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La semaine d’Anderlecht: de la démission à la « demi-finale » face au Celtic

René Weiler est parti la semaine dernière comme il était arrivé : entouré d’un halo de mystère. Reconstitution d’une semaine au cours de laquelle Weiler, qui réclamait du respect, a été remplacé par l’ambitieux Nicolas Frutos.

Chapitre 1 – la démission

Il est un peu plus de 4 heures et quelques supporters d’Anderlecht prennent place devant le guichet fermé de l’avenue Théo Verbeeck. Les yeux à peine ouverts après une trop courte nuit, ils regardent l’heure sur leur smartphone. La vente des mini-abonnements pour la Ligue des Champions ne débute qu’à 10 heures mais ceux qui ne sont pas là suffisamment tôt n’auront pas de place pour les matches face au Celtic, au PSG et au Bayern Munich. Un peu plus loin, rue de Neerpede, on se remet du choc. Quelques heures plus tôt, Weiler a annoncé son départ. David Steegen, le responsable de la communication, est surpris.

René Weiler avec David Steegen.
René Weiler avec David Steegen.© ISOPIX

Dans son bureau, René Weiler lui dit : Voilà David, c’est fini. Cela fait plusieurs semaines que Weiler est sur les dents. Il a dit à quelques collaborateurs qu’il avait l’impression de ne plus rien pouvoir faire pour le club. Un communiqué de presse est rédigé, puis Weiler et Steegen se séparent. « Le départ de Weiler m’a fortement touché mais sur le plan émotionnel, ce fut plus dur encore samedi », dit Steegen. « Une démission, on la sent arriver mais le comportement des supporters à Courtrai… Ça nous a fait mal. Et l’incident dans le petit local n’a rien fait pour arranger les choses. Lorsque j’ai vu les images, j’ai tout de suite compris qu’on allait en faire toute une histoire alors que Herman et Roger discutaient après chaque match avec le coach. »

Dimanche, en accord avec Herman Van Holsbeeck et Roger Vanden Stock, Steegen avait mis au point une stratégie pour contrer le putsch de quelques dizaines de supporters à Courtrai. Avec la société de production De Mensen, ils avaient convenu de faire quelques vidéos avec les joueurs et de les publier sur le site du club. Il était acquis aussi qu’Herman passerait le lundi soir à Extra Time pour ventiler le soutien du club à son coach. En haut lieu, on s’y frottait d’ailleurs les mains, car l’émission en était précisément à sa 300e édition. La présence du manager d’Anderlecht ne pouvait donc mieux tomber.

Un jour plus tard, le plan de Steegen tombait à l’eau mais Anderlecht tenait parole et envoyait Van Holsbeek non seulement au boulevard Reyers mais aussi à VTM et RTL-TVI. Les chaînes commerciales le sollicitaient pour leur journal, tandis qu’HVH faisait également acte de présence, plus tard en soirée, à La Tribune et Extra-Time, comme convenu. Sur la chaîne publique francophone, l’homme était mis un peu en difficulté et s’en tenait à son adage : « La difficulté n’est pas d’arriver au sommet mais de s’y maintenir. » Il faisait également face sans trop de problèmes aux journalistes flamands réunis sur le plateau de Extra Time : mission accomplie.

Chapitre2 – l’investiture

A la veille de son investiture, ce n’est qu’à trois heures du matin que Nicolas Frutos rejoint son lit, dans lequel il s’écroule littéralement. C’est ainsi que, pour la première fois en deux ans, il arrive en retard au club. Malgré la fatigue, son aura et son honnêteté désarmante lui permettent de conquérir la salle dès sa première conférence de presse dans le rôle d’entraîneur principal d’Anderlecht.

