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Les 4 chantiers de Besnik Hasi

L’entraîneur des Mauves peut-il regagner la confiance de la direction ? Est-il suffisamment soutenu par son staff ? Et comment faire pour arrondir les angles avec le public ? Pour le moment, il y a plus de questions que de réponses.

Besnik Hasi aime aller au restaurant. A chaque fois, il commande une bonne bouteille de vin. Pas un vin de pays exotiques comme l’Australie, les États-Unis, l’Afrique du Sud, le Chili, l’Argentine ou la Nouvelle-Zélande mais un vin rouge italien classique. Cette passion pour le vin, c’est à Genk qu’il l’a développée. Peu d’entraîneurs de D1 sont aussi doués que lui pour reconnaître un bon breuvage. Ses vins préférés ? Dròmos, qui signifie littéralement itinéraire, Brunello di Montalcino ou Flaccianello. Leur particularité ? Tous sont des vins de caractère, intenses, puissants. Comme Hasi, quoi.

Il paraît que lors des dégustations, ce père de trois enfants se montre particulièrement curieux et passionné mais depuis qu’il a accédé au poste d’entraîneur principal d’Anderlecht, en mars 2014, il a moins le temps. Il dort moins, aussi. « Moins bien qu’avant, en tout cas », disait-il en début de championnat. « Quand nous avons gagné, je suis excité. Et quand nous avons perdu, je suis énervé ». Cette saison, les pseudo-crises au stade Constant Vanden Stock et les attaques venues de toute part l’ont sans doute tenu particulièrement en éveil.

1 SES RELATIONS AVEC LA DIRECTION

En installant Besnik Hasi dans le fauteuil d’entraîneur, la direction anderlechtoise a voulu préserver le style de la maison. Pourtant, au cours des deux dernières saisons, c’est sur la qualité du spectacle que Hasi a été jugé insuffisant. A domicile, surtout, les supporters déplorent le manque de mouvements, le peu de buts et la lenteur du jeu. Cela n’a pas échappé à Herman Van Holsbeeck et Roger Vanden Stock. Au sein du club, tout le monde n’est pas convaincu par les qualités techniques de Hasi.

« A Anderlecht, il est de transition de choisir un entraîneur formé au club », dit Thomas Chatelle, consultant sur Proximus TV et joueur à l’époque où Hasi était entraîneur-adjoint. « Dans le cas de Besnik, je me demande s’il n’a pas brûlé une étape. » Hasi compense ses lacunes par un abattage sans faille. Jour et nuit, Anderlecht hante ses esprits. « A Neerpede, peu de gens travaillent plus que lui », dit un collaborateur du club. « Il arrive chaque jour avant 8 heures et il est souvent le dernier à partir. Lorsqu’il en a le temps, il inspecte même le terrain d’entraînement. Une chose est certaine : il fait plus d’heures que John van den Brom et Ariel Jacobs. »

Une seule fois, il est sorti de son rôle de guerrier qui n’abandonne jamais : après la défaite à Mouscron, il a déclaré devant les caméras qu’il n’avait plus de solutions. Un aveu de faiblesse qu’il allait tenter de récupérer plus tard en disant que ses mots avaient été mal interprétés. Mais c’était suffisant pour que, pour la première fois, la direction se mette à douter de la motivation de son entraîneur. « Les déclarations de Besnik après le match à Mouscron nous ont surpris », dit Van Holsbeeck. « Mais peut-être avons-nous mal communiqué également. Nous comprenons maintenant que nous avons touché une corde sensible de Besnik. »

Est-ce pour cela que la direction a protégé aussi longtemps son entraîneur ? Chez les Mauves, personne ne peut nier que la pression sur Hasi a augmenté progressivement. La semaine dernière, Van Holsbeeck a fini par dire que l’entraîneur terminerait la saison quoi qu’il arrive. Mais cela ne signifie pas que sa position au sein du club soit renforcée. Jusqu’ici, Vanden Stock fait partie des pro-Hasi. Mais pour combien de temps encore ?

Pour le moment, personne au sein du comité ne songe à prolonger le contrat de Hasi, qui court encore sur un an. Et ce sera encore moins le cas si Anderlecht manque le titre, et donc la Ligue des Champions, pour la deuxième fois d’affilée.

2 SES RELATIONS AVEC LES JOUEURS

Lorsqu’il prit ses fonctions d’entraîneur-adjoint, à l’été 2008, Hasi se comporta surtout comme le gentil professeur qui voulait être ami avec tout le monde. Il était l’homme de confiance des joueurs. Lorsque Ariel Jacobs le mettait sur le banc, c’est auprès de Hasi que Tom De Sutter venait vider son sac. Il y a deux ans, lorsqu’il reprit le flambeau, Hasi fit souffler un vent nouveau – plus de tactique, plus d’entraînements, plus de discipline, plus d’analyses vidéo – mais il dut apprendre à composer avec un groupe de vedettes.

