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Le réveil de Dodi

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Catalogué fainéant et arrogant à Anderlecht, Dodi Lukebakio est la sensation du début de saison carolo. Histoire d’un retour au premier plan.

Le discours semble presque écrit à l’avance. On croirait entendre la litanie que se récite un ancien junkie, qui profite de sa nouvelle abstinence tout en se rappelant sans cesse que le danger d’une rechute guette à tous les coins de rue.

Dodi Lukebakio le répète encore et encore, après son doublé sur la pelouse de Mouscron : « Je ne m’enflamme pas, je garde les pieds sur terre. » Et puis, encore : « Pas question de tirer la couverture à moi. » Ce sont les mots taillés sur mesure d’un repenti, qui a multiplié depuis son arrivée à Charleroi les interviews où il reconnaît ses erreurs. « Je me suis un peu envolé. Si tu n’as pas un encadrement pour garder les pieds sur terre, tu t’envoles un peu. »

L’encadrement en question, Lukebakio l’a reçu de son agent, Didier Frenay, qui l’a placé entre les mains de la Godson Sport Management, qui propose à des joueurs professionnels un encadrement personnalisé, « pour les préparer à leur carrière à travers la discipline et le professionnalisme », comme l’explique leur site internet, le tout ponctué d’un pompeux : « Godson Sport Management impacts the world with its talent. »

La méthode Godson

La formule peut sembler aussi stéréotypée que le discours, mais l’effet sur la carrière de Lukebakio est évident. « Dodi, il a le talent, mais il devait comprendre la discipline professionnelle qui allait avec, le cadre indispensable à la vie d’un pro », raconte Dieumerci, membre de cette agence qui téléguide également la carrière de Landry Dimata. « Pour ses six premiers mois à Toulouse, quand il ne pouvait pas jouer, on a toujours laissé quelqu’un de l’agence avec lui, pour faire un gros travail mental. Il fallait le garder concerné, éviter qu’il devienne faible mentalement, parce qu’un joueur professionnel peut rapidement lâcher prise dans une situation où il ne joue pas de matches. »

La Godson fait sonner le réveil de Dodi, l’emmène à l’entraînement, lui inflige des séances supplémentaires sur le terrain ou à la salle de sport pour compenser le manque de compétition, et va jusqu’à réglementer le contenu de son assiette. Chacun de ses matches disputés, depuis sa période anderlechtoise, est analysé minutieusement. « Il était important qu’il travaille comme un professionnel. Il a compris que c’était nécessaire, il a accepté de se poser les vraies questions et a beaucoup bossé. C’était un travail de l’ombre capital, et il l’a réussi. »

À Anderlecht, on a d’ailleurs pris bonne note de la métamorphose de Lukebakio, auquel René Weiler a accordé quelques bribes de matches amicaux en début de préparation. Mais face à la concurrence féroce de flancs mauves surpeuplés, Dodi a choisi d’aller chercher du temps de jeu ailleurs. L’opportunité a immédiatement séduit Mehdi Bayat, attiré par le profil du joueur alors qu’il était en quête d’un remplaçant pour Clément Tainmont, ouvertement sur le départ depuis plusieurs mois. Le talent est alors déposé entre les mains de Felice Mazzù, chargé de transformer le dribbleur du Parc Astrid en une valeur sûre de la Pro League.

Un Mauve chez Mazzù

Dodi Lukebakio et Felice Mazzù.
Dodi Lukebakio et Felice Mazzù.© BELGA

La pierre d’achoppement est évidente, entre un ailier formé à l’anderlechtoise, habitué à vivre autour du rectangle adverse, et un coach qui demande à ses flancs autant de retours que d’allers. Empli de la bonne volonté qui est la marque de fabrique du « nouveau Dodi », Lukebakio ne ménage pas ses efforts défensifs, souvent maladroits, qui lui valent d’ailleurs une exclusion en match amical à Düsseldorf – quelques minutes après avoir inscrit un but conçu pour YouTube, en retourné acrobatique – et un penalty (discutable) provoqué face à Mouscron. « On doit beaucoup revenir défensivement », souligne le joueur après son premier match de championnat face à Courtrai.

Quelques instants plus tard et quelques mètres plus haut, dans la salle de presse du Mambour, Felice Mazzù a le ton grinçant : « Dodi nous apporte de la technicité, mais on sent qu’il n’est pas habitué à défendre et qu’il n’aime pas ça. Pourtant, s’il veut garder sa place, il va devoir apprendre. »

Abandonné lors du premier match de la saison, Stergos Marinos reçoit le soutien de son ailier au Canonnier. Dodi s’applique à la tâche, sans oublier de faire parler ses qualités de l’autre côté de la ligne médiane. Son culot et son pied gauche lui ont déjà offert le privilège de s’installer derrière le ballon pour botter les phases arrêtées zébrées, et son jeu à hauts risques pèse de tout son poids dans le football carolo. Avec six tirs et trois passes-clés en deux rencontres, Lukebakio a placé son pied dans 50 % des occasions du Sporting depuis le coup d’envoi de la saison.

Dodi et David

David Pollet et Dodi Lukebakio s'entendent déjà à merveille.
David Pollet et Dodi Lukebakio s’entendent déjà à merveille.© BELGA

Un tel impact sur le jeu offensif de l’équipe est plutôt rare au Mambour, où le collectif est conjugué à tous les temps. David Pollet ose donc la comparaison avec deux machines à occasions créées sur les pelouses de Pro League : « Il me rappelle un peu des garçons comme Milicevic et Kaya, parce qu’il est capable de mettre des ballons dans le dos de la défense comme je les aime. »

Positionné sur le côté droit du 4-4-2 zébré, Lukebakio profite d’un football qui penche à gauche dès les coups de pied de but de Nicolas Penneteau, habitué à prendre pour cible le front d’Amara Baby pour faire gagner des mètres au ballon et au bloc carolo. Dodi rentre alors dans l’axe, pour toucher les ballons entre les lignes et créer des différences par ses dribbles verticaux, dans une zone désertée par la prudence du duo formé par Cristophe Diandy et Gaetan Hendrickx au milieu de terrain.

Là, il peut déposer des ballons dans la profondeur, ceux-là même dont David Pollet a toujours raffolé. Et faire du numéro 10 des Zèbres l’autre homme du début de saison, grâce à des automatismes qui semblent dater de plusieurs années tant ils sont flagrants.

Et si, après avoir lancé sa propre résurrection, Dodi Lukebakio s’attaquait déjà à celle de David Pollet ?

Par Guillaume Gautier

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