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Karim Belhocine: d’un test à Virton au podium avec les Zèbres

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Parce qu’il semble allergique aux projecteurs, Karim Belhocine n’aime pas parler de lui. Des témoins de son parcours passent donc à table, pour raconter comment un joueur arrivé en test à Virton est devenu, en quinze ans, la révélation des bancs de touche belges.

Tous les yeux d’Europe sont tournés vers Istanbul. Pendant que Rafael Benitez joue au chat et à la souris avec les médias, qui se demandent qui de Djibril Cissé ou Milan Baros sera aligné à la pointe de l’attaque des Reds, Carlo Ancelotti avance avec la certitude de ceux qui ont déjà soulevé une Coupe aux grandes oreilles. Dans 24 heures, les téléspectateurs du monde entier vivront la finale de Ligue des Champions la plus folle du XXIe siècle.

Si j’avais dû le mettre ailier gauche ou gardien, il l’aurait fait sans problème. Mais bon, je le préférais quand même en milieu défensif.  » Georges Leekens

À un peu plus de 3.000 kilomètres de là, l’esprit de José Allard ne s’égare pas jusqu’au duel entre Steven Gerrard et Andrea Pirlo. Le président de Virton fait jongler son regard entre trois Français, testés par les Gaumais à l’occasion d’un match amical de fin de saison face au voisin du Lorrain Arlon. Si Arnaud Szymanski inscrit le seul but du match, il ne portera jamais le maillot vert et blanc. Pas plus que Yannick Suzanne, dernier rempart presque réduit au chômage technique vu la différence de niveau entre les deux adversaires du jour. Le troisième homme, qui rayonne au milieu de terrain, connaît un autre sort.  » Dès la fin du match, on s’était regardé et on avait conclu qu’il devait être chez nous. Il avait une vraie présence sur le terrain, et un volume de jeu énorme « , se remémore l’ancien président depuis les bureaux arlonais de sa firme d’équipements sportifs. Le joueur en question, c’est un certain Karim Belhocine, parti de Trélissac, basé à huit heures de route en tirant vers le sud-ouest, en raison de problèmes financiers dans le club périgourdin. Quelques jours plus tard, le Franco-Algérien trouve un accord avec les dirigeants gaumais, et entame une longue histoire belge qui, quinze ans après, semble encore loin de son point final.

HISTOIRES DE GAUME

Karim Belhocine, époque Virton.
Karim Belhocine, époque Virton.© BELGAIMAGE

 » On est arrivé à Virton en même temps. Il avait déjà 27 ans et comme j’étais plus jeune et qu’on était tous les deux Français d’origine algérienne, je me suis un peu mis derrière lui. En fait, j’étais tout le temps dans ses pattes « , se souvient Bareck Bendaha, ancien attaquant reconverti en coach à Nismes, là où la province de Namur tutoie la frontière française.  » Il est arrivé calmement, mais dès la fin de la préparation, on voyait déjà que c’était un leader. D’ailleurs au bout d’un an, il a pris le brassard.  »

Habitué à jouer les grands frères depuis sa jeunesse à Vénissieux, dans la banlieue sud de Lyon où il grandit dans une famille de huit enfants, Karim Belhocine couve Bendaha à sa manière. En ne le lâchant jamais, conscient du potentiel de son jeune équipier qu’il a envie d’accompagner vers l’élite. Au point de lui passer un savon en plein match contre l’Union, quand l’attaquant fait un mauvais choix qui coûte un but plus que probable.  » Il avait été très dur, parce qu’il fait toujours tout pour gagner. Si tu es nul, il ne te le cache pas, parce que c’est un vrai. Sur le terrain, il ne rigolait pas. Mais si tu devais aller à la guerre, tu le prenais toujours avec toi. « 

Quand il faut protéger un équipier suite à un duel musclé avec le colosse Elimane Coulibaly, alors à Deinze, c’est Karim qui s’y colle. Le Lyonnais est de tous les combats, même quand ils impliquent un retour pied au plancher de la Côte après un match contre Ostende pendant que sa femme donne naissance à leur enfant à Arlon. Sans oublier de régaler sur la pelouse : fin 2007, face à Hamme, Belhocine marque le 2000e but de l’histoire gaumaise dans les divisions nationales.

