Guillaume Gautier

Le royaume des idées

Guillaume Gautier Journaliste

Pour le plus grand plaisir des spectateurs neutres, la Pro League semble avoir retrouvé la voie du jeu.

Des gradins vides pour un match plein. Au coup de sifflet final, Ivan Leko et Hernán Losada oublient la rivalité pour s’échanger des félicitations face aux micros. Le Croate comme l’Argentin saluent l’audace d’en face, entre pressing ambitieux et défenses à trois joueuses. Au pays du 4-2-3-1 organisé et prêt à jaillir sur l’erreur adverse, les coaches des deux bastions anversois sont de ceux qui bafouent la tradition. Pour le plus grand plaisir des spectateurs neutres, la Pro League semble avoir retrouvé la voie du jeu.

À l’heure où Vincent Kompany promet d’allier résultats et football léché, en cherchant encore l’accélérateur pour les premiers, et la bonne voie pour le second, c’est dans des stades inhabituels que se déniche le bon football. Les fins gourmets du ballon rond peuvent savourer une gorgée de pressing ostendais, marque de fabrique d’un Alexander Blessin qui a importé l’énergique football des écoles Red Bull sur la Côte belge. On déguste aussi une tranche de contre-attaques pleines de technique et d’audace, devant le Beerschot d’Hernán Losada ou le Louvain de Marc Brys. On trempe les lèvres dans le jeu de position léché distillé par Beñat San José dans les Cantons de l’Est, comme on apprécie de planter sa fourchette dans le Cercle de Paul Clement et ses individualités exacerbées par un 4-3-3 soigneusement dessiné. Le week-end de Pro League prend des airs de voyage gourmand, sans pour autant passer par les restaurants étoilés et leur historique réputation.

Au crépuscule d’une saison décevante en termes de contenu, les coaches ont pu compter, crise sanitaire oblige, sur un atout précieux et rare dans leur métier. Du temps. « On change très vite de coach. Du coup, tout le monde est conditionné pour faire des résultats à très court terme plutôt que pour bien travailler à moyen terme, en insistant davantage sur le jeu », racontait Leko au bout de la saison dernière, à l’heure de diagnostiquer l’absence d’audace sur les bancs nationaux. Les play-offs mettent la pression du classement à tous les étages, malgré un système à descendant unique qui devrait libérer quelques idées novatrices.

Les coaches de JPL ont pu compter, crise sanitaire oblige, sur un atout précieux et rare dans leur métier: du temps.

« Quand l’entraîneur a un temps de réflexion, il va presque toujours vers des options plus créatives et offensives », pense Beñat San José, passé d’un 5-4-1 de secours à un 4-3-3 soigné au bout d’un printemps à la maison et d’un été sur le marché. Si l’afflux de propriétaires étrangers dans le foot belge présente des inconvénients, il a aussi ouvert la porte à des entraîneurs au CV bien fourni, à d’autres au passé exotique. Si le vivier de coaches nationaux est touché en plein coeur par cette ouverture des frontières, le jeu belge y gagne en diversité. Presque iconoclaste quand elle avait été relancée par Hein Vanhaezebrouck, au beau milieu des années dix, la défense à trois est ainsi prêchée aux quatre coins du pays, du dominant 3-5-2 de Philippe Clement à l’organisé 3-4-2-1 de Philippe Montanier. À force d’affronter des systèmes variés, le bagage tactique de tous s’enrichit, et tire l’ensemble du jeu national vers le haut.

De plus en plus souvent, les matches sont bons. Sont-ils beaux? C’est là que les avis divergent. Certains auront apprécié le spectacle à l’organisation plutôt baroque du Clásico espagnol, où les collectifs chaotiques ont fait briller les individualités offensives, mais la bonne équipe, c’est celle qui trouve l’équilibre entre son organisation défensive et son audace offensive, pour créer plus qu’elle ne concède. Chacun appréciera à sa manière le chemin choisi par les coaches pour atteindre cette destination, toujours identique: gagner des matches. En n’oubliant pas que parfois, la ligne d’arrivée résiste de manière incompréhensible. Ce n’est pas Wouter Vrancken qui vous dira le contraire. Son KaVé est meilleur que l’an dernier, mais le Malinwa compte deux fois moins de points. Les coaches jouent à réduire le hasard, sans jamais oublier que le football n’est pas une science.

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