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La résurrection d’Olivier Werner

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Olivier Werner revit. Sa galère physique a été interminable, alors maintenant il croque.

« On m’a dit : Tu es fou ? Tu ne vas quand même pas mettre Olivier Werner et Logan Bailly dans le même vestiaire ? Avec deux personnalités pareilles, un jour ou l’autre ça va exploser dans tous les sens.  » C’est Eric Deleu qui parle. Le préparateur des gardiens de Mouscron rigole quand il repense à ces prévisions.

Werner et Bailly sont peut-être les deux meilleurs potes du vestiaire, c’est paradoxal.  » Frank Defays

Werner a rejoint Bailly au Canonnier en décembre dernier. Et ça se passe bien.  » C’est même paradoxal « , nous dit Frank Defays.  » Ils sont en concurrence mais ce sont peut-être les deux meilleurs potes du vestiaire. Ils mettent l’ambiance.  »

26 janvier 2018. Mouscron gagne sur le terrain de Malines. Avec Olivier Werner dans le but. Une soirée historique pour lui : c’est son premier match officiel depuis 525 jours. Retour encore un peu plus loin dans le temps. Mai 2017. Il en est presque sûr, sa carrière est terminée. Médecins, chirurgiens, kinés, il a trop donné. Il est en pleine galère depuis l’été 2016, et là, on lui parle d’une nouvelle opération. Il tranche : c’est non.  » Il m’a dit : Point barre « , explique son agent, Daniel Striani.

Olivier Werner a eu 33 ans ce 16 avril. Il est une carte routière de la Belgique à lui tout seul. Standard, Mons, Virton, Malines, Brussels, Eupen, Cercle Bruges et aujourd’hui Mouscron : plus de 250 matches pros chez nous et – accessoirement – une grosse soixantaine de clean sheets. Des galères aussi, essentiellement sur le thème des rétrogradations en D2 comme s’il avait l’art de choisir la mauvaise équipe au mauvais moment : Brussels, Mons, Eupen, Cercle. Chaque fois, il a fait la bascule. Et mérité son surnom de chat noir de notre foot.

 » Aujourd’hui, il est aux anges « , poursuit son agent.  » Il revit complètement, c’est comme s’il commençait une nouvelle carrière.  » Parce que, pendant très longtemps, on a cru qu’il ne se remettrait jamais de l’agression subie le 19 août 2016. Flash-back. Il vient de faire une grosse saison avec Sochaux, qu’il a maintenu en Ligue 2 par une succession de saves improbables. Il est à bloc dans le championnat qui vient de recommencer. Et puis bam.

Livio Nabab, l’attaquant d’Orléans qu’on a brièvement connu à Waasland Beveren, met toute son agressivité dans un contact avec Werner. Carton rouge pour Nabab. Passeport vers l’enfer pour Werner. Nabab essaie de contacter sa victime, qui ne répond pas.  » On a carrément envisagé de traîner Nabab en justice « , dit Daniel Striani.  » Mais on a renoncé parce qu’on se doutait que ça n’allait pas plaire du tout à l’establishment du foot français. Ça aurait été un combat don quichottesque.  »

Opérations à Besançon, Paris, Anvers, …

Où en est, physiquement, le Werner qui alterne maintenant les titularisations dans le but de Mouscron avec Bailly ?  » Souffrir, ça, maintenant, il sait très bien ce que ça représente « , lâche Frank Defays.  » Récemment, après un entraînement costaud, j’ai dit aux joueurs : Il n’y a que ceux qui ont déjà eu une très grave blessure qui savent qu’il y a encore plus dur dans la vie qu’un entraînement comme celui qu’on vient d’avoir. J’ai vu, dans le regard d’Olivier Werner, qu’il comprenait ce que je voulais dire.  »

Eric Deleu voit que le gaillard a  » tout récupéré, ou presque. La seule chose qui lui pose encore problème, c’est le jeu au pied. C’est un aspect précis du métier de gardien qui peut être contrarié après une grosse blessure. Je le vois aussi chez Logan Bailly, qui a lui aussi été blessé et continue à avoir des petits soucis dans le jeu au pied, alors que c’est une de ses spécialités. Dans le cas d’Olivier Werner, on parle carrément d’une double fracture tibia – péroné, alors il ne faut pas s’étonner que le jeu avec les pieds ait été atteint. On travaille là-dessus. Mais à part ça, je ne vois pas de séquelles. Je le trouve même plus fit qu’à l’époque où je l’entraînais au Cercle Bruges. C’est clair que son passage à Sochaux lui a fait beaucoup de bien.  »

Quand on vous dit qu’il en a bavé… Dès la nuit qui a suivi l’agression, il a été opéré à Besançon. En janvier 2017, il est repassé sur le billard pour une grosse intervention, cette fois à Paris. On lui a prélevé une masse graisseuse et de l’os au niveau de la hanche pour les greffer sur le tibia et le péroné. Entre-temps, on lui a mis des broches, des vis, on a enlevé tout ça, on a fait des petites retouches, … En mai de l’année passée, on a constaté que la greffe n’avait pris qu’à 40 %, Olivier Werner a demandé un avis à Anvers, et là, quand on lui a parlé d’une nouvelle opération, il a décidé qu’il stoppait les frais. Puis son monde a rebasculé, cette fois dans le bon sens, au début des vacances d’été. La greffe avait finalement bien pris. Il s’est alors inscrit aux séances de tortures made by Lieven Maesschalck. Jusqu’à son test positif à Mouscron, en décembre.

Logan Bailly : un sérieux concurrent dans les cages pour Werner.
Logan Bailly : un sérieux concurrent dans les cages pour Werner.© BELGAIMAGE

Pourquoi Werner et Bailly se complètent

La fragilité physique de Bailly, logique après deux saisons avec un temps de jeu XXS, a joué pour lui. L’ex-star de Genk et Mönchengladbach a notamment souffert des adducteurs et du mollet cette saison. Bailly bosse comme un malade depuis son arrivée, il a dû commencer par éliminer un paquet de kilos superflus. Un jour ou l’autre, le corps crie, réagit. Lui-même le craignait :  » Je savais que ça pouvait lâcher à un moment ou à un autre.  »

 » Quand Mircea Rednic a dit qu’il voulait un nouveau gardien, avec de l’expérience, j’ai directement pensé à Olivier Werner « , lâche Eric Deleu.  » Mais je ne savais pas du tout dans quel état physique il était. On l’a pris en test et j’ai vite été rassuré. Donc, pour moi, c’était une excellente occasion. Et quatre mois plus tard, je vois qu’il est plus fort qu’à l’époque de notre passage au Cercle. Dans la tête, il est plus costaud. Plus serein. Evidemment, c’est le genre d’expérience qui te donne plein de maturité en plus. Quand tu as souffert autant, quand tu es passé aussi près de la fin de carrière, tu relativises certaines choses pour lesquelles tu te serais peut-être pris la tête dans le passé.  »

Des Bailly et des Werner, il en faudrait trois ou quatre dans chaque vestiaire professionnel.  » Eric Deleu, entraîneur des gardiens de Mouscron.

Exemple concret :  » Avant, il avait parfois tendance à être trop impulsif. Il pouvait réagir au quart de tour. Par exemple, il avait tendance à s’en prendre à ses défenseurs quand il encaissait un but. C’est le genre de réaction qui ne plaît pas dans le milieu, ça dérange la plupart des entraîneurs. J’en ai parlé avec lui et il a corrigé ça.  »

Et l’entraîneur spécifique revient alors sur la fameuse prédiction qu’on lui avait faite : Tu es fou de mettre Werner et Bailly dans le même vestiaire ?  » Les gens qui m’ont dit ça, ils connaissent les deux gars concernés. Je ne dirais pas que Bailly est un monument du football belge mais il a quand même un nom. Si un gardien pareil vient dans un club comme Mouscron, c’est pour jouer. Et si un Olivier Werner, réputé pour son engagement permanent à 300 %, vient ici, ce n’est pas non plus pour s’installer sagement sur le banc. Donc, clairement, on a deux gardiens qui ont le statut pour être dans le but chaque week-end. Et certaines personnes pensaient que ça risquait de faire des étincelles.

Mais ça se passe super bien, peut-être aussi parce qu’ils se complètent idéalement. Ils n’ont pas le même caractère, pas la même façon d’appréhender leur métier et la vie en groupe. Bailly, c’est le calme personnifié, il arrive à tout relativiser d’une façon extraordinaire. Werner s’emporte plus vite, parfois trop vite. Des Bailly et des Werner, il en faudrait trois ou quatre dans chaque vestiaire professionnel. Avant, les vestiaires étaient autogérés par quelques anciens. Aujourd’hui, les jeunes arrivent avec une grande gueule pas possible… et s’il n’y a pas quelques anciens pour les recadrer, ça peut poser problème. Werner et Bailly font très bien ça.  »

Tournante et problème de luxe

Frank Defays côtoie au quotidien  » deux gars qui ont faim, ça se voit sur le terrain et dans le vestiaire. Et leur force de caractère, c’est agréable à voir. J’ai deux boute-en-train qui bossent énormément. Ils ont toujours eu ça en eux.  » Point de vue technique, le coach voit que  » Werner peut sortir des ballons miraculeux mais faire une petite floche de temps en temps  » tandis que  » Bailly a une grande élégance, notamment dans le jeu au pied. En tout cas, j’ai deux gardiens qui ont un très bon niveau pour la D1A.  » Bailly est sous contrat jusqu’en fin de saison prochaine et l’option sur Werner vient d’être levée par le club. Donc, ils seront en concurrence pendant un long moment encore. Quid de l’état d’esprit de ces deux compétiteurs ?

 » Problème de luxe « , tranche Eric Deleu.  » Quand je vois qu’aucun grand club belge n’a un gardien valable cette saison, je me dis que Mouscron est gâté !  » Frank Defays embraie :  » Là, on est dans les play-offs 2, je peux me permettre de faire une tournante. Mais il n’est pas question que je continue ça en début de saison prochaine. J’aurai fait une hiérarchie entre-temps, c’est obligé. Il faut de la clarté, pour tout le monde. Je ferai mon choix en âme et conscience puis je leur communiquerai ma décision, on règlera ça entre hommes. Je suis déjà sûr d’une chose : je ferai un déçu.  »

 » Une fois que le choix est fait, il faut continuer à faire confiance au titulaire dans la durée « , juge le préparateur spécifique.  » Il y en a un qui est sur le banc et qui s’impatiente, mais même si celui qui joue fait l’une ou l’autre erreur, il faut le laisser un moment dans le but. Il y a suffisamment d’exemples qui montrent que c’est contre-productif de jongler avec ses gardiens de but. Au bout du compte, plus personne n’est bon. Parce que personne n’est en confiance. « 

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