En people manager, John van den Brom avait laissé la bride sur le cou à des garçons comme Lucas Biglia, Milan Jovanovic ou Dieumerci Mbokani. Il partait du principe que s’ils pouvaient agir à leur guise, ils le lui rendraient sur le terrain. Mbokani et Jovanovic étaient même parvenus à ce que Van den Brom n’affiche pas les statistiques des matches – nombre de kilomètres parcourus et nombre de sprints – dans le vestiaire.

Hasi mit fin à ce consensus silencieux. En coulisses, la façon dont il fit le ménage à Neerpede suscite l’admiration. « Besnik contrôle relativement bien le groupe », dit le même employé. « Il faut avoir beaucoup de caractère pour maîtriser les différents egos du vestiaire. Kara Mbodj, par exemple, pense qu’il est fait pour jouer en Premier League. Sans parler de tous ces jeunes à qui les grands clubs européens font la cour. »

On a cependant vu contre Courtrai, fin octobre, que Hasi ne contrôlait pas toujours tout. Après le nul qui sanctionna cette partie (1-1), Matias Suarez était sur le point d’exploser parce qu’il n’avait joué que dix minutes. Hasi se serait alors excusé auprès de lui en présence de quelques joueurs. Cet incident a fortement porté atteinte à sa crédibilité.

Hasi fait donc de la corde raide mais il ne trahira jamais les gens qui lui sont fidèles. Il n’est pas du genre à critiquer un joueur en public, comme le fait Hein Vanhaezebrouck. Ce n’est pas un hasard si, au cours des dernières semaines, après avoir marqué, Frank Acheampong, Stefano Okaka et Kara Mbodj se sont à chaque fois rués vers lui. Même Youri Tielemans, qui ne joue pourtant guère, est un partisan de Hasi.

« Besnik est le genre d’entraîneur qui se sacrifie totalement pour ses joueurs et prend les coups à leur place. C’est pour cela qu’ils ont tellement de respect pour lui », dit son ami Toni Etneo. « Ils vont au feu pour lui. Surtout Okaka, dont il a relancé la carrière. Dire que Besnik a du mal à motiver les joueurs pour un petit match, c’est n’importe quoi. »

Inversement, Hasi exige de ses joueurs qu’ils soient loyaux. Anthony Vanden Borre l’a appris à ses dépens.

3 SES RELATIONS AVEC L’EXTÉRIEUR

Deux ans après sa joyeuse entrée à l’avenue Théo Verbeeck, la popularité de Hasi est retombée sous le niveau zéro. Au Parc Astrid, on compte les matches où on s’amuse sur les doigts de la main. Le contraste avec Michel Preud’homme – qui ne gagne pourtant pas grand-chose avec Bruges – est saisissant. Preud’homme est détesté de tous les supporters adverses mais à Bruges, les supporters l’adorent. Cela fait rêver Hasi qui, même lorsqu’il jouait, était loin d’être le plus populaire au Sporting.

« Les supporters ne criaient mon nom qu’une fois par an, lorsque l’un d’entre eux remarquait soudain que j’étais encore sur le terrain », disait-il il y a un an et demi. « Je n’étais pas le chouchou du public, j’étais un serviteur du club. Aujourd’hui, on crie mon nom : je considère cela comme une reconnaissance et ça fait du bien. »

Hasi est bien conscient qu’un pot de colle instantanée ne suffira pas à recoller les morceaux avec le public mais il en faut plus pour le déstabiliser. Un jour, Niki, comme on l’appelle au Kosovo, a vu un homme se faire exploser la cervelle à la roulette russe pendant la guerre des Balkans. Il relativise donc la colère des supporters anderlechtois.

« La période qu’il traverse actuellement doit incontestablement être très stressante pour lui », dit le collaborateur du club. « Mais extérieurement, il ne laisse pas paraître plus de signes de nervosité qu’il y a quelques mois, au contraire. Je trouve qu’il aborde cette situation avec beaucoup de sérénité. Il sait qu’il ne fera plus dix ans ici. »

Chatelle n’est pas du tout d’accord. « Je l’ai interviewé plusieurs fois et j’ai perçu de l’irritation latente dans ses réponses. Il se sent acculé. Évidemment, le fait qu’il ne s’exprime pas parfaitement en français joue un rôle également. »

L’entraîneur des Mauves souffre surtout d’un déficit en termes d’image. Ses amis le décrivent comme un homme charmant et amusant. Ses détracteurs lui reprochent son caractère colérique et son entêtement. On affirme qu’il a parfois des coups de sang. Ses crises de colère sont aussi légendaires que celles d’Ariel Jacobs à l’époque. On les attribue uniquement à sa mentalité balkanique. Hasi a besoin d’un conseiller en relations publiques.