Malgré la trentaine qui approche, Belhocine n’a pas encore rangé ses rêves de D1 au placard. Sinon, comment expliquer qu’il passe l’essentiel de ses journées avec les chaussures de course au pied, quand les entraînements sont seulement programmés le soir dans un club où le statut professionnel n’est pas offert à tous les joueurs ?  » Il a gravi les échelons en n’oubliant jamais d’où il venait « , confirme Guy Blaise, coéquipier d’alors aujourd’hui actif à Meix-devant-Virton. S’il confesse dans un éclat de rire avoir une foule d’anecdotes  » impossibles à raconter  » au sujet de son ancien partenaire, Blaise évoque  » un mec avec énormément de valeurs, même s’il m’a fallu un an pour percer sa carapace de petite racaille. Il était très respecté dans le vestiaire, parce qu’il arrivait à trouver les quelques mots qui suffisaient à te montrer que l’équipe avait besoin de toi. Et puis sur le terrain, il ne lâchait rien. Il faut dire que sa vie était un combat quotidien. Il a dû se battre pour tout. « 

LE RÊVE À COURTRAI

Avec Christian Benteke, à Courtrai.
Avec Christian Benteke, à Courtrai.© BELGAIMAGE

 » Il a galéré, mais il est toujours resté très réservé sur sa vie privée. Il ne se plaignait jamais « , avance Paul Maso, son coach durant deux ans à Trélissac. Lors de sa période courtraisienne, Karim Belhocine avait accepté d’entrouvrir le livre de ses années de galère, entre une jeunesse lyonnaise passée à user ses semelles sur un terrain posé en bas des tours, des heures passées dans une usine de machines à laver à  » faire 770 fois le même geste par jour « , puis une aventure en D2 portugaise qui tourne rapidement au cauchemar quand son club d’Espinho, en proie à des difficultés financières, zappe souvent le jour de la paye et va même jusqu’à couper l’eau et l’électricité dans le logement de son joueur.

Quand la division 1 belge frappe à sa porte, quelques semaines après son trentième anniversaire, Karim Belhocine mesure donc le chemin parcouru.  » J’avais réglé le transfert et j’étais absolument persuadé de sa réussite « , affirme Eric Depireux, son agent d’alors.  » Certains à Courtrai étaient sceptiques mais j’étais tellement sûr de moi que j’avais parié avec Jean-Marc Degryse ( ancien dirigeant de Courtrai, aujourd’hui décédé, ndlr) qu’il finirait par être capitaine. C’était un leader naturel, et il avait beaucoup d’humilité. Il m’a toujours répété qu’il n’était pas Laurent Blanc.  »

Au stade des Éperons d’or, que Karim a préféré à l’offre d’OHL pourtant plus intéressante financièrement, le trentenaire ouvre de grands yeux quand il découvre l’atmosphère des grands stades de l’élite. Un rêve éveillé qu’il sait savourer après le coup de sifflet final, comme quand il retrouve son agent dans la salle de réception de Sclessin, pour partager un verre avec Depireux et Chemcedine El Araichi alors que le bus des Kerels fait déjà tourner le moteur sur le parking. La vie en D1 est aussi celle des stages hivernaux au soleil, qui mettent le Franco-Algérien face à sa peur de l’avion. S’il accompagne aujourd’hui ses joueurs par la voie des airs, il parcourt à l’époque en voiture avec Yves Vanderhaeghe, alors adjoint, les 1.800 kilomètres qui séparent Courtrai de la Costa Blanca.

La progression se poursuit avec l’apparition des play-offs. En compagnie de Saint-Trond, le KVK est l’invité surprise du premier top 6 de l’histoire du nouveau format de compétition, fortement aidé par les quatorze buts du jeune Christian Benteke, couvé par Belhocine dans le vestiaire. À la tête d’une équipe dont les performances hors-normes lui permettent de retrouver la tête des Diables rouges, Georges Leekens s’appuie sur l’importance de son vétéran dans le vestiaire :  » Si j’avais dû le mettre ailier gauche ou gardien, il l’aurait fait sans problème. Mais bon, je le préférais quand même en milieu défensif « , plaisante Long Couteau.  » Il a toujours été dur avec lui-même, ses prestations n’étaient jamais assez bonnes à ses yeux, et c’était un sacré mauvais perdant. À l’entraînement, c’était un exemple et il pouvait se fâcher quand les autres ne prenaient pas les séances au sérieux ou ne donnaient pas tout pour l’équipe. Il ne criait pas pour se mettre en évidence, mais pour veiller au professionnalisme du groupe. Avec ce comportement, c’était devenu un très bon leader. « 

LES POUMONS ET L’OREILLE

Avec le Standard, en Coupe d'Europe.
Avec le Standard, en Coupe d’Europe.© BELGAIMAGE

