Guillaume Gautier

Le temps du jeune

Guillaume Gautier Journaliste

Dans un football qui veut aller de plus en plus vite, la Belgique est une ligne droite.

Un poteau qui tremble, et des filets qui l’accompagnent. Sur la pelouse du stade arc-en-ciel, Faris Haroun n’ensoleille pas seulement l’après-midi de l’Antwerp. L’ancien et éphémère Diable rouge devient surtout l’anomalie du week-end. Sur les trente-et-un buteurs différents répartis sur les pelouses de Pro League, il est le seul à afficher plus de trente bougies au compteur. Rares sont les bastions où l’expérience est encore une vertu. Tant pis si parmi les six équipes les plus jeunes du pays, Anderlecht est la seule à se maintenir – de justesse – dans la bonne moitié du tableau.

Dans un football qui veut aller de plus en plus vite, la Belgique est une ligne droite. Un endroit où le temps est plus rare qu’ailleurs, parce que l’avenir doré appartient surtout à ceux qui arrivent tôt. Si notre championnat est devenu le paradis des scouts et des investisseurs, c’est aussi parce qu’il a compris son rôle un peu mieux que les autres. La Pro League est un tremplin et, par définition, on y passe peu de temps. Ce n’est qu’une étape, quelque part entre la course d’élan et le grand saut.

Alors que les entraîneurs aspirent à la stabilité, indispensable pour construire des projets cohérents, les dirigeants prônent une politique de mouvement. Un joueur de plus de vingt-cinq ans qui foule encore les pelouses belges a, au choix, atteint son plafond ou raté une étape dans son ascension. Aujourd’hui, le football achète un Maxime Busi dont l’avenir est plus rempli de questions que de promesses à sept millions d’euros, et claque même un peu plus d’argent pour un Terem Moffi qui n’a même pas eu le temps de confirmer le potentiel entrevu en un bout d’hiver. Au Royaume de la plus-value, les passants sont rois.

Parce qu’acheter des joueurs coûte de plus en plus cher, et que le remplissage des caisses dépend essentiellement de ceux qu’on a pu vendre, nombreux sont ceux qui font le choix de se tourner vers la formation. Plus par but lucratif que par amour du terroir. « Les jeunes, ce sont eux qui t’apportent un réservoir que tu pourras peut-être vendre après, et faire des plus-values », expliquait un jour Nicolas Penneteau pour souligner la marge de progression des Zèbres, occupés à grappiller leur retard sur le terrain jeune. Dans de nombreux clubs, des formateurs à temps partiel sont payés au lance-pierres pour détecter, polir et faire exploser les talents de demain. Un investissement miniature, où l’écolage de centaines de gamins se rembourse en un transfert pharaonique. L’industrie du talent tourne à plein régime.

Cet été, le portefeuille léger et le coeur rempli, le Standard a décidé de se retourner vers ses enfants. Comme Herman Van Holsbeeck quelques années plus tôt, une fois la trésorerie mauve ponctionnée par les salaires royaux des Milan Jovanovic et Dieumerci Mbokani. Comme Marc Coucke, aussi, qui avait entamé son bail anderlechtois par une distribution de contrats à quelques grands talents de Neerpede, dont Jérémy Doku, a posteriori un coup fumant pour renflouer des caisses vidées par ses rêves de grandeur.

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Sur le tremplin du football européen, les dirigeants aussi jouent les équilibristes. Tout l’art consiste à faire sauter les artistes au bon moment, à en retenir certains en pleine battue, en leur promettant qu’ils sauteront ensuite plus haut. Il faut vendre son projet, même à des adolescents de seize ans qui portent déjà sur leurs épaules l’avenir d’une famille, et doivent choisir entre la sécurité d’un endroit qu’ils connaissent bien et le rêve d’un club de renom et du salaire de prestige qui va avec. Tout le monde est en position inconfortable, parce que personne n’aime s’asseoir sur un tremplin.

Trouver l’équilibre est un art. Si Bruges semble s’être soigneusement assis sur le trône national, si Charleroi grandit mieux que personne, c’est peut-être parce que la clé est quelque part entre la Venise du Nord et le Pays Noir : une colonne vertébrale de tauliers pour les titres, et des talents au bout de la chaîne pour les millions. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce sont sans doute les premiers qui sont les plus difficiles à trouver.

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