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Le profil de Delcroix, la logique de Martinez et la valeur d’une sélection

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Convoqué par Roberto Martinez pour le rassemblement de novembre, le défenseur affiche à peine plus de 30 matches professionnels au compteur. Comment expliquer sa présence chez les Diables?

Les baptêmes auront rarement été aussi nombreux. Parce que jusqu’à la Coupe du monde, les sélections avaient beau être peuplées d’une petite trentaine de joueurs, elles amenaient systématiquement Roberto Martinez à jeter ses hameçons dans le même bocal. La valse des nouveaux venus débute au retour de Russie, quand Timothy Castagne reçoit sa première titularisation diabolique à l’occasion d’un match amical à sens unique contre l’Écosse. Un mois plus tard, c’est au tour de Jason Denayer de gratter une première place dans le onze depuis l’intronisation du Catalan, plus de trois ans après son cauchemar lillois.

Deux événements, pour autant de matches amicaux disputés dans la foulée de la Coupe du monde. Un paramètre sans doute pas insignifiant, car le sélectionneur profite souvent des rencontres amicales pour faire des tests. Un 4-2-3-1 à l’ancienne contre l’Espagne, un Dries Mertens en faux 9 pour son premier derby des Plats Pays, un duo d’attaquants à Sotchi, un milieu renforcé en 3-5-1-1 contre le Mexique à quelques mois du Mondial ou une sélection d’Anthony Limbombe contre l’Arabie Saoudite sont là pour le rappeler.

De plus en plus rares, les matches amicaux servent souvent à Roberto Martinez pour faire des expériences qu’il ne s’autorise presque jamais en match officiel.

« Si on ne peut pas profiter des matches amicaux pour faire des expériences », avait ainsi rétorqué Martinez dans une interview où on lui faisait remarquer les ennuis défensifs rencontrés par les Diables dans certains matches de préparation.

Après le Mondial, le Catalan n’a eu que trois matches amicaux en deux ans à se mettre sous la dent. Un quatrième l’attend, avec la visite de la Suisse, et pourrait offrir un surprenant baptême à Hannes Delcroix, rappelé suite à l’impossibilité de voyager de Thomas Vermaelen. Tout ça un mois après avoir fait goûter la sauce diabolique à Sebastiaan Bornauw et Zinho Vanheusden, nouvelles têtes du partage face à la Côte d’Ivoire. Buteur en Ligue des Champions, le Brugeois Charles De Ketelaere devrait aussi connaître son baptême international.

UN CHOIX DE DIRECTEUR TECHNIQUE

De tous ces nouveaux venus, c’est le cas de Delcroix qui interpelle. Non seulement parce qu’il n’est titulaire à Anderlecht que depuis cinq rencontres (même si beaucoup oublient sa saison passée dans la peau d’un titulaire aux Pays-Bas l’an dernier), mais surtout parce qu’il s’ajoute à la longue liste de nouveaux venus teintés de mauve depuis le retour de Russie: il y a eu Yari Verschaeren, l’étonnant Elias Cobbaut, l’éphémère Landry Dimata, puis encore Hendrik Van Crombrugge et Jérémy Doku. De quoi pousser certains à affirmer qu’en rangeant ses crampons, Vincent Kompany n’a pas seulement enfilé la casquette de T1 d’Anderlecht, mais aussi celle d’adjoint de Roberto Martinez.

Ce serait oublier, dans le cas précis de Delcroix, que le sélectionneur est officiellement devenu, depuis plusieurs mois, le nouveau directeur technique national. Le voilà chargé, à ce titre, de non seulement penser au présent, mais aussi à l’avenir des Diables. Et notamment à celui d’un secteur défensif qui risque d’être le premier affecté par la retraite progressive de la génération dorée. Un mois après avoir lancé Bornauw et Vanheusden, Martinez sélectionne donc le troisième maillon de la défense à trois alignée par Jacky Mathijssen lors du succès contre les U21 allemands en septembre. Une éclosion retardée pour celui qui, lors de sa formation à Neerpede, a toujours été considéré comme supérieur à Bornauw dans l’exercice défensif.