Frutos a sorti son costume de T1.
Frutos a sorti son costume de T1.© BELGA

« Quand je serai irrité, triste ou content, ça se verra sur mon visage », dit Frutos. « Je sais qu’il y aura des jours où je serai fâché sur un journaliste mais je le lui dirai directement. J’ai tiré les leçons de mes erreurs. Joueur, j’ai commis beaucoup de bêtises. J’ai parfois ignoré la presse ou incité mes équipiers à ne pas accorder d’interview. Maintenant que j’ai des enfants, je sais combien la communication est importante. Je ne dirai pas tout, il m’arrivera même de mentir mais c’est le jeu. »

A l’entendre, on ne dirait pas qu’il n’est là que pour un intérim. La direction lui a donné quatre matches pour faire ses preuves. Sa réponse ? « J’espère pouvoir la convaincre en 20 minutes. » L’attaché de presse ne bronche pas. Il sait qu’il ne doit pas enfermer Frutos dans un carcan. « Depuis mon retour à Anderlecht, il y a deux ans, je n’ai jamais caché que j’avais de l’ambition », dit l’Argentin. « J’ai toujours dit que je voulais devenir entraîneur. La plupart des joueurs qui sont ici ne connaissent pas mon parcours mais ils doivent savoir qu’on ne m’a jamais fait de cadeau. Surtout pas en fin de carrière. J’ai toujours joué comme si ma vie en dépendait, comme si chaque match était le dernier. »

A Neerpede, celui qu’on surnomme Le Héron est connu pour son altruisme. Alors qu’Anthony Vanden Borre avait déjà un pied dehors, Frutos fut le seul à croire qu’il pouvait encore aller à l’EURO 2016. Et c’est également à l’instinct qu’il décida de ne pas laisser tomber Fede Vico. Mais Frutos est avant tout un fanatique de football – il affirme regarder huit à dix matches par week-end – et un type qui sait où il va.

C’est pourquoi, lors de sa première semaine, il demande à une dizaine de joueurs de l’équipe espoirs de servir de sparring-partners afin de préparer son équipe-type pour les matches contre Westerlo et Waasland-Beveren. Parmi eux, quatre joueurs africains en test qui ne sont pas qualifiés et se disent qu’il s’agit d’une belle occasion de séduire l’entraîneur.

Les espoirs ont à nouveau le sentiment de compter, même si on ne leur déroulera pas le tapis rouge. Demandez à Mile Svilar ce qu’il en pense : Frutos l’avait renvoyé sur le banc après qu’il eut commis une erreur en match. Papa Svilar était furieux et Van Holsbeeck avait dit à Frutos que la place de Svilar n’était pas sur le banc. Ce jour-là, Frutos avait failli claquer la porte de Neerpede. L’Argentin trouvait aussi que Wout Faes était beaucoup trop placé sur un piédestal.

Un jour, Jean Kindermans, responsable du centre de formation, avait convoqué Frutos dans son bureau. Il lui avait montré des photos de Kompany, Lukaku, Tielemans et Faes en disant que ce dernier faisait partie de la même catégorie que les trois autres. Mais après deux erreurs face au Dinamo Zagreb en Youth League, Faes s’était retrouvé sur le banc.

Chapitre 3 – la première expédition

Mercredi. Pour Frutos, c’est le jour J. Un peu plus d’une heure trente avant le coup d’envoi du match de Coupe de Belgique à Westerlo, le car des joueurs d’Anderlecht se pointe au Kuipje. Weiler arrivait rarement aussi tôt. Comme souvent, l’ambiance est décontractée. Alors que du rap s’échappe des vestiaires, des membres du staff anderlechtois pénètrent dans la salle de presse pour y piquer des morceaux de fromage. Un kiné demande même un café pour un joueur.

Ensuite, on passe aux choses sérieuses. Les cameramen voudraient une image du nouvel entraîneur d’Anderlecht et Nico ne les déçoit pas. Il se présente à eux sapé comme s’il allait défiler pour Karl Lagerfeld. Le décor d’un stade à moitié vide est moins glamour que le catwalk mais Frutos s’en fiche : il crie, donne des consignes, motive ses troupes, les encourage, serre les poings….