Malgré son âge déjà avancé, les prestations de Belhocine tapent dans l’oeil de Lucien D’Onofrio, alors en quête d’un défenseur central.  » À l’époque, j’étais bien avec Lucien, et il m’avait dit qu’il cherchait à renforcer sa ligne arrière au mercato d’hiver. Je lui ai parlé de Karim et il m’a répondu qu’il le trouvait très bon, alors que tout le monde me trouvait fou à l’époque quand je disais qu’il avait le niveau du Standard. Lucien était sur un joueur au Portugal, et finalement, ça s’est fait. C’est Kanu qui a débarqué à Sclessin.  » Quelques mois plus tard, D’Onofrio quitte le club, mais le dossier Belhocine est toujours présent dans les bureaux. Le tout nouvel agent Mogi Bayat saute sur l’occasion, et est fier d’ajouter à sa toute nouvelle écurie  » l’un des joueurs les plus sous-estimés de Belgique.  »

Il prenait toujours la parole au bon moment, et jamais pour ne rien dire. C’était souvent des mots justes, pas des gueulantes pour montrer qu’il était là.  » Siebe Blondelle

À peine arrivé à Liège, Karim Belhocine figure en premier sur la liste des tests effectués par Carlos Rodriguez, le préparateur physique des Liégeois.  » C’était pendant le ramadan, et le soleil se levait très tôt, donc il ne devait pas avoir beaucoup dormi « , se rappelle celui qui officie aujourd’hui à OHL.  » Il est seulement arrivé avec des multis. Du coup, comme le test se déroulait sur tapis, il a voulu le faire à pieds nus, mais j’ai refusé. Donc, il a fait le test en multis. Quand il est arrivé au palier des 20 km/h et que j’ai vu qu’il n’était toujours pas à fond, je lui ai dit que c’était bon, qu’il pouvait s’arrêter. Son potentiel aérobie était déjà largement supérieur à ce qu’on attend d’un footballeur. « 

Rarement utilisé sur la pelouse de Sclessin, le Franco-Algérien s’installe malgré tout comme l’une des voix les plus écoutées du noyau. Au coup de sifflet final, il descend quatre à quatre les marches qui mènent des gradins au vestiaire pour prendre la parole face au groupe, toujours avec un discours qui cherche les points positifs à exploiter dans le futur. Il n’hésite jamais à prendre entre quatre yeux Paul-José Mpoku ou, surtout, Dino Arslanagic, toujours attiré par cette nouvelle génération dont il n’a jamais cessé de partager les codes malgré la différence d’âge.  » Il a un langage proche des jeunes « , confirme-t-on depuis le vestiaire carolo.  » Déjà à ce moment-là, je me souviens lui avoir dit qu’il finirait par être entraîneur « , rembobine Rodriguez.

FINIR EN CHAMPION

Avec Waasland-Beveren, face à Charleroi et David Pollet.
Avec Waasland-Beveren, face à Charleroi et David Pollet.© BELGAIMAGE

Avant de raccrocher les crampons, Karim Belhocine s’offre encore deux étapes. La première l’emmène au Freethiel, pour deux saisons sous les couleurs de Waasland-Beveren lors desquelles il portera épisodiquement le brassard de capitaine.  » Il avait de l’expérience, il parlait un peu flamand, et il avait le respect de tous les joueurs « , raconte Siebe Blondelle, désormais joueur d’Eupen.  » Il prenait toujours la parole au bon moment, et jamais pour ne rien dire. C’était souvent des mots justes, pas des gueulantes pour montrer qu’il était là. Et sur le terrain, il ne lâchait rien. À Beveren, on n’avait pas souvent le ballon, mais il était toujours présent pour pousser l’équipe dans les moments difficiles. « 

Enfin sacré avec Gand.
Enfin sacré avec Gand.© BELGAIMAGE

Son rôle de leader de vestiaire, sa grinta en crampons et son premier mariage avec Hein Vanhaezebrouck lui ouvrent les portes de la toute neuve Ghelamco Arena, où Coach Hein a reçu carte blanche pour reconstruire un club en lambeaux, qui reste sur deux échecs consécutifs dans la course au top 6. Ivan De Witte et Michel Louwagie font même abstraction de l’une de leurs règles d’or, en offrant un – très juteux – contrat à un joueur alors âgé de 36 ans, alors que leur politique est de ne jamais signer de trentenaires. Pendant la préparation, Belhocine fait suer le groupe en compagnie de Mustapha Oussalah, et dispute quelques matches avant de quitter progressivement le terrain.