La double casquette de Roberto Martinez semble avoir définitivement enterré le concept de « sélection récompense ».

Si la forme du moment aurait peut-être pu amener à privilégier Ritchie De Laet, excellent avec l’Antwerp, la sélection du trentenaire n’aurait probablement été qu’une récompense sans lendemain, dans un secteur où d’autres joueurs plus jeunes que lui (comme Denayer et Boyata) sont déjà prêts à assurer la transition avec la génération dorée.

La double casquette de Roberto Martinez semble avoir définitivement enterré le concept de « sélection récompense ». Le Catalan ne rassemble pas à Tubize le meilleur joueur à chaque poste à l’instant précis, mais construit un groupe en fonction de sa philosophie de jeu actuelle et de ses perspectives futures. Un jeu d’équilibriste qui l’avait amené à se passer de Radja Nainggolan, pourtant indéniablement l’une des cinq meilleures armes offensives de la Belgique, pour son incompatibilité tactique avec les quatre autres dans un onze de base. Un argument souvent difficile à accepter aux yeux du grand public, dont les plaintes n’ont pas altéré la position de Martinez sur la route du bronze russe.

UN SI PRÉCIEUX PIED GAUCHE

Pour son bonheur international, Hannes Delcroix est gaucher. Un aspect qui peut sembler insignifiant, qui avait été poussé jusqu’à l’absurde au moment de la sélection d’un Elias Cobbaut qui n’a jamais justifié les espoirs placés en son profil par Martinez, alors que le très prometteur Zinho Vanheusden attendait encore sa chance. Mais l’atout est indéniable aux yeux du sélectionneur, car son système de jeu souffre de l’absence d’un gaucher à la relance et l’âge vieillissant de Vermaelen et Jan Vertonghen, les deux pieds gauches qui font office de vétérans de l’arrière-garde, pousse le Catalan à chercher une alternative.

Le flanc gauche, c’est celui sur lequel construit la Belgique, qui a pris l’habitude de penser à gauche et de courir à droite depuis la prise de pouvoir de Roberto Martinez. Le mouvement classique amène l’ailier – Eden Hazard, quand il est disponible – à se déplacer entre les lignes, et à libérer le flanc pour le wingback. Le défenseur, appelé à avancer ballon au pied tout en s’ouvrant un maximum de lignes de passes, doit donc être de préférence gaucher, surtout lorsqu’un bloc bas adverse (souvent rencontré par les Diables) l’amène à devoir créer le surnombre par une conduite de balle.

Face à l’Islande, la construction des offensives belges a souffert de l’absence d’un gaucher dans la défense à trois.

Le détail peut sembler anodin, mais les difficultés à malmener le bloc islandais en octobre ont prouvé par l’absurde son importance, l’absence conjointe de Vertonghen et Vermaelen amenant Martinez à aligner Jason Denayer sur la gauche de la défense, sans jamais en tirer un apport intéressant en possession de balle. Un constat qui se dresse également sur les pelouses de Pro League, quand Philippe Montanier aligne Vanheusden sur la gauche de sa défense centrale à Saint-Trond, ou que Ritchie De Laet doit animer le côté gauche des offensives dessinées par Ivan Leko, qui a désespérément attendu un défenseur gaucher lors du mercato estival.

Hannes Delcroix peut-il incarner ce profil à l’avenir? Impossible d’avancer de telles certitudes sur un défenseur de 21 ans. Tout juste peut-on affirmer qu’il a les qualités potentielles pour y parvenir. Et vu la rareté du défenseur central gaucher à l’aise avec le ballon dans le paysage footballistique, la spécificité du profil accélère forcément les premiers pas diaboliques, dans la logique mise en place par Roberto Martinez. Un sélectionneur pour qui une présence à Tubize est parfois plus un pari sur l’avenir que l’aboutissement d’une carrière.

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