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La dernière interview de Milan Jovanovic à Anderlecht

Pierre Bilic

« Ceux qui me critiquent seront les premiers à affirmer, si Anderlecht n’est pas champion en 2014, que c’est parce que Mbokani et moi ne sommes plus là… », nous confiait encore récemment Milan Jovanovic dont le contrat au Parc Astrid n’a pas été reconduit. Entretien.

Milan Jovanovic a vécu des hauts et des bas à Anderlecht, mais le meilleur passeur de D1 est un champion fier de ses statistiques: « Les chiffres, c’est du concret: ils parlent pour moi et cela dérange mes détracteurs, les jaloux… »

Quel goût a pour vous ce titre contesté jusqu’au bout par Zulte Waregem ?

Milan Jovanovic: L’équipe de Francky Dury a réalisé un parcours tout à fait remarquable : je l’ai confié au coach de Zulte Waregem à l’issue de la dernière rencontre, décisive, de ce truc de fous que sont les PO1. Je l’ai toujours déclaré : Anderlecht ne pouvait être battu que par Anderlecht et une seule équipe a été capable d’en profiter, de nous poser des problèmes du premier au dernier jour de la phase classique et des PO1 : Zulte Waregem. Chapeau ! Notre explosion de joie dit tout sur la tension, l’importance de ce titre pour le club et les joueurs, jeunes ou pas. Mon émotion a été totale et je vais vous dire quelque chose de très important…

J’écoute, j’enregistre.

C’est le quatrième titre de ma carrière en Belgique. Deux au Standard, deux à Anderlecht. C’est pas mal et, de plus, je les ai gagnés avec quatre coaches différents : Michel Preud’homme, Laszlo Bölöni, Ariel Jacobs et John van den Brom. J’ignore si c’est unique, mais ce n’est pas banal. Cela prouve à certains que de vrais connaisseurs, comme le sont ces personnalités, m’estiment à ma vraie valeur, utile dans la conquête d’un titre. Ils savent, eux, ce que je leur apporte.

Qu’y a-t-il de commun entre Preud’homme, Bölöni, Jacobs et Van den Brom ?

Mbokani et Jovanovic.

« Je ne suis pas Messi mais j’ai une carte de visite »

Intéressant mais encore ?

Mais cela veut tout dire : c’est clair à propos de notre apport dans quatre conceptions différentes. Nous avons su nous adapter, ce qui signifie que, sur le terrain, nous savons rendre service, comprendre un collectif. Celui qui ne pense qu’à lui, comme on l’a dit à mon propos, ne peut pas gagner autant de titres avec quatre T1 différents. Je sais que ceux qui ne m’aiment pas, mes détracteurs, adorent souvent les chiffres et autres statistiques. Alors, permettez-moi de leur en donner : quatre titres, trois Super Coupes de Belgique, Soulier d’or, Footballeur professionnel de l’année, meilleur passeur de la saison. La critique ne me dérange pas et je l’apprécie quand elle est fondée. Je ne suis pas Messi, hein, mais j’ai un parcours, une carte de visite. J’ai atteint un total de 15 passes décisives. Je suis donc impliqué dans la réalisation de pas mal de buts…

Pour en revenir aux quatre coaches de vos titres…

Je n’aime pas le jeu des comparaisons, je n’en ferai pas. Preud’homme m’a marqué par son travail, son art de créer un esprit. Bölöni ne craint rien ni personne. Il a regardé Liverpool et Everton dans le blanc des yeux. A sa place, d’autres auraient tremblé, bétonné : lui pas, les Reds ont peiné, Everton a plié avant de recruter Marouane Fellaini au Standard. Jacobs a livré un travail d’expert à Anderlecht. Il a gagné le titre au Danemark et je suis très heureux pour ce fanatique de football, qui a rendu de grands services à Anderlecht. Et, derrière l’homme de métier, il y a la personne. Je suis vraiment fier d’avoir connu une aussi belle personnalité. Je suis ému en parlant de lui. Van den Brom est au début d’une belle carrière. Oui, il y a eu de la pression. Il y en a même plus qu’à Liverpool. Ici, il n’y a qu’une place qui compte: la première. Deuxième, c’est une catastrophe sportive et financière. Dans les grands pays, il ne faut pas nécessairement être premier pour se retrouver en Ligue des Champions. Van den Brom a découvert tout cela en apportant sa touche.

Il est resté joueur, non ?