 » Tout le monde avait énormément de respect pour lui, parce qu’il était allé jusqu’au Standard en venant de D2, et il avait vraiment un coeur en or. Il n’a pas beaucoup joué, mais il était très important dans le vestiaire « , explique Hannes Van der Bruggen. Karim est notamment chargé de recueillir les états d’âme d’un David Pollet relégué sur le banc de touche par l’éclosion de Laurent Depoitre, et est l’un des premiers à parler de titre chez les Buffalos. Le sacre, Belhocine le vivra avec des douleurs au dos éveillées lors du stage d’avant play-offs, alors que Pollet vantait encore la santé de  » l’Ancien  » quelques minutes avant l’entraînement. C’est pourtant en espérant secrètement encore chausser les crampons qu’il fait son retour à Courtrai, dans le rôle de T2 de Johan Walem. Des plans qui tombent rapidement à l’eau quand les douleurs persistent, et que le départ raté de l’ex-milieu de terrain d’Udinese à la tête des Kerels poussent les dirigeants à confier l’équipe à leur ancien capitaine.

LICENCE ET INTERIMS

Courtrai, sa première expérience comme coach.
Courtrai, sa première expérience comme coach.© BELGAIMAGE

 » C’était une période difficile « , se souvient Van der Bruggen. Faute de licence valable, Belhocine est rapidement flanqué de Patrick De Wilde, coach diplômé qui lui manque de confiance et de respect en privé, ce qui revient aux oreilles du Franco-Algérien. Le divorce est inéluctable, et Karim termine la saison tout en démarrant les cours de la Pro License. Il y retrouve Arnauld Mercier, déjà rencontré lors d’une opposition en play-offs 2 entre Roulers et Courtrai :  » Il était très ouvert à la discussion, même s’il avait des prises de position marquées qu’il défendait avec tempérament. Notamment sur le football belge : il était convaincu qu’il fallait des défenseurs athlétiques pour y réussir, par exemple, et insistait beaucoup sur l’importance de l’organisation. Mais il conservait malgré tout une approche positive du jeu. « 

Avec Hein Vanhaezebrouck, à Anderlecht.
Avec Hein Vanhaezebrouck, à Anderlecht.© BELGAIMAGE

Une nouvelle fois monté sur le porte-bagages d’Hein Vanhaezebrouck, Belhocine quitte ensuite le stade des Éperons d’or pour devenir adjoint à Anderlecht. Chez les Mauves, son sourire et son humilité ne rappellent que de bons souvenirs à Neerpede, même si sa proximité avec Mogi Bayat – avec qui il est encore très fréquemment au téléphone – fait grincer quelques dents parmi les dirigeants.

Quand il assure l’interim à deux reprises, suite aux départs de Vanhaezebrouck puis de Fred Rutten, il met à profit son excellente cote auprès des joueurs, séduits par ce meneur d’hommes qui leur dit les choses sans passer par quatre chemins et qui s’est rapproché de plusieurs d’entre eux en multipliant les exercices individuels après les séances. Dennis Appiah, Alexis Saelemaekers, Adrien Trebel ou Sebastiaan Bornauw comptent parmi ses fidèles, et apprécient une personnalité capable de vanner les joueurs en partageant leurs codes, sans se départir d’un charisme qui l’a toujours suivi.

RÉVÉLATION AU PAYS NOIR

Charleroi, une des trois étapes de la vie de coach de Belhocine.
Charleroi, une des trois étapes de la vie de coach de Belhocine.© BELGAIMAGE

 » Cette proximité avec les joueurs, c’est ce qui a séduit le groupe à Charleroi « , raconte-t-on depuis le vestiaire.  » Il sent quand il doit parler calmement ou serrer la vis.  » Des qualités que Vanhaezebrouck, encore lui, a étalées devant Mehdi Bayat l’été dernier, alors que l’administrateur-délégué des Zèbres cherchait un successeur à Felice Mazzù :  » J’ai dit à Mehdi de ne pas hésiter « , écrivait le champion de Belgique 2015 dans sa chronique hebdomadaire du Nieuwsblad en janvier dernier.

 » Je sais de quoi je parle, parce que j’avais remplacé Robert Waseige au Mambour à l’époque : ce n’est pas évident de remplacer un monument à Charleroi « , affirme Leekens, marqué par l’inépuisable envie d’apprendre de son ancien joueur.  » Son autorité naturelle faisait déjà de lui un adjoint quand il était joueur « , appuie Eric Depireux, qui dresse le portrait d’un homme  » avec beaucoup de caractère, mais avant tout un humain de qualité.  »

 » Karim, c’est un vrai « , synthétise Bareck Bendaha, avec un triste souvenir en guise d’anecdote :  » En 2016, un de nos anciens coéquipiers est décédé dans un accident de voiture ( Cyril Detremmerie, ndlr). L’enterrement était à Lille. On avait vécu plein de choses ensemble à l’époque, mais il n’y avait que deux joueurs de l’équipe dans l’église : Karim et moi. Pourtant, à l’époque, il était déjà coach à Courtrai. Mais ça fait partie du respect. Ça le représente bien. Karim, c’est un homme en majuscules. « 

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