Et son équipe produit du beau jeu, à la grande satisfaction des supporters. Quatre jours après le comportement blessant de certains fans, c’est l’heure du grand pardon. « Nous avons essayé de construire, de contrôler le jeu et de garder le ballon », dit Frutos après la courte victoire (0-1). « Je veux que mes joueurs sentent qu’ils ont le match en mains. »

Sven Kums #20 (RSC Anderlecht)
Sven Kums #20 (RSC Anderlecht)© ISOPIX

Cette approche est approuvée par Sven Kums, réhabilité après le départ de Weiler. « Frutos est assidu et nous demande de construire de l’arrière », dit-il. « Ce n’est pas encore parfait – tout le monde sait que nous avons besoin de temps – mais au moins, nous essayons. Ce système me convient, c’est comme ça que nous jouions à Gand. J’ai dû demander beaucoup de ballons, soigner la construction et distribuer le jeu. Frutos compte-t-il sur moi ? Je pense que oui. Enfin… il compte sur tout le monde. »

A Westerlo, il est clair que le football de Frutos est très loin de celui de Weiler, même si l’Argentin prétend le contraire. « J’ai mon idée sur la façon de jouer et celle-ci ne contraste pas totalement avec les idées de Weiler. Je pense, comme lui, qu’un entraîneur doit s’adapter aux qualités de ses joueurs. » Mais une anecdote suffit à faire comprendre qu’il n’est pas partisan d’un football défensif : « Un jour, j’ai eu le choix entre Anderlecht et un club italien. J’ai comparé les statistiques des deux clubs et j’ai choisi celui qui avait inscrit le plus de buts car c’était celui qui me permettrait de gagner le plus d’argent. »

Dans sa première analyse d’après-match, Frutos ne prononce pas une seule fois les mots courir, travailler et se battre. Il évoque surtout la façon dont son équipe devra jouer à l’avenir. Entre deux gorgées d’eau – il ignore les bouteilles de Tongerlo posées sur la table- il rayonne : « Je suis heureux mais je ne réalise pas encore que je suis l’entraîneur d’Anderlecht. »

Chapitre 4 – le jeu d’ombres

‘Deshalb musste Weiler bei Anderlecht gehen ! ‘ Voici pourquoi Weiler a dû quitter Anderlecht. C’est le titre d’un article du journal à sensation suisse Blick, mercredi. La déclaration est signée David Sesa, ex-adjoint de Weiler. Dans l’interview, Sesa laisse entendre que Weiler n’a pas démissionné mais qu’il s’est fait virer par Anderlecht. Il prétendra par la suite que ses propos ont été mal interprétés par le journaliste.

David Sesa (à gauche) a donné une autre version du départ de Weiler.
David Sesa (à gauche) a donné une autre version du départ de Weiler.© BELGAIMAGE

« Si quelqu’un veut accorder une interview à un media étranger, c’est son affaire », dit Steegen. « S’il dit des bêtises et se met en difficulté, c’est son problème. J’ai dit à Sesa : Ne t’en fais pas, ce sera vite oublié. Pour nous, ce n’est pas un problème. Nous laissons tomber. »

Jeudi, Sporza met une partie de l’interview en ligne et les autres médias suivent. Les déclarations ambiguës de Sesa créent un malaise dans le monde des médias. L’affaire Weiler part dans tous les sens. Van Holsbeeck tombe des nues et demande immédiatement des explications à Steegen. Le manager général décide de mettre son orgueil de côté et de ne pas réagir. Anderlecht fait comme s’il s’agissait d’un fait divers, il ne veut pas se laisser entraîner dans ce jeu.

« C’est propre à Anderlecht : je peux perdre plusieurs heures à cause d’un mot malheureux. Le communiqué de presse envoyé lundi était pourtant clair… Il n’est pas toujours facile de rester calme dans de telles circonstances. J’ai mon avis sur la question mais je le garde pour moi car ça n’arrangerait rien. Je ne le donnerai même pas à des amis. »

A Anderlecht, tout le monde est bien conscient que le moindre fait et geste est grossi mais la différence de traitement dans les médias irrite. « Il y a des entraîneurs qui, même après plusieurs mauvais résultats, sont soutenus par les médias et on sait pourquoi », dit Steegen. « J’ai vu passer des tweets de consultants, souvent d’anciens joueurs, au sujet de Weiler. A leur place, j’aurais honte. Je n’appelle pas les journalistes quand ils disent que nous avons mal joué mais je n’admets pas qu’ils règlent leurs comptes. Se rendent-ils compte de la responsabilité qu’ils ont ?

Je vous donne un exemple concret : avant le match contre Courtrai, nous avons organisé une conférence de presse avec Adrien Trebel. Savez-vous combien de questions on a posé sur l’adversaire ? Aucune ! On n’a parlé que de Kums, de Weiler, etc. Je suis favorable à une bonne entente avec les médias. Nous avons besoin les uns des autres. »

Steegen admet que cette semaine n’a pas été la plus facile. « Un journaliste a un jour écrit que j’étais le larbin de l’entraîneur. Je lui ai répondu que j’étais le larbin de tout le club. Je suis une éponge, un pare-chocs. »

En début de soirée, Van Holsbeeck est aperçu dans un restaurant d’Alost en compagnie de Francky Dury, qui livre à nouveau une excellente saison à la tête de Zulte Waregem. Parlent-ils de Doumbia et de Leya Iseka, loués par Anderlecht ? Probablement pas, car un coup de fil aurait suffi. Il est clair que, dans sa recherche d’un nouvel entraîneur, Van Holsbeeck explore aussi des pistes belges.

Chapitre 5 – hold-up

Au Freethiel, Frutos doit triompher mais il s’en faut de peu que les choses tournent mal. Le match à Westerlo avait ramené l’espoir mais cette fois, on ne voit plus grand-chose. Frutos a renvoyé six nouveaux sur le banc, et non des moindres (Sels, Kums, Onyekuru, Beric, Gerkens et Sá). Seul Boeckx s’en sort bien. C’est bizarre mais Anderlecht n’arrive pas à la cheville de Waasland Beveren. Il ne parvient pas à jouer au football et Frutos doit donc faire comme Weiler : utiliser la puissance et espérer qu’un ballon retombe dans les pieds d’un joueur bien placé. Ce qui se produit à deux reprises. Les supporters waeslandiens n’acceptent pas que le champion gagne de la sorte et adressent un message à Hanni & Cie : shame on you, shame on you.’

Anderlecht a souffert pour s'imposer à Beveren.
Anderlecht a souffert pour s’imposer à Beveren.© BELGA

Philippe Clement parle de hold-up et soupçonne Frutos d’avoir caché une patte de lapin dans la poche de son pantalon. L’Argentin tente de se dédouaner mais son plaidoyer n’est pas convaincant : ses joueurs avaient les jambes lourdes après un match en semaine, ils étaient encore sous le choc du départ de Weiler, ils manquent d’automatismes… Pour la première fois de la semaine, Frutos semble peu inspiré. Heureusement, il ne tombe pas dans le cliché qui consiste à dire qu’il retient avant tout les trois points.

« Ce n’est pas le football que je veux voir et mes joueurs non plus », dit-il. « Pour le moment, nous n’y arrivons pas, nous sentons qu’il nous manque quelque chose. Mais je suis optimiste de nature et je tente de retirer du positif de chaque expérience, même quand ça ne va pas. »

Frutos sait que l’échéance est proche : « Pour moi, le match à Waasland Beveren était un quart de finale. Mercredi, ce sera ma demi-finale mais je ne ressens aucune pression. Jamais. Je suis comme ça. Un ami m’a un jour demandé si je serais un jour entraîneur d’Anderlecht. J’ai répondu que c’était mon ambition et je crois que je peux y arriver. »

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