Oui et c’est bien. La jeunesse, c’est de l’énergie. Il en a. Van den Brom a apporté ses idées hollandaises, avec des accents offensifs, un jeu haut, une défense qui remonte très vite le ballon. Il n’hésite pas à faire confiance aux jeunes. C’est important à plus d’un point de vue. Quand on est bon à 18 ans, on doit jouer, c’est tout, en sachant qu’il y aura des creux. Dans le football actuel, cette jeunesse vaut de l’or. Jacobs a lancé Romelu Lukaku, vendu à prix d’or en Angleterre. En D1, je suis sidéré par trois promesses : Praet, Bruno et Lestienne. Dennis est un organisateur de jeu né : bien placé, clair, intelligent, à la Modric. Bruno est rapide et super dans ses débordements et ses centres. Thorgan Hazard est excellent aussi mais c’est Maxime Lestienne qui est le plus loin dans son évolution. Il a deux ans de plus que Praet et connaît déjà mieux la D1. Lestienne a un pied gauche fabuleux, c’est la grande, grande, grande classe.

Donc, Van den Brom est un coach offensif…

Mais évidemment. J’ai rarement été aussi souvent heureux, sur un terrain, que jusqu’en décembre. Notre jeu était posé dans le camp adverse, offensif, léger, sans peur, sans stress. C’est pour cela que nous avons réussi une bonne campagne européenne. Anderlecht avait le potentiel pour franchir le cap des poules de la Ligue des Champions. Qu’est-ce qu’il nous a manqué ? Un but à gauche ou à droite, pas plus : avec Suarez, on y serait arrivé, c’est certain.

« Anderlecht aurait pu être champion avant le début des PO1 »

Qu’est-ce qui a changé à partir de janvier ?

Franchement, je l’ignore.

On a évoqué un travail physique trop léger pour aborder la deuxième partie de la saison : votre avis ?

C’est du blabla : il y a peut-être eu une forme de lassitude mentale après avoir connu cinq mois superbes. Il faut digérer tout cela, ne pas permettre à la satisfaction d’encombrer les têtes. Pour moi, cela se passait dans la tête. Au tennis, on peut enchaîner les aces et puis, soudain, le service ne passe plus. Le serveur n’est pas moins bon : il doute, c’est différent et le match devient plus cérébral. C’est pour cela que l’apport d’un psychologue peut être utile pour faire baisser la pression. Van den Brom a douté lui aussi mais je trouve que le duo Van den Brom-Hasi a réalisé un magnifique parcours. Besnik m’a beaucoup aidé dans mes dialogues avec le T1. Vanden Brom est un grand entraîneur, un innovateur. Malgré tout, Anderlecht aurait pu être champion avant le début des PO1…

Comment cela ?

En D1, Anderlecht doit toujours miser sur deux attaquants. Quand Mbokani et De Sutter ont joué ensemble en pointe, Anderlecht avait plus d’atouts, inquiétait plus les défenses adverses.

Y a-t-il eu un désamour entre Jova et Anderlecht, entre Jova et Van den Brom, entre Jova et le public ?

Non, ça c’est bon pour ceux qui ne savent pas. Ceux qui, dans la presse, se font un nom sur mon dos, ce qui n’est pas grave, On envie ceux qui ont réussi. On me jalouse, donc, j’ai réussi. Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’avis du club et du coach. Ils savent lire les statistiques. Comment pourrait-on être passé à côté de sa saison en étant le meilleur passeur de D1 ? Il faudra m’expliquer car c’est impossible : celui qui se cache ne sert pas les autres. Je suis différent, c’est peut-être cela qui dérange.

Différent, c’est-à-dire ?

J’aime bien chanter. Mais pas dans une chorale, ce qui est plus facile. Moi, j’ai une bonne voix : je n’ai pas peur de chanter seul.

Ah, ah…

Vous comprenez ce que je veux dire ? Je suis un joueur collectif mais je ne fuis pas mes responsabilités. J’en parle. Je suis critique à mon égard. J’étais là en début de saison, à la fin aussi, même si je n’ai pas joué tous les PO1. Je n’ai jamais eu la migraine. Quand cela n’allait pas, si j’en crois une petite partie de la presse, c’était d’abord à cause de moi. On n’en a pas indiqué d’autres du doigt, même après une série de mauvais matches de leur part. Je sais que je suis payé pour faire la différence. A gauche, parfois presque au back, c’est plus compliqué…

C’est votre dilemme, votre frustration: vous n’êtes pas heureux dans ce rôle de passeur, n’est-ce pas ?

Je n’ai jamais dit cela. Je suis devenu Soulier d’Or en jouant en pointe avec Mbokani au Standard. Oui, j’y ai évolué à gauche en Coupe d’Europe. En équipe nationale serbe aussi.