« C’est vrai que Besnik a l’air maussade, surtout avant un match », dit Etneo. « C’est sa façon à lui de se concentrer et de transmettre cette concentration aux joueurs. Il dégage un certain sérieux qui sied au club. Vous préféreriez voir un clown le long de la ligne de touche ? »

4 SES RELATIONS AVEC SON STAFF

Hasi est très loyal avec son staff et avec les employés de Neerpede. Lorsqu’il était T2 de John van den Brom, sa droiture a souvent été mise à l’épreuve et il a parfois dû se contorsionner pour continuer à soutenir le Hollandais.

« J’étais dans une position difficile : ou je disais à John que cela n’allait plus ou j’en informais la direction. Peut-être ai-je manqué de loyauté envers le club : j’aurais dû intervenir plus tôt. »

L’affaire Anthony Vanden Borre a mis la relation entre Hasi et son bras droit Geert Emmerechts à l’épreuve. Il est de notoriété publique que c’est celui-ci qui a allumé la mèche avec Vanden Borre en cherchant la confrontation physique avec celui qui, sûr de lui, avait demandé au staff technique pourquoi il ne se remettait pas en question.

En parlant de tapettes, Vanden Borre visait donc surtout Emmerechts et non Hasi. L’ex-joueur de l’Antwerp est considéré comme un entraîneur compétent mais, en coulisses, on raconte qu’il manque de psychologie avec les joueurs.

Pourtant, Hasi continue à soutenir Emmerechts à cent pour cent. « Je ne suis pas surpris », dit un ex-employé d’Anderlecht. « Quand Besnik vous apprécie, il vous soutient à fond. C’est pourquoi il a longtemps été l’adjoint idéal. Vous pouvez toujours compter sur lui, il ne vous plantera jamais un couteau dans le dos. »

En coulisses, on reproche à Hasi de ne pas savoir s’entourer de fortes personnalités. « Son tort est peut-être de ne pas s’être entouré d’un adjoint capable de le remplacer », concède-t-on à Neerpede. « Ses adjoints ne font pas le poids et, pour Nicolas Frutos, c’est encore un peu tôt. L’a-t-il fait intentionnellement ? Je n’en sais rien. Il est toujours risqué de prendre un T2 ambitieux dans le staff. »

C’est l’éternel dilemme auquel sont confrontés les entraîneurs : ou ils jouent la sécurité ou ils prennent quelqu’un qui a les épaules assez larges mais qui, à terme, pourrait les remplacer. A l’été 2014, Hasi a tenté de renforcer son staff mais Yves Vanderhaeghe a préféré devenir entraîneur principal à Courtrai. Hasi a-t-il alors tout fait pour trouver un deuxième adjoint de ce niveau ? C’est une autre question.

TOUT BON EN EUROPE, INSUFFISANT EN BELGIQUE

Besnik Hasi peut se targuer d’avoir replacé Anderlecht sur la carte de l’Europe. En deux ans, il a éliminé un tas d’équipes du subtop européen : Galatasaray, Monaco, Olympiacos, Tottenham. De grands clubs comme Dortmund et Arsenal ont également pu voir ce qu’était le football total bruxellois. Alors que ses prédécesseurs cherchaient surtout à éviter la punition, le Kosovar jouait le jeu. Seule exception : à Qarabag, où ses joueurs l’ont laissé tomber.

Le bilan européen de Hasi est bon : six victoires, cinq nuls et sept défaites. Anderlecht est passé de la 44e à la 35e place du ranking UEFA. C’est son meilleur classement depuis la saison 1996-97 (22e). Cette saison, il ne peut plus être rejoint que par Wolfsburg, Villarreal ou Liverpool.

Mais en Belgique…

Anderlecht a perdu des points à Mouscron-Péruwelz, à Waasland-Beveren, à Lokeren… C’est compréhensible. Les stars de la mode préfèrent défiler à Paris que dans une salle obscure de province. Mais cela a coûté des points au Sporting. Beaucoup de points, même. En 81 matches, Besnik Hasi a pris 63,37 % du total possible, soit moins que John van den Brom (65,7 %).

Et cette moyenne, il la doit surtout au parcours impressionnant de son équipe lors des play-offs, il y a deux ans. Car si on ne tient compte que des deux saisons qu’il a entamées en tant qu’entraîneur principal, on retombe à 61,43 %.

Au cours de la même période, Michel Preud’homme a fait beaucoup mieux avec le Club Bruges. Le Liégeois a pris plus de points (160 contre 154) et son équipe a inscrit plus de buts (167 contre 141).

Par Alain Eliasy

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