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La folle saison de Seraing vue par ses coaches: « Ce groupe est une éponge »

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Personne ne s’attendait à ce que Seraing dispute deux matches pour monter en D1A. Comment ont-ils fait? Le staff explique tout.

« La direction clame qu’elle vise très haut. À terme, l’objectif est de ramener Seraing au plus haut niveau de notre foot. Mais il est illusoire d’y penser déjà dans les prochains mois. Il reste pas mal de boulot extra-sportif pour refaire de Seraing un club de l’élite. Et donc, dans un premier temps, tout le monde là-bas se réjouirait d’un maintien à la fin de cette saison. »

C’est ce que Sport/Foot Magazine écrit dans sa présentation du championnat de D1B, lors de l’été 2020. Et cette analyse, elle est largement partagée au Pairay. Parce que Seraing est monté par miracle extra-sportif. Grâce aux soucis financiers de Roulers et Virton, qui n’ont pas reçu la licence. Au moment où les championnats ont été stoppés par le Covid, les Liégeois n’étaient que troisièmes en D1 Amateurs.

Un an plus tard, ils sont aux portes de la D1A. Il suffira d’être meilleur que Waasland-Beveren sur deux matches pour y arriver. Reconstruction d’un parcours improbable avec l’éclairage des patrons de l’équipe, EmilioFerrera (T1) et MarcGrosjean (T2).

Mais qu’est-ce qu’il a ce Georges?

« Notre montée n’avait rien de scandaleux ou d’illogique non plus », commence Marc Grosjean. « Quand on a repris l’équipe en janvier de l’année passée, elle n’allait pas bien, mais on a vite commencé à enchaîner les bons résultats. Quand les championnats ont été stoppés, on était passés de la sixième à la troisième place avec un match en moins. En points perdus, on était deuxièmes. J’ai été marqué notamment par une victoire sur le terrain de THES Sport. Une équipe traditionnellement très difficile à manoeuvrer chez elle. Ce soir-là, des gens qui suivent la troisième division depuis très longtemps ont dit que Seraing avait quelque chose de particulier. Quelque chose était en marche. Puis il y a eu le Covid qui nous a bloqués dans notre élan. Personne ne sait dire où on aurait terminé sans ça. »

Dès ses premières touches de balle, on a compris que Mikautadze était un cas à part. »

Marc Grosjean

« Ça a été la grande incertitude pendant un bon moment, on ne savait pas dans quelle division on allait jouer », continue Emilio Ferrera. « On avait aussi nos problèmes de licence à régler. Quand la montée a été officielle, ça a été une énorme délivrance. » À ce moment-là, il faut encore construire une équipe. On est à la mi-mai. Le staff a le temps de voir venir. « Il n’y a pas eu de vent de panique », poursuit le coach principal. « Finalement, le gros du travail avait déjà été fait, il restait pas mal de joueurs sous contrat, des options avaient été levées. Et puis Metz nous gardait des renforts sous le coude en cas de montée. »

Le club français ne traîne pas et envoie, le même jour, six joueurs dans son club satellite. Un gardien français international jeune, GuillaumeDietsch. Un défenseur lui aussi habitué des sélections d’âge de la FFF, YannGodart. Deux joueurs qui ont connu l’ivresse de la Ligue des Champions africaine, Ababakar et AmadouNdiaye. Et un certain GeorgesMikautadze. Ce Géorgien a juste sept minutes de Ligue 1 dans les jambes avec Metz.

Emilio Ferrera:
Emilio Ferrera: « Si on est là aujourd’hui, c’est grâce aux gens de Metz. »© BELGAIMAGE

« On ne connaissait pas les joueurs que Metz nous proposait », avoue Marc Grosjean. « À cause de l’arrêt des championnats, on n’avait pas eu l’occasion de les observer. On a fait confiance. Et puis quand on a découvert Mikautadze à l’entraînement… Dès ses premières touches de balle, j’avais compris qu’on tenait un type à part. Il ne fallait pas être un savant ou un génie du foot pour voir ça. Et puis AblieJallow, un international gambien… ouf! »

Mikautadze dégaine dès le départ. Après sept matches, il en est à quatorze buts. Dont un doublé, deux triplés et un quadruplé. L’Union a DanteVanzeir, Seraing a Mikau. Ils vont se tirer la bourre pendant tout le championnat pour le trophée de meilleur buteur.