« Je suis fier de mes assists »

Où se situe le problème alors ?

On me juge surtout sur les buts : c’est comme cela et on oublie que je suis un milieu de terrain. Dans un système avec un attaquant, je suis obligé de redescendre trop bas. Je parcours 12 km par match : pourquoi n’y a-t-on pas placé plus souvent quelqu’un d’autre ? Ah, c’est cela la question. Avec deux pointes, qui monopolisent la défense adverse, je peux surgir plus facilement à gauche. Mais, croyez-moi, je suis fier de mes assists : d’ailleurs, on en a parlé dans d’autres pays.

Et tous ces incidents : la bouteille, la charge sur Opare ?

La bouteille à Limassol, c’est rien.

Une carte rouge, la colère de Van den Brom…

Je n’ai blessé personne, j’ai toujours serré la main du coach. Je ne regrette que mon geste sur Opare, je l’ai dit, j’ai assumé. Dans les PO1, je n’ai pas assez joué, je n’ai rien demandé au coach. Qu’est-ce qui comptait ? Le calme, le titre. Je le voulais pour Van Holsbeeck, pour le club et surtout pour Van den Brom, un jeune T1 qui n’avait jamais vécu cela et qui en avait besoin pour développer ses idées. Mais si cela m’était arrivé en janvier ou en février, j’aurais exigé des explications. Je suis satisfait de ma saison, vous ne pouvez pas savoir : quatrième titre en Belgique, ça compte.

On dit que le vestiaire est lassé par vos excès ? Je n’ai eu de problèmes avec personne. Je vis et je travaille comme un pro. Le reste, ce qu’on raconte, c’est n’importe quoi. J’aide les jeunes, je donne tout ce que j’ai en moi. Quand je sens qu’on a confiance en moi, qu’on m’aime, je rends tout cela fois 10.

Van den Brom vous a rendu visite à Waterloo en fin de saison ? Oui.

Pourquoi ?

Cela reste entre lui et moi. C’était intéressant mais privé.

On dit que Van Holsbeeck ne vous a proposé qu’un contrat d’un an pour que vous le refusiez ?

Je ne connais pas la politique du club, ses intentions à long terme. Cette rumeur-là est vraiment nulle. Van Holsbeeck n’est pas comme cela ; c’est un manager de classe et on n’arrive pas à son niveau comme cela. Nous avons eu des échanges de qualité, surtout quand les dossiers sont importants pour les deux parties. Anderlecht est un grand club. Le respect est mutuel. Je sais ce que je lui dois, Herman mesure ce que je lui apporte. Le contrat d’un an, il y a longtemps que j’aurais pu le signer. J’ai été trouver Herman, on a parlé de l’avenir. Très calmement et cela a renforcé toute mon estime pour Anderlecht.

Alors finalement : stop ou encore ?

Ce n’est pas aussi simple.

Mais si… Van Holsbeeck a dit que vous envisagiez de partir en beauté, sur un titre : pas vrai ?

C’est bien plus compliqué que cela. Vous allez à la pêche: la presse a une boule de cristal et un imposteur répond à ma place en anglais sur internet: je ne suis pas sur Facebook. Anderlecht sera le premier averti. Pour moi, c’est toujours mon club. La saison a été longue, stressante, fatigante. Je ne peux pas prendre une décision aussi importante en un éclair. J’ai 32 ans, une famille qui est concernée par mon choix.

Je me suis donné une dizaine de jours pour me reposer en Serbie, examiner tous les aspects du problème et décider : je comprends la position d’Anderlecht qui veut encore me faire signer un an, et il y a la mienne : je préfère deux ans. Olympiakos va dans ce sens-là et évoluera en Ligue des Champions mais entre une affirmation et un contrat signé, il y a de la marge. D’autres pistes existent.

A mon âge, un joueur peut s’interroger : – Ai-je fait le tour du problème ? Les gens veulent-ils voir une autre tête ? La pression sera- t-elle encore plus éprouvante la saison prochaine ? Ne serait-il pas intéressant, comme vous le dites, de partir en beauté et de ne pas abîmer cet acquis en restant trop longtemps ? N’est-ce pas le moment de relever un nouveau défi en découvrant un autre club, d’autres motivations. Ou tout ce qui me lie à Anderlecht est-il plus fort que tout cela ? Voilà tout ce que je dois examiner. Et je le ferai calmement, tout en me préparant pour la prochaine saison. Je rigole quand certains racontent que je suis moins rapide qu’avant. On verra…

Pierre Bilic

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