La route des sommets de Youri Tielemans

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Attendu à Monaco comme un futur crack du football mondial, le Wonderboy de Neerpede a glissé du Rocher avant de reprendre son ascension au milieu des renards, en plein coeur de l’Angleterre. Compte-rendu d’une leçon d’escalade.

Parce qu’un coup de théâtre serait superflu, Youri Tielemans ne frappe que deux fois. Deux coups puissants, lancés depuis Louvain, mais qui se font entendre aux quatre coins du Vieux Continent. À quelques jours d’intervalle, Jordan Pickford puis Kasper Schmeichel se font surprendre par les canons qui servent de jambes à l’enfant prodige de Neerpede. Et tandis que toute la Belgique se demande comment éviter que le chef d’orchestre de Leicester soit la victime du retour sans cesse repoussé, mais tout de même attendu d’ Eden Hazard dans le onze diabolique, les Foxes se rendent à l’évidence: les prochains mois pourraient être les derniers du babyface maestro sous le maillot bleu des champions d’Angleterre 2016.

Youri a ses propres rêves. Il veut gagner des prix et généralement, les prix se gagnent dans des grands clubs. »

Peter Smeets, son conseiller

Buteur sur la pelouse des Citizens de Pep Guardiola, auteur d’un doublé dans le jardin de Marcelo Bielsa à Leeds, le Prince Youri égale déjà son record de buts marqués en une saison de Premier League alors que l’hiver n’a même pas encore frappé aux portes anglaises. Une manière de rappeler que c’est au bout d’une saison aux chiffres fous (dix-huit buts et quinze passes décisives), sous les ordres d’un René Weiler qui l’approche alors du but adverse pour profiter de ses pieds puissants à l’entrée de la surface, que le Diable rouge franchit le premier palier de sa carrière, un an avant une Coupe du monde où il fera figure d’invité surprise.

Trois ans et demi après son départ d’Anderlecht, le ket de la maison mauve n’interroge plus sur une présence éventuelle dans la liste des vingt-trois, mais s’invite carrément dans les débats du onze idéal de Roberto Martinez. Les mois de doute sur le Rocher sont vite classés dans les rayons d’une boîte à souvenirs déjà bien fournie. Parce qu’en constatant que Tielemans facture déjà plus de 350 apparitions chez les pros, on oublierait presque que Youri n’a que vingt-trois ans.

LE CHOIX DU ROCHER

À première vue, le départ à Monaco a pourtant tout de l’étape parfaite. Le transfert est favorisé par l’agent Christophe Henrotay, chez lui sur le Rocher au propre comme au figuré, puisqu’il y réside et que son nom va jusqu’à se glisser sur la très select liste d’invités aux fastueux cinquante printemps de Vadim Vasilyev. S’il frappe aussi à d’autres portes connues, celles de l’Atlético ou d’Everton, l’agent place son poulain dans le noyau de Leonardo Jardim et touche au passage une commission XXL dans le dos du Diable rouge.

Avec la Coupe du monde dans le viseur, Tielemans est discrètement incité par un Roberto Martinez qui compte très vite sur lui ( voir cadre) à opter pour un projet qui lui garantira du temps de jeu dans un championnat relevé. Tout juste auréolé de son titre de champion de France au nez et à la barbe de l’ogre de Paname, demi-finaliste surprise et rafraîchissant de la Ligue des Champions, l’ASM convainc Youri dès les premiers jours du printemps, et fait de lui la tête d’affiche de ses ambitions futures. Le tableau se noircit néanmoins en quelques semaines, en même temps que les gros poissons quittent le port monégasque: Bernardo Silva et Benjamin Mendy naviguent de concert vers Manchester City, Tiémoué Bakayoko signe à Chelsea, et la sensation Kylian Mbappé finit par opter pour le PSG. La perte de qualité est conséquente.

Trois ans et demi déjà que Youri a quitté Anderlecht.
Trois ans et demi déjà que Youri a quitté Anderlecht.© BELGAIMAGE

Au coeur du jeu, par contre, la concurrence reste féroce. Fidèle de Jardim, et proche du terme de son contrat, João Moutinho est incontournable à la manoeuvre, et le potentiel de plus en plus affirmé de Fabinho en fait l’inévitable associé du champion d’Europe 2016 dans le rond central. Tielemans fait les frais d’un duo bien rôdé, et le quotidien d’un vestiaire tumultueux dirigé par un coach particulièrement froid suffit amplement à accentuer le malaise.

COACH GLACIAL ET VESTIAIRE EN ÉBULLITION

De Leonardo Jardim, on dit parfois qu’il se montre volontairement distant avec ses nouvelles recrues afin de tester leur force mentale. Pendant les cinq ou six premiers mois, c’est tout juste s’il adresse la parole à Tielemans. Brillant pour sa première sortie sous le maillot monégasque, avec une passe décisive pour Djibril Sidibé lors du Trophée des Champions face au PSG, Youri ne récolte ni louange ni encouragement. Pas même un mot. Comme si le test habituel était renforcé par le fait que le Portugais est moins convaincu que ses dirigeants par le potentiel d’un jeune Belge qu’il juge surcoté. « À Monaco, j’ai découvert un nouveau monde dans lequel je n’étais pas toujours au centre des préoccupations », résume le Diable rouge dans nos colonnes au printemps dernier.

En s’installant dans le vestiaire du Rocher, Youri Tielemans s’assied au coeur d’un volcan au bord de l’éruption. Alors qu’on leur avait promis la construction d’une équipe capable de tenir tête au PSG sur la durée, les tauliers du noyau que sont Danijel Subasic, Kamil Glik ou Moutinho voient leurs dirigeants accumuler les millions en monnayant le talent de la moitié du onze de base.

« Après les départs de l’été, c’est comme si le groupe avait reçu une grosse claque. L’ambiance était catastrophique », rembobine Francesco Antonucci, ancienne pépite du Rocher qui rebondit aujourd’hui à Volendam, dans l’antichambre de l’élite néerlandaise. « Il y avait tout le temps des réunions de crise, des tensions, des embrouilles aux entraînements. Je me souviens d’un jour où le ton est monté très haut entre Jemerson et Falcao. Tout ça, ça a créé des clans. »

Pendant ses cinq ou six premiers mois à Monaco, c’est tout juste si Leonardo Jardim adresse la parole à Youri Tielemans.

Entre les Français, les anciens qui restent en vase clos et n’adressent presque pas la parole aux nouvelles recrues, le clan des lusophones et les plus jeunes du vestiaire, Tielemans peine à trouver ses marques et sa place. « À Monaco, Youri était très seul », résume Antonucci.

L’ÉPONGE ET LA MATURITÉ

Isolé, mais pas résigné, Youri Tielemans reste à l’affût des détails. Au soir d’un déplacement à Marseille où il partage les abords du rond central avec Moutinho et Fabinho, il contacte son conseiller Peter Smeets pour connaître son avis sur sa prestation. En pleins pourparlers pour envoyer Leander Dendoncker de l’autre côté de la Manche, Smeets n’a pas vu la rencontre, mais Tielemans l’attendra jusqu’au coeur de la nuit pour un débrief conclu aux aurores. « Youri a toujours été à l’écoute, surtout dans les moments difficiles », raconte son conseiller. « C’est une éponge. Il prend ce dont il a besoin et il rejette le reste. C’est comme ça qu’il apprend. »

De ses mois sous les ordres de Leonardo Jardim, malgré une relation glaciale, il retiendra le sens des responsabilités en perte de balle, déjà affûté par sa rencontre mauve avec René Weiler. « L’aspect principal sur lequel j’ai travaillé ces dernières années, c’est mon volume de course et mon physique », explique le Diable rouge à The Athletic, rappelant les mantras d’un coach suisse qui exigeait de ses milieux de terrain une feuille de route atteignant au moins les onze kilomètres en nonante minutes. « Weiler aimait les milieux tout-terrain, qui savaient courir. C’est pour ça qu’un gars comme Sven Kums, qui jouait toujours derrière le ballon, ce n’était pas son truc », se souvient-on du côté de Neerpede. Sur le Rocher aussi, Tielemans apprend et s’adapte, quitte à dénaturer son jeu.

Poursuivi par Thomas Meunier lors de son époque monégasque: tout n'a pas été rose pour Tielemans sur le Rocher.
Poursuivi par Thomas Meunier lors de son époque monégasque: tout n’a pas été rose pour Tielemans sur le Rocher.© BELGAIMAGE

« Youri, si tu es là avec nous, c’est parce que tu es capable de plonger dans les espaces et de faire la différence avec une frappe à l’entrée de la surface. » Les mots sortent de la bouche de Roberto Martinez, et atterrissent dans l’oreille d’un Monégasque que le manque de confiance semble parfois métamorphoser dans le mauvais sens, lors du rassemblement diabolique du printemps 2018. Le sélectionneur catalan se rappelle d’un joueur qui s’apprête alors à franchir un cap majeur dans son évolution: « Chez les jeunes, il faut parfois vous mettre en difficulté pour progresser. Mais à un certain moment, un joueur mûr doit se concentrer sur ses qualités et tenter de camoufler le plus possible ses défauts. »

Surexposé dans le jeu par le passage rocambolesque de Thierry Henry à la tête de l’ASM, Tielemans peine toujours à retrouver ses sensations sur le Rocher. Il finit par le quitter quand le fiasco Henry entraîne un retour de Jardim sur le banc de touche, à cinq jours de la fin du mercato d’hiver 2019. Moins d’une semaine plus tard, le Diable rouge s’envole pour Leicester, attiré par un Claude Puel qui vit sans le savoir ses derniers matches à la tête des Foxes.

LE CHOIX DE LA RAISON

Si le technicien français est rapidement remplacé par Brendan Rodgers, ancien manager de Liverpool, l’adaptation de Youri Tielemans à la Premier League ne sera pas une question de coach. Dans un jeu plus ouvert, où les espaces entre les lignes sont plus présents, le football dynamique et vertical du Belge ne tarde pas à faire l’unanimité. L’association avec un Wilfred Ndidi dont le volume de jeu rappelle son duo mauve avec Cheikhou Kouyaté, lui mâche une partie du travail défensif et lui permet de faire parler ses qualités près du but adverse. En trois mois et treize matches, il dépose trois buts et huit passes décisives sur une carte de visite qui séduit très vite une bonne partie de l’Angleterre.

Tielemans a préféré Leicester à Tottenham et Manchester United, noms plus prestigieux, mais menacés d’instabilité lors de l’été 2019.

« Après son prêt, il avait une bonne cote sur le marché. Il y avait plusieurs clubs intéressés, souvent des clubs plus prestigieux que Leicester », explique son conseiller Peter Smeets. Tout en haut de la liste, on retrouve les noms de Tottenham et de Manchester United. Des noms ronflants qui peuvent faire tourner la tête à plus d’un joueur, mais qui seront sagement repoussés par Tielemans, malgré des conseils extérieurs souvent avisés, mais pas toujours au courant de la cuisine interne des deux membres du Big 6 anglais.

Chez les Spurs, tout juste battus par Liverpool en finale de la Ligue des Champions, le milieu de terrain est loin d’être le secteur le mieux armé, et l’équipe semble désireuse de franchir un palier. Youri se renseigne, mais reçoit des échos pas toujours positifs sur un Mauricio Pochettino loin d’être le tacticien qu’on présente depuis l’extérieur, et qui se rapproche de la fin de son cycle, aux dires de certains. Discours étonnant à l’époque, mais finalement confirmé par le licenciement de l’Argentin en novembre 2019, moins de six mois après la finale de Madrid.

Tielemans s'épanouit en Premier League et à Leicester City, où il s'est imposé comme le patron de l'entrejeu.
Tielemans s’épanouit en Premier League et à Leicester City, où il s’est imposé comme le patron de l’entrejeu.© BELGAIMAGE

Du côté d’Old Trafford, le tableau n’est pas plus enchanteur derrière le mythe de l’un des maillots rouges les plus célèbres au monde. Loin des années de règne de Sir Alex Ferguson, le club désormais dirigé par Ole Gunnar Solskjaer abrite un vestiaire tumultueux et divisé, loin d’être propice à l’épanouissement d’une jeune recrue. Tielemans opte donc pour une prolongation de son séjour à Leicester, liant son sort à celui de Ndidi, la jeune star anglaise James Maddison et l’éternel buteur Jamie Vardy, duquel il s’est rapidement rapproché dans les Midlands. Près de 45 millions d’euros plus tard, le transfert définitif chez les Foxes est acté.

LA PROCHAINE ÉTAPE

Brendan Rodgers confie à son Belge les clés du jeu. Notamment parce qu’il voit en Tielemans un coach sur le terrain, évoquant déjà souvent avec lui son futur sur un banc de touche alors que sa carrière de l’autre côté de la ligne blanche devrait être encore longue. « À son poste actuel, un peu plus bas sur le terrain, Youri peut être un peu plus le playmaker et dicter le tempo et le jeu », explique ainsi le manager des Foxes après une rencontre d’Europa League face à Braga lors duquel le Diable rouge, monté à la pause, change le cours d’un match mal embarqué pour permettre aux siens de revenir du Portugal avec un point en poche.

Tiré vers le haut par les conseils tactiques de Brendan Rodgers et de Roberto Martinez, Youri Tielemans est désormais devenu le patron de l’un des principaux underdogs du championnat anglais. De quoi envisager, à bientôt vingt-quatre ans, de franchir la dernière marche qui le sépare des sommets continentaux? « Youri a ses propres rêves. Il veut gagner des prix et généralement, les prix se gagnent dans des grands clubs », explique sans fard Peter Smeets. « Beaucoup de clubs sont intéressés, mais la question, c’est de savoir lesquels sont intéressants pour lui. »

Si le football anglais convient à merveille aux qualités de l’enfant de Neerpede, rares sont les clubs de Premier League qui pourraient encore lui permettre de franchir un palier, tant Leicester n’a aujourd’hui rien à envier à la plupart des clubs d’outre-Manche. Liverpool et Manchester City pourraient constituer des options, mais le coeur du jeu y est bien rempli et la concurrence féroce. La prochaine étape passerait-elle donc par un exil? Il se dit que le renouveau du championnat italien, incarné par Cristiano Ronaldo à la Juventus ou Romelu Lukaku à l’Inter, ne laisserait pas le babyface playmaker indifférent. Et qu’un peu plus à l’ouest, Diego Simeone n’a jamais cessé d’apprécier le profil d’un joueur capable de travailler et de créer.

Au milieu des rumeurs, il reste en tout cas une certitude: aujourd’hui, les clubs au sein desquels Youri Tielemans ne pourrait pas revendiquer une place de titulaire se comptent sur les doigts d’une seule main.

La route des sommets de Youri Tielemans
© BELGA

Le futur patron des diables

Roberto Martinez avait un plan. Tant pis s’il a amené le sélectionneur à se passer très rapidement des services d’un Radja Nainggolan en pleine bourre dans la Botte, suscitant l’incompréhension populaire en privilégiant un Youri Tielemans alors en plein doute monégasque dans ses valises russes.

« Au niveau du poste de playmaker, on n’a pas énormément de choix », concédait le sélectionneur à l’automne 2016, peu de temps après son entrée en fonction, à l’heure d’énumérer les postes faibles du vivier belge. « Et Youri Tielemans a des qualités pour l’être un jour. »

Lancé dans le bain diabolique par Martinez, qui le couve soigneusement et ne se prive jamais de le conseiller, notamment à l’heure de choisir son point de chute au moment de quitter Anderlecht, Tielemans éclot à l’échelle internationale lors d’un match de qualifications sans enjeu sur un terrain débordant de boue en Bosnie. C’est sans doute là qu’il convainc Roberto Martinez de l’emmener en Russie, où l’ancien Mauve répond présent quand on fait appel à lui et voit son statut basculer. « Depuis la Coupe du monde, mes prestations ont fait que mon rôle dans le groupe a évolué », reconnaît l’intéressé, titulaire lors du match pour le bronze face aux Anglais.

Dans la foulée du Mondial, il est titularisé dans dix-huit des vingt-quatre sorties internationales des Diables. Il en profite pour fêter son premier but, dans le sommet inaugural des qualifs pour l’EURO face aux Russes, et récolter les compliments de son capitaine Eden Hazard: « Youri, c’est un vrai leader sur le terrain, un patron. Il va devenir un grand joueur. » Parole d’expert. Vrais reconnaissent vrais.

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