchen.

Axel Witsel a directement kiffé le quotidien dans la Ruhr, E1000 jamais.  » Normal. Witsel avait presque 30 ans quand il a signé à Dortmund, moi je me suis retrouvé à Schalke à 22 ans. Il est avec sa femme et ses enfants, moi j’étais seul, ma copine était restée à Liège. Ça fait des fameuses différences.  »

Tant qu’on parle des contacts qu’il a gardés avec d’anciens clubs…  » Les Qataris vont m’inviter pour la Coupe du monde. Autant on m’a critiqué pour mon choix d’aller là-bas, autant je maintiens que si c’était à refaire, je le referais. C’est là-bas que j’ai le mieux gagné ma vie, mais il n’y avait pas que ça. Déjà, ça m’avait permis de fuir une ambiance pesante ici. J’étais en plein divorce et ça se passait mal. Tu as des gens qui arrivent à régler ça très bien, à l’amiable. Mais quand c’est dégoûtant, tu peux avoir envie de partir très loin.

Une fois au Qatar, je me suis rendu compte que ça me plaisait. Bon, il ne fallait pas y aller pour le niveau du championnat… Tu essayais de faire un une-deux, tu ne savais jamais si le deux allait arriver ! Mais la vie, c’était sympa. Je m’étais complètement intégré, j’avais acheté une djellaba, les Qataris croyaient que j’étais un Qatari…  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire