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Les années mauves de van den Brom: « L’entraîneur parfait pour un noyau pareil »

Ce vendredi, John van den Brom revient à Anderlecht, à la tête de Genk. Pour la première fois depuis son C4 en mars 2014. Retour sur sa période mauve, un des feuilletons les plus spectaculaires des dernières années.

John van den Brom était en avance sur son temps quand il a fait son entrée à Anderlecht, le 18 juin 2012. Sur le plan des nouvelles technologies en tout cas. Arrivé de Vitesse Arnhem, il s’est créé un compte Twitter dès ce jour-là et s’est mis à pianoter sur son BlackBerry pour envoyer son premier post: « Beaucoup d’intérêt au premier entraînement dans mon nouveau club. On profite. #rsca #anderlecht. » Moins de 24 heures plus tard, le nombre de followers de son compte @vandenbrom1966 frôlait déjà le millier, et le Néerlandais avait déjà charmé tout le monde à Neerpede par ses méthodes de travail peu conventionnelles et son charisme. Les membres du staff trouvaient par exemple étrange de n’avoir eu aucune réunion avec lui avant le début officiel de la préparation. Mais dès le premier jour, la collaboration s’est révélée parfaite.

John van den Brom a été le premier entraîneur à décréter que les kinés, les médecins et les responsables du matériel devaient toucher une prime de titre.

Et les joueurs ont eux aussi immédiatement adhéré. « J’ai signé à Anderlecht le dernier jour du mercato et les joueurs ne m’ont dit que des choses positives sur Van den Brom », témoigne Bram Nuytinck, qui a joué pour les Mauves de 2012 à 2017. « Ils disaient que les années précédentes, ils avaient eu des entraîneurs trop durs, et pour eux, évoluer avec ce nouveau coach était un soulagement. Avec lui, c’était relax et il voulait que chaque entraînement soit une partie de plaisir. C’était surtout marquant pendant la première saison. On avait une équipe exceptionnelle, avec Milan Jovanovic, Lucas Biglia, Dieumerci Mbokani et d’autres. Pour un noyau pareil, John van den Brom est l’entraîneur parfait. »

Le Néerlandais a directement soigné sa popularité auprès des patrons du vestiaire en participant systématiquement aux toros, et malgré une hanche en compote, il jouait les petits matches d’entraînement. Pour manager le groupe, il misait sur le sens des responsabilités des joueurs. Pour lui, l’autodiscipline passait avant des règles strictes. Mais pendant sa deuxième saison, cette liberté accordée au groupe lui est revenue en pleine face, comme un boomerang. « Les joueurs étaient habitués à avoir pas mal de congés et à ne jamais s’entraîner deux fois par jour », explique un membre du staff de l’époque. « Pour John, il n’était plus possible de revenir là-dessus, de faire marche arrière. Et ça a provoqué des frictions. Je ne veux pas mettre tout le monde dans le même sac, mais il y avait des joueurs qui n’avaient pas envie de faire un effort supplémentaire. Ils estimaient qu’ils n’avaient pas à se faire mal à partir du moment où ça pouvait aussi fonctionner avec des entraînements d’une heure seulement. »

Herman Van Holsbeeck:
Herman Van Holsbeeck: « Van den Brom ne voulait pas jouer au dictateur avec les vedettes comme Jovanovic, Biglia ou Mbokani, parce que s’il l’avait fait, il aurait pris le risque de perdre tout le monde. »© BELGAIMAGE

Herman Van Holsbeeck, qui était peut-être à l’époque le premier défenseur de Van den Brom, pense que c’était une question de dosage avec les vedettes de l’équipe. Donner, reprendre. « Son plus grand mérite était son art de tenir les grands noms et de faire en sorte que tout le monde se batte pour tout le monde. Jovanovic, Biglia et Mbokani étaient les meneurs, ils tiraient le reste du groupe. John ne voulait pas jouer au dictateur avec eux, parce que s’il l’avait fait, il aurait pris le risque de perdre tout le monde. Il savait de quoi le groupe avait besoin pour pouvoir bien fonctionner. »

Dix victoires à la suite

Avec dix victoires consécutives, notamment contre Gand (5-0), Bruges (6-1) et Genk (2-4), John van den Brom a fait sensation dans notre championnat dès la première moitié de la saison 2012-2013, avec beaucoup de matches gagnés avant le coup d’envoi, dans le tunnel débouchant des vestiaires, quand les adversaires se retrouvaient nez à nez avec trois Souliers d’or: Jovanovic, Mbokani et Matías Suárez. Le coach transmettait aux joueurs la conviction qu’aucune équipe belge n’avait une chance de les stopper. « On a de loin la meilleure équipe du championnat. Restez calmes et la qualité finira par faire la différence. »

Van den Brom était tellement sûr de lui qu’il essayait carrément de bluffer les entraîneurs qu’il rencontrait en Ligue des Champions via un football hyper offensif. Mais des témoins privilégiés se demandent toujours aujourd’hui comment le Sporting le plus talentueux de la dernière décennie n’a pas remporté le titre national avec dix points d’avance, pourquoi il a fallu attendre la dernière journée des play-offs pour reléguer Zulte Waregem à la deuxième place. Les dix penalties ratés constituent une partie de l’explication. Mais des insiders de l’époque pointent aussi une condition physique déficiente. « On s’était qualifiés pour la Ligue des Champions, c’était déjà une victoire en soi après les traumatismes subis contre BATE Borisov et le Partizan Belgrade », rappelle Guillaume Gillet. « Et notre parcours en phase classique du championnat était nickel. Mais Van den Brom a sans doute sous-estimé le système des play-offs, avec la réduction des points par deux. La pression a augmenté et Zulte Waregem ne lâchait rien. Avec une équipe comme celle-là, on aurait dû fêter le titre plus tôt. Maintenant, je trouverais exagéré de mettre ça sur le compte du coach. »

À Neerpede, plusieurs personnes sont vite arrivées à la même conclusion: en matière de foot, le Néerlandais était un crack, mais sa façon de construire les entraînements laissait méchamment à désirer. Pendant sa première saison, il a certainement profité des bases physiques posées par Ariel Jacobs. En moins d’un an, John van den Brom a consommé deux préparateurs, Mario Innaurato et Hubert Lemaire, pour choisir ensuite son compatriote Jurgen Segers. Une décision qui n’a pas plu à tout le monde. « Segers nous montrait les échauffements des joueurs du Bayern à la télé, et quand un avion passait, il commençait à parler pendant deux heures du transport aérien. »

Van den Brom, ici avec Dennis Praet, était tellement sûr de lui qu'il essayait de bluffer les entraîneurs qu'il rencontrait en Ligue des Champions via un football hyper offensif.
Van den Brom, ici avec Dennis Praet, était tellement sûr de lui qu’il essayait de bluffer les entraîneurs qu’il rencontrait en Ligue des Champions via un football hyper offensif.© BELGAIMAGE

Van den Brom se sentait sans doute encore trop joueur. Il dispensait des entraînements que lui avait aimés quand il jouait, et à ses yeux, l’échauffement était un mal nécessaire. Ce n’est pas un hasard si trois entraînements sur quatre commençaient par un toro. « On faisait peu de physique », signale un jeune joueur de l’époque. « Toutes les séances se faisaient avec ballon. Je ne me souviens pas qu’il nous ait épuisés physiquement une seule fois. Il croyait qu’on pouvait améliorer notre endurance en jouant des petits matches. L’échauffement ne l’intéressait pas du tout. Un jour, il a carrément arrêté l’échauffement que nous donnait le préparateur physique, alors que ça devait encore durer cinq minutes. Il a dit: Allez, c’est bon, on arrête ici, maintenant on va jouer au foot. »

Tielemans en larmes

Au printemps 2013, Neerpede vit un des épisodes les plus étonnants de l’ère Van den Brom. La situation est tellement délicate dans les play-offs qu’il fait appel à son compatriote John Troost, autoproclamé coach en énergie. Au centre d’entraînement, on le voit comme un gars un peu dérangé, un charlatan, ou dans le meilleur des cas, un phénomène à part. L’arrivée de cet homme, qui selon certains bruits de couloir a gagné autant en quelques semaines qu’un kiné sur une année complète, a été validée sans trop sourciller par le management. C’est une des seules fois où John van den Brom n’a pas du tout tenu compte de ses adjoints, Besnik Hasi et Geert Emmerechts. « On a été abasourdis quand on a vu le gars débarquer subitement à l’entraînement et imposer aux joueurs des trucs qu’on n’avait jamais vus en Belgique », se souvient Emmerechts. « Je n’aurais jamais fait ça et Besnik n’était pas très ouvert non plus à des méthodes pareilles, je pense. Et je ne sais pas si ça a finalement servi à quelque chose. Mais quand tu es adjoint, tu dois suivre ton entraîneur principal dans tout ce qu’il veut faire. Un staff doit toujours avoir confiance en son T1. »

À ce moment-là, le crédit de John van den Brom auprès des joueurs en a pris un coup. Et des gens qui faisaient alors partie de son staff sont entre-temps persuadés qu’il a plus tard regretté sa décision bizarre d’avoir fait venir John Troost. Comme il doit être sceptique, après coup, par rapport à la manière dont il a traité Youri Tielemans. Son message à ce joueur était limpide: les jeunes doivent bosser plus dur que les autres. Des gens du club se souviennent que le plus grand talent mauve depuis Romelu Lukaku s’est installé en pleurs dans la tribune en 2014, parce que Van den Brom n’avait pas besoin de lui, et parce qu’il ratait le tournoi de Viareggio. Le Néerlandais a quand même essayé que Tielemans puisse aller en Italie, mais ce n’était plus possible parce qu’il n’avait pas été inscrit sur la liste. En plus de Tielemans, un membre du staff de l’époque au moins a gardé un petit traumatisme de la collaboration.

Guillaume Gillet:
Guillaume Gillet: « Hasi a installé une nouvelle dynamique dans le groupe, mais Van den Brom avait fait 75% du boulot sur la route du titre. »© BELGAIMAGE

Mais ses collaborateurs, dans leur grande majorité, étaient fans. Van den Brom était un bon vivant avec lequel on aimait passer du temps, avec lequel on pouvait ouvrir une bonne bouteille de rouge en soirée, quand il n’y avait plus personne à Neerpede. Renaud Duchêne, à l’époque conseiller juridique du Sporting, se souvient d’une fête du personnel où le coach a lui-même payé les boissons pour une cinquantaine de personnes. « On pensait que c’était le club qui avait payé, mais on a appris plus tard que Van den Brom s’était chargé de l’addition. Il n’a rien dit à personne, ça illustre son caractère. »

John van den Brom a été le premier entraîneur à décréter que les kinés, les médecins et les responsables du matériel devaient toucher une prime de titre. Et il a tenu parole. Il a aussi ressuscité la fête de Noël, qui avait perdu des couleurs avec Franky Vercauteren et Ariel Jacobs. « Je ne suis pas près d’oublier le repas de fin d’année dans un restaurant de la Grand-Place de Bruxelles, avec les épouses », lâche un témoin qui faisait partie du staff médical. « Van den Brom avait prévu pour tous les collègues un sac Adidas avec, à l’intérieur, une tablette, un appareil photo et des produits de beauté. Il y en avait pour 2.500 euros. Incroyable. Et il n’avait rien payé! Il avait tellement bien négocié avec les sociétés qu’elles avaient tout offert. Un vrai Néerlandais! » Pas étonnant, donc, que le lien entre le coach et les autres personnes de son staff était aussi fort. Elles allaient au feu pour lui et, au besoin, pouvaient aller pleurer chez lui. « À chaque anniversaire de la mort de mon père, j’ai du mal », explique Emmerechts. « Quand John a su ça, il m’a prêté une oreille attentive. Il savait de quoi j’avais besoin dans ces moments-là. Avec lui, on pouvait parler en toute franchise. »

Lâché par tout le monde

Le soir du titre en 2013, il y a eu une grande fête en discothèque, au Carré, où les joueurs ont descendu une bouteille de champagne à 23.000 euros. Mais après ça, ça a surtout été de mal en pis pour Van den Brom et Anderlecht. Il y a eu l’horrible campagne en Ligue des Champions, avec un seul point pris et 17 buts encaissés. Et en championnat, ça n’allait pas beaucoup mieux. « Pendant ses six derniers mois au Sporting, il semblait abattu », se souvient Duchêne. « On sait comment ça marche à Anderlecht, dès que les résultats ne suivent plus, tout le monde lâche l’entraîneur. »

Van den Brom a aussi remarqué que le comportement des gens avait changé. Après la défaite contre Louvain au début du mois de mars 2014, un match que les Mauves ne pouvaient absolument pas perdre, il a compris que c’était terminé pour lui. Son licenciement a été un des moments les plus pénibles de la carrière d’Herman Van Holsbeeck, mais il voyait que la relation du coach avec le groupe ne fonctionnait plus. Besnik Hasi a repris l’équipe, qui a finalement été championne au terme d’un sprint final épique. « On ne saura jamais si on aurait aussi été champions avec Van den Brom », avance Gillet. « Hasi a installé une nouvelle dynamique dans le groupe, mais Van den Brom avait fait 75% du boulot. Ce que je retiens d’abord de notre collaboration, ce qui m’a vraiment ému, c’est sa décision de me confier le brassard de capitaine. Et il a été le premier entraîneur qui m’a donné envie de faire ce métier plus tard. Je suis occupé à passer ma licence, et si je dois un jour faire un stage, j’espère qu’il me prendra dans son staff. »

Les années mauves de van den Brom:
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Un stage épique à Abu Dhabi

Interrogez n’importe quel joueur ayant travaillé avec John van den Brom à Anderlecht sur le stage le plus mémorable qu’il a connu. Tout le monde citera ces neuf jours passés à Abu Dhabi durant l’hiver 2014. À l’époque, il y avait tellement de confiance en Van den Brom que la direction avait sacrifié ses destinations habituelles, l’Espagne ou la Turquie, pour envoyer une délégation d’une cinquantaine de personnes dans ce pays.

Le stage aux Émirats fut surtout un team building idéal pour une équipe qui avait déjà perdu cinq matches avant la trêve. « C’est le stage le plus compliqué que j’ai dû organiser », explique Evelien Veerman, chargée de mettre ce voyage sur pied avec son agence événementielle. « Il fallait régler les visas, amener sur place tous les joueurs qui rentraient de vacances, des gens là-bas voulaient se mêler de l’organisation des matches amicaux contre Hambourg et Wolfsburg, et le cheikh voulait se glisser dans tout. Par exemple, ce n’est qu’une fois sur place qu’on a appris qu’il fallait libérer le terrain d’entraînement chaque jour à 18 heures parce que ce cheikh exigeait qu’il soit disponible pour un groupe de 150 gosses. Donc, il décidait de l’horaire des entraînements d’Anderlecht. Et moi, en tant que femme, j’avais du mal à me faire entendre. John van den Brom a demandé qu’on arrose le terrain juste avant le deuxième entraînement de la journée. Je suis allée voir sur place, m’assurer que les jardiniers avaient fait le boulot. Ils étaient là à une cinquantaine, mais ça n’avait pas été arrosé et ils ne bougeaient pas. Quand je leur ai demandé d’ouvrir les jets, ils m’ont presque ri au nez. Puis quand John leur a demandé de le faire, ils l’ont fait directement. Je ne sais pas si ça a changé entre-temps, mais à l’époque, les hommes n’acceptaient pas de recevoir des ordres d’une femme. »

Les années mauves de van den Brom:
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À l’hôtel Beach Rotana, on n’était pas vraiment conscient de ces petits soucis pratiques. Van den Brom était d’un calme olympien. Une seule fois, il est intervenu quand il fallait planifier des activités pour la dernière journée du stage. « Je lui ai demandé de faire un choix entre une promenade en chameaux dans le désert avec un pique-nique, une visite de Ferrari World et un parc aquatique. Mais il voulait tout faire! C’était impossible, on n’avait pas assez de temps, alors j’ai combiné Ferrari World et le centre aquatique. Et pour terminer le séjour, j’ai réservé dans un restaurant célèbre d’Abu Dhabi. À l’heure du rendez-vous, personne n’était là. Les joueurs étaient encore sur la route, ils rentraient des activités et le chauffeur du bus s’était clairement perdu. »

Avant de partir, la direction du club a négocié avec Ethias pour que cette société finance le stage. Mais ça n’a pas fonctionné. Herman Van Holsbeeck and Co ont donc dû assumer l’ensemble de l’ardoise. « On a fait un stage fantastique, mais je serais curieux de savoir combien ça a coûté au Sporting », lance un membre du staff de l’époque. « J’ai entendu des montants qui dépassent l’entendement.

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