« Il sait tout faire », lâche Emilio Ferrera à propos de son puncheur. « Il a été le fleuron de notre recrutement. Mais des joueurs comme Jallow, Godart ou SamiLahssaini, on a vite vu que c’était du costaud aussi. En fait, tous les joueurs prêtés par Metz ont quelque chose. »

« Pied au plancher »

Le début de saison des Sérésiens est une propagande pour le foot spectacle: 3-5 à Lommel, 3-2 contre Deinze, 2-5 au Lierse, 6-1 contre le Club NXT, 3-4 au RWDM. L’équipe encaisse beaucoup. Mais elle marque encore plus. Après huit journées (et avant deux défaites consécutives), les Métallos sont en tête devant l’Union. Surprise totale. « Au départ, on visait simplement un maintien tranquille », explique le T1. « Pas parce qu’on avait l’impression qu’on manquait de qualités. On ne s’est jamais dit: Ouille, on va être moins forts que tous les autres. Simplement, on était dans l’inconnu. On ne connaissait pas la D1B, les joueurs devaient tout y découvrir et notamment son format particulier avec quatre matches contre chaque adversaire. On avait plus de points d’interrogation que de certitudes. Mais j’ai vite compris que mon groupe était une éponge. Les joueurs absorbaient tout, ils comprenaient et apprenaient très vite. »

Emilio Ferrera n’a pas été surpris par cette accumulation de scores fleuves. « On avait opté pour une philosophie de jeu très audacieuse, spectaculaire. En sachant que ça comportait de gros risques. On voyait chaque match comme une aventure dans laquelle on se lançait pied au plancher. Sans trop réfléchir. »

« On voulait chaque fois prendre les choses en mains, quel que soit l’adversaire », ajoute l’adjoint. « On voulait diriger les matches, pas les subir. Les équipes d’en face étaient surprises qu’on prenne autant de risques offensifs. Forcément, derrière, on s’exposait. Le facteur Mikautadze a aussi beaucoup joué à ce période-là. Avec la forme qu’il tenait, pour lui, un ballon c’était un but. »

Après ça, il y a au fil des semaines de plus en plus de matches de Seraing avec des scores plus conformes. Le duo d’entraîneurs n’a pas été surpris. « On n’a pas changé notre façon d’aborder les matches, mais on a commencé à faire moins d’erreurs défensives, et puis les adversaires ont commencé à mieux décortiquer nos mouvements offensifs », analyse Emilio Ferrera. « Notre équipe était de mieux en mieux comprise par les autres, clairement. C’est inévitable quand on rencontre quatre fois chaque adversaire. On s’adapte. » Marc Grosjean embraie: « On s’est mis à marquer moins, mais on est aussi devenus plus solides derrière, on a même commencé à faire des clean-sheets, ce qui était difficile à imaginer en tout début de saison. Finalement, Seraing est devenu une équipe mieux équilibrée. Parce qu’on a su rectifier des choses qui ne fonctionnaient pas dans les premiers matches. »

Un joueur au bord de l’infar

En septembre, il y a le premier face-à-face avec l’épouvantail de la série, l’Union. Mikautadze marque, mais Seraing s’incline 3-2. « On a pourtant été meilleurs qu’eux dans ce match-là », se souvient Marc Grosjean. « Très vite, on s’est rendu compte que ce qui faisait la différence entre Seraing et des équipes comme l’Union ou Westerlo, c’était le métier. »

« Ils ont affiché leurs ambitions dès le départ, c’était bien de leur part », ajoute Emilio Ferrera. « On a fait illusion pendant quelques mois, mais il est arrivé un moment où il était clair que l’Union était trop au-dessus. Là-bas, il y a beaucoup de joueurs qui connaissent non seulement la D1B, mais carrément le haut du tableau de la D1B. Ça faisait trois ans qu’ils luttaient pour le titre. Et puis ils ont beaucoup de ressources: humaines, logistiques, etc. »

Seraing connaît une drôle de période où les cas de Covid se multiplient. Presque tout le staff est contaminé. Marc Grosjean doit diriger des matches quand Emilio Ferrera est cloué au lit. « Mais ça ne nous a pas trop pénalisés parce que c’est moins grave d’avoir des cas positifs dans le staff que dans le noyau », avoue le T2. « On était en communication permanente, et puis on a l’avantage de très bien se connaître. C’est plus embêtant quand des joueurs importants sont touchés. Parce que dans certains cas, il faut beaucoup de temps pour revenir à 100%. Par exemple, BenjaminBoulenger a eu le Covid. Il a raté des matches, puis il a repris les entraînements progressivement. On pensait alors qu’il était prêt, on l’a relancé, mais il a fallu le faire sortir après quelques minutes. On avait l’impression qu’il allait faire un infarctus. Au niveau Covid, c’est surtout Westerlo qui a payé le prix fort. Le Covid et le départ de ChristianBrüls en janvier, ça a fait deux coups terribles pour eux. Parce que Brüls peut changer à tout moment le cours d’un match. »

On ne s’est jamais dit: Ouille, on va être moins forts que tous les autres. Simplement, on était dans l’inconnu. »

Emilio Ferrera

Début février, l’élimination en Coupe contre le Standard n’est qu’anecdotique dans le parcours des Métallos. Elle ne se transforme pas en gros coup sur la tête, elle n’hypothèque pas la suite des événements. « Battre le Standard, c’est toujours un vieux rêve pour les Sérésiens », signale Marc Grosjean. « Et clairement, il y avait un coup à jouer. À ce moment-là, le Standard était en train de piquer, et ici, on marchait sur l’eau. On s’est vite mis hors du match, mais la prestation d’ensemble nous a encore rassurés, elle nous a confirmé qu’on travaillait bien, qu’on était dans le bon. Au niveau du jeu, on a surpris pas mal de monde ce soir-là. Par moments, on a été impressionnants. » Emilio Ferrera regrette seulement le scénario du duel: « C’est frustrant quand un match est plié après trois minutes à cause d’une erreur individuelle stupide. De ce match, je retiens aussi qu’on n’était pas encore prêts, dans la maturité et l’expérience, pour lutter contre une équipe comme le Standard. »

Moussa Gueye face au Lierse lors de la dernière journée du championnat de D1B.
Moussa Gueye face au Lierse lors de la dernière journée du championnat de D1B.© BELGAIMAGE

Le tournant RWDM

Il n’y a donc pas de coup d’arrêt en prolongement de cette gifle (1-4). Seraing reste, à distance, dans le sillage de l’Union. La deuxième place finale devient vite le seul objectif. Mais il y a des adversaires qui s’accrochent. Qui jouera les barrages? Seraing? Lommel? Westerlo? Deinze? Vient alors un moment-clé, en mars. C’est en tout cas l’avis des deux entraîneurs. En l’espace d’une quinzaine de jours, les Liégeois vont donner une leçon au RWDM sur son terrain (2-4), puis battent à nouveau la même équipe au Pairay (1-0). « Ces deux jours-là, on a compris qu’on allait probablement finir à la deuxième place », dit Emilio Ferrera. « Deux matches difficiles, deux victoires importantes. Le moment-clé pour atteindre cette deuxième place, ça a été cet enchaînement. Et deux matches qui illustrent bien le déroulé de notre saison. Dans le premier, il y a eu une prise de risques énorme et on a marqué beaucoup. Dans le deuxième, on a montré une grande rigueur défensive. » Marc Grosjean embraie: « On a fait deux matches qui ont contribué à nous rassurer. Dès le début de saison, j’étais sûr que les spécificités de notre jeu allaient surprendre. On a progressé en continu, on a eu une meilleure évolution que les adversaires. Et la collaboration avec Metz est exceptionnelle. On a des contacts tout au long de la semaine, leur responsable sportif et leurs recruteurs viennent voir tous nos matches, on va régulièrement chez eux. » Le T1 partage: « Si on est là aujourd’hui, c’est grâce aux gens de Metz, grâce à leur professionnalisme, leur connaissance du foot de haut niveau. Ils nous laissent travailler en étant toujours à l’écoute. Ce partenariat, c’est un projet qui est arrivé à maturité. »

Seraing vs Waasland-Beveren: qui part en pole?

Match aller ce samedi au Pairay, retour le samedi suivant au Freethiel. Marc Grosjean analyse et pronostique: « Sur un match, j’aurais dit 50-50. Sur deux, je donnerais toujours l’avantage à l’équipe de D1A parce qu’elle a l’expérience et c’est plus facile à faire jouer sur deux matches que sur un seul. Surtout que Seraing n’est pas l’Union ou Westerlo. Il y a très peu d’expérience de D1A chez nous, on n’a pas la roublardise, la capacité à exploiter la moindre erreur de l’adversaire, ce n’est pas dans nos gènes.

Maintenant, on est dans une logique de victoire alors que Waasland-Beveren est dans une logique de défaite. Ils ont joué toute la saison pour ne pas descendre, leur saison a été essentiellement défensive. Quand tu joues pour ne pas perdre, tu restes derrière, tu tapes les ballons bien loin. Contre nous, ils devront attaquer. Et ce n’est pas facile à refaire subitement quand on n’est plus habitué